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mardi 9 novembre 2021

L'accès direct aux professions paramédicales



Nous sommes en période de pénurie.

Jadis, dans les temps anciens, je choisissais et conseillais, pour la prescription de soins infirmiers, de séances de kinésithérapie, de bilans et de séances d'orthophonie, les professionnels de santé que je connaissais pour leurs compétences et leur professionnalisme.

Désormais, et jusqu'au 30 juin 2021, c'était : "démerdez-vous", "googlisez", "doctolibez". Pour obtenir le plus vite possible un rendez-vous.

Prenons l'exemple des kinésithérapeutes.

J'ai toujours fait confiance puisque j'étais ignorant.

Je pouvais juger de la qualité des soins sur l'évolution des pathologies, sur le soulagement des malades, sur la reprise ou non de l'activité, sur la qualité des relations humaines entre le professionnel de santé et le patient, sur la durée des séances, sur la façon dont elle se passait, sur mes préjugés sur la façon dont les séances devaient se passer, sur les préjugés des patients sur la façon dont les séances devaient se passer. Et cetera. Dont le massage, geste magique oublié qui faisait du kinésithérapeute un "bon".

Mais je n'avais aucune idée du contenu réel des soins : en raison de mon ignorance.

Puis les boxs sont apparus, puis les électrodes sont devenues le deus ex machina de l'industrie des soins kinésithérapeutiques, puis les cabinets sont devenus des salles de sport avec des machines de plus en plus sophistiquées...

Ainsi, en raison d'une médiocre formation initiale, je n'ai jamais eu aucun poids sur le contenu qualitatif des séances, sur les façons de procéder, et cetera. Il existait ainsi une relation asymétrique entre le/la kinésithérapeute et le médecin et, contrairement à toute logique, ce n'était pas le médecin qui était en haut, sauf pour le geste de la prescription.

J'ai fréquenté (professionnellement) un médecin du sport, également rééducateur, qui, non content d'être un bon professionnel, était aussi un homme blasé et désespéré par l'évolution de sa profession. L'ayant consulté il y a bien dix ans, pour un problème personnel (une sciatique hyperalgique), il m'avait conseillé avant tout de ne pas me faire opérer (une très bonne décision), de ne pas aller voir un kiné et m'avait initié à l'autokinésithérapie (qui m'avait "guéri"). 

Unus testis, nullus testis.

Quoi qu'il en soit, je m'étais documenté, et on le verra plus loin, pas aux bonnes sources, et j'avais commencé en cabinet, non seulement de donner des conseils d'autokinésithérapie mais, bien plus que des conseils, à mimer les exercices qu'il était possible de faire en insistant sur la mobilité, le mouvement, sur la récupération des masses musculaires, et cetera.

Et encore n'ai-je pas parlé des ostéopathes dont le seul fait d'écrire leur nom arrache mon enveloppe de calme et de placidité.

Entouré en mon coin d'électrothérapeutes, de dispensateurs de chaleur, de surveillants de boxs, PasTous,  de kinésithérapeutes devenus ostéopathes, j'ai fini par moins prescrire de séances de kinésithérapie et à donner de plus en plus de (mauvais, sans doute) conseils d'autokinésithérapie à des patients qui se mirent à consulter directement les kinésithérapeutes (je faisais des prescriptions a posteriori) et des ostéopathes dont je pus mesurer l'arrogance, l'ignorance, le charlatanisme, la dangerosité et la cupidité. J'ajoute, pour être juste, que les médecins ostéopathes n'ont pas plus ma sympathie et je dirais : encore moins puisqu'ils sont médecins.

Coupable d'être à la fois mauvaise langue et ignorant, je prescrivais sans passion des séances a priori et a posteriori, renouvelait, bla-bla-bla.

Puis, la fréquentation assidue de twitter me fit découvrir des professionnels de santé kinésithérapeutes qui parlaient autrement. Un de mes vieux contentieux avec la profession était, en milieu communautaire, la kinésithérapie des nourrissons pour bronchiolite. J'ai vu que certains kinésithérapeutes évoluaient.

Quoi qu'il en soit, grâce à des kinésithérapeutes de twitter, que je ne nommerais pas car ils ou elles pourraient être victimes d'attaques de la part de leurs collègues, j'ai appris.

J'ai appris sur mon métier (comment gérer et/ou prescrire/ne pas prescrire, moins prescrire d'antalgiques/antiinflammatoires, comment ne pas générer trop d'effets nocebo, comment encore moins prescrire d'examens complémentaires, comment décorréler imagerie et clinique ou clinique et imagerie, et cetera...)

Je vous conseille donc encore une fois d'écouter les podcast Le temps d'un lapin (j'ai des critiques mais pour l'instant je les garde pour moi) : ICI

Ces podcasts ont conforté certaines de mes pratiques, infirmé d'autres et sont une source inépuisable de réflexions.

Ces podcasts sont instructifs mais désespérants tant ils soulignent de façon criante l'écart, le gouffre, entre ce que j'y entends et ce que je vois.

Donc, c'était la question, oui à l'accès direct : quand les choses nous échappent, feignons de les avoir organisées.

Je ne crois pas que cela changera grand chose au contenu des séances mais comme la prescription n'y changeait rien, je fais confiance aux sociétés savantes des kinésithérapeutes pour qu'elles fassent leur boulot.

J'ajoute qu'à l'époque où l'Association des professionnels de santé du Val Fourré tenait encore des réunions, le dialogue était plus amical que professionnel...

Vous pouvez regarder ou signer (ce que je n'ai pas fait pour des raisons tellement explicites pour celles et ceux qui suivent ce blog) la pétition publiée dans un journal progressiste sur l'accès aux soins (qui me laisse rêveur) : LA.

Nous essaierons d'aborder dans d'autres épisodes l'accès aux IDE et aux orthophonistes.


dimanche 8 mai 2016

Une petite matinée de médecine générale comme les autres avec peu de médecine mais de l'empathie, du sociétal, de l'expérience interne, un peu de médecine quand même.


Rien que de très banal. Matinée calme entre 8 H 15 et 12 H. J'ai décidé de l'écrire car j'avais un peu de temps et que j'avais fini mon travail administratif au cabinet avant de partir en visites.
  1. Le premier rendez-vous de huit heures trente n'est pas venu : c'est plutôt inquiétant car j'aurais préféré que cette malade (très) fragile se présente en consultation.
  2. J'apprends par une patiente qu'une de mes patientes (très) âgée et suivie à domicile pour polypathologie va cet après-midi aux urgences sur les conseils d'une des IDE qui s'occupe d'elle (et qui ne me prévient donc pas ; IDE pour laquelle je suis patient car la patiente l'aime beaucoup bien qu'elle lui parle mal et qu'elle reste trois minutes montre en main à son domicile tous les jours) et du voisin de palier. C'est un deuxième avis après que j'avais déjà adressé la patiente au service ad hoc (pour la pathologie dont elle souffre).
  3. La famille d'un patient m'appelle à huit heures quarante-six parce que le patient en question est hospitalisé en USIC au décours de douleurs abdominales. Il ne veut pas prendre son (nouveau) traitement parce que ni son médecin traitant ni son cardiologue n'ont été prévenus. J'appelle l'USIC, je parle à l'IDE qui s'occupe de lui, je comprends la situation, il veut quitter la réanimation et revenir chez lui, je demande que le médecin me rappelle, j'appelle le patient sur son portable et je le convaincs de prendre son traitement et lui précise que je vais parler aux médecins qui s'occupent de lui. Le médecin du service de réanimation ne m'a toujours pas rappelé (il est 12 heures).
  4. Pendant ce temps les rendez-vous continuent, le téléphone sonne, la secrétaire répond, me passe parfois un appel, tranche, décide, évalue, temporise, dit non, dit oui, pondère, remplit mon carnet de rendez-vous, donne une information, un conseil, se tait, sourit, rigole...
  5. Une de mes patientes (âgée) part en Inde. Les informations fournies par l'agence de voyage, par le gars qui a vu le gars et par la crémière sont assez erronées. Je lui explique l'affaire et lui dit qu'effectivement, à Jaïpur, on peut acheter des tapis. Cette discussion extra médicale peut être interprétée de différentes manières -- voir de nombreux billets sur ce blog : incongrue, inutile, empathique, dangereuse, inconsidérée, paternaliste, pratique, égoïste, vantarde... Elle est aussi métaphorique des recommandations et des guide-lines : la patiente part au Rajasthan et, pendant la consultation, le médecin peut consulter des conseils aux voyageurs, le site de l'Institut Pasteur Paris, Lille ou je ne sais où, regarder ses notes mais qui mieux que quelqu'un qui connaît le Rajasthan, pourra dire à cette patiente âgée, non fragile, peu traitée (elle prend un anti hypertenseur et c'est tout), ce qu'elle devra éviter là-bas, quels sont les vrais dangers, et cetera ? C'est à dire que l'"expertise" individuelle, hors études, hors recommandations, au delà de l'avis d'expert, peut, dans une relation duelle et forcément multiple avec un patient, être d'un grand apport, ce que l'EBM appelle l'expérience interne du médecin.
  6. Je rédige une ordonnance "unifiée" pour un patient polypathologique qui est suivi par le cardiologue, le gastroentérologue, l'endocrinologue et le pneumologue et je m'arrache les cheveux. Mais le médecin généraliste est la bonniche de tout le monde et la CPAM n'en a rien à cirer. Une autre interprétation pourrait être celle-ci : seul le médecin généraliste, peut, s'il le souhaite, s'il en a les capacités, l'envie, les connaissances, le sens de la gestion du risque, le courage, l'immodestie, la faiblesse, le découragement, la décence, la conscience professionnelle, garder le contact avec la réalité, c'est à dire l'unité du patient écartelé entre ses différents organes, ses différentes fonctions, ses différents traitements, désorienté par tous les avis qu'il reçoit sur ce qu'il devrait faire, ne pas faire, sa voisine de palier, l'ostéopathe qui passe à la télé, le professeur Vallancien qui péessaïse, Marisol Touraine qui communique sur des sujets dont elle ne connaît ni l'alpha ni l'omega, Madame Buzyn qui monte en chaire pour prôner le dogme indéfectible de l'Immaculée Dépistologie, ou Michel Cymes baissant son pantalon sur des affiches, c'est le sens de la médecine générale rêvée ou idéale. Mais tout comme les quincailleries ont disparu, les cabinets de médecine générale vont s'éteindre. Tout le monde s'en moque : le vieux monde disparaît. Et ainsi, tel le quincailler du coin dans sa boutique foutraque, avec des objets qu'il vendait et qu'il avait utilisés lui-même, il en connaissait le bénéfice/risque, qui, pour gagner sa vie a dû émigrer chez Bricorama ou Leroy-Merlin, le médecin généraliste se retrouvera vendeur chez Maison de Santé Pluridisciplinaire. Mais il est vrai qu'une profession résiste : celle des coiffeurs indépendants. Certains médecins qui se réfèrent pour prouver la déliquescence de leur profession (due bien entendu aux méchants syndicats, aux corrompus syndicalistes, à l'Etat, aux énarques, aux économistes, à la loi Santé, que sais-je ?) à la valeur d'une coupe homme par rapport à celle d'une consultation de médecin généraliste, devraient méditer sur le fait que les grandes chaînes de coiffure n'ont pas encore mangé la profession, sans aides, sans subventions, sans remises sur les frais, sans protection fiscale... Comment ont-ils fait ?
  7. Je passe un temps fou à expliquer à une patiente les tenants et les aboutissants de la recherche de sang dans les selles à la fin de consultation dont le sujet principal était autre chose (des lombalgies), je veux dire évoquer le rapport bénéfices/risques de ce truc auquel je ne suis pas favorable. Ne serait-il pas possible que les gens qui envoient les lettres de convocation aux patients fassent une partie du boulot et informent vraiment ? Et nous ne sommes pas rémunérés pour faire un geste de dépistage qui demande du temps et m'oblige à manger mon chapeau. Et c'est la même chose pour le PSA (non recommandé officiellement mais imposé officieusement par les urologues), pour le dépistage du cancer du sein (le manque d'informations "balancées" à l'intention des citoyennes, cette crainte des autorités que le dépistage n'atteigne pas ses objectifs -- non pas diminuer la mortalité mais faire du chiffre, cette trouille de devoir expliquer des choses que les responsables de ce mensonge organisés ne comprennent pas eux-mêmes).
  8. Je m'interroge encore une fois à propos de ce patient sur l'intérêt des séances de kinésithérapie dans nombre d'indications, je me rappelle que mon ami twittos du nord m'a dit que sa femme allait nous faire un cours de posturologie ergonomique et j'attends toujours. L'auto kinésithérapie devrait être enseignée par la Faculté et s'il existe des formations ad hoc, je prends. Mais ce n'est pas à mon âge que je vais révolutionner la prise en charge en ville des patients qui nécessitent vraiment des séances de kinésithérapie. Profits et pertes des connaissances en médecine générale.
  9. J'écris un courrier pour le médecin du travail de PSA qui recevra lundi le patient lors d'une visite de pré reprise qui va être très importante. Je soigne mon style et je tente de flatter mon confrère en soulignant l'étendue de ses compétences afin qu'il fasse au mieux pour mon patient.
  10. Une de mes (nouvelles) patientes me fait un cours animé sur la Transylvanie dont elle est originaire, elle a bien entendu vu le film de Roman Polanski, Le bal des vampires, et elle m'explique que sa région d'origine, très liée aux Habsbourg, est beaucoup plus riche en histoire et en culture que le sud de la Roumanie. Je pose deux ou trois questions d'intérêt général. 
  11. Par paresse, chez cette autre patiente, je mesure la presion artérielle sans aller chercher mon brassard pour "gros" bras (ça fait grossophobe, hein ?), eh bien, même à l'avant-bras le brassard "normal" n'est pas suffisant. La dame dépasse aussi les possibilités de ma balance. Une étude américaine montre que l'IMC chez l'adolescent permet de prédire la survenue des événements cardiovasculaires à l'âge adulte : à cacher pour ne pas être taxé de grossophobie la nouvelle insulte anti médecins (cf. figure infra tirée de LA).
  12. Bon, je vais aller faire deux visites, l'une moyennement justifiée, et l'autre franchement (presque) abusive. Deux femmes de plus de 80 ans vivant seules à domicile, mais la neuvième décennie, mon brave Monsieur...


J'ai téléphoné à un patient pour savoir si je pouvais publier son histoire et il m'a dit qu'il allait réfléchir. Dommage s'il refuse. C'est particulièrement intéressant.

Illustration : Maximilien Luce (1858 - 1941) : Le Pont Neuf. La Seine. Petit bras (1900)