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jeudi 1 mars 2018

Médecine et société : le monde moderne (et ancien).


1
On me raconte l'histoire suivante : un patient (très âgé) est hospitalisé pendant deux jours dans une clinique privée pour pose d'un pace-maker après un diagnostic (brillant) fait sans ECG par sa fille médecin. Tout se passe merveilleusement. Le jour de la sortie le chef de service passe dans la chambre. "Tout va bien ?" La fille du patient : "Heu, il commence à avoir des escarres. - Il n'a qu'à se lever. - Il porte une sonde urinaire. -Mais il y a longtemps qu'elle aurait dû être enlevée..." 
Le chef de service et la fille (médecin) du patient qui écoute parlent de choses et d'autres, la chambre de clinique située à côté du local de repos du personnel, la chambre du patient où l'on entrepose dans un coin du matériel et où le personnel soignant non médecin vient se servir sans un regard et sans un mot pour le patient, et cetera. 
La fille du patient conclut : "Vous êtes un excellent cardiologue mais un exécrable médecin."


2
(Jonathan Nossiter est un type curieux, il écrit des livres, il tourne des films et il boit du vin. Je vous conseille de lire, si vous aimez le vin, un livre de lui (Le goût et le pouvoir) et de regarder deux films, Mondovino où il démonte le système Parker et La résistance naturelle où il vante les vins naturels (je n'ai pas dit bio))




Quoi qu'il en soit, il nous raconte l'histoire suivante : il va manger dans un restaurant tenu par un chef célèbre et à la mode. Nossiter est connu, il a pris une réservation à son nom. Il observe, il mange, il boit. Le chef sort de sa cuisine pour dire bonjour à la salle et vient parler à Nossiter : "Alors, c'était comment ?" Nossiter a observé, a mangé, a bu. Il répond ceci :" Tu es une excellent cuisinier mais un médiocre restaurateur." Il voulait dire : accueil sans chaleur, désinvolture dans le service, peu d'intérêt pour le client. La cuisine du chef suffira.



3
Le patient  a rendez-vous à 8 heures 30 à la consultation de chirurgie viscérale d'un grand hôpital parisien. Il arrive à 7 heures et demie, il est le premier et la dame de la caisse lui dit que la consultation commence effectivement à 8 heures 30. Le chirurgien arrive à 9 heures. La salle d'attente est pleine et le patient sait pourquoi : tout le monde avait rendez-vous à 8 heures 30 ! Le chirurgien regarde une jeune femme qui est assise et qui est arrivée bien après notre patient et lui dit de le suivre. Sans explications.
Ce n'est pas le monde moderne, c'est encore le monde ancien : quand j'ai commencé les consultations de chirurgie à l'hôpital Cochin en 1977, tout le monde avait déjà rendez-vous à la même heure.

4
Un patient se fait enlever en ambulatoire une formation cutanée pour lequel son médecin traitant lui a parlé d'une très infime possibilité de cancer. C'est le dermatologue à qui il a été adressé qui officie dans son chic cabinet parisien.
Ambiance cosy mais agitée (beaucoup de monde).
Le patient demande au dermatologue de lui expliquer ce qu'il pense de la tumeur après l'ablation. Le dermatologue : "Je n'ai pas le temps." Le patient : "Vous n'avez pas le temps ? - Non, on verra cela après. - C'est cancéreux ?" Le dermatologue s'en va sans répondre.
L'infirmière le conduit au comptoir pour payer. Il dit : "Je n'ai pas le temps de payer. On verra cela après. Au revoir."
Quelque temps après il reçoit une note d'honoraires à son domicile (son médecin traitant l'a prévenu qu'il avait reçu l'anapath et que ce n'était pas cancéreux). Il n'y fait pas attention. Il est toujours en colère.
Quelque temps après sa femme reçoit une note d'honoraires le concernant.
Cette fois il écrit un courrier au dermatologue lui disant 1) qu'il ne paierait pas tant qu'il n'aurait pas reçu d'explications ; 2) qu'il pensait que le dermatologue avait rompu le secret médical en envoyant une note d'honoraires à sa femme ; 3) qu'il allait porter plainte au Conseil de l'ordre.
Plus de nouvelles.

C'était : Histoires avec paroles.

N'oubliez pas : l'alcoolisme tue.


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samedi 10 mai 2014

Valeurs et préférences d'une patiente, la conne et la tête de gland.

  
Après qu'un ami twittos me l'a signalé, et on ne dira jamais assez combien les 140 caractères de twitter sont devenus importants pour la diffusion d'informations vraies ou fausses, peu importe, c'est à chacun de voir, je lis le billet de Solène (ICI). Ma lecture est faussée car l'ami twittos a fait un commentaire en proposant l'article.

Merci de lire le billet de Solène.

Maintenant que vous l'avez lu, que vous avez lu les commentaires et qu'éventuellement vous avez lu des tweets de commentaires, nous allons pouvoir en parler.
D'après ce que j'ai compris il y a plusieurs angles d'attaque : je passe sur le côté "tranche de vie", sur le côté "les patients ont bien le droit de dire ce qu'ils pensent", sur le côté "on dit encore du mal des médecins", sur le côté "les malades sont pris pour des demeurés", sur le côté "la critique est bonne mais le ton, le ton...", et cetera. Tout le monde a forcément raison.

Solène, vous avez eu raison d'écrire ce que vous aviez sur le coeur.
Il le fallait certainement pour vous mais aussi pour infomer les autres patients et les médecins qui exercent à l'hôpital ou dans les cliniques, voire dans des cabinets de médecine générale.

Je voulais vous dire ceci : quand je suis sorti de l'hôpital pour m'installer comme médecin généraliste, exactement fin juin 1979, j'en étais à la fois content et mécontent. Mécontent car j'avais raté l'internat de Paris et donc j'étais frustré de ne pas continuer à travailler dans l'Alma Mater au chaud dans les quelques certitudes que m'avaient procurées mes études (il n'était pas question à l'époque de nous inculquer la notion de doute) mais content d'échapper à la hiérarchie, à la vulgarité, au machisme, au népotisme, au je-m'en-foutisme, et, pour tout dire, au mépris du malade, sans compter les propos de salle de garde.

Eh bien, Solène, en lisant votre billet, je constate que, mutadis mutandis, rien n'a changé. Rien du tout.
L'hôpital est resté un machin sans âme, une machine aveugle, un système lourd, une institution faite pour les soignants, pour les administratifs, pour les plombiers, pour les jardiniers, pour les brancardiers, pour big pharma, pas pour les soignés, ces cochons de payants qui ont en plus l'arrogance de ne pas être bien portants et de se plaindre voire de s'organiser en collectifs, mais où, cerise sur le gâteau, les soignants, instruments institutionnels de la déshumanisation des soignés, sont désormais les victimes de leur propre regard déshumanisant puisqu'ils finissent par se manger entre eux avec l'assentiment froid des managers et des partisans de l'assainissement des finances publiques... La gestion privée du public est venue faire un tour par là, mais pire, la gestion des malades comme des animaux en batterie, comme des sujets numérotés, comme des esclaves de la science, comme des facteurs intermédiaires de la bonne conscience sociale, et tout le monde de penser que c'est moderne, que ceux qui sont contre cela sont des vieux réactionnaires de gauche et de droite, que le monde est en marche dans le concert mondialisant de la Grande Révolution Pharmaceutique mondiale passant par des génériques fabriqués en Chine, par des programmes de dépistage du cancer du sein dans des pays où il n'y a pas de quoi manger ou par des campagnes de vaccination dans des pays où il n'y a même pas de savon pour se laver les mains.
Ces grosses structures hospitalières, tout comme l'Education Nationale dont nous parlons souvent sur ce blog, sont des modèles de dysfonctionnement, des modèles d'inutilité fonctionnelle, des modèles de décervélation des acteurs, ce qu'avait si bien décrit Illich en son temps même si ses solutions n'étaient pas à la hauteur de son diagnostic (suppression des hôpitaux et de l'école).
Dans ces machines délirantes qu'avaient décrites par anticipation Gilles Deleuze et Félix Guattari (L'anti Oedipe) il y a donc des hommes et des femmes qui sont entraînés par le mouvement, des hommes et des femmes qui ne sont ni plus beaux ni plus moches que vous et moi, des hommes et des femmes qui se font broyer en broyant parfois les autres, qui participent à un cérémonial sans croyance, à une liturgie de la rentabilité, à un culte sans dieu, à un dogme qui prend l'économie pour la finalité de l'existence, l'homo economicus, des hommes et des femmes qui broient en se broyant et il y en a aussi quelques autres, des hommes et des femmes aussi, qui tentent de jouer en solo la carte de l'indépendance, de l'éloignement, du retrait, de la dissidence, en se comportant comme des humains, toutes choses égales par ailleurs pour ce qui est de la compétence ou de leur efficience, en tentant de protéger leurs patients et en se protégeant eux-mêmes mais qui ne peuvent que rater lamentablement puisque c'est le système qui dirige, un système aveugle, un système dirigé par lui-même, sans théorie du complot, un système 2.0 de l'acceptation passive et de la résignation collective.

La seule question, Solène, qu'il est loisible de se poser : est-ce que votre témoignage va servir à quelque chose ? Est-ce que l'interne, la conne comme vous l'avez appelée, est-ce que l'étudiant, la tête de gland comme vous l'avez baptisé, auront changé après qu'ils vous auront lu ? Mais vous auront-ils lue ?

Solène, permettez-moi de vous le dire, vous avez eu de la chance, vous avez été reçue par deux médecins, un médecin en formation qui vous a dit avec sa tête de gland, non mais, les médecins, écoutez, cela n'arrive pas tous les jours, prenez-en de la graine, "Bonjour, je suis étudiant en médecine, c’est moi qui vais m’occuper de vous aujourd’hui.", et l'autre, la conne qui vous a dit "Bonjour madame, je suis l’interne.", vous avez donc eu la chance d'être examinés par des médecins polis qui se sont présentés, on vous a même expliqué ce que l'on allait rechercher et ce qu'il était possible de faire comme constatation, vous avez eu de la chance de voir deux médecins et un échographe et un médecin qui a su lire sur l'écran et vous donner le diagnostic...

Certains ont été choqués par le ton (1) de votre billet mais on me dit que c'est le ton actuel, c'est comme cela, tout le monde parle (et écrit) comme cela, de nos jours, donc, vous avez été mal reçue mais vous, dans votre tête, vous les avez aussi mal reçus, les deux médecins, votre empathie n'a pas été à la hauteur de celle que vous attendiez d'eux, mais peut-être le sentaient-ils, non, je ne pardonne pas l'attitude stéréotypée de ces médecins institutionnels, mais, ce qui est amusant, c'est que vos commentaires, ceux que vous écrivez pour réagir aux commentaires de votre billet, eh bien, ils sont polis, bien écrits, sans gros mots...

Vous avez été choquée par le fait que la conne ait fait sortir Monsieur (mon homme) sans vous demander votre avis et sans lui demander le sien mais il me semble que c'est une coutume française que de faire sortir la famille lorsque l'on réalise des actes médicaux. Vous avez sans doute pensé que vous étiez la participante en vrai d'un feuilleton américain (Urgences, Grey Anatomy ou, mon favori, Doctor House) où la famille a le droit ou presque de tout voir. Il est amusant de constater que s'il s'était agi d'un accouchement on aurait intimé l'ordre au Monsieur de rester... (2)

Enfin, il y a le problème de l'annonce : "Bon, il y a une poche, mais elle est vide." Attention, on entre dans le tragique : quoi de plus horrible que d'entendre une phrase pareille alors que vous, Solène, aviez fantasmé grave (vous le dites plus loin : je l’ai vu courir dans le jardin, avoir du chocolat partout autour de la bouche, me regarder faire des gâteaux, sourire, dire ses premiers mots, faire ses premiers pas…) mais comment vouliez-vous que la conne vous l'annonçât ? Comment dire les choses autrement que ce qu'elles sont ? Il est vrai que la conne vous dit : "Ne pleurez pas madame, vous savez on ne l’a même pas vu à l’écho alors c’est comme s’il n’avait même jamais existé !".  Solène, vous étiez enceinte de six semaines. Ce que dit l'interne (arrêtons ces niaiseries, cette interne est aussi un être humain, elle lit peut-être Sandor Maraï ou Anaïs Nin, ou Philip Roth et Maurice Blanchot, elle a aussi un coeur, un uterus, que sais-je?) est frappé sur le coin du bon sens et fait aussi, à l'impossible nul n'est tenu, super post freudien à la mode. L'argument utilisé par l'interne est d'ailleurs fort, nul doute que nous n'hésiterions pas à le réutiliser en d'autres circonstances... Solène, vous trouvez pourtant que ces propos sont stupides. Pas tant que cela. Cette interne est formatée, elle peut, dans la même journée aux urgences, faire des échographies et dire que le bébé bouge, que le coeur du foetus bat, que la poche est vide ou... que le bébé est mort. Elle est confrontée, cette jeune femme que vous ne décrivez pas, aux fausses couches spontanées comme aux demandes d'interruption de grossesse... 

En vous lisant Solène, tous les médecins sont des cons ou des connes, l'externe, l'interne et l'hôpital, ça pue la mort et le désinfectant.
Solène, vous voudriez des médecins empathiques, des médecins qui vous connaissent avant même que de vous avoir vue, des médecins qui ne travailleraient pas dans des structures moches, qui sentent mauvais et... remplis de malades.
Vous avez raison : l'impression que vous avez eue de ces médecins formatés à l'inhumanité institutionnelle, n'est pas usurpée, nous qui avons fréquenté ces structures, qui en sommes sortis, nous y avons été confrontés, et, pour nombre d'entre nous, contraints ou forcés ou de notre propre gré, nous en avons fui. 
Il est clair que ce n'est pas à vous de faire la part entre ce qui revient à l'institution bicéphale elle-même, à la fois l'hôpital et la faculté de médecine, à la formation des médecins, à leur éducation, à leurs conceptions de la vie, à leurs préjugés, à leurs réflexions en amont sur la vie, à leurs lectures, à leurs capacités d'auto analyse, à leur ego, à leurs croyances, à leurs contre transfert, à l'image qu'ils veulent donner d'eux, à l'état de leurs courbes de vie intérieures, à leurs positionnements par rapport à leurs désirs d'enfants ou de grossesse -- pour la conne (i.e. l'interne), leurs conditions de naissance (non, je n'exagère pas, cela peut jouer),...
Ce que je veux vous dire, Solène, c'est que la situation que vous décrivez, et sans nul doute avec beaucoup d'exactitude, elle ne m'étonne pas.

Une note d'espoir ? Il est possible d'apprendre à annoncer, non parce qu'il existe des procédures désormais institutionnalisées, protocolisées, les fameuses consultations d'annonce, dont on me dit qu'elles vont être étendues à nombre de situations cliniques banales, l'annonce d'un cor au pied, mais parce que les jeunes médecins que vous avez vus, celui que j'étais avant ma sortie de l'hôpital (et j'ai honte de dire combien je ne savais rien à cette époque et, plus encore, que je ne savais pas qu'il pouvait y avoir des problèmes de ce type), ils vont apprendre, ils vont s'aguerrir, ils vont apprendre les vraies choses de la vie (et de la mort), tout seuls, en lisant des livres ou grâce au compagnonnage.

Voilà, Solène, je suis tellement content que les patient(e)s s'expriment, surtout quand ils disent du mal de l'institution hospitalière (je plaisante), qu'ils continuent à le faire pour, comme on dit aujourd'hui dans le langage énarchien convenu, bouger les lignes. Qu'ils parlent, qu'ils écrivent. Je ne sais si cela changera d'un iota la situation actuelle (dont mes collègues hospitaliers ne cessent de me dire qu'elle se dégrade de plus en plus) mais au moins les réactions passionnées que nous avons lues ici ou là pourraient faire avancer les choses dans le sens de la compréhension mutuelle (non, je ne suis pas converti au sentimentalisme ou au lyrisme). Que le corps médical (pas d'infirmières, pas d'aide-soignants, pas de secrétaires dans ce billet : Solène, voudriez-vous les exonérer de ce fiasco total ?) ne s'illusionne pas trop sur son rôle réel et sur sa perception en général dans le public et que les patients n'en demandent pas trop au système de santé qui, tel la plus belle fille du monde (mais personne, à part Patrick Pelloux, ne croit que les urgences françaises sont les plus belles du monde), ne peut que donner que ce qu'il a, c'est à dire de la sueur, des larmes, des joies aussi mais également des odeurs d'antiseptique et de choux farcis.

J'espère avoir compris une infime partie de vos valeurs et de vos préférences.





Notes

(1) Solène, vous faites sans doute partie des jeunes femmes qui pensent que la meilleure façon de s'émanciper du patriarcat et du machisme ambiant, c'est de parler comme un charretier, comme un mec qui regarde le foot à la télé en buvant des bières et en grignotant une pizza en se grattant les poils de torse (ou d'ailleurs), d'écrire putain à tous les coins de phrase, de traiter les gens de con, de conne ou de connasse à tout bout de clavier (je rappelle ici que putain, con et conne son dérivé ou connasse son super dérivé (au masculin : connard), sont des insultes qui désignent à la vindicte publique des femmes ou des organes de femmes, mais passons...). Ainsi Solène, voulez-vous nous épater en écrivant de façon ordurière pour dire avec emphase "Moi, on ne me la fait pas... je suis émancipée... J'ai le droit de parler comme je veux, je peux échapper aux convenances, faire un pas de côté pour m'extraire de la bien-pensance qui assigne aux femmes, fussent-elles féministes et libérées, une attitude correcte..." Dont acte. Chomski a écrit quelque part qu'utiliser les mots de l'adversaire c'est lui donner une légitimité qu'il ne mérite pas. J'ajouterai ceci : si être émancipée (et chacun a les droit de faire ce qu'il veut, veut, comme dit la chanson) c'est, pour une femme, se mettre dans la peau des hommes que je déteste (les beaufs, les kékés, les jackie), c'est à dire écrire comme ils parlent, je jette l'éponge.

(2) La conne (alias l'interne) a exigé sans demander, ce qui peut paraître un abus de pouvoir. Mais on peut envisager ceci : le corps d'une femme a une signification complexe, et même dans l'esprit de la conne (certes influencé de façon pavlovienne par l'institution bicéphale, le corps de la femme, fût-il sur médicalisé ou, comme dirait Marc Girard, simplement médicalisé), n'est pas un objet, pas plus que son uterus n'est pas une couveuse naturelle, est une machine à fantasmes et le Monsieur pourrait en avoir une idée différente que celui de l'idée médicalisée... S'agit-il de pudeur de la part de la conne ou d'impudeur de la part de Solène ? Le thème de l'homme qui doit assister à l'accouchement pour montrer son implication a déjà été discuté de nombreuses fois sur des blogs (dont ICI) ou sur des forums. Dans le cas précis il s'agit d'un acte médical avec une sonde dans le vagin et il est possible que la conne (voyez Solène comment parler vrai rend parfois le discours ridicule) n'assume pas ce qu'elle va peut-être découvrir et pense ne pas pouvoir se dépatouiller avec ce qu'il faudra dire ou, plutôt comment réagir (en tant que médecin conne, en tant que femme, en tant que futur mère ou déjà mère, et cetera) avec les réactions de la patiente et de son compagnon, ami, futur père ou futur ex père, quand la mauvaise nouvelle sera annoncée. De façon plus générale les actes médicaux ou les consultations sont le plus souvent, mais pas à l'hôpital, il faut en convenir, des actes singuliers et le déshabillage dans une salle d'examen est un acte violent qui n'a rien à voir avec le déshabillage dans une salle de bain ou dans une chambre à coucher cela devient, sans préparation, un acte collectif avec la patiente, la médecin (la conne) et l'étudiant médecin (le connard ou la tête de gland). Le médecin devrait théoriquement, et des affaires récentes nous ont montré le contraire, faire la part entre le corps médical de la patiente, son corps érotique et son corps sexuel (pour les différences, on me dit dans l'oreillette qu'une thèse est en cours de rédaction...), et itou pour le Monsieur. Imagine-t-on, donc, Monsieur venant se faire examiner les roucous, se faire mettre un doigt dans l'anus ou une sonde d'échographie pour évaluer sa prostate, pendant que Madame, sur injonction de la bien pensance machiste, doit assister à l'examen, pour être là ? Solène, qui est une femme libérée, n'imagine même pas que Monsieur (mon homme) puisse être gêné de voir sa femme, petite amie, compagne, maîtresse, copine,  en position gynécologique, une sonde dans le vagin et angoissée à l'idée que le saignement soit signe de mort foetale...


samedi 22 février 2014

Le retour de Diane. Histoire de consultation 163.


Mademoiselle A, 18 ans, est venue avec sa copine qui est restée dans la salle d'attente.
Le dossier m'indique qu'elle n'a pas consulté au cabinet depuis environ trois ans.
Elle a une gastro, elle n'est pas allée en cours aujourd'hui, elle va mieux, c'est à dire qu'elle n'a pas besoin de médicaments, mais elle voudrait bien un certificat pour le lycée.
Je lui fais mon plus beau sourire.
"Ah, encore une chose, il faudrait que vous me prescriviez Diane 35..."
La jeune fille a trois boutons sur le visage cachés il est vrai par une épaisse couche de maquillage.
Nous commençons à parler du pays.
Je lui pose deux ou trois questions et je retiens ceci : elle a eu "tous" les traitements possibles pour l'acné (mais elle n'arrive à m'en citer aucun pas plus que ceux ou celles qui les ont prescrits), elle n'a jamais pris Diane 35, elle est complexée par ses boutons, elle n'arrive pas à survivre avec... 
Je lui dis : "Je ne vous prescrirai pas Diane 35"
Elle : Mais Pourquoi ? Maintenant vous avez de nouveau le droit.
Moi : Ce n'est pas une question de droit. Je n'en prescris pas comme ça, sans avoir examiné la situation, sans avoir fait d'examens complémentaires. Connaissez-vous bien les risques de ce médicament ?
Elle : Oui. J'ai regardé sur internet, j'ai vu tous les risques, je les assume. A vous de prescrire.
Moi : Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Je ne suis pas votre machine distributrice de Diane 35. 
Elle : Vous ne vous rendez pas compte de ma souffrance, je ne peux presque plus me montrer, j'en ai fait une phobie. Il faut m'aider. Vous ne pouvez pas comprendre...
(Je suis presque en train de pleurer et mon esprit fonctionne à cent à l'heure : l'empathie, l'empathie, l'empathie. Je sens que Dominique Dupagne me surveille (ICI) et qu'il me dit : Il est interdit d'interdire, il y a des patientes qui ont besoin de Diane 35, pourquoi s'en priver, du moment que les patientes sont informées, qu'elles sont au courant, la liberté individuelle, ne nie pas la capacité des patientes à prendre des décisions lucides concernant leur santé (sic)... Est-elle informée, d'ailleurs ?)
(Je fournis ici, en passant, un sujet de billet de blog : le médecin intégriste, ayatollah anti Diane, qui fait un retour sur lui-même, une auto analyse et qui, devant la "souffrance" de cette jeune femme, lui prescrit finalement Diane 35... c'est-y pas beau, tout ça ?)
(Autre notion dont nous pourrions parler un de ces jours : la Décision Médicale Partagée ou Share Decision Making)
Bon, je lui ré explique deux ou trois trucs, mais elle n'en démord pas : elle va aller en demander chez un autre médecin.
(Le lendemain : réunion de pairs : une de mes pairs me raconte l'histoire de Mademoiselle A qui est venue la voir le lendemain : pas de Diane prescrite. Cela me rappelle furieusement l'affaire Mediator avant qu'elle n'éclate ; et ensuite tout le monde prétendait n'en avoir jamais prescrit).

Morale de cette histoire : ai-je eu raison (ma paire a-t-elle eu raison) ? Aurais-je dû lui proposer un bilan de thrombophilie ? Car cette jeune femme trouvera un médecin pour lui prescrire Diane 35 (j'ai des adresses) et, les choses et les statistiques étant ce qu'elles sont, cela n'aura aucune conséquence sur elle : les médecins jouent souvent sur les faibles probabilités de ne pas nuire en raisonnant à leur (petite) échelle de patientèle mais oublient que l'empilement des cas individuels peut induire des risques populationnels importants.


(PS. La demande de retrait du domperidone par La Revue Prescrire (ICI) se situe dans ce contexte. Je rappelle que je demandais le retrait de Diane 35 bien avant que l'affaire Marion Lara ne survienne (LA). Ce qui m'a été reproché. L'interdiction des produits une fois commercialisés pose un certain nombre de problèmes que je vais tenter de résumer ainsi :

  1. Les partisans de la non interdiction pensent que l'information du public et notamment de la possibilité d'effets indésirables graves règle le problème : je prescris un produit potentiellement dangereux à un patient averti qui prend lui-même sa décision (voir ICI). Précisons cependant que ces partisans de la non interdiction ne sont pas des jusqu'au boutistes car la majorité d'entre eux ont approuvé le retrait du Mediator : ils prennent en compte le rapport bénéfices / risques, disent-ils.
  2. L'Evidence Based Medicine nous apporte un éclairage identique : son questionnement pourrait aboutir à la prescription d'une molécule "dangereuse" ou d'un examen complémentaire potentiellement dangereux (comme le dosage du PSA) en accord avec le patient (en tenant compte de ses valeurs et de ses préférences).
  3. Les partisans du non retrait parlent également de paternaliste à l'égard de ce retrait : faire le bien des patients malgré eux.
  4. Le retrait peut permettre aussi à des médecins consuméristes ou incompétents qui prescrivent le  produit en sachant sa dangerosité mais en se réfugiant derrière la rareté des effets indésirables graves (voir plus haut) de les aider à se mettre en accord avec leur conscience.
  5. Pour le domperidone, je pourrais proposer une solution swiftienne : que la non prescription de domperidone devienne un indicateur du ROSP. Ainsi les médecins prescrivant de la merdre seraient récompensés en arrêtant d'en prescrire.)
Illustration : Jonathan Swift : Modeste proposition : pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents et de leur pays et pour les rendre utiles au public. 1729

samedi 18 janvier 2014

L'ère de la télé surveillance est en route. A propos de l'apnée du sommeil. Un texte du docteur Dany Baud.


Je publie un texte du docteur Dany Baud qui me paraît essentiel. Je tenterai de le commenter dans le billet suivant.

Télésurveillance obligatoire des patients atteints de Syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) et traités par ventilation en Pression Positive Continue (PPC).

Qu’il soit nécessaire de justifier le sentiment d’indignation suscité par une loi manifestement inique et liberticide place celui qui s’est trouvé à l’instant indigné dans une situation de totale incompréhension, doublée si ses pairs ne trouvent rien à redire, de celle de profonde solitude. C’est dans ces sentiments que m’a plongé cette décision de placer des individus dont la seule faute était d’être atteint d’une maladie chronique, sous surveillance électronique comme il est fait par le bracelet du même nom pour les délinquants. Que certains quels qu’ils soient et quelle que soit leur position sociale puissent s’arroger le droit de rentrer dans l’intimité de « la vie des autres » sous prétexte d’avancées techniques et au seul argument de prétendus avantages économiques est dans un pays démocratique comme la France parfaitement inadmissible.    

 Odieux agenda et hidden agendas

Le SAOS est une maladie caractérisée par des arrêts respiratoires au cours du sommeil responsables d’une fatigue, d’une somnolence et parfois compliquée de maladies cardiovasculaires. Ce syndrome est fréquent, il touche  2 à 5% de la population adulte en France et environ 500 000 patients sont traités par PPC (générateur de débit d’air délivrant une pression continue  aux voies aériennes supérieures par l’intermédiaire d’un tuyau  et d’un masque adapté au nez du patient). Le traitement est assuré par des prestataires de service (les mêmes que ceux ayant en charge l’oxygénothérapie et la ventilation à domicile). Il donne lieu à une dépense importante et croissante estimée à plus de 400 millions d’euros/an, soit 40% du coût total de la liste des produits et prestations  remboursables (LPPR) pour les maladies respiratoires. L’observance des patients traités par PPC est bonne et même meilleure que l’observance médicamenteuse constatée au cours des maladies chroniques (75% versus 50%).
Jusqu’à maintenant pour bénéficier d’une prise en charge de cette PPC, le diagnostic de SAOS devait être affirmé par un enregistrement de la respiration au cours du sommeil (polysomnographie ou polygraphie ventilatoire) et le patient devait utiliser sa PPC au moins 3 heures/nuit, tracées en mémoire de machine. Le forfait facturé à la Sécurité Sociale (SS) par le prestataire est actuellement de 21 Euros /semaine  pour un prix de machine  difficile à connaître précisément car variable selon le volume acheté et négocié par ces mêmes prestataires aux fabricants  mais se situant entre 300 et 600 euros sans compter le consommable. L’achat direct de ces machines est inaccessible aux patients qui de fait sont captifs du système en place.
Le renouvellement de cette prise en charge était conditionnée à cette utilisation minimum de
3 heures par nuit et à la constatation par le médecin de l’efficacité clinique de ce traitement instrumental. En cas de défaut d’observance persistant, c’est dans le cadre de la consultation  médicale que  le médecin demandait  la suspension du traitement après concertation avec son patient.
En pratique, un certain nombre de patients non revus systématiquement par leur médecin avaient une PPC dont ils ne se servaient peu. La lenteur de communication de cette information par le prestataire (autrefois tenu à 2 passages par an) et l’absence de réactivité de certains médecins faisaient que le traitement était suspendu avec retard avec pour conséquence une perte financière pour les organismes payeurs.
Pour remédier à ce problème, ces derniers ont imaginé avec les prestataires, les fabricants de matériels, les hébergeurs de données électroniques, un système de télésurveillance permettant de suivre en temps réel l’utilisation de la machine par le patient. C’est dorénavant au prestataire de suspendre le remboursement du traitement après avertissements et propositions correctives shuntant ainsi le médecin prescripteur prévenu de la procédure mais mis devant le fait accompli.
Cette mesure a fait l’objet d’un arrêté (09.01.13) précisant les modalités de la télésurveillance et les sanctions progressives en cas de défaut d’observance. Ce dernier a donné lieu à une  demande d’annulation portée par la fédération des patients insuffisants respiratoires (FFAAIR) auprès du Conseil d’Etat qui n’a pas abouti au motif que cette annulation viendrait contrarier l’activité économique des fabricants de matériel et des prestataires, dont Philips, Resmed, et le leader mondial des gaz pour l’industrie Air Liquide qui a repris ces dernières années une partie importante de la prestation notamment associative et réputée à but non lucratif. Ce premier arrêté a néanmoins été abrogé du fait que la CNIL n’avait pas  été consultée sur sa  conformité aux  lois sur l’informatique et les libertés. On notera que le fait que seul cet argument économique ait pu être avancé par les représentants du Ministère de la Santé et de l’Economie, sans qu’il n’ait jamais été question de l’intérêt des patients, est pour le moins choquant. Après que cet avis a été donné, un nouvel arrêté a été promulgué sans changement notable par rapport au premier à quelques détails techniques prés, la CNIL ne s’étant pas prononcée sur le caractère motivé ou non de celui ci. Sa mise en œuvre est aujourd’hui effective.

 Cet arrêté et son application posent des questions multiples au plan éthique, juridique et économique. Il est notamment en contradiction avec la loi de 2002 garantissant les droits des malades.
 -En effet cette télésurveillance inaugure une modification du système de remboursement des soins qui pour la première fois serait dépendant de l’observance. Réservé aux seuls patients porteurs de SAOS, il est pour eux discriminatoire, stigmatisant et inégalitaire puisque non appliqué aux autres types de prestations et aux autres malades.
 -Par ailleurs et c’est probablement la faute inexcusable de cette loi, c’est qu’elle impose au malade qu’elle brutalise en l’assimilant  à un délinquant potentiel, une sorte de bracelet électronique l’assignant à domicile ou tout au moins le géolocalisant et enregistrant les détails de ses nuits : heure de coucher, de lever, durée totale passée au lit. Ces données sont ensuite récupérées chaque jour par un hébergeur dont le rôle est de les transmettre à la SS. On imagine facilement quel usage pourrait être fait de ces informations emblématiques de la vie privée par diverses officines (assurances, employeurs, police, juges, avocats…).
 -Enfin, différents acteurs (fabricants de matériel, prestataires) viennent par cet arrêté prendre la place du médecin du patient mettant en péril la relation médecin-malade, seule garantie  éthiquement fondée pour décider d’une prestation médicale et de son arrêt éventuel qu’elle soit remboursable ou non. Les précédents désastreux sur le plan sanitaire et financier de la vaccination antigrippale H1N1 organisée par le ministère de la santé  en dehors du parcours de soins habituel et de la relation de confiance entre le patient et son médecin n’a pas servi de leçon.

Faire des économies et mieux traiter les patients ?
On ne peut qu’approuver et soutenir la volonté de l’état de maîtriser les dépenses imputables au traitement du SAOS. Par contre la stratégie qu’il a mise en place pour y parvenir a de quoi surprendre. Ainsi se focalise-t-il sur l’extrême pointe émergée de l’iceberg en tentant de réduire le délai de désappareillage des patients inobservants sans s’attaquer au prix réellement exorbitant d’un traitement  qui une fois accepté et régulièrement suivi et point important, définitif, ne nécessite que peu ou pas de surveillance. Sur le plan strictement économique comme l’a souligné la FFAAIR, on comprend mal qu’on puisse espérer réduire les dépenses en ajoutant au prix de la PPC celui  de la mise en place des mouchards de télétransmission même si les prestataires se trouvent selon cette loi, obligés d’en assumer  le coût. On remarquera d’ailleurs que ces dispositifs sont fabriqués à la fois par les fabricants de machine et certains industriels exerçant aussi comme prestataire. Sans parler de son caractère humiliant et dévalorisant particulièrement mal vécu par les malades, on peut raisonnablement questionner le bien fondé d’une surveillance sur des dizaines d’années de milliers de patients parfaitement observants et corrigés par leur PPC de façon quasi immuable. Le phénomène de rente que constitue le fait de facturer à la SS plus de 1000 Euros par an pour la location d’une machine amortie de longue date et un seul passage annuel au domicile de ces patients ne semble pas avoir attiré l’attention de nos brillants économistes de la santé.
Quant à la plus value médicale d’une surveillance quotidienne pratiquement en direct  de la durée d’utilisation de la PPC  et si la CNIL en laisse la possibilité, des données que sont le degré de correction du SAOS et le niveau des fuites au masque, est dans la pratique sans réelle pertinence. Nous avons accès depuis longtemps à ces données stockées sur les cartes mémoires de ces appareils que nous analysons avec nos patients à chaque consultation. Mais en vérité, une fois trouvé le masque  adapté au visage du patient, l’habitude venant, au bout de quelques mois, 6 au maximum, ces informations n’ont ensuite que peu d’impact sur les réglages et la conduite du traitement, le patient utilisant son appareillage comme d’autres leurs lunettes. Faire penser qu’il faudrait « monitorer » et surveiller les patients souffrant de SAOS traités par PPC comme des malades de réanimation n’a tout bonnement aucun sens.
Au total, en y regardant de plus près, la raison essentielle  de la télésurveillance semble être la télésurveillance. Elle bénéficiera à l’évidence aux professionnels de ce secteur d’activité et ce n’est pas par hasard que l’on voie les grands de la téléphonie monter à l’assaut de ce marché. Elle constitue également une stratégie de «  pied dans la porte » qui ne peut que nous inquiéter pour l’avenir sur les conditions d’accès aux soins et de leur prise en charge.

Pour finir, cette loi est emblématique des  politiques nouvelles qui ont déjà atteint de multiples secteurs de la société et qui s’en prennent aujourd’hui à la médecine. Elles sont la conséquence de  la dérive technico-scientiste caractérisant les utopies totalitaires qui finalement sont au service de l’argent et de ses représentants que sont l’industrie et la grande distribution. Leurs élaborations et applications reposent en partie sur des fonctionnaires zélés dont le sentiment de toute puissance n’a d’égal que l’opacité des fonctionnements. Elle est  relayée sur le terrain par des experts que des intérêts particuliers poussent à entretenir le mythe du progrès.
Aussi aujourd’hui pour penser la médecine, il est préférable de sortir de son champ. Les travaux des philosophes qui nous sont proches comme Michel Foucaud montrant  que la traçabilité est devenue la forme moderne de la punition, devraient aider à voir l’évidence  des caractères liberticide et inacceptable de certaines lois comme celle qui fait l’objet de cette protestation. De même ceux de Jocelyne Porcher sur la mécanisation et l’industrialisation de l’élevage des animaux associant réglementations barbares, novlangue « ad nauseam », maltraitance généralisée et burn out des professionnels, nous offrent un nouveau cadre de réflexions d’une pertinence aussi inattendue qu’essentielle. Comme d’autres dans d’autres secteurs, nous, médecins, allons vers une médecine hors sol et délocalisable où la relation médecin malade ne sera plus qu’une double exclusion. En vérité nous sommes passés du temps des lumières à celui des projecteurs ; on ne regarde que ce qui est montré et se retourner vers la source lumineuse nous éblouit ou nous aveugle.

Docteur Dany Baud, pneumologue, chef de Service au Centre Hospitalier Spécialisé en Pneumologie de Chevilly Larue, membre et ancien responsable du groupe Education Thérapeutique au sein de la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF)

(Illustration : Le siège de la National Security Agency dans le Maryland (USA))

mardi 24 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 8 : la question fondamentale des patients.




Nous sommes convenus que la Refondation de la Médecine générale pouvait avoir comme présupposé le questionnement de l’Evidence Based Medicine en Médecine Générale (EBMG). Mais il ne s’agit pas d’un système fermé ou d'un dogme parce que ce questionnement n’est probablement pas approprié à toutes les situations de médecine générale et, plus encore, ne peut pas être la Norme pour une médecine générale dont la caractéristique excitante et angoissante est l’incertitude et, si l'on veut faire une comparaison avec l'Univers, et l'instabilité. La médecine générale est une construction sociale (et comme toute construction sociale elle est capable de disparaître) et les conservateurs et les révolutionnaires doivent comprendre qu'elle est contenue dans et par la société au double sens donc du  verbe contenir (en faire partie et la contrôler).

Nous avons vu également que l'Etat d'Esprit était son décor, c'est à dire, en théorie, l'appréciation par le médecin généraliste du patient dans sa globalité selon le tryptique Organe / Patient / Environnement (LA).

Mais la question cruciale qui remet en cause la médecine générale (et la médecine en général) c'est l'irruption du patient en tant que sujet. Et c'est en médecine générale que le problème est le plus aigu puisque le médecin généraliste n'exerce le plus souvent pas en institution, il est chez lui, c'est à dire dans son cabinet libéral, il n'est pas protégé par des structures (les murs de l'hôpital, les jardiniers, les administrateurs, ...), il est en première ligne.
A ce sujet il est possible de penser que les mouvements de jeunes (et de moins jeunes) médecins généralistes pour la construction de maisons médicales pluridisciplinaires est à la fois une crainte du néant sociétal (se retrouver seul sans béquilles : chefs, pairs, infirmières, aides-soignantes, assistantes sociales,...), une nostalgie de l'alma mater (ah, l'organisation bureaucratique bienveillante), et, pour finir, ne me lancez pas de tomates, une crainte du patient maquillée en promotion de sa santé globale.

Les Valeurs et Préférences des patients sont une des données fondamentales du questionnement EBM en médecine générale (EBMG). Une des données les plus mystérieuses, les plus décriées et les plus oubliées de ce processus.
Je vais tenter d'ouvrir des pistes pour en éclaircir le sens. Car elles sont au centre de l'exercice de la médecine générale (en France comme ailleurs) et au centre de la réflexion des patients sur eux-mêmes (et ce n'est pas inutile de penser qu'ils devraient y penser plus).

N'oublions pas que l'EBM, dont nous avons toujours autant de mal à trouver une traduction exacte en français (les Québécois ont pour une fois échoué) (ICI), est d'origine nord-américaine où les conceptions de la médecine et de la société sont inspirées du libéralisme philosophique (et économique). Il me paraît raisonnable de faire le point sur ce qu'on appelle le libéralisme philosophique, le self (une partie de la doctrine libérale), l'autonomie de la pensée, et le paternalisme en médecine (dans sa version française).
Le questionnement EBM est aussi une brèche conceptuelle dans le traditionnel entretien singulier à la française qui admet comme normale la structure a priori asymétrique des relations entre le médecin et « son » patient (ou l’inverse).
Un certain nombre de médecins sont d'ailleurs persuadés (les blogs médicaux sont remplis de témoignages d'incivilités) qu'ils doivent éduquer leurs patients qui ne sauraient pas, par essence, comment il faut se comporter, être respectueux, et cetera, dans un cabinet médical. Les fils de la bourgeoisie (quel est le pourcentage de doctorants en médecine nés dans la classe ouvrière ?) "éduquent" le peuple... Les médecins ne sont pas là pour éduquer les patients ou les futurs patients mais pour les informer, ce que l'on appelait jadis l'instruction.

La conscientisation des patients, la prise en compte de leur autonomie,
Il sera utile de distinguer la notion purement kantienne de l’autonomie, de celle de John Rawls et de celle, par exemple, de Ivan Illich, ce dernier lui donnant une valeur démédicalisante alors que les tenants de Rawls en retiennent, parfois malgré eux, un sens surmédicalisant.

de leur statut d’humain rationnel et capable de décider pour eux-mêmes (la survenue de la pensée libérale en quelque sorte dans notre monde latin soumis à l’autorité naturelle de l’expertise), ont surpris beaucoup de médecins et les ont décontenancés. A l’évidence, il est nécessaire de considérer que les personnes qui consultent en nos cabinets sont effectivement des individus, des citoyens (comme dit le politiquement correct), qui pensent, qui ont un passé, un avenir, des opinions, des croyances, des ambitions, des projets de vie et des connaissances, qui ne les rendent plus aussi corvéables et malléables à merci que jadis (nous aborderons plus loin les problèmes posés par les connaissances des patients, par la science dite profane, par l’expertise non médicale et par les liens d’intérêts qui les concernent).

Qu’on le veuille ou non, le désir légitime des patients de sortir de leur état d'infantilisation par le corps médical, c'est à dire leur volonté de prendre en main leur destin par rapport au monde médical et paramédical, a rendu circonspecte la sphère médicale et certains médecins ne sont pas prêts à recevoir des patients qui ont consulté internet avant de venir consulter (voir LA pour les autres). Mais les patients sont ambigus : pour atteindre leurs objectifs personnels ou généraux ils se servent aussi du corps médical, de certains de leurs membres, pour les instrumentaliser en les désignant comme bons médecins (parce qu'ils les écouteraient et parce qu'ils feraient ce qu'ils ont envie qu'ils fassent) et ainsi, au lieu de se démédécaliser ils se remédicalisent sans EBM et hors AMM !

Le médecin se sent perdu puisqu’on lui avait appris qu’il était un grand homme, qu’il faisait de longues études pour pouvoir affronter la vie et la mort, qu’il allait sauver des vies, réconforter l’humanité souffrante qui n’attendait que lui pour revivre,  et voilà qu’un vulgaire pékin, un patient, celui qu’il n'avait vu que comme sujet lors de ses séjours dans les hôpitaux, ah, la visite du patron !, vient lui demander des comptes, ne croit pas ce qu’il lui dit comme parole  d'Evangile (l’Etat de l’Art) et exprime sans façons ses Valeurs et ses Préférences et, comme on l'a vu, après, oh horreur, avoir consulté Internet.

Si l’on voulait résumer cela de façon simple et caricaturale, ce serait parler de l’affrontement de l’arrogance médicale ancienne avec le consumérisme sociétal nouveau.

Trop facile pourtant.
Trop facile car le consumérisme médical est avalisé par les médecins qui participent, parfois à leur corps défendant et par le biais des conférences dites de consensus, à la fabrique des maladies (disease mongering) (LA) tout en en tirant un profit intellectuel (pas seulement pécuniaire) de cette situation expertale et marchande et parce que l’arrogance est parfois l’attitude avouée et revendiquée par le patient client qui se sert du médecin en l'instrumentalisant parfois pour obtenir ce que ses Valeurs et Préférences lui dictent (en changeant de médecin si besoin).

Les relations médecins / patients (et nous avons décidé de ne pas entrer dans les controverses citoyens / patients / malades car cela n’a pas de sens dans la mesure où la personne, pour des raisons qui la regardent et qui lui ont êté soufflées par la société, consulte un médecin, c’est à dire qu’elle pense qu’elle en tirera avantage ou soulagement) sont donc aussi un échange, parfois une confrontation qui peut paraître asymétrique, entre les Valeurs et les Préférences des médecins (qui ne se réduisent pas à leurs expérience interne et externe) et celles des patients.

Les patients se sont organisés. Ils ont créé les premières associations dont le but initial était de parler de la maladie dont ils souffraient, de ne plus être seuls, de partager les problèmes qu'ils rencontraient et de trouver ensemble des solutions. Ces associations, organisées autout de leurs maladies (orphelines ou pas) ou de leurs organes malades, étaient sans argent, peu influentes, isolées, et manquaient de données scientifiques indépendantes. Elles recevaient des miettes de Big Pharma.
L'épidémie de sida a commencé en 1981, le virus a été isolé en 1983 et la première trithérapie efficace est apparue en janvier 1996. Les associations de patients, AIDS, Act Up, ont participé au processus, se sont expertisées, ont même participé à l'élaboration des protocoles d'essais cliniques. Elles se sont comportées en activistes et en groupes de pression.
Le Téléthon a aussi été un déclic en 1987. Une association de patients a eu l'aval des pouvoirs publics, sans compter l'aide gratuite de la télévision publique, pour lever des fonds et pour devenir, in fine, un véritable laboratoire pharmaceutique.
Il y eut ensuite la création d’associations de consommateurs, tels le CISS en 1996 (Collectif Interassociatif sur la Santé : LA), associations dont la devise est  « Toujours plus de médecine et de sécurité" – ce qui est souvent incompatible- et qui ont adhéré aux deux Eglises soeurs, celle de Dépistologie et celle de préventologie.
Et nous sommes en plein dans l’ère des réseaux sociaux et des forums, de la médecine 2.0, de l’intelligence collective dans laquelle les acteurs traditionnels du marché (Big Pharma, Big Matériel) ont joué leur rôle habituel de sponsoring et, pour tout dire de corruption (mais je ne répèterais jamais assez que le corrompu est toujours plus coupable que le corrupteur) et dans ce nouveau paradigme sont apparues les entreprises de communications créées pour fédérer les patients consommateurs avec ses gourous, ses médecins amis (1), ses agences de publicité, ses cabinets d’avocats spécialisés, ses sites, ses campagnes (dont la plus emblématique est Octobre Rose où Estée Lauder vend sa camelote) et, la phase ultime est la Fabrique des Patients (patient mongering) qui met en avant le patient, comme les myopathes sur France Télévisions, en en faisant un témoin, un expert (qui peut mieux parler de sa maladie que celui qui en est atteint ?) et un avocat des bonnes causes (sponsorisées).

Voici donc l'ébauche de l'ébauche de ce que peuvent connaître les médecins généralistes de la relation médecins / patients in et out EBMG.
Mais j'ai oublié tant de choses que les commentaires vont compléter...

J'ajoute ceci
L'entretien singulier cher à Georges Duhamel, médecin et écrivain français bien oublié de nos jours, est devenu un enjeu marchand considérable : il y a plus de deux personnes dans le cabinet (et je ne parle pas du doctorant en médecine générale), il y a la CNAM (ou son équivalent), Big Pharma, Big Junk Food, Big Tobaco, etc...
Oublions la posture analytique du médecin qui n'est plus à la mode (mais dont il aurait intérêt à prendre conscience tant elle est sous-jacente dans les relations inconscientes qui sous-tendent la consultation et tant, dans le phénomène du burn-out par exemple, les problèmes transférentiels / contre transférentiels sont souvent dominants).
Retenons  la malice des médecins qui, faute de pouvoir traiter les patients, soit en raison de la résistance des douleurs physiques et morales des maladies chroniques, soit en raison du fait que les maladies de civilisation (HTA, diabète, maux de dos) ne peuvent être soignées ou prévenues qu'en changeant de paradigme civilisationnel, ont décidé de leur faire endosser les maladies et les traitements en inventant (les marketeurs ont dû s'en donner à coeur joie), l'empowerment, l'éducation thérapeutique, l'entretien motivationnel, la décision médicale partagée, les réseaux de soins et les stages d'appropriation de la maladie.
Quant à la malice des patients elle est d'instrumentaliser les médecins amis en les bombardant experts et ainsi des médecins généralistes sont-ils devenus des spécialistes mondiaux de maladies orphelines exerçant dans les beaux quartiers.

Avec tout ce que j'ai écrit et promis il me reste beaucoup de travail...

Notes.
(1) Les médecins amis sont des médecins qui, contrairement aux crétins habituels qui ne savent pas quoi donner comme thérapeutique dans la fibromyalgie par exemple, comprennent les attentes des malades, comprennent la physiopathologie, et prescrivent les produits ad hoc, c'est à dire ceux qui sont désirés a priori par les patients et, comme on l'a vu, hors AMM et hors EBM  (voir LA).


Jadis, quand nous étions externes dans les hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris et qu’on nous enseignait, les bons jours, une médecine que nous ne pratiquerions jamais, (nous le savions mais nous n’imaginions pas que le gouffre pût être aussi profond), et que nous étions confrontés, jeunes gens idéalistes, à l’incohérence de l’organisation des soins (nous ne pensions pas ainsi, nous pensions que rien ne pouvait être pire pour un malade que le bordel de ces hôpitaux où la personne humaine n’était pas respectée, où le malade était considéré comme un objet d’examen inerte et sans pensées, les visites au lit du malade ayant toujours été pour nous un moment terrible de souffrance où nous comprîmes, pour certains, que nous n'avions rien à faire dans les hôpitaux), nous nous disions entre nous que le seul obstacle au bon fonctionnement des hôpitaux (et les administratifs ne rôdaient pas encore sous le lit des hospitalisés et dans les salles de repos), était la présence des malades. Un hôpital sans malades, voilà ce qui aurait convenu à nos maîtres et enseignants.

Image sulpicienne et anglo-saxonne de la relation médecin patiente. Crédit : ICI

jeudi 25 mars 2010

PATIENTS OU MALADES : DEMANDER A VOTRE MEDECIN TRAITANT S'IL EST OU NON SIGNATAIRE DU CAPI !

Patients, malades.
Nous avons déjà parlé ici des CAPI (contrats d'amélioration des pratiques individuelles) et nous les avons critiqués d'un point de vue scientifique (les critères retenus sont peu validés et nous avons pris des exemples concernant le diabète sucré), politiques (les choix de ces indicateurs sont ceux de l'Assurance maladie), économiques (les critères retenus touchent des domaines peu coûteux pour les remboursements) et syndicaux (qu'est-ce qui se cache derrière ce début de forfaitisation des honoraires médicales ?).
Aujourd'hui nous allons en parler de façon éthique, politique et sociétale.
Car ces CAPI s'inscrivent dans un cadre ronflant auquel le libéralisme et son appendice, le néolibéralisme, sont très attachés : celui de l'excellence et de la performance. Ces "valeurs", on le verra, ne sont cependant pas l'apanage du libéralisme, elles ont traversé toute la société française depuis très longtemps, sans parler du stakhanovisme communiste, et se sont installées, formellement, en France depuis 1983 et le deuxième gouvernement Mauroy. L'excellence et la performance ne sont pas des mots creux mais ils renvoient, selon la façon dont on les remplit, à la méritocratie, à l'éducation, au progrès individuel et général, et, last but not least, à la culture de l'entreprise.
Car voici le noeud de l'affaire : l'Etat ne doit plus être l'Etat Providence mais s'assimiler à une entreprise. La Loi Organique Relative aux Lois de Finance (LOLF) de 2001, votée à l'unanimité par les deux chambres sous une législature de gauche, a consacré, je cite Michaël Foessel (in Esprit 2010;363:12-23), "le transfert aux administrations de la budgetisation par la performance en les soumettant à des objectifs presque exclusivement gestionnaires." La pensée de l'action de l'Etat est décalquée, pour les élites transpartisanes de droite et de gauche, des impératifs concurrentiels à l'oeuvre sur le marché. Ainsi l'Assurance maladie est-elle ni plus ni moins assimilée à un agent économique comme un autre avec de gros doutes sur les fins poursuivies. La mise en oeuvre s'est poursuivie avec la fameuse RGPP de 2007, Révision Générale des politiques Publiques.
Et le coeur du débat : les moyens, comme le dit MF, sont, selon la science économique, séparables en droit des fins. Et ainsi, ni vu ni connu : qui pourrait s'opposer à des pratiques d'amélioration ? D'où pourraient venir les réticences ? La bonne gouvernance est devenue une donnée universelle, un impératif moral, mais hors sol, le managériat, valeur capitale s'il en est, fera le reste. Ceux qui s'opposent aux CAPI sont, c'est selon, des nuls (ils n'ont pas intégré la bonne gouvernance de "leurs" patients), des feignants (qui ne veulent pas se plier aux "normes"), des ignorants (qui ne croient pas à la vérité révélée des bons principes de la Haute Autorité de Santé, organisme contesté et contestable), des mauvais médecins (qui n'ont pas compris l'intérêt général de la santé Publique).
Dans cette affaire des CAPIS, il y a un chef, Frédéric Van Roekeghem, dans le manageriat cool (et sarkozyen) on dit un patron, qui permet de réconcilier les Français avec l'entreprise (Laurent Fabius, 1990) et des carottes pour les médecins (incentive en "science du management") qu'ils soient généralistes ou conseils. Il y a aussi des opposants industriels (Big Pharma) ce qui permet aux hypocrites d'adhérer aux Capis, puisque Big Pharma est contre.
Donc, cher patient, cher malade, il faut demander à votre médecin s'il a signé car, en signant, il a adhéré à l'idéologie entrepreneuriale de la santé (il vaut mieux le savoir), il vous fera pratiquer (car il en aura un bénéfice monétaire) des examens qui, parfois, ne servent à rien, il vous fera pratiquer des examens dangereux sans vous prévenir qu'ils le sont, et il prescrira des médicaments dont la seule preuve d'efficacité résidera dans leur ancienneté. Est-ce que vous recherchez cela chez votre médecin traitant ? Ne préférez-vous pas un médecin traitant qui s'occupe de vous et prend en compte vos valeurs, vos préférences, vos agissements et votre mode de vie ?