Happy Valley : Sara Lancashire. La bienveillante. |
Je vais vous raconter une histoire simple, telle que je l'ai reconstituée, ne venez pas m'ennuyer sur les détails techniques.
Une jeune femme mineure, vraiment mineure, vient aux urgences accompagnée de sa mère.Elle est examinée par l'interne.Elle est interrogée.Le senior revient une demi-heure après." Est-ce que vous avez déjà eu des rapports ?"Question qui a déjà été posée auparavant.Gêne."Non, bien sûr que non."Le senior a dans la poche un test de grossesse positif.Il s'agit d'une grossesse extra-utérine qui est une urgence chirurgicale pouvant mettre en jeu la vie de la patiente.
Cette histoire est racontée sur twitter.
Les défenseurs des patients réagissent très vite.
Je résume : "Il est intolérable de pratiquer un test de grossesse sans le consentement de la patiente."
Les médecins rient. Je résume: "Elle aurait pu mourir, donc, il n'y a pas de discussion."
Les messages s'enveniment.
Les médecins ne comprennent pas que l'on puisse discuter une seule seconde le fait d'avoir pris la bonne décision, à savoir faire un test de grossesse à une femme qui dit ne jamais avoir eu de rapports sexuels, pour lui sauver la vie.
Vous imaginez que si j'écris ce billet c'est parce que je me pose des questions, ce n'est pas parce que je pense que les défenseurs du consentement sont des demeurés.
Ma première réaction était instinctive et fondée sur l'expérience : on a tous entendu parler d'histoires de ce genre ou on en a même tous vécu et personne ne nous a jamais parlé d'un problème moral dans cette attitude. C'est une urgence. Point.
Vous assistez à un accident de la circulation et vous agissez rapidement pour sauver une personne inconsciente, vous n'allez quand même pas fouiller ses poches, interroger un éventuel fichier national pour savoir si la personne souhaite ne pas être réanimée.
Dans le cas du test de grossesse qui nous préoccupe il est aussi vraisemblable que, malgré les dénégations de la jeune femme, le fait de ne pas avoir pratiqué le test pourrait être considéré, professionnellement comme une faute et pourrait être reproché juridiquement aux praticiens.
Donc, les propos violents lus à propos des médecins posent question.
Pourquoi et comment en est-on arrivés là ?
Je ne vais pas vous écrire l'histoire du paternalisme. C'est long, c'est compliqué, c'est contradictoire, c'est controversé.
Je suis allé voir un billet de JP Devailly (LA) en son blog (ICI) toujours bien informé mais souvent un peu compliqué dans son expression et catégorique dans ses conclusions, dont le titre est "Le soignant, le patient et le système - Le paternalisme dans tous ses états". J'ai retenu ceci comme définition générale : « Le paternalisme, c’est l’interférence d’un État ou d’un individu avec une autre personne, contre sa volonté, et justifiée ou motivée par la croyance qu’elle s’en portera mieux ou qu’elle sera protégée d’un mal » d'après Gerald Dworkin, un texte de 2016 (LA). Et ceci de JP Devailly : "Le vieux modèle paternaliste de la relation médecin patient est obsolète. Certains soutiennent que l'absence totale de paternalisme est illusoire mais que les formes coercitives et fortes en sont les plus difficiles à justifier sur le plan éthique ("Paternalisme, biais cognitifs et politiques publiques favorables à la santé")."
Il faudrait dire ceci : il y aura toujours une relation asymétrique médecin/patient ou médecin/malade ou soignant/soigné mais il ne faut pas envisager cet aspect du seul point de vue des connaissances scientifiques mais aussi selon celui de la dépendance intellectuelle, financière, spirituelle, émotionnelle, et pas toujours dans le sens escompté : le patient/malade est parfois en position dominante vis à vis du médecin/soignant... Il y aura toujours ne signifie pas qu'il ne faille pas lutter contre...
Il existe un vieux mythe, sur une idée de Georges Duhamel, écrivain et médecin du "colloque singulier entre médecin et malade" qui aurait été à une certaine époque un modèle rassurant d'humanisme partagé. Je n'y crois pas une seconde. Le colloque singulier existe toujours, sans doute, je n'aime pas les consultations à trois, par exemple, je veux dire deux médecins et un patient, dans l'autre sens, cela me dérange moins bien que cela signifie une certaine forme de censure. Et il y a des éléphants dans la pièce que sont les représentants de la société de consommation.
Dans les tweets que j'ai consultés, et on ne dira jamais assez combien la forme twitteriale est agaçante par sa brièveté, par son agressivité innée et par sa volatilité, des mots et expressions sont apparues : bienveillance, serment d'Hippocrate, empathie, sympathie, neutralité, eh bien, à mon avis signifiant et signifié ne collent pas bien.
Dans notre cas précis on a aussi du mal à envisager que cette jeune femme débarquant aux urgences puisse être un patient expert, un patient ressource ou un expert profane. Si vous souhaitez sur la question lire des choses très mauvaises, j'ai trouvé une mine : le professeur André Grimaldi : ICI et LA.
Passons.
Donc, les propos violents lus à propos des médecins posent question.
Pourquoi et comment en est-on arrivés là ?
Je ne vais pas vous écrire l'histoire du paternalisme. C'est long, c'est compliqué, c'est contradictoire, c'est controversé.
Je suis allé voir un billet de JP Devailly (LA) en son blog (ICI) toujours bien informé mais souvent un peu compliqué dans son expression et catégorique dans ses conclusions, dont le titre est "Le soignant, le patient et le système - Le paternalisme dans tous ses états". J'ai retenu ceci comme définition générale : « Le paternalisme, c’est l’interférence d’un État ou d’un individu avec une autre personne, contre sa volonté, et justifiée ou motivée par la croyance qu’elle s’en portera mieux ou qu’elle sera protégée d’un mal » d'après Gerald Dworkin, un texte de 2016 (LA). Et ceci de JP Devailly : "Le vieux modèle paternaliste de la relation médecin patient est obsolète. Certains soutiennent que l'absence totale de paternalisme est illusoire mais que les formes coercitives et fortes en sont les plus difficiles à justifier sur le plan éthique ("Paternalisme, biais cognitifs et politiques publiques favorables à la santé")."
Il faudrait dire ceci : il y aura toujours une relation asymétrique médecin/patient ou médecin/malade ou soignant/soigné mais il ne faut pas envisager cet aspect du seul point de vue des connaissances scientifiques mais aussi selon celui de la dépendance intellectuelle, financière, spirituelle, émotionnelle, et pas toujours dans le sens escompté : le patient/malade est parfois en position dominante vis à vis du médecin/soignant... Il y aura toujours ne signifie pas qu'il ne faille pas lutter contre...
Il existe un vieux mythe, sur une idée de Georges Duhamel, écrivain et médecin du "colloque singulier entre médecin et malade" qui aurait été à une certaine époque un modèle rassurant d'humanisme partagé. Je n'y crois pas une seconde. Le colloque singulier existe toujours, sans doute, je n'aime pas les consultations à trois, par exemple, je veux dire deux médecins et un patient, dans l'autre sens, cela me dérange moins bien que cela signifie une certaine forme de censure. Et il y a des éléphants dans la pièce que sont les représentants de la société de consommation.
Dans les tweets que j'ai consultés, et on ne dira jamais assez combien la forme twitteriale est agaçante par sa brièveté, par son agressivité innée et par sa volatilité, des mots et expressions sont apparues : bienveillance, serment d'Hippocrate, empathie, sympathie, neutralité, eh bien, à mon avis signifiant et signifié ne collent pas bien.
Dans notre cas précis on a aussi du mal à envisager que cette jeune femme débarquant aux urgences puisse être un patient expert, un patient ressource ou un expert profane. Si vous souhaitez sur la question lire des choses très mauvaises, j'ai trouvé une mine : le professeur André Grimaldi : ICI et LA.
Passons.
Certains des messages sont passés par le serment d'Hippocrate. Il y avait longtemps que je n'y étais pas allé faire un tour.
C'est quand même d'une sacrée débilité anachronique.
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire2 abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille3, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.
Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! ».
Ensuite, voici la version du Conseil de l'Ordre de 2012.
« Au moment d'être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité.J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me le demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j'y manque. »
Donc, on raye, c'est tellement à mourir de rire et décalé de la réalité quotidienne. Comme on dit sur twitter : trop faux.
Je suis allé faire un tour sur l'excellent blog du docteur Niide (LA) où il a écrit un billet intitulé "Care is not benevolence" (ICI) qui nous permet de mieux comprendre les différentes attitudes que nous avons décrites plus haut et d'éviter de lire des âneries (notamment sur l'Evidence Based medicine) comme celles de Gérard Reach (LA) considéré pourtant comme une sommité sur la question.
Revenons à nos moutons.
Je voudrais citer cette phrase de Jean-Pierre Dupuy à propos du conséquentialisme en l'adaptant à notre test de grossesse : "Cet argument éthique (c'est à dire doser les beta HCG sans demander son avis à la patiente) est dit conséquentialiste : lorsque l'enjeu est important, les normes morales que l'on nomme déontologiques - au sens où elles expriment le devoir que l'on a de respecter des impératifs absolus, quoi qu'il en coûte et quelles qu'en soient les conséquences - doivent s'effacer devant le calcul des conséquences." (Dupuy Jean-Pierre. La marque du sacré. Champs essais. Paris : Flammarion, 2008) Il parlait des justifications américaines (aujourd'hui largement réfutées) pour le largage des bombes sur Hiroshima et Nagasaki. Excusez la comparaison.
Je rappelle la définitionn wiki du conséquentialisme :"Le conséquentialisme fait partie des éthiques téléologiques et constitue l'ensemble des théories morales qui soutiennent que ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral de ladite action."
Allons plus loin avec le livre de Ruwen Ogien et Chrisine Tappolet : "« Faut-il être conséquentialiste ? ». Il ne s’agit donc pas de passer en revue tous les concepts de l’éthique, mais de défendre la plausibilité de la théorie conséquentialiste en comprenant plus précisément comment doivent s’articuler ces deux concepts essentiels que sont les normes d’une part et les valeurs, d’autre part. En un mot : faut-il, avec les défenseurs du conséquentialisme, considérer que ce que je dois faire (la norme) dépend en dernière instance des valeurs que présente le monde ? Ou faut-il supposer au contraire, avec les approches déontologiques, que la norme prime sur la valeur, c’est-à-dire qu’il y a des choses que je dois faire, quelles que soient les conséquences qui en résultent ?" J'ai repris ce texte sur le site Raison Publique. fr (LA).
Nous sommes au coeur du débat.
Les défenseurs des patients disent que la déontologie, même en ce cas, est plus forte que le conséquentialisme.
Les médecins pensent le contraire pour des raisons sans doute liées à leur formation. Pas tous, bien entendu.
Il existe certainement des situations moins claires mais si, en ce cas précis, les défenseurs des patients prennent une position aussi tranchée, il n'est même pas nécessaire de parler de cas moins évidents ou plus litigieux.
Le débat est ouvert.