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mercredi 5 février 2014

La fin de l'histoire pour la médecine générale. Histoire de consultation 161.


Monsieur A, 56 ans, est venu consulter pour un torticolis.
Je l'examine, il est raide, douloureux, il a un torticolis unilatéral qui touche volontiers les chefs mastoïdien et cléioidien du sternocléidomastoïdien. Et un peu le trapèze. 
Je lui demande comment cela s'est passé. Il faisait du jardinage et en portant un pot...
Il me dit également, en se rasseyant, qu'il a consulté lundi un ostéopathe sur les conseils de l'un de ses collègues de travail.
La lettre que m'a adressée ce nouvel ostéopathe lors de son installation était un poème : il traite tout. A part peut-être les cancers et la schizophrénie.
Monsieur A vient ce mercredi pour obtenir 1) des médicaments (l'ostéopathe n'est pas médecin) et notamment de la pommade saint-bernard conseillé par notre spécialiste ; 2) un arrêt de travail ; 3) ses médicaments habituels (puisqu'il était là) et, last but not least, parce qu'il n'a pas été soulagé par la séance non remboursée de l'ostéopathe.
"Vous avez pris quelque chose ?
- Je suis allé acheter de l'ibuprofène chez le pharmacien.
- Chez votre pharmacien habituel ?
- Oui. Pourquoi ?"
Nous sommes passés dans un autre monde.
Jadis, les patients nous demandaient notre avis après qu'on les avait vus, soit aussitôt, soit quelques jours après pour savoir s'il était nécessaire d'aller consulter un ostéopathe.
Puis les patients nous ont demandé de leur prescrire des séances de kinésithérapie qui leur prmettaient d'obtenir une séance gratuite chez l'ostéopathe.
Puis encore, dans le cadre du parcours de soins, de leur rédiger une lettre pour qu'ils puissent aller voir un ostéopathe.
Maintenant ils vont voir l'ostéopathe de leur propre chef, paient en moyenne 50 euro, et viennent chez nous, les médecins généralistes, pour le service après vente de l'ostéopathie.
Nous sommes passés dans un autre monde.
Le torticolis n'est plus une affection de médecine générale mais un produit d'appel de l'ostéopathie comme le lumbago, le doigt tordu ou l'entorse.
Vous me direz : c'est tout bénéf puisque cela va désengorger les salles d'attente...
Pourquoi pas ?
Mais l'histoire n'est pas tout à fait finie puisque le patient est allé voir "son" pharmacien qui lui a délivré de l'ibuprofène.
Le pharmacien aurait pu jeter un oeil sur son écran radar, mais peut-être ne l'a-t-il pas fait, l'ibuprofène a été vendu sur le comptoir puisque le patient ne m'a pas fait marquer la boîte sur son ordonnance, et il aurait pu remarquer que le patient qui vient chercher ses médicaments tous les trois mois, c'est ce que m'indique mon ordinateur, est en arythmie par fibrillation auriculaire et qu'il est traité, par mes soins, par de la coumadine.
Nous sommes passés dans un autre monde. Pas plus de parcours de soins que de beurre en broche. La rebouto-ostéopathie, à force de passer sur les plateaux télévisés, est devenue une spécialité comme les autres. Le pharmacien qui, il est vrai, ne supervisait pas l'INR de ce patient, a délivré inconsidérément  un anti inflammatoire non stéroïdien à un patient de sa patientèle sans même regarder ce qu'il prenait comme médicament.
Nous sommes vraiment passés dans un autre monde.
Comme j'étais mal luné (la face cachée) je ne lui ai pas refait son ordonnance et lui ai demandé, puisqu'il devait faire un INR vendredi, de compléter son bilan et de revenir me voir après (il avait des réserves).
Je ne lui ai pas demandé de changer de pharmacien.
Je n'ai pas prescrit de baume saint-bernard.
Je vous rappelle que j'ai déjà écrit sur les ostéopathes et leur rôle magique sur le versant nourrissons : ICI et LA. Que j'ai aussi parlé de l'INR chez le pharmacien : ICI.
Pour des informations "délirantes" sur l'ostéopathie, c'est ICI, sur Le site de l'ostéopathie.

jeudi 3 mai 2012

INR : pourquoi les pharmaciens ?

Beaucoup de bruit dans la profession à la suite de la possibilité que pourraient avoir les pharmaciens d'adapter l'INR et de toucher 40 euro par patient.
Par quel bout commencé-je ?
D'abord, mais ce ne fut pas mon premier geste, jeter un oeil sur la Nouvelle Convention Pharmaceutique (NCP) (ICI).
Mais, auparavant, vous voulez vraiment savoir ce que fut ma première réaction ? Un dédain profond, un haussement d'épaules et, c'est une des particularités de la profession, l'auto-dérision, de la jalousie à l'égard de ces pharmaciens qui doivent coucher avec la DGS et le Ministère pour toujours obtenir toujours plus et toujours mieux par rapport aux médecins dont les divisions syndicales et politiques sont désespérantes (vous voulez un exemple qui va me fâcher définitivement avec les potards (français) ? Le droit de substitution pour les génériques, i.e. changer de produits au gré des marchés, et avoir les génériques les plus chers du monde).
Donc, s'il reste encore un pharmacien pour lire ce post, voici la suite.
La lecture de la NCP est instructive : il s'agit d'un cadre général qui élargit le champ des compétences des pharmaciens. Sous certaines conditions. Je remarque que c'est un texte à la fois volontariste et technocratique, c'est à dire le monde tel qu'il pourrait être et tel qu'il ne sera jamais.

Quelle est la situation de la surveillance de l'INR en France dans la communauté ?
Ce sont les médecins traitants qui sont à la manoeuvre. "Mon" patient est traité par AVK et je suis les variations de son INR. "Mon" patient sort de l'hôpital ou de la clinique avec un traitement conjoint HBPM et AVK et je suis l'INR pour arrêter l'HBPM.

Que se passe-t-il dans "ma" pratique ?
Je travaille en étroite collaboration avec le patient (que j'ai essayé d'informer après qu'il est sorti de l'hôpital, il est rare que cela soit fait avant la sortie) ; je travaille en étroite collaboration avec les laboratoires d'analyse ; je travaille en étroite collaboration avec les infirmières libérales lorsqu'il s'agit de patients suivis à domicile pour autre chose (insulinothérapie par exemple) ; je ne travaille jamais avec les cardiologues hospitaliers et / ou libéraux pour la surveillance de l'INR qui, dans mon coin, ne prescrivent JAMAIS de coumadine mais nous discutons et du niveau de l'anticoagulation et de sa durée et de ses modalités pratiques ; je ne travaille jamais avec les pharmaciens sauf en cas d'erreur de prescription ou de délivrance anticipée.

Je demande que les AVK soient prescrits le soir.
Je demande que, le jour de l'INR, le patient m'appelle dans l'après-midi pour contrôler et pour éventuellement modifier la posologie de l'AVK.
Quand le résultat est "exotique", le laboratoire m'appelle toujours pour m'informer.
Où est le problème ?
Le problème, c'est le saignement intempestif, c'est l'hémorragie, c'est l'urgence.

Je n'ai donc pas besoin des pharmaciens.

Pourquoi les avoir impliqués ? 
La baisse de chiffre d'affaires des pharmacies et le besoin de le freiner fait partie des raisons.
Je n'oserais pas dire que le prix "exagérément" faible des médicaments (coumadine, fluindione, acenocoumarol) utilisés est aussi une raison, la prime annuelle de 40 € multipliant par deux les coûts pharmaceutiques avec, cette fois, une marge de 100 %...
L'argumentaire (Page 24, Article 28 et 28.1.) part sur de bonnes bases (la iatrogénie) mais propose des solutions irréalistes.
Mais, avouons-le, je m'étais trompé : les pharmaciens pourront être impliqués (en accord avec le médecin traitant -- et je me vois mal en train de refuser 40 € par an à un pauvre pharmacien) pour s'assurer de la réalisation de l'INR pas de son contrôle ! Ouaf, ouaf, ouaf !
Tout ça pour ça ? 
M'enfin, comme dirait Gaston, cela s'appelle mettre le pied dans la porte...
Encore une fois il s'agit d'une proposition technocratique, prise sans concertation, ni avec les médecins, ni avec les laboratoires d'analyse, ni avec les infirmiers, et cetera.

Il est intéressant de lire ce qui a été écrit sur le blog de Grangeblanche (LA) et notamment les avis de la présidente d'une association de patients (AVK control) (ICI) qui rappelle le problème de santé publique, le retard de la France et la nécessité de pouvoir disposer d'un numéro permanent (cela ne s'appelle pas le 15 ?).

Pour conclure : c'est le médecin traitant qui est responsable de "son" malade.
La dilution des responsabilités est une mauvaise idée.
La coopération renforcée entre les divers professionnels de santé en est une bonne.
Beaucoup de bruit pou rien en apparence mais encore une preuve du déni dont sont victimes les médecins généralistes.
Mais il semble que les appareils d'auto-mesure se popularisent. Les pharmaciens pourront ainsi les vendre... et empocher les 40 € !