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dimanche 16 novembre 2014

Sérendipité du suivi des patients. Histoire de consultation 179.


Madame A, 64 ans, est diabétique non insulino-dépendante, hypertendue, dyslipidémique et en surpoids. On peut même dire qu'elle est une diabétique pas bien équilibrée selon les canons de la médecine réglementaire puisque son HbA1C est à 8,2 (et que nous n'arrivons pas à faire baisser depuis des années malgré une pression artérielle, un LDL cholestérol, une fonction rénale et une rétine aux taquets). 

Les recommandations recommandent une HbA1C aux alentours de 7 (j'ai toujours aimé l'expression "aux alentours" issue de la Revue Prescrire).

Pourquoi cette patiente n'est-elle pas bien équilibrée sur le critère de substitution HbA1C ? 

Vous avez plusieurs options : c'est la faute du médecin qui la suit (le docteur du 16 depuis une une bonne vingtaine d'années), c'est la faute de la patiente, c'est de la faute de la société, ou vous mélangez le tout.

Nous étions convenus qu'elle se fasse opérer du genou (prothèse totale) en raison de lésions arthrosiques majeures très invalidantes pour une femme qui a la responsabilité de sa famille (mère, petits-enfants, arrière petits-enfants).
Je la revois l'autre jour au décours de son intervention (qui s'est "bien" passée), de son séjour en centre de rééducation (qui s'est bien passé à quelques détails près), de son retour à domicile (qui s'est mal passé car elle n'a pu continuer la rééducation, aucun kinésithérapeute ne voulant ou ne pouvant ou les deux se déplacer à domicile). 
J'ajoute que cette patiente a déménagé et habite désormais à plus de 20 kilomètres de mon cabinet et qu'au lieu de me contacter elle a essayé de se débrouiller toute seule, "pour ne pas me déranger".
Quoi qu'il en soit, je la reçois, l'examine et me rend compte qu'elle n'a pas récupéré une flexion complète mais, bien plus, que sans exercices, elle a régressé depuis sa sortie du centre de rééducation. Je lui prescris des séances de kinésithérapie (elle pourra s'y rendre car elle conduit désormais) et lui donne des conseils d'auto rééducation.

Mais voici l'affaire.
Durant son séjour au centre de rééducation, les médecins, à juste titre, ont trouvé que ses objectifs d'équilibration diabétique n'étaient pas atteints. Ils ont changé son traitement. Ce qu'elle n'a pas supporté (non désir de changer, effets indésirables, refus de se faire piquer). Elle leur a dit expressément qu'elle ne voulait pas continuer. Ils ont insisté. Ils l'ont menacée d'appeler son médecin traitant (ce qu'ils n'ont pas fait) pour l'obliger à l'observance (une nouvelle cause nationale ?). Tant et si bien qu'elle a refusé de se faire piquer (un nouveau médicament qui n'est pas de l'insuline), a fait semblant de prendre ses nouveaux médicaments et a continué à prendre en cachette ceux qu'elle prenait avant (metformine et glibenclamide) que lui rapportait l'une de ses petites-filles.
Une performance.
Plus de trois semaines après la sortie du centre je n'ai toujours pas reçu de compte rendu mais le compte rendu opératoire est arrivé.
Elle m'a dit également qu'on lui avait conseillé de demander à son médecin traitant de lui prescrire un lecteur de glycémie afin de mieux contrôler son diabète (je rappelle ici, et malgré les scandaleuses campagnes de publicité grand public que l'on entend actuellement pour inciter les diabétiques tout venant de demander à leur médecin de leur prescrire des lecteurs de glycémie, que les lecteurs de glycémie sont réservés aux diabétiques utilisant l'insuline -- voir ICI-- et que non seulement c'est hors nomenclature mais qu'en plus aucun essai n'a montré un quelconque avantage à se servir de ce type d'appareil pour équilibrer un diabète).

Nous sommes convenus avec la patiente de doser son HbA1C avant que je ne lui represcrive ses médicaments, le dernier dosage remonte à mi août, et, au dernier moment, avant qu'elle ne quitte le cabinet, je découvre ceci : durant son séjour de 3 semaines au centre de rééducation elle a perdu 8 kilos ! "La nourriture était tellement mauvaise."
Ainsi apprends-je par la bande que le fait de ne pas manger fait maigrir... que la patiente, ce que je savais, ne "faisait pas de régime" alors qu'elle "prétendait" faire des efforts (ce qui était sans doute vrai)... que la nourriture n'est pas très bonne dans certains établissements mais que cela sert de révélateur de la malbouffe généralisée qui règne à l'extérieur.



Le culte des indicateurs et des critères de substitution (ici l'HbA1C) conduit à l'"innovation" : de nouveaux médicaments non éprouvés et chers sont prescrits pour remplacer des médicaments peu efficaces mais connus. 
Sans doute en toute indépendance de big pharma.
Le rêve des lobbys agro-alimentaire et santéo-industriel (ce sont souvent les mêmes), c'est une HbA1C "convenable" obtenue grâce à des médicaments coûteux prescrits à des personnes qui continuent de manger "normalement", c'est à dire en consommant (trop) de la nourriture à la mode. 
Les campagnes de dépistage du diabète sont un épisode de plus de l'hypocrisie ambiante : le tout coca et le tout McDo sont favorisés par la pub, le tout dépistage est favorisé par la pub, le tout traitement est favorisé par big pharma, et, en bout de chaîne, les médecins (mais bien entendu les médecins généralistes en premier lieu) sont désignés comme coupables du non dépistage (voire peut-être de la non prévention).
Les patients ont, heureusement, une histoire personnelle, mentent à leur médecin, s'en sentent parfois coupables, n'"observent pas" et gardent leur libre-arbitre tout en étant bombardés de publicités délétères et de conseils fallacieux. 
Les médecins, eux, n'écoutent pas assez leurs patients, et il arrive qu'ils soient à la fois trop intrusifs (de quoi je me mêle) ou pas assez (vous auriez pu le savoir avant). Où placer le curseur ? 

Quant à la médecine générale, c'est quand même compliqué. Nous croyons gérer et le patient s'échappe, nous croyons être au courant et le patient a ses propres vues sur la question (qui est aussi sa question), nous avons des "certitudes" qui se traduisent par des "aux alentours de 7", nous avons l'illusion également de pouvoir faire son bonheur malgré lui... Nous sommes dans le règne de l'incertitude. C'est ce qui me plaît dans la médecine générale. Le danger essentiel de notre métier vient de ce que tout dans notre attitude, le verbal comme le non verbal, la prescription comme la non prescription, l'adressage comme le non adressage, la bonne comme la mauvaise conscience, est potentiellement source de dégâts collatéraux ou de bénéfices imprévisibles qui affectent la vie et l'entourage de nos patients et malades. Parfois pour de longues années.



mercredi 31 août 2011

Les gros poussent les innocents médecins à prescrire de l'epitomax.


Les gros, les obèses, les IMC graves mais également ceux qui se croient gros, ceux qui croient que leur ventre est gros, qui croient que leurs hanches sont grosses, qui croient que leur estomac est gros, qui croient qu'ils sont moches parce qu'ils se sentent gros, ceux qui croient que les autres les trouvent moches parce qu'ils sont gros (et qui ont raison car il existe une dictature de la non grosseur, une dictature qui est à la mesure de l'augmentation considérable du nombre de gros, les crétins parlent d'épidémie d'obésité, le même genre de crétins qui nous ont parlé de pandémie à propos de la grippe A/H1N1), ceux, les gros ou les pseudo gros, qui n'en peuvent plus de ne pas ressembler aux mannequins anorexiques et cocaïnés qui défilent sur des podiums sans se rendre compte qu'il s'agit de cadavres ambulants dont on s'offusquera plus tard autant que nous nous étonnons aujourd'hui des femmes fortes peintes par Ingres, tous ces gens là, ces femmes et ces hommes, innocents obèses, innocents gros, innocentes victimes de l'IMC (Index de Masse Corporelle), ou innocents futurs obèses que l'on va désormais rechercher jusque dans les maternités, jusque dans les classes maternelles, jusque dans les consultations de PMI, voire jusque dans dans les cabinets de médecine générale, ces nourrissons prédisposés, ces jeunes enfants prédisposés, ces jeunes ados disposés, que l'on va détecter avant même qu'ils ne deviennent malades, comme de jeunes futurs délinquants, mais, dans ce cas personne ne fait de pétition, pas de psychiatres de gauches, d'extrême-gauche ou du centre ou de la droite républicaine, pour prendre la parole, alerter les réseaux sociaux, dénoncer l'arbitraire ou le totalitarisme de la droite au pouvoir qui ferait le jeu du Front National, non, tout le monde est d'accord, mieux vaut prévenir que guérir comme dit l'adage populaire qui se trompe encore une fois, tout le monde approuve depuis bien sûr les nutritionnistes (mais c'est leur pain et leur beurre) jusqu'aux assistantes sociales et aux puéricultrices : Maigre est Beautiful... Donc, les gros, les grosses, les obèses, les presque gros, les presque grosses, veulent MAIGRIR et comme tous ces braves gens ont du mal à y arriver, il est vrai qu'il est difficile de résister à la société de consommation, à l'armada des publicités télévisuelles pour céréales et autres jus gazéifiés, à l'armada des panneaux pour chocolats et gâteaux, qui enlaidissent les rues des villes et des campagnes, à l'armada des Mc Do et autres endroits de perdition où, non contents de manger avec les mains, les doigts et le reste, on avale des calories comme on mange des vitamines, eh bien, tous ces gens que l'on pousse à consommer, la consommation, arme du développement économique, ces gros qui n'arrivent pas à maigrir, qui s'épuisent à tenter de maigrir, qui sont incapables, pauvres petites choses droguées à la graisse et au sucre, des malades, vous dis-je, d'arrêter de manger, de faire de l'exercice physique et de penser à autre chose qu'à faire le yoyo entre la boulimie et l'anorexie, ces gros, ces obèses, qu'est-ce qu'ils font ? Lassés de ne pas pouvoir maigrir de façon autonome, ils se lancent dans la voie de l'hétéronomie, après avoir été inondés par la propagande consumériste ils se raccrochent à la propagande médicale : l'obésité est une maladie, manger est une addiction et il n'y a que les médecins et la médecine qui sont capables de les guérir. Au cas où (mais il est fort improbable qu'un médecin normalement constitué puisse renoncer à faire le malin et à ne pas proposer un régime), ils achètent des armes dans la première armurerie venue, ils accrochent des cartouches à leur ceinture, ils se munissent de couteaux à cran d'arrêt ou de couteaux de chasse (selon les régions), voire de kriss, et ils prennent rendez-vous dans des cabinets de médecine, chez des médecins normaux avec une tête, deux bras, deux jambes, un cerveau et un stéthoscope autour du cou, et, après avoir exposé leur cas de façon convaincante (je ne mange rien et je ne peux maigrir tout en courant trente kilomètres par semaine), et c'est très facile de convaincre un médecin de médicaliser la perte de poids comme d'ailleurs la prise de poids, car les médecins n'aiment pas les gros, toutes leurs études de médecine leur ont seriné cette haine farouche, eh bien ils demandent à ces médecins de les faire maigrir tout en commençant par leur dire qu'ils ont tout essayé. Ils sont armés car on ne sait jamais, au cas où ils tomberaient sur un médecin qui est au courant et des dangers des régimes et des dangers des médicaments miracles.
Les médecins regardent ces citoyens qui peuvent aller de l'obèse au très maigre qui veut perdre son gros ventre et, nonobstant le fait que faire maigrir les citoyens, de nos jours, quand on est réaliste et que l'on a une expérience correcte et des dossiers bien tenus, est d'une désespérante difficulté, et les médecins prennent des pauses de grands docteurs obésologues, endocrinologues ou autres et vendent leur salade. Ces médecins inconscients de leur impuissance promettent monts et merveilles en oubliant qu'il y a plus de gens qui perdent du poids sans médecins qu'avec l'aide de la faculté et finissent par perdre leurs citoyens qui se croient malades quand ils se rendent compte qu'ils ne cessent de grossir avec les années.
Mais il faudrait quand même que j'en revienne à mon propos initial.
Les médecins sont désormais démunis. Comment faire ? On leur a retiré le ponderal, on leur a retiré l'isoméride, on leur a retiré le mediator. Que vont-ils devenir ? Déjà que le régime Dukan leur retire des patients, déjà que les émissions de Jean-Michel Cohen et celles où apparaît Jacques Fricker (qui a son régime et qui doit savoir de quoi il parle tant il paraît souffreteux), leur enlèvent le pain de la bouche, comment vont-ils faire vivre leur petite famille qui se nourrit bio et qui ne met jamais les pieds ou les dents dans les restaurants "rapides", rapides signifiant faisant rapidement grossir ?
Et c'est ainsi que la litanie des citoyens en surpoids (j'ai enfin retrouvé la litote adaptée à nos temps modernes), entre dans leurs cabinets par effraction, et je ne parle pas des hypertendus qui doivent maigrir, des diabétiques qui doivent perdre du poids comme les arthrosiques, les rhumatisants, les goutteux ou les cardiaques, les FORCENT à prescrire des produits hors AMM.
Il y avait, pour maigrir, les amphétamines et maintenant apparaissent les antiépileptiques et les antimigraineux sous la forme de l'Epitomax ou topiramate.
Voilà que l'Agence du médicament se met en chasse et met en garde : ICI.
Rappelons ici que l'Epitomax est aussi un mauvais antimigraineux comme le disait déjà La Revue Prescrire en 2006 :
Topiramate - Epitomax°. En prévention des crises de migraine : mieux vaut s'en passer
Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 252
Voilà : certains médecins innocents (je n'ai pas écrit : les mains pleines) sont incorrigibles : ils ne savent pas résister à la pression de leurs patients. Et gageons que n'ayant pas cessé de faire des cauchemars en pensant aux valvules mediatorisées de leurs patients, ils vont recommencer à craindre les effets indésirables du topiramate : troubles neurosensoriels et cognitifs (ralentissement psychomoteur, manque de mots, difficultés de concentration, troubles de la mémoire).
Mon portefeuille en bourse comprend à la fois des actions Big Junk Food et Big Pharma : la boucle est bouclée. N'oubliez pas des actions Small Pharma (les génériques ont le vent en poupe).