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dimanche 5 juin 2022

Bilan médical du lundi 30 mai au dimanche 5 juin 2022 : médecine narrative, Covid long, les MG sont devenus médecins du travail, la surmortalité liée au Covid, la mortalité liée au cancer, cytologie ou HPV ?

 

via TrucOfTheDay@YLegrand : La blessure de Sverev à Roland Garros.

Pourquoi la médecine narrative compte.

Les vieux de la vieille, les revenus de tout savent combien il faut se méfier a priori des nouvelles tendances, des nouveaux concepts qui vont "révolutionner" la médecine, des théories explicatives, des idéologies holistiques, bla-bla-bla. En revanche, il est t toujours intéressant, pour sa pratique, de regarder de quoi il retourne afin, non pas d'adhérer/rejeter de façon binaire mais de picorer des idées, des ouvertures, éventuellement des "trucs", ici, afin, encore et encore, d'améliorer la relation soignant/patient et de permettre ne meilleure compréhension de la souffrance ressentie, de la problématique envisagée, des mesures à prendre et des traitements à éventuellement entreprendre. L'article que je vous propose (ICI) fait le point sur ce concept. Vous pouvez aussi lire en français CECI : la médecine narrative est une autre façon  d'envisager les soins centras sur le patient. Pas mal, non ? 


Le Covid long, ou nouveau Syndrome Post Infectieux : juste "organique" ?

L'excellent Stéphane Korsia-Meffre a écrit un commentaire passionnant sur le Covid long (ICI) à partir d'un article paru dans Nature Medicine (LA). 

Choutka et al. suggèrent que tous (ou presque) les SPI auraient une étiopathogénie commune, qu'ils s'inscrivent partiellement ou totalement dans le cadre d'une entité appelée encéphalopathie myalgique ou syndrome de fatigue chronique et qu'il s'agirait d'une nouvelle maladie auto-immune. Les auteurs envisagent différentes hypothèses étiopathogéniques : réservoir infectieux, auto-immunité, dysbiose et dommages tissulaires.

Ils suggèrent également que des recherches biomédicales soient menées de façon sérieuse pour élucider ce mystère et trouver un traitement.

Comment pourrait-on penser le contraire ? 

Les patients souffrant d'un SPI post Covid ont besoin d'écoute et de reconnaissance. Ils ont besoin d'aller voir des soignants qui ne leur disent pas "Tout ça, c'est dans la tête" ou "De toute façon cela va s'arranger... On ne peut rien faire..."

Il nous semble encore plus dangereux que ces patients rencontrent des soignants qui leur disent qu'il existe d'ores et déjà des molécules qui pourraient les soulager, voire les soigner. On pense bien entendu aux cocktails médicamenteux associant : antalgiques de paliers 1 et/ou 2, antidépresseurs, anxiolytiques, anti-épileptiques, décontracturants, et autres...

Primum non nocere. Informer. 

Mais il sera difficile de penser que les interactions entre les SPI et les mesures barrières (indispensables, mais on peut discuter sur leurs modalités, leur rigueur, leur momentum...) qui ont été mises en place un peu partout dans le monde n'ont pas d'influences sur la perception des SPI, sur la dépression et sur l'anxiété des populations depuis deux ans et demi.


Les MG, qui se roulent les pouces à la machine à café, doivent désormais être les médecins du travail supplétifs des collectivités territoriales.

La mise à jour de l'article 13-1 du décret 87-6002 contraint les MG, lors de la décision de travail à temps partiel dans les collectivités territoriales, de définir moulâtes données (cf. infra) alors que le médecin traitant ne connaît ni les fiches de poste, ni les contraintes organisationnelles, ni le contexte de l'entreprise.



Ce n'est vraiment pas une avancée pour les fonctionnaires et apparentés.

Rajout du 13/06/22 : un billet de Richard Tabot à l'attention des médecins généralistes : LA

 

Hors sujet.

Gena Rowlands, John Cassavetes (1968)


Au Royaume-Uni aussi les MG font le job


En comparant les données d'avril 2022 à celles d'avril 2019, les MG voient plus de patients et plus rapidement malgré le fait qu'ils soient moins nombreux. L'impossibilité de consulter votre médecin généraliste est lié au manque de financement du système et non à la fainéantise des médecins généralistes !

Tous les urgentistes ne pensent pas que les MG sont des feignants.


Les chiffres de surmortalité liés au Covid et publiés par l'OMS ne sont pas défavorables à la France. Mais...


Mais : faut-il croire ces chiffres ? Sait-on comment ils ont été colligés ? Connaît-on la robustesse des données ? Nous avons assez publié sur ce blog sur la façon dont la mortalité liée à la grippe saisonnière était calculée en France comme en Grande-Bretagne pour être dubitatif. 

Mortalité liée aux cancers : une comparaison US vs 21 autres pays "riches": la France n'est pas au top.

L'article (LA) est riche et il souffre des mêmes défauts que le précédent. Je répète la même chose : "Mais : faut-il croire ces chiffres ? Sait-on comment ils ont été colligés ? Connaît-on la robustesse des données ? Nous avons assez publié sur ce blog sur la façon dont la mortalité liée à la grippe saisonnière était calculée en France comme en Grande-Bretagne pour être dubitatif. "

Donc : prudence. 

Première chose : le tabac est une saloperie. On le sait, tout le monde le sait. Mais c'est le facteur de risque de cancer le plus pertinent (si j'ose dire).

Cette étude s'intéresse aux dépenses par tête de cancer par rapport au taux de mortalité.

Première figure : sans ajustement.


Deuxième figure : avec ajustement pour le tabac.


Alors que les études contrôlées sont "impossibles" à faire dans le covid (masques, aération, confinements) des études sans intérêt sont entreprises en nutrition.

Une étude (LA) commentée dans le NewYork Times (ICI) clame que les buveurs de café meurent moins que les autres.

De qui se moque-t-on ?

Un éditorial australien sur le dépistage du cancer du col et son évolution de la cytologie vers la recherche HPV

L'éditorial (LA) s'interroge sur les nouvelles stratégies concernant le dépistage du cancer du col utérin : faut-il continuer les examens cytologiques et si non à quel rythme et sur quels facteurs faut-il proposer des tests HPV. Il existe de nombreuses hypothèses, de nombreuses stratégies possibles en fonction de l'âge, du statut vaccinal, et cetera. Cet éditorial est très complet.

On rappelle qu'en France la HAS (ICI) recommande (juillet 2020) :



ZeroCovid à Taïwan.


La source : ICI

C'est tout. Mais il y avait tant de sujets...

dimanche 20 décembre 2020

Jour 20 des pratiques médicales répandues françaises et internationales non fondées sur les preuves : les dépistages organisés des cancers.

Est-ce quels dépistages organisés des cancers sauvent des vies ? La réponse est : non.

Nous avons déjà donné l'exemple du cancer du sein (ICI).

L'exemple du cancer de la prostate : le dépistage organisé par le dosage du PSA chez les hommes au delà entre 50 et 70 ans ne sauverait pas de vies (je parle au conditionnel car le dépistage organisé n'a jamais été institué).

Le dépistage organisé du cancer du colon par la pratique de la recherche de sang dans les selles ne sauve pas de vies : j'ai longuement exposé les tenants et les aboutissants de tout cela ICI.

Plus généralement

Il faut encourager les soignants à être francs sur les limites du dépistage -- les dommages sont certains, mais les bénéfices en termes de diminution de la mortalité totale ne le sont pas. Refuser le dépistage peut être un choix raisonnable et prudent pour de nombreuses personnes.

Nous appelons à de meilleurs critères de preuves, non pour satisfaire à des critères ésotériques, mais pour rendre possible une prise de position partagée raisonnable entre médecins et patients. 

Comme le dit souvent Otis Bradley (American Cancer Society) : "Nous devons être honnête à propos de ce que nous savons, de ce que nous ne savons pas, et de ce que nous croyons simplement."

Enfin, pour les sceptiques, rappelons que le dépistage se fait chez des personnes saines et que les comparaisons ne se font pas contre rien mais contre le suivi régulier des personnes et des patient.e.s 


dimanche 30 octobre 2016

Quand le journal "Le Monde" dit la cancérologie. CMT répond.

La première Une du "Monde"le 19 décembre 1944


Un article récent du journal Le Monde attirait le chaland avec un titre plutôt sensationnel : (ICI).



Cancer : « Le Monde » révèle des hausses inquiétantes pour certaines tranches d’âge


Lisez d'abord l'article et ensuite le commentaire de CMT, alias docteur Claudina Michal-Teitelbaum.

Chers journalistes
L’outil que vous avez élaboré est plaisant mais votre article passe malheureusement totalement à côté d’un certain nombre de questions majeures concernant l’évolution de l’incidence des cancers. Un outil n’est pas grand-chose sans un minimum de connaissances et réflexion.
Ainsi vous n’évoquez même pas le surdiagnostic concernant le cancer du sein, bien que vous le fassiez pour les cancers de la thyroïde et de la prostate.
Le surdiagnostic est lié au dépistage. Les estimations concernant le surdiagnostic pour le cancer du sein varient de 10 à 80%. 80% pour la dernière en date, qui se fonde sur une étude de l’évolution du taux  et de la taille des cancers au cours du temps aux USA et qui montre que bien que l’incidence des petits cancers inférieurs à 2cm ait augmenté de 162 pour 100 000, elle n’a été suivie que par une baisse de l’incidence des cancers du sein> 2 cm de 30 pour 100 00. Les auteurs  estiment donc que la différence pourrait être due au surdiagnostic http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1600249 . Cela veut dire que si l’incidence réelle des cancers est restée constante, environ 80% des femmes dépistées diagnostiquées avec un cancer du sein auraient été surdiagnsotiquées.
 Le surdiagnostic des cancers étant défini comme des cancers correctement diagnostiqués par l’histologie, mais qui n’auraient pas présenté de manifestations cliniques au cours de la vie de la patiente et qui ne lui auraient pas provoqué de gêne s’ils n’avaient pas été activement recherchéshttp://www.formindep.org/IMG/pdf/surdiagAnnaba_mai_2011_2pp.pdf . Certains incluent dans le surdiagnostic les faux positif. Et cela semble justifié dès lors que même l’histologie n’est pas fiable à 100% et pose donc la question des cancers qui n’en sont pas et sont traités à tort.
Cette question du surdiagnostic dû au dépistage systématique, avait été mise en lumière par des médecins généralistes depuis le milieu des années 2000, notamment par D Dupagne http://www.dailymotion.com/video/x6vxfp_le-depistage-du-cancer-de-la-prosta_lifestyle, Jean-Claude Grange, http://docteurdu16.blogspot.fr/2009/06/cancer-de-la-prostate-ne-pas-depister.html. Mais on les avait pris pour des loufoques jusqu’à ce qu’en 2012, l’USPTS américaine  et la HAS en France déconseillent le dépistage par dosage du PSA dans tous les groupes d’âge en raison de son inefficacité et de ses risques : https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/Page/Document/RecommendationStatementFinal/prostate-cancer-screening .
Encore maintenant on peut penser que  beaucoup de médecins et patients évaluent très mal les apports, les tenants et aboutissants du dépistage. Par exemple une majorité de médecins comme de patientes pensent qu’une mammographie positive signifie des fortes chances pour une femme d’être diagnostiquée comme porteuse d’un cancer après biopsie. Or, ces chances ne sont que d’environ 7% après une mammographie positive http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=8157 . Ces chances sont appelées la valeur prédictive positive de la mammographie et dépendent de deux facteurs : les performances du test, sensibilité(capacité à diagnostiques correctement des malades) et spécificité (capacité à diagnostiques correctement des non malades) du test et la rareté de la maladie dépistée.
Pour une maladie rare comme le cancer du sein, on peut prendre des chiffres fictifs approchants. Si la mammographie a une spécificité de 98% et une sensibilité de 90%, et que la prévalence du cancer du sein est 100 pour 100 000 dans la population dépistée, cela signifie que 2% des 100 000 auront des résultats faussement positifs soit 2000 femmes. Tandis que 90 des 100 cancers seront dépistés à juste titre. Les chances d’avoir un cancer après mammographie seront donc de 90 sur 2000+90, soit de l’ordre de 4%.
Un autre problème lié au dépistage est qu’il permet de détecter des petits cancers. C’est son objectif et c’est le credo du dépistage qui postule que plus les cancers sont détectés tôt mieux c’est.
Mais des études ont montré que pour des cancers petits et localisés, les cancers canalaires in situ,  le fait de traiter ou non affecte peu la survie spécifique à 20 ans. En moyenne, aux USA le risque de mortalité sur 20 ans après le diagnostic par cancer du sein pour les femmes NON traitées pour un cancer canalaire in situ est de 3,3% http://www.bmj.com/content/351/bmj.h4555?etoc . Ces très petits cancers représentaient 3% des cancers avant la mise en place du dépistage, mais 20 à 25% après. A tel point que certains se demandent si appeler cela un « cancer » avec toute la charge émotionnelle et l’appréhension que cela induit, est appropriéhttp://jamanetwork.com/journals/jamaoncology/article-abstract/2427488 .
L’autre point que votre article ne met pas du tout en évidence est le poids écrasant du dépistage dans l’augmentation d’incidence des cancers.
En effet, si on utilise le taux standardisé monde, comme vous le faites, on peut alors traduire cela comme le risque moyen d’avoir un diagnostic de cancer chaque année (incidence) pour la population observée et indépendamment de la structure en âge de cette population.
Or on s’aperçoit qu’entre 1980 et 2005, années où l’on peut situer le pic des diagnostics de cancer ( 2005, que je choisis car bizarrement il n’y a plus s’estimation pour le cancer de la prostate après 2009 par l’INVS), le risque d’avoir un diagnostic de cancer chez la femme (le taux standardisé monde), tous cancers confondus est passé de 176,4 en 1980 donc à 248,8 pour 100 000 en 2005. Soit une augmentation du risque de 72,4 pour  100 000. Sur la même période le risque annuel d’avoir un diagnostic de cancer du sein, cancer LE PLUS FREQUENT DE LA FEMME, est passé de 56,3 à 98,8 pour 100 000. Soit une augmentation de 42,5 pour 100 00. On peut en conclure que le cancer du sein a contribué pour 42,5 / 72,4 soit 59% à l’augmentation du risque de cancer chez la femme pendant cette période. C’est énorme.
Pour la femme le cancer du poumon, associé au tabagisme, et le cancer de la thyroïde, associé au surdépistage expliquent 18,8 pour 100 000 des 29,9 pour 100 000 d’augmentation non associés  au cancer du sein. Au total, pour la femme, le surdépistage et le tabagisme expliqueraient environ 85% de l’augmentation observée entre 1980 et 2005.
Pour l’homme c’est encore plus simple, car si le risque total annuel de diagnostic de cancer était de 283,5 en 1980 et est augmenté à 396,1 en 2005, soit une augmentation de 112,6 le risque de diagnostic de cancer de la prostate, LE PLUS FREQUENT CHEZ L’HOMME, est passé de 24,8 pour 100 000 en 2001 à 127,1 pour 100 000 en 2005, soit un risque multiplié par 5, augmentation  de 102,3 totalement attribuable au dépistage par dosage du PSA . Dans ce cas le dépistage du cancer de la prostate par PSA a contribué pour 102,3 /112,6 soit pour 91% à l’augmentation du risque de diagnostic annuel de cancer. Cela fait beaucoup.
Quant à l’augmentation du risque de cancer chez les jeunes femmes une explication vraisemblable est le dépistage individuel des jeunes femmes, peu quantifié en France . On sait nénamoins qu’il représente environ un quart des femmes dépistées dont une majorité n’ont aucun facteur de risque (HAS, 2011). Les femmes ont recours au dépistage individuel sur incitation des médecins, en particulier les jeunes femmes en région parisienne http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=1614 .Or, chez les jeunes femmes, le risque de faux positifs et d’erreur diangostique à la mammographie et à  la biopsie est augmenté http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2203798.
Il est à noter que la diminution du risque de mortalité des cancers du sein et de la prostate a été MOINS RAPIDE que la diminution moyenne de mortalité pour les cancer, diminution d’ un taux annuel pour le cancer du sein de 0,6 et de 1,3 pour le cancer de la prostate contre une diminution de 1 pour la femme tous cancers confondus et 1,5 pour les hommes.
UNE CONCLUSION S’IMPOSE AU VU DE CES CHIFFRES, ET C’EST QUE L’AUGMENTATION DU RISQUE GLOBAL DE CANCER EST LARGEMENT UN ARTEFACT GENERE PAR LA TECHNIQUE, LE SURDEPISTAGE QUI, A SON TOUR, INDUIT UN SURTRAITEMENT MASSIF. D’où sans doute les conclusions du rapport du comité d’orientation en octobre 2016 recommandant, parmi deux scénarii, l’arrêt du dépistage du cancer du sein, http://www.concertation-depistage.fr/wp-content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf , rapport qui est une petite merveille et dont on espère qu’il ne sera pas jeté aux oubliettes comme les recommandations concernant le déremboursement des médicaments de la maladie d’Alzheimer.




dimanche 10 janvier 2016

Edition spéciale : pourquoi le dépistage du cancer n'a jamais montré qu'il "sauvait des vies" et ce que nous pouvons faire à ce propos.

Vinay K Prasad MD, MPH
Jeanne Lenzer freelance investigative journalist
David H Newman Associate professor Emergency Medicine

Vinay Prasad, Jeanne Lanzer et David H. Newman ne sont pas des Français. Et d'ailleurs ils n'écrivent pas en français (voir ICI).

Ils ont écrit dans le British Medical Journal un article clair, sans pathos, qui pose, comme d'habitude, plus de questions qu'il ne résout de problèmes parce que nous avons été formatés, médecins (durant nos études) comme patients (dans la "vraie" vie), par le story telling cancérologique, disons en français le roman oncologique, qui dit ceci : plus un cancer est petit moins il est grave, plus on le diagnostique tôt plus on le détruit vite, l'histoire naturelle du cancer est linéaire, un cancer ne meurt jamais tout seul, les effets indésirables des traitements valent le coup si on sauve une vie et, enfin, les effets indésirables du dépistage sont rarissimes.

C'est le bon sens des oncologues et ceux qui n'ont pas de bon sens sont des demeurés, et cetera.

Je ne vais pas réitérer un éternel exercice d'auto-flagellation à la française mais convenons que les Français universitaires n'écrivent pas comme Prasad et Newman : ils auraient trop peur de déplaire, de ne pas obtenir de poste, de ne pas toucher de subventions, de ne pas être invités au Téléphone Sonne ou au Magazine de la Santé. Vous me dites qu'il y a des exceptions ? Sans doute : elles confirment la règle. 
Quant à Jeanne Lanzer, journaliste, nul doute qu'elle ferait tache dans le paysage audiovisuel et scriptural français et qu'il serait difficile de la caser à côté, par ordre alphabétique, de Hélène Cardin, Michel Cymes, Jean-Daniel Flaysakier, Gerald Kierzek, Jean-François Lemoine, Danielle Messager ou Jean-Yves Nau...

Quoi qu'il en soit, les médecins généralistes, espèce en voie de disparition, ces braves médecins traitants, ces crétins de proximologues, ces abrutis de pivots du système, sont confrontés tous les jours à la pression des autorités de santé (sic) puisque leurs patients reçoivent à domicile, ce qu'ils appellent des convocations, pour faire des mammographies (dépistage organisé), des recherches de sang dans les selles, des bilans périodiques de santé, des objectifs de Santé publique, tout en écoutant les conseils de dépistage tous azimuts des gynécologues (un frottis par an, une mammographie dès 40 ans), des patients experts (la mammographie m'a sauvée), des primes à la performance, et cetera. Sans compter le dépistage du cancer du poumon par scanner basse intensité qui est en train d'arriver en grande pompe.

Quant aux spécialistes, c'est un cas d'école, insistons sur le fait que Vinay Prasad est hématologue et oncologue et que David H Newman est urgentiste, ils sont toujours et à 99 % (que les rebelles lèvent le doigt) pour le dépistage et même dans des domaines où il n'est pas recommandé : tous les urologues (ou presque) sont fans de PSA, tous les radiologues (ou presque) sont fans de mammographie, tous les pneumologues ou presque sont fans de scanner basse intensité, tous les gastro-entérologues sont pour l'hemoccult et maintenant son super remplaçant, tous les oncologues (ou presque) sont fans de tout, ... et cetera.

L'article est très bien fait sur le chapitre résultats. Pour les propositions, c'est encore flou et/ou hypothétique...

Que nous disent les trois auteurs ?

Le dépistage du cancer en général pourrait ne pas réduire la mortalité totale. 

Deux explications "évidentes".

1) Parce que les études dont nous disposons ne sont pas formatées pour détecter de telles différences.
2) parce que la diminution de la mortalité spécifique serait contrebalancée par les effets délétères du dépistage.


L'étude du Minnesota (Minnesota Colon Cancer Control Study) a duré 30 ans ! Elle consistait à rechercher annuellement le sang fécal dans le groupe dépistage en comparaison avec le groupe contrôle. Résultats : le dépistage diminue significativement le nombre de décès dus au cancer du colon (mortalité spécifique) : 64 décès/100 000 de moins (128 vs 192/100 000) ; mais on constate : 2 décès/100 000 de plus dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (7111 vs 7109/100 000) pour la mortalité globale. Ces résultats sont conformes à ce que l'on savait déjà sur la question (études antérieures).

Ces résultats défavorables (plus de décès dans le groupe dépistage) sont probablement liés à l'utilisation de tests entraînant des faux positifs, au sur diagnostic, et aux incidentalomes (1).

C'est pourquoi, le dépistage du cancer de la prostate par dosage annuel du PSA a été abandonné (2), tout comme celui du cancer des poumons par radiographies simples, ou celui du neuroblastome par tests urinaires.

Les essais de dépistage montrant une diminution de la mortalité doivent être analysés avec prudence.

Une étude américaine (NLST) (LA) montrant que le dépistage du cancer du poumon par scanner à basse intensité par rapport aux radiographies du thorax diminue chez les gros fumeurs les mortalités spécifique (20 %) et globale (6,7 %) paraît d'un très bon niveau de preuves mais doit être examinée avec précaution (voir LA). 

D'abord, la radiographie pulmonaire n'est pas un bon comparateur. Le meilleur comparateur aurait dû être : la routine. (Une étude danoise menée dans ces conditions a même montré significativement plus de morts dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (61 vs 42) ICI). 

Ensuite, la diminution de la  mortalité globale dans le groupe scanner dépasse les gains en mortalité spécifique (87 décès en moins dus au cancer du poumon et 123 décès en moins dus à d'autres causes) : il est difficile de croire que c'est le scanner thoracique (qui a permis la diminution des décès dus à d'autres cancers ou à l'amélioration du statut cardiovasculaire) qui explique ces 36 décès de moins. Si l'on considère que l'amélioration de la mortalité non due au cancer du poumon est un hasard, les différences de mortalité globales disparaissent entre les deux groupes (p=0,11). 
Il faudrait ainsi pouvoir disposer d'un essai montrant que la baisse de la mortalité spécifique est assez importante pour entraîner la baisse de la mortalité totale, ce qui n'est pas le cas. 

Enfin, le bénéfice annoncé sur la mortalité par cancer du poumon en utilisant le scanner, soit 12 000 décès évités annuellement aux EU doit être balancé par la survenue de 27 034 complications majeures survenues après un test positif.

L'agence américaine USPSTF a considéré que l'étude NLST était sans doute une anomalie puisqu'une analyse de 60 000 patients inclus dans des essais randomisés et à qui était pratiqué un scanner thoracique ne vivaient pas plus longtemps que ceux du groupe contrôle.

La perception des bénéfices du dépistage du cancer est surestimée dans l'opinion publique 

Les exemples les plus évidents concernent la mammographie, le PSA ou le frottis du col utérin (4).
Les avocats du dépistage surestiment souvent les bénéfices en utilisant la peur (ou en la créant : fear mongering).
D'autres, dont les auteurs, insistent sur le fait que la décision partagée dont être l'objectif, ce qui signifie tenter d'être honnête.
Ils donnent l'exemple du cancer du sein et de la recommandation du Swiss Medical board de ne pas conseiller ce dépistage (LA).
Ils rappellent les travaux de la Cochrane nordique sur la question (ICI).

Les dommages

Il faudrait quand même plus parler des dommages lorsque les études montrent aussi peu de bénéfices. Sur 57 études de dépistage primaire seules 7 % quantifient le sur diagnostic et 4% les faux positifs. Les chercheurs devraient en tenir compte.
Les auteurs rapportent des données convaincantes concernant le cancer du sein (4).
Ils rappellent que dans le dépistage du cancer du poumon par scanner l'étude NLST mentionne un taux de sur diagnostic de 18 %, et qu'il est de 33 % dans le cadre du cancer du sein (voire de 50 % pour les carcinomes in situ).

Que faire ?

La réalisation d'essais permettant de déceler des variations de mortalité globale nécessiterait 10 fois plus de patients. Pour le cancer colorectal il faudrait 4,1 millions de patients enrôlés pour démontrer une diminution de la mortalité globale contre 150 000 pour la mortalité spécifique. Cela nécessiterait un budget de 0,9 milliard d'euros...
Mais mener des essais identiques sur des registres de patients diminuerait considérablement les coûts : 50 dollars par patient selon une étude prospective récente intitulée : The randomized registre trial -- The next disruptive technology in clinical research ? (ICI) Un essai randomisé sur registre  coûterait le prix d'un essai "normal".
Ce serait un progrès de tenter de tels essais plutôt que de poursuivre des essais dont on sait à l'avance qu'ils ne feront pas avancer la Santé publique.
L'adoption par Medicare du dépistage du cancer des poumons par scanner basse intensité coûterait 6 milliards de dollars par an.
Les essais devraient d'abord cibler les populations à haut risque pour s'intéresser ensuite aux populations moins exposées (5).

(on répète que les auteurs sont moins convaicants quand il s'agit de proposer...)

Conclusion

Nous encourageons les soignants à être francs sur les limites du dépistage -- les dommages sont certains, mais les bénéfices en termes de diminution de la mortalité totale ne le sont pas. Refuser le dépistage peut être un choix raisonnable et prudent pour de nombreuses personnes.

Nous appelons à de meilleurs critères de preuves, non pour satisfaire à des critères ésotériques, mais pour rendre possible une prise de position partagée raisonnable entre médecins et patients. 
Comme le dit souvent Otis Bradley (American Cancer Society) : "Nous devons être honnête à propos de ce que nous savons, de ce que nous ne savons pas, et de ce que nous croyons simplement."


Notes :

(1) Rappelons la différence entre faux positif et sur diagnostic : un faux positif signifie qu'un test est positif alors que la personne n'est pas atteinte de la maladie. Un sur diagnostic signifie que le test diagnostique un cancer qui n'aurait jamais menacé le pronostic vital.
(2) Abandonné officiellement par les sociétés savantes et pratiqué of the records par les urologues (l'Association Française d'Urologie n'est pas claire sur le sujet)
(3) Humphrey L, Deffeback M, Pappas M, et al. Screening for lung cancer: systematic review to update the US Preventive Services Task Force recommendation. Agency for Healthcare Research and Quality, 2013.
(4) Les lecteurs de ce blog, pardon pour les autres, comprendront que nous ne développerons pas ces sujets que nous avons si souvent traités.
(5) Rappelons aux 3 auteurs que c'est ce que fait déjà big pharma dans les essais contrôlés en  ciblant les patients les plus atteints où les résultats sont plus faciles à obtenir et en élargissant facilement des extensions d'indications grâce à la "fiablesse" des experts.

jeudi 22 mai 2014

Actualités oncologiques en médecine générale. Annexe au plan cancer (2)


J'avais posté un billet en attendant de commenter le plan cancer (ICI), billet que je n'ai toujours pas écrit.
Mais la réalité ne cesse de me rattraper.
Ne croyez pas que je fasse une fixation sur les oncologues et les médecins s'occupant du cancer mais je crois quand même qu'ils méritent qu'on leur rappelle ce qu'est la vraie vie.

Cas onco 005. Histoire de consultation 168
Madame A, 94 ans, a fini par dire que son sein coulait. Elle a une tumeur du sein qui a été authentifiée par une mammographie puis par une biopsie. (En tant que médecin traitant je ne m'étais méfié de rien car il n'y avait aucun antécédent de cancer du sein dans cette famille ni chez les descendantes et, d'ailleurs, je ne palpe pas les seins des femmes âgées). Cette patiente habite à 30 kilomètres du cabinet mais j'étais resté son médecin traitant (elle est hypertendue et diabétique non insulino-dépendante plutôt bien équilibrée). Je lui ai conseillé de s'organiser sur place et lui ai donné le nom d'un chirurgien que je connaissais vaguement dans la ville où elle habite désormais. Mais la patiente avait pris sa décision : on ne me fera rien, pas de chirurgie, pas de rayons, pas de chimio. Le chirurgien s'est montré très déçu de ne pouvoir l'opérer, il proposait une mammectomie, très déçu de ne pouvoir programmer de radiothérapie, très déçu de ne pouvoir lui proposer une chimiothérapie, il ne m'a pas écrit de courrier, il a été si déçu qu'il l'a laissée repartir comme ça en lui demandant de me recontacter. Au petit hôpital de la ville où elle habite, un oncologue consulte deux fois par semaine. Sa fille a obtenu un rendez-vous rapide et, avant d'aller le voir, la patiente est venue consulter à mon cabinet. Le bilan d'extension avait déjà été programmé et semble rassurant (semble car je n'ai reçu aucune nouvelle). Elle est ferme sur ses positions : elle ne veut pas être traitée. Après examen de son sein, je lui propose ceci : une simple tumorectomie pour éviter les complications cutanées et basta. Elle est d'accord. J'écris une lettre pour l'oncologue en ce sens. La patiente de 94 ans a gardé sa vivacité d'esprit en plaisantant sur le fait qu'elle a rendez-vous avec un oncologue, pas un cancerologue, qu'elle n'avait donc pas un cancer mais un onco... Je suis préoccupé car je ne vais pas gérer la suite, l'éloignement, et aucun des médecins généralistes contactés sur son nouveau lieu de résidence ne prend de nouveaux patients. Et il est vrai qu'il n'y a rien d'excitant à avoir comme nouvelle malade une femme de cet âge présentant un cancer du sein chez qui il sera nécessaire, sans doute, de faire des visites à domicile, d'organiser des soins à domicile (elle veut mourir chez sa fille, a-t-elle exprimé clairement) et / ou de travailler en coopération avec l'hôpital.

Cas onco 006. Histoire de consultation 169
Monsieur B, 74 ans, a un cancer du poumon. Un anaplasique à petites cellules. Il arrive d'Algérie pour habiter chez sa fille le temps de quelques examens. L'hospitalisation programmée confirme le diagnostic et précise l'extension : métastases un peu partout. Le médecin traitant de la fille, soit le docteurdu16, est mis au courant de l'affaire et se rend au domicile non sans avoir été informé préalablement de ce qui a été dit au patient et à la famille (l'information vient de la fille, pas de l'hôpital, vous m'avez compris). Le malade ne sait pas que son cancer est mortel, le malade ne sait pas qu'il a des métastases et le malade ne sait pas qu'il va mourir. La femme du malade qui est restée en Algérie n'est au courant de rien. Point important : le patient ne souffre pas. Point ultime : il veut retourner chez lui. Eh bien les pneumo-oncologues de l'hôpital n'ont pas perdu de temps : ils lui ont collé la première cure de chimiothérapie. D'après la fille, ils ont dit : "Nous ne le guérirons pas mais nous allons augmenter on espérance de vie." Où est le respect du patient ? Où est l'information honnête ? Où est l'intérêt du patient ? J'ajoute que le patient a travaillé 35 ans en France, qu'il parle parfaitement le français. Elle est où cette putain de consultation d'annonce ?

Pour les étudiants en mal de thèse ces deux cas pourraient leur permettre d'écrire deux ou trois trucs qui touchent aux fondements de la médecine et du soin. Je vous laisse développer les thèmes.

Illustration : Philip Roth: Patrimony (1991).

jeudi 27 février 2014

Actualités oncologiques en médecine générale : seuls les morts ne seront pas traités. Annexe au plan cancer.


(Il s'agit d'une annexe pragmatique au Plan Cancer dont nous avons parlé ICI et dont nous reparlerons LA -- pas encore de lien)

Cas onco 001 - histoire de consultation 164. Monsieur A, 85 ans, va mieux. Je me suis battu pendant un mois (le patient est en HAD) pour que l'on arrête la (lourde) et ancienne chimiothérapie carboplatine - vepeside pour cancer du poumon chez cet homme  triple ponté, hypertendu, bronchitique chronique et diabétique. Le pneumologue est têtu et l'oncologue le regarde par dessus son épaule pour s'assurer qu'il ne va pas lâcher. Il faut lâcher. Mais cela ne fait pas partie de la culture des médecins. Lâcher c'est avouer non son incompétence mais son incapacité à réaliser les rêves imposés par la société à savoir que la médecine a des pouvoirs infinis de promettre la vie éternelle. Je me suis battu car il fallait aussi convaincre la famille à qui les faiseurs de rêves avaient promis des mille et des cents, à la famille qui pensait que renoncer allait signifier pour leur mari, père, grand père, ami, que c'était fini, qu'il n'y avait plus qu'une seule issue : la mort. Et il y avait le pauvre khonnard de médecin traitant qui ne sait pas combien les chimiothérapies ont fait de progrès, combien l'onologie est une science dure qui sauve des vies, combien les essais cliniques ont montré que la survie était allongée de trois jours (p < 0,05) dans des essais contrôlés menés par des firmes philanthropiques qui pourront obtenir des prix pharamineux grâce à ces merveilleux trois jours avec, cerise sur le gâteau, un score de qualité de vie au top. Monsieur A va mieux mais il va mourir et il sait qu'il va mourir et il souhaite (ici, nous pourrions écrire une thèse de doctorat entière : "Le signifié et le signifiant chez le patient en fin de vie") mourir. Il va mieux mais il a des métastases partout. Il est conscient et il sait qu'il va mourir. Il ne souffre pas. Il passe sa vie dans un fauteuil. Et s'il voulait mourir chez lui au début de sa prise en charge, maintenant qu'il est conscient de sa mort prochaine il veut mourir à l'hôpital pour ne pas embêter sa femme. Et il change encore d'avis et décide qu'il serait mieux qu'il revoit son milieu familier avant de mourir. Mais il n'en aura pas le temps. Il meurt à l'hôpital. Sans avoir souffert.

Cas onco 002 - Histoire de consultation 165. Monsieur B, 64 ans, souffre d'une carcinose péritonéale secondaire. Comme personne ne lui avait dit qu'il avait un cancer initial mortel et qu'au contraire il allait guérir grâce à la médecine moderne qui garantit la vie éternelle, personne ne lui a pas plus dit que cela allait être la fin. Comme je suis le médecin traitant je suis au milieu des mensonges (et je suis le premier à mentir) et je suis celui qui va annoncer la mauvaise nouvelle. Facile. Difficile. Mais je connais la famille, la femme, les enfants, les petits-enfants. J'assume. Je fais une parenthèse majeure : dire la vérité au malade semble être un impératif "post moderne" (j'en ai déjà parlé LA) et il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Mais la façon de dire est plus importante que ce que l'on dit. Sans parler de l'arrière plan. J'ai le souvenir d'un médecin des hôpitaux annonçant à "ma" patiente et à son fils (son fils m'a dit ensuite qu'il avait été tellement sidéré, au sens paralysé par ce qu'il avait entendu, qu'il n'avait pas eu le courage de retourner dans le bureau et d'aller casser la gueule au médecin des hôpitaux pour lui apprendre la politesse et la vie, il le regrette encore) qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle allait mourir. N'aurait-il pas pu entrouvrir la porte ? Laisser filtrer un brin de lumière pour que la dame âgée puisse encore croire à quelque chose ? Ainsi, je me répète, dans le temps (ma jeunesse et en France) on ne disait rien au patient par paternalisme (ne pas désespérer la vie) puis on a tout dit par libéralisme (au sens philosophique anglo-saxon) et maintenant on dit tout et on ment sur l'issue quand elle est désespérée (on voit que cette critique est contradictoire avec celle que je faisais à propos de ce professeur qui ne laissait aucun espoir) pour prescrire ! Non seulement pour prescrire mais pour expérimenter ! Pour prescrire des traitements de deuxième, troisième, voire quatrième ligne, qui vont permettre 1) de faire des essais cliniques, 2) d'obtenir des AMM au rabais et des prix insensés et justifiés par l'innovation, 3) de vendre des boîtes très chères, 4) de rapporter de l'argent aux services expérimentateurs, 5) d'arroser des oncologues avec de l'argent et des congrès au bout du monde (l'ASCO, voir LA), 6) d'écrire des articles de merdre en anglais mais répondant aux normes de la rédaction scientifique en les faisant relire (?) par leurs auteurs désignés et 7) de leur faire signer (les professeurs devenant des pontes  internationaux ou nationaux ou régionaux ou locorégionaux et, pour les premiers, KOL (Key Opinion Leaders) sans parler un mot d'anglais ou 8) par de jeunes internes et / ou chefs de clinique qui pourront étoffer leur dossier pour devenir PU-PH et, dans le même temps et par la suite, ambassadeurs de big pharma (voir LA pour l'expert mongering)... on est donc passé du paternalisme alapapa, si j'ose dire, au libéralisme anglo-saxon puis, maintenant, au business pur et dur (néolibéralisme ?).
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.

Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal,  un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.

Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.

J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.

Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.

PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA

lundi 24 juin 2013

Dire non à la chimiothérapie. Histoire (posthume) de consultation 147.


Un article tout frais de des Spence, médecin généraliste écossais, que j'aimerais connaître IRL (in Real Life), vient de paraître dans le BMJ : ICI. Cet article est remarquable et dit en peu de mots ce qu'il est possible de penser de mon propos.
Cet aspect de la médecine, les thérapeutiques compassionnelles, est un sujet grave qui secoue la relation malade médecin car elle met en jeu la vérité, la confiance, le respect, l'éthique, l'efficience, la morale commune et... l'économie.
Je voudrais raconter, à la mémoire de mon patient, Monsieur A, 68 ans, comment son histoire a contribué à ma réflexion. 
On m'a souvent posé ici ou ailleurs le problème du secret médical. Je n'ai pas demandé l'autorisation à la famille pour écrire ce billet, je lui en parlerai à l'occasion, mais je suis certain qu'elle n'y trouvera rien à redire, à ceci près qu'elle pourra s'interroger sur le fait que j'ai été aussi déroutant au risque même qu'elle n'y retrouve pas tout ce qu'elle a ressenti, mais la famille elle-même ne peut me délivrer de mon secret et, comme à l'habitude, j'écris en général sur un cas particulier de façon à ne blesser personne en veillant à ce que les transpositions, pas toujours homothétiques, soient cependant conformes à la réalité. Ou à "ma" réalité. En me référant à Louis Aragon : je tente à chaque fois le mentir vrai.

J'ai pourtant hésité à écrire ce billet car je connais trop les deux écueils majeurs de la graphomanie bloguesque : le sentimentalisme kitschéen et la victimisation du pauvre médecin qui risque sa santé physique et mentale à "bien" soigner ses patients.

Mon expérience des cancers à 95 % mortels est la même que celle de tous les professionnels de santé. Dramatique.
Vous remarquerez que je ne dis pas le nom du cancer car je me méfie : imaginons qu'une famille lise ce billet, qu'un patient lise ce billet et qu'un patient souffre de ce cancer et que la famille d'un patient lise aussi ce billet. Dramatique. On ne prend jamais assez de précautions.
Du coup la démonstration que je vais faire sera moins pertinente et plus générale. Prenons-en le risque.

Monsieur A est venu me voir en juin de l'année dernière et si je me suis égaré sur le diagnostic pendant une semaine ou deux, d'une part en raison de l'argument de fréquence, d'autre part en raison de ma tendance à ne pas vouloir dramatiser tout de suite (ma peur de la mort sans aucun doute ou ma peur d'annoncer en de bons termes un diagnostic fatal. Comme le dit Des Spence : " Perhaps doctors are too afraid to talk about death, which we see as professional failure.")
Quoi qu'il en soit, et après que le diagnostic eut été porté et qu'un geste radiochirurgical eut été fait à ma demande et sans passer par un spécialiste, j'ai eu la faiblesse de dire à mon patient que j'allais l'adresser à un spécialiste hospitalier afin qu'il termine le bilan et qu'il nous informe des possibilités thérapeutiques que je savais minces. Mon patient a accepté et bien qu'il ait déjà pris sa décision. Il savait déjà, il avait consulté internet, que le pronostic était catastrophique sans chirurgie (et la chirurgie avait été récusée) et, fidèle à mes habitudes, j'avais quand même entrouvert une porte, l'espoir, les 5 % de survie à 5 ans. (Je ne suis pas certain que mon attitude, laisser toujours un espoir, soit toujours appropriée mais c'est comme cela que je fonctionne, cela me rassure, je n'ai pas envie de ressembler aux techniciens froids appartenant à la culture libérale comme on les voit dans les séries américaines, et qui reflètent la "mentalité" américaine ou le medically correct, je ne sais, qui annoncent de façon sincère au patient qu'il n'y en a plus que pour trois mois, quoi que l'on fasse. Il y a aussi la technique Doctor House quittant la chambre du malade en lançant à ses collaborateurs et à la cantonnade, donc au patient, après que le traitement de la dernière chance et extrêmement dangereux, a été commencé : Prévenez-moi quand le malade sera guéri ou mort. J'avais écrit un billet très violent à propos de la mort de Patrick Roy, c'est en le relisant que je m'en suis rendu compte de sa violence, sur la "dramatique" transparence : ICI, je n'ai pas un mot à corriger).
Nous étions convenus, avant même que Monsieur A n'accepte d'aller voir le spécialiste hospitalier, un homme charmant et compétent au demeurant, que nous ne ferions rien. Monsieur A avait refusé tout traitement prétendument curatif, c'est à dire la chimiothérapie. Je reviendrai plus tard sur ce quoi nous étions convenus.
Le spécialiste hospitalier m'a adressé un courrier après la consultation de mon patient (il l'a revu deux fois en réalité à dix jours d'intervalle, la deuxième fois pour lui commenter les résultats des examens additionnels qu'il avait demandés). Ce courrier disait ceci : d'une part il confirmait le diagnostic et d'autre part il regrettait que le malade refuse le traitement. Mais il ajoutait de façon curieuse et erronée : "Il est dommage que le radiologue lui ait conseillé de ne pas se faire traiter et il serait important que tu puisses le convaincre de le faire"; alors que j'avais écrit de façon claire dans mon courrier d'adressage que le patient, en accord avec moi, refusait la chimiothérapie. Le radiologue avait dit, mais c'était déjà trop et beaucoup (et je ne commenterai pas ici les dégâts que les spécialistes peuvent commettre en croyant bien faire, tout en ne connaissant pas le patient à qui ils s'adressent, en prononçant des phrases définitives qui laissent souvent des traces indélébiles) que c'était inopérable. Le spécialiste hospitalier n'acceptait pas que le malade puisse prendre la décision à sa place. Il prônait la chimiothérapie contre toute logique et il refusait  de penser que j'étais d'accord avec "mon" malade comme si c'était lui, avec la chimiothérapie, qui apportait l'espoir. Mais il y a une autre hypothèse que j'aborderai tout à l'heure et qui, pour le coup, est tout à fait extraordinaire et impensable.
Le malade, et je tiens à préciser qu'il ne souffrait pas à ce moment, il était déjà fatigué, m'avait dit ceci : "Je en veux pas de chimio mais il faut que vous me promettiez deux choses : que je ne souffre pas et que je reste chez moi auprès de ma femme, je ne veux pas aller à l'hôpital."
Je lui avais répondu, gêné, que je ne pouvais rien lui promettre mais que je ferai tout pour que cela se passe comme cela.
Il n'était donc pas traité, il n'avait pas de douleurs et je lui dis qu'il me paraissait important, avant que les choses aillent plus mal, je ne me rappelle plus les termes exacts, que nous prévoyions le pire.
Je m'étais rendu chez lui pour mettre tout en route et, en présence de sa femme qui fut dévouée jusqu'à la fin et avec laquelle je n'eus jamais une "vraie" conversation, elle ne me sollicita pas, elle avait l'air d'accord, elle ne me prit jamais à l'écart pour obtenir des informations qu'elle pensait ne pas pouvoir obtenir en présence de son mari, comme si elle ne voulait pas s'en mêler ou comme si elle avait trop peur d'en savoir plus, nous avions mis au point les modalités de notre engagement réciproque. En sa présence je téléphonai, comme nous en étions convenus, à la responsable du réseau de soins palliatifs à domicile (une association) avec qui j'avais l'habitude de travailler, et je tins exactement ce discours qui me semblait être le reflet de la pensée de mon patient : "Monsieur A souffre d'un cancer de ****, ne souhaite de chimiothérapie, ne veut pas souffrir et, dans la mesure du possible, ne veut pas être hospitalisé." Le docteur B réagit au quart de tour et me fit cette réponse qui résonne encore dans mes oreilles : "Ce monsieur a tout compris." Le docteur B le rappela dans l'après-midi et ils prirent rendez-vous avec l'infirmière coordinatrice pour qu'on lui explique ce qui allait se passer quand tout irait moins bien.
Quand je sortis de chez Monsieur A, je respirai un grand coup et je me dis, de façon surprenante : "Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie, je veux dire, aussi en accord avec moi-même."Je n'avais pas eu à mentir, ou si peu...
Monsieur A a fini par mourir, en décembre. Il a très peu souffert mais il était pudique et parlait différemment à "son" médecin, au docteur B et aux infirmières / aides-soignantes du réseau de soins palliatifs. Il a eu droit, quand le moment fut venu, à de la morphine en patch qu'il a très bien supportée, à de la morphine à action immédiate qui le soulagea longtemps lors de ses crises aiguës, à de la corticothérapie à haute dose qui fut remarquablement antalgique, à de la gabapentine que je prescrivis  en préventif et à contre-coeur sur les conseils du docteur B.
Jamais on ne commanda de lit médicalisé et Monsieur A passa deux jours hospitalisé en USP (Unité de Soins Palliatifs), les deux jours précédant son décès.
Ne fut-ce pas un peu trop idyllique ?
Voici la conclusion de Des Spence : "We need to support dignity in death, and this often means saying no to chemotherapy. There is an art to medicine—that is, knowing when to intervene but more importantly knowing when not to too."
Juste un dernier mot sur l'hypothèse extraordinaire et impensable : l'hôpital dans lequel exerce le spécialiste hospitalier est un centre de cancérologie accrédité. Mais en dessous d'un certain nombre de malades traités il peut perdre son accréditation. Il est donc nécessaire de ne pas "perdre" de malades.




jeudi 20 septembre 2012

Je réagis à l'inverse de ce que j'écris le plus souvent (à propos d'une patiente âgée). Histoire de consultation 129


Pendant mes vacances Madame A, 86 ans, a été hospitalisée. Je ne l'ai appris qu'à mon retour en recevant une lettre du gastro-entérologue qu'elle avait consulté sur les conseils de sa fille. La lettre parlait de métastases hépatiques et d'un probable cancer colique primitif.
J'étais triste pour la patiente (plus de 30 ans de suivi et une ordonnance chronique comportant sectral et doliprane) et en colère contre moi car j'étais passé à côté du diagnostic alors qu'elle ne se sentait pas bien depuis quelques semaines. Un cancer du colon, j'aurais dû y penser.
Peu après mon retour son fils m'appelle au cabinet, très aimable, et il m'annonce qu'elle est partie en soins de suite et qu'elle n'a pas de cancer du colon. Le médecin ne sait pas ce qu'elle a. Il me demande d'appeler le docteur B qui s'occupe d'elle.
Le docteur B a une voix toute douce et me dit que le bilan hépatique n'est pas bon, que la malade est fragile mais qu'elle se porte bien, c'est à dire qu'elle est affaiblie mais qu'elle ne souffre pas. J'apprends que les métastases hépatiques ont été découvertes à l'échographie et qu'il n'y a pas eu de scanner (la fonction rénale étant précaire, tiens, c'est nouveau, ils n'ont pas jugé bon de faire un scanner avec injection). Et d'ailleurs, me dit le docteur B, la famille n'est pas très chaude.
Voici ce que je m'entends dire : "Je sais que c'est une personne âgée, je sais que le scanner est probablement inutile, je sais que la recherche du cancer primitif ne changera pas grand chose, mais, quand même, on aurait pu le faire ce scanner pour confirmer ou infirmer l'échographie. Est-ce parce que cette femme est vieille et que l'on veut faire des économies alors que l'on fait des dizaines de scanners de contrôle lorsque l'on donne des traitement anticancéreux de troisième ligne à des gens légèrement plus jeunes ?"
Vous ne me reconnaissez pas, vous vous dites quelle mouche l'a piqué pour qu'il se mette à vouloir faire des examens inutiles chez une femme qui va mourir ? Eh bien, je ne sais pas ce qui m'a pris. J'avais envie que le scanner dise autre chose. Contre tout principe de réalité.
Le docteur B m'a dit qu'elle était d'accord avec moi.
J'ai appelé la fille de Madame A et nous sommes convenus qu'on fera un scanner et c'est tout.
Je sais ceci : il est parfois difficile d'être en accord avec soi-même. Avec les autres, on s'en charge. Mais  c'est parfois difficile à admettre.

(Photographie Docteurdu16 : girafe de Rothschild à Nakuru (Kenya), espèce en voie d'extinction.) 

mercredi 15 août 2012

Comment meurent les médecins.


Récemment, je ne vous avais pas parlé de façon allusive ICI d'un de mes patients qui refusait tout traitement de son cancer incurable (et je confirme qu'il a persisté dans son refus malgré toutes les "incitations" qu'il a reçues et tous les efforts désespérés des médecins pour le convaincre du contraire). J'ajoute que la première lettre que j'avais écrite pour l'adresser indiquait clairement que le patient, informé par mes soins, ce qui ne signifie pas bien informé par mes soins, refuserait et la chirurgie et la chimiothérapie et souhaitait simplement finir sa vie aux côtés de sa femme à la maison et dans la moindre souffrance possible.
Il y a plus longtemps je vous avais raconté LA l'histoire d'une de mes patientes, Madame A, 67 ans, touchée par un cancer incurable, pour laquelle je n'avais pu être assez rapide pour la faire échapper aux traitements agressifs qui n'avaient pu empêcher l'issue fatale et qui l'avaient rendue, dès le premier jour, terriblement mal. Sa famille était convenue avec moi (ICI) que l'on aurait dû ne pas la traiter tant les effets indésirables des traitements successifs avaient été désastreux et combien sa qualité de vie avait été altérée dès le premier traitement.
Je vous avais raconté LA combien le fait d'être un spécialiste d'une question médicale (le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et la cascade décisionnelle qui s'en suivait avec des erreurs de jugement à chaque étape de l'algorithme implicite) rendait le spécialiste en son milieu spécialisé aveugle contre l'évidence de preuves contraires (le plus souvent apportées par des non spécialistes) et l'avait conduit à subir les effets indésirables du traitement qu'il estimait originellement rarissimes et qu'il regrettait maintenant.
Un article récent, qui m'a été transmis via twitter par Medicalskeptik à l'adresse @medskep, est particulièrement éclairant : ICI. Il a été écrit par Ken Murray, qui est Clinical Professor Assistant   of Family Medicine à l'USC (University of Southern California) dont le site, ICI, laisse rêveur.

C'est l'histoire d'un orthopédiste chez qui un chirurgien découvre un cancer du pancréas. Ce chirurgien n'est pas un chirurgien lambda, l'article nous dit (il faudrait vérifier mais le nom n'apparaît pas) qu'il a mis au point une technique chirurgicale qui permet de tripler le taux de survie à cinq ans, passant de 5 à 15 %, mais au prix d'une pauvre qualité de vie. L'orthopédiste n'est pas intéressé. Il est rentré chez lui le lendemain, il a fermé son cabinet et n'a plus jamais mis les pieds dans un hôpital. Il s'est concentré sur sa famille et sur le fait de se sentir le mieux possible. Il est mort quelques mois après sans chimiothérapie, sans radiothérapie, sans chirurgie. 

Cet article est très riche et il évoque nombre de problèmes qui se posent dans la gestion de la fin de vie en médecine et de la mort en général. Il aborde notamment le fait que les médecins auraient une attitude différente de celle de leurs patients (ou de la famille de leurs patients) pour gérer fin de vie et mort. Il indique qu'il est nécessaire de réfléchir sur les interactions entre ce que sait le médecin, ce que fait le médecin pour ses malades, comment il parle aux patients et aux familles de patients, comment il se parle à lui-même, comment il parle à sa famille avant sa propre maladie et comment il parle pendant, et aussi le rôle du système, c'est à dire celui des institutions.

Je vous résume : Les médecins connaissent la musique de la fin de vie ; ils connaissent les deux craintes de leurs patients à savoir mourir en souffrant et mourir seuls ; les médecins ont l'habitude, serait-ce en plaisantant, de parler à leur famille et à leurs collègues ; ils savent aussi l'inutilité des soins en services de soins intensifs où les corps sont des objets à qui l'on fait subir différentes tortures que l'on ne ferait pas subir à des terroristes ; administrer des soins douloureux est anxiogène, le ferait-on pour des personnes de sa famille ? ; les familles dont le parent vient d'être admis en réanimation disent souvent "Faites tout ce que vous pouvez" alors qu'ils veulent dire "Faites tout ce qui est raisonnablement possible" ; les médecins, en administrant des soins inutiles, peuvent en trouver la justification dans ce qu'ils pensent être les souhaits des proches ; comment établir une relation de confiance avec un médecin de réanimation que l'on n'a jamais vu auparavant et dont on ne connaît ni les valeurs ni les préférences ? ; un malade est admis en réanimation et le docteur Murray est appelé parce qu'il le connaît, ce malade a toujours demandé qu'on ne le réanime pas, Murray a des documents signés du patient pour le prouver, Murray débranche en accord avec le staff et la famille, le patient meurt deux heures après ;  il comprend   que c'est le système, celui du toujours plus, du toujours plus de médecine, qui l'a conduit là et qui a fait que l'on a agi contre la volonté du patient ; une des infirmières a même voulu porter plainte contre lui pour homicide mais ne l'a pas fait ; s'il n'était pas intervenu le malade serait resté de longues semaines contre sa volonté dans un lit de réanimation et au prix, dit Murray, de 500 000 dollars ; Murray raconte que les médecins demandent moins de traitements que les autres, qu'une étude a montré que les patients placés dans des établissements de soins vivaient plus longtemps que ceux soumis à des traitements actifs ; enfin, il raconte l'histoire de son vieux cousin, Torch, qui fait une crise d'épilepsie qui révèle des métastases cérébrales d'un cancer du poumon ; il consulte des spécialistes qui lui promettent, au prix de 3 à 5 séances de chimiothérapie par semaine, une survie de 4 mois ; il refuse et décide de revenir chez lui avec seulement des médicaments pour l'oedème cérébral ; Murray raconte qu'il s'est occupé de lui, lui a fait de bons petits plats et qu'un matin il ne s'est pas réveillé, est resté trois jours dans le coma et il est mort (huit mois après le diagnostic) ; Murray pense qu'il a coûté environ 20 dollars à la société. Il termine en disant que son cousin, qui n'était pas médecin, avait voulu vivre dans la dignité, avait voulu plus de qualité que de quantité de vie.

Rappelons qu'il faut toujours se méfier de ce que dit le bien portant à propos de ce qu'il convient de faire quand il sera malade. La maladie, et a fortiori la maladie mortelle, change le jugement et le rend parfois chancelant et, surtout, inapproprié à la personnalité de la personne bien portante. Quant au médecin malade ou au malade médecin, c'est encore une autre histoire, car se télescopent les jugements du médecin, du malade, du médecin malade et les valeurs et préférences sont parfois contradictoires et donc difficiles à gérer. Un autre aspect que l'auteur n'a pas traité est celui de l'image que la personne malade renvoie à la personne bien portante qui n'est pas identique à l'image que la personne malade a d'elle-même. C'est un des problèmes posé par la notion d'autonomie, un concept très à la mode dans les cercles politico-médicaux, et plus généralement chez les décisionnaires, l'Education Nationale n'a que ce mot à la bouche, un concept intéressant mais d'une grande complexité tant pour sa définition que pour son contexte et pour la façon de l'aborder. J'avais essayé d'en parler un peu ICI mais c'était trop court et trop léger.
Il faut parler à ses proches de ce que l'on souhaite pour soi-même.
C'est un bon conseil.

(Illustration : KEN MURRAY, clinical assistant professor of family medicine at the Keck School of Medicine at USC)
(Addendum : un article d'août 2012 de Ken Murray : ICI )