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jeudi 16 mars 2017

Trop de médecine. Histoire de consultation 196.

J'ai la rateQui s' dilateJ'ai le foie. Qu'est pas droit. J'ai le ventre. Qui se rentre

Monsieur A, 59 ans, est un homme charmant (ce dont tout le monde se moque a priori mais c'est une phrase obligée pour attirer l'attention sur le fait que je ne pratique pas le patient-bashing), cadre supérieur dans une banque, assez fier de lui et de son apparence, ses collègues de bureau l'appellent "coquet" (ne me demandez pas comment je sais cela et j'ajoute, pour être précis, que sa femme ne  sait pas qu'on l'appelle ainsi mais qu'elle y souscrirait volontiers).
"Bonjour.
- Bonjour.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive ?
- Oh, pas grand chose. Mais, dites-moi, docteurdu16, c'est de plus en plus difficile d'avoir des rendez-vous avec vous, cela fait quatre jours que j'appelle et c'est toujours complet.
- C'est vrai que c'est un peu chargé en ce moment, (phrase du médecin qui se la pète dans le style "qu'est-ce que je suis demandé..." ou "c'est la rançon du succès" alors que, pour moi, c'est tout simplement de la lassitude), et donc, qu'est-ce qui vous amène ?
- Oh, j'ai fait la grippe, mais c'est passé.
- La grippe ?
- Oui, j'avais le nez pris, je toussais, un peu de fièvre, j'ai empêché ma femme de dormir... mais ça va mieux, j'ai pris du doliprane.
(remarquons ici que je n'ai pas interrompu le patient, enfin, ce qu'il en restait puisqu'il était "guéri", qu'il s'est interrompu lui-même, attendant sans doute un commentaire de ma part, avant les 23 secondes fatidiques, le temps moyen que met une brute en blanc selon Martin Winckler/Marc Zaffran, citant là une étude ancienne étatsunienne de 1999 (voir LA), pour faire taire le patient - -j'écoutais l'autre soir sur France Culture, le feuilleton de France Culture, une adaptation radiophonique du fameux et fondateur roman "La maladie de Sachs" du célèbre sartho-montréalais paru en 1998 et ayant obtenu le prix du livre Inter la même année, qui me conforta dans l'idée, l'adaptation était d'un ridicule achevé, mais, justement, le ratage de cette adaptation, des années après la publication du roman -- que j'avais lu en diagonale et sur les conseils de ma maman qui trouvait le livre formidable sans l'avoir vraiment lu-- montre combien l'idée de la médecine générale n'a pas avancé d'un pouce dans l'esprit des citoyens qui ne retiennent que les côtés romantique et vocationnel comme le film encore plus ridicule "Médecin de campagne" de 2016 le prouve jusqu'à la nausée-- que je n'avais pas aimé le roman initial)
(remarquons aussi que le vocable grippe a un contenu très extensif qui ne cesse de me faire réfléchir)
- Ainsi venez-vous me voir quand vous n'avez plus rien.
- Cest cela.
- Vous auriez pu annuler le rendez-vous, cela aurait fait plaisir à d'autres patients.
- Oui, mais je voulais que vous me confirmiez que j'étais guéri.

Trop de médecine est un slogan mal compris. Les médecins y voient une critique de leur profession et les pharmaciens (voir LA) une atteinte à leur chiffre d'affaire.

Cette consultation montre les dérives de la santé à tout prix et de la médecine à tout faire (j'ai déjà développé cela 100 fois, je ne m'appesantis pas). Bénissons donc les délais pour obtenir une consultation : les patients guérissent avant.

Mais aussi ceci : le besoin d'être malade et d'en parler à son médecin. Ou, plus prosaïquement : le besoin que l'on s'intéresse à soi. Estime de soi et hypochondrie. 

(j'ajouterai ceci : Monsieur A m'a demandé pendant des années pourquoi je ne lui prescrivais pas de statines pour "son" cholestérol jusqu'au jour où il lut un article indiquant que les statines pouvaient entraîner des impuissances (sic) et qu'il comprit à tort pourquoi, lui qui ne présentait aucun facteur de risque cardio-vasculaire, je ne lui avais rien prescrit, alors même que les risques de troubles de l'érection sous statine... , ce dont il me remercia à l'égal de ma façon de ne pas avoir prescrit de mediator à sa femme... Et c'est ce même patient qui me tanne encore pour que je lui prescrive un dosage de PSA, je lui ai pourtant cent fois raconté l'affaire, ce qui montre que la peur du cancer chez CE patient est plus forte que la peur d'être impuissant, ce qui doit être modéré par le fait qu'il n'a toujours pas eu de dosage du PSA alors que je cède le plus souvent dans le cadre d'une décision partagée...  mais que la peur du mauvais cholestérol ne fait pas le poids avec le risque d'avoir des troubles de l'érection)

Bonne journée en bonne santé.

jeudi 20 octobre 2016

Relations soignant/soigné. Episode 1 : Diane 35


Tout le monde n'est pas d'accord avec mon point de vue radical : il aurait fallu interdire Diane 35 et ses génériques. Voir ICI.

Je reprends l'histoire de consultation 163 : LA.

Mademoiselle A, 18 ans, est venue avec sa copine qui est restée dans la salle d'attente.
Le dossier m'indique qu'elle n'a pas consulté au cabinet depuis environ trois ans.
Elle a une gastro, elle n'est pas allée en cours aujourd'hui, elle va mieux, c'est à dire qu'elle n'a pas besoin de médicaments, mais elle voudrait bien un certificat pour le lycée.
Je lui fais mon plus beau sourire.
"Ah, encore une chose, il faudrait que vous me prescriviez Diane 35..."
La jeune fille a trois boutons sur le visage cachés il est vrai par une épaisse couche de maquillage.
Nous commençons à parler du pays.
Je lui pose deux ou trois questions et je retiens ceci : elle a eu "tous" les traitements possibles pour l'acné (mais elle arrive à n'en citer aucun pas plus que ceux ou celles qui les ont prescrits), elle n'a jamais pris Diane 35, elle est complexée par ses boutons, elle n'arrive pas à survivre avec... 
Je lui dis : "Je ne vous prescrirai pas Diane 35"
Elle : Mais Pourquoi ? Maintenant vous avez de nouveau le droit.
Moi : Ce n'est pas une question de droit. Je n'en prescris pas comme ça, sans avoir examiné la situation, sans avoir fait d'examens complémentaires. Connaissez-vous bien les risques de ce médicament ?
Elle : Oui. J'ai regardé sur internet, j'ai vu tous les risques, je les assume. A vous de prescrire.
Moi : Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Je ne suis pas votre machine distributrice de Diane 35. 
Elle : Vous ne vous rendez pas compte de ma souffrance, je ne peux presque plus me montrer, j'en ai fait une phobie. Il faut m'aider. Vous ne pouvez pas comprendre...
(Je suis presque en train de pleurer et mon esprit fonctionne à cent à l'heure : l'empathie, l'empathie, l'empathie. Je sens que Dominique Dupagne me surveille (ICI) et qu'il me dit : Il est interdit d'interdire, il y a des patientes qui ont besoin de Diane 35, pourquoi s'en priver, du moment que les patientes sont informées, qu'elles sont au courant, la liberté individuelle, ne nie pas la capacité des patientes à prendre des décisions lucides concernant leur santé (sic)... Est-elle informée, d'ailleurs ?)


La polémique suscitée par la publication du livre de Martin Winckler et sa conviction que les médecins sont des brutes (définition : "personnage grossier et vulgaire". La lecture du dictionnaire historique de la langue française --Le Robert. Dirigé par Alain Rey-- est passionnante sur l'évolution du sens du substantif qui fut d'abord masculin, ah, le genre, mais c'est hors sujet) ou plutôt sa posture personnelle, tous les médecins sont des brutes, sauf moi, permet d'envisager cette consultation d'une façon différente. A ceci près sans doute que ma transcription et les commentaires de l'époque ne rendent sans doute pas compte de la véracité des faits. Le lecteur a intérêt à se méfier 1) que je n'embellis pas, 2) que je ne transforme pas afin d'anticiper les commentaires, 3) que je ne me mets pas dans la posture de celui qui s'autocritique pour mieux se valoriser (tout le monde peut se tromper mais c'est encore mieux de le reconnaître), 4) que je n'omets pas des faits qui pourraient ne pas aller dans le sens de ma "thèse", à condition qu'il y en ait une, 5) que je n'enlaisis rien...

Mademoiselle A, 18 ans, est venue avec sa copine qui est restée dans la salle d'attente.
Le dossier m'indique qu'elle n'a pas consulté au cabinet depuis environ trois ans.
Je signale donc en passant que cette jeune femme, dont je connais les parents qui m'ont désigné comme médecin traitant, soit n'est jamais malade, ce qui, à cet âge, devrait être la norme, soit va ailleurs entre deux, ce qui est son droit le plus strict, soit a désigné un autre médecin comme médecin traitant (ce qui est le cas en consultant le site Ameli).
Elle a une gastro, elle n'est pas allée en cours aujourd'hui, elle va mieux, c'est à dire qu'elle n'a pas besoin de médicaments, mais elle voudrait bien un certificat pour le lycée.
1) Est-ce que le fait d'avoir une gastro nécessite d'aller consulter un médecin ? Sans doute pas. Et d'ailleurs elle est "guérie", elle n'a pas besoin de médicaments selon moi mais elle en demande quand même, sans conviction, certes, mais elle insiste un peu. 2) Ma position de dire, "quand on a une gastro, on ne consulte pas", est-elle, à la lumière de ce qu'on lit ici ou là de la part des associations de patients, une position a) paternaliste, b) arrogante, c) méprisante, d) brutale, e) idéologique, f) sachante, g) inappropriée, h) aveugle (je ne cherche pas le motif caché qui serait par exemple "je veux prendre diane 35 pour mon acné mais c'est en fait pour ne pas dire à mes parents que je prends la pilule...parce que j'ai un copain - ou des copains")... ? 2) un certificat pour le lycée : pourquoi l'éducation nationale ne se cantonne-t-elle pas à observer les décrets qui stipulent (j'ai un courrier type au cabinet) que ce genre de certificat est inutile, gaspilleur de temps, et cetera mais, comme me l'a dit officiellement un CPE au téléphone, "l'éducation nationale a ses propres règles", ce qui m'a laissé sans voix et la lycéenne sans certificat.
Je lui fais mon plus beau sourire.
"Ah, encore une chose, il faudrait que vous me prescriviez Diane 35..."
La jeune fille a trois boutons sur le visage cachés il est vrai par une épaisse couche de maquillage.
Nous commençons à parler du pays.
Je lui pose deux ou trois questions et je retiens ceci : elle a eu "tous" les traitements possibles pour l'acné (mais elle arrive à n'en citer aucun pas plus que ceux ou celles qui les ont prescrits), elle n'a jamais pris Diane 35, elle est complexée par ses boutons, elle n'arrive pas à survivre avec... 
Je reprends ce que j'ai dit plus haut. Mon commentaire personnel '...trois boutons sur le visage...", n'est-elle pas une position : a) paternaliste, b) arrogante, c) méprisante, d) brutale, e) idéologique, f) sachante, g) inappropriée, h) aveugle (je ne cherche pas le motif caché qui serait par exemple "je veux prendre Diane 35 pour mon acné mais c'est en fait pour ne pas dire à mes parents que je prends la pilule...parce que j'ai un copain - ou des copains)... ?. Quand la jeune femme dit qu'elle est "complexée", qu'elle ne peut "survivre", est-ce vrai, simulé, exagéré, manipulateur ou ne va-t-elle pas se jeter sous un autobus en sortant d'ici parce que je ne lui aurais pas prescrit Diane ? Ai-je le temps durant ma consultation de médecin généraliste surchargé d'interroger une patiente vagabonde qui joue sur le versant sentimental pour me faire prescrire un médicament controversé alors que, certainement, son médecin traitant a refusé de lui prescrire la fameuse pilule ? Quant au dermatologue, comment s'est passée la consultation ? Si je n'ai pas suffisamment de temps (nous pourrions ouvrir ici un long débat sur le temps de consultation en médecine générlae libérale), j'ai sans doute le devoir de m'assurer, ce que je fais, que la jeune femme n'est pas en danger immédiat par ma non prescription (elle pourrait avoir besoin d'une contraception urgente, d'urgence, ou immédiate) comme je devais m'assurer qu'elle ne le serait pas en prenant cette pilule, mais j'ai jugé, et on se trompe tout le temps, que je ne prenais pas de risque (en écrivant ces lignes je me suis assuré que la jeune femme, qui n'est jamais revenue me voir, une brute, vous dis-je, est bien vivante) en ne la prescrivant pas. Par ailleurs on peut également considérer que "trois boutons sur la figure" n'est pas une urgence...
Je lui dis : "Je ne vous prescrirai pas Diane 35"
Voici la brutalité dans toute sa crudité. La brutalité de l'homme en blanc (je pourrais faire un commentaire sur l'expression "les brutes en blanc" utilisée par Winckler : datée, ancienne, soubiranesque, old school) dans toute sa splendeur. Déjà, en passant, je ne porte pas de blousz blanche pour travailler. N'oublions pas non plus dans ctte relation soignant/soigné une composante wincklerienne forte, celle de la mâle traitance. Tout membre (actif) d'une association de patients me dirait (violemment) : "IL N'EST PAS POSSIBLE DE PARLER COMME CELA A UNE PATIENTE." Enfin, c'est vrai, mais il ne faut pas sortir la phrase de son contexte. Ensuite, je prends un autre exemple qui va éclairer la suite, si un patient me demande un dosage de PSA dans le cadre d'un dépistage individuel, il m'arrive, après beaucoup de temps perdu, de céder. Je ne suis pas un obsessionnel du non, de mes convictions, de mes idées, de mes croyances, tout ce que vous voulez, et, après que j'ai expliqué au patient, après que j'ai informé le patient, hein, pas éduqué, c'est lui qui sera dans le pétrin de la gestion de son PSA qui sort des normes et qui n'est ni synonyme de cancer, ni synonyme de cancer mortel, je l'aurais prévenu, il aura compris ce qu'il voulait, il aura entendu ce qu'il voulait entendre, il aura dénié, il n'aura pas compris, et il finira sa vie aux mains des urologues. Et j'entends encore, il m'arrive d'avoir des voix en ces temps confus, les associations de patients ou, mieux, les représentants des associations de patients, hurler : "parce que vous n'avez pas bien expliqué !" Ouais, comme dirait Kundera... quand quelqu'un te dit que tu es un poisson, que faire d'autre que de lui dire "Oui je suis un poisson ?" 
Elle : Mais Pourquoi ? Maintenant vous avez de nouveau le droit.
Cette phrase est magique. Si je n'en prescrivais plus c'était parce que je n'avais pas le droit d'en prescrire, et puisque le droit est revenu je dois lui en prescrire ; et le motif caché est tellement évident : si un médicament est commercialisé le patient a le droit de demander à son médecin de le prescrire. Cette notion de droit est sans doute lié à la notion plus générale du droit à la santé, maxime que l'on peut lire au fronton de tous les temples de la bonne conscience moderne ou plutôt de la bonne conscience de la modernité. Le problème est : qu'est-ce que la santé ? Si nous nous référons à la définition de l'OMS, il est évident que tout est possible :
La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.(ICI). Tout est possible, au sens, il faut tout faire pour y arriver.
Moi : Ce n'est pas une question de droit. Je n'en prescris pas comme ça, sans avoir examiné la situation, sans avoir fait d'examens complémentaires. Connaissez-vous bien les risques de ce médicament ?
Elle : Oui. J'ai regardé sur internet, j'ai vu tous les risques, je les assume. A vous de prescrire.
Cette jeune fille de dix-huit ans a tout compris, elle n'a pas eu besoin de lire McKeown, Illich ou Rawls, elle sait tout naturellement, elle pourrait faire des cours en faculté de médecine, elle s'est informée, elle a lu wiki ou elle a regardé Le journal de la santé ou Allo Docteur, et elle assume. 
Moi : Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Je ne suis pas votre machine distributrice de Diane 35.
C'est mal de parler comme cela à cette jeune femme me soufflent les défenseurs des patients. C'est à moi d'assumer. Il y a un moment où il faut dire les choses.
Elle : Vous ne vous rendez pas compte de ma souffrance, je ne peux presque plus me montrer, j'en ai fait une phobie. Il faut m'aider. Vous ne pouvez pas comprendre...
Eh oui, elle a encore mille fois raison, il faut avoir été malade de la maladie dont souffre le patient assis en face de soi pour pouvoir en parler, pour pouvoir le traiter. C'est le bon sens. Les amputés parlent aux amputés. Les SEP parlent aux SEP. Les cardiaques parlent aux cardiaques. Un utilisateur du carburateur *** parle aux futurs utilisateurs du carburateur ***. Les anciens fumeurs parlent aux fumeurs. Ainsi, et je pèse mes mots, retenez bien, grâce à la modernité du discours des associations de patients et des Winckler addicts, on est passés par un tour de passe passe lumineux, de la période paternaliste du médecin qui parle à la maladie d'un patient qui n'existe pas à celle du patient malade qui ne parle qu'au médecin qui souffre ou qui a souffert de la même maladie que lui ! Je plaisante...

(Je suis presque en train de pleurer et mon esprit fonctionne à cent à l'heure : l'empathie, l'empathie, l'empathie. Je sens que Dominique Dupagne me surveille (ICI) et qu'il me dit : Il est interdit d'interdire, il y a des patientes qui ont besoin de Diane 35, pourquoi s'en priver, du moment que les patientes sont informées, qu'elles sont au courant, la liberté individuelle, ne nie pas la capacité des patientes à prendre des décisions lucides concernant leur santé (sic)... Est-elle informée, d'ailleurs ?)

Voilà, c'était le premier épisode de notre nouveau feuilleton. J'attends vos commentaires avec impatience.

Je voulais dire en passant que j'ai lu de nombreux billets et articles sur le livre de Marc Zaffran et qu'il y en a un qui m'a beaucoup touché, celui de Dix Lunes car elle a démonté l'ami Martin Winckler avec une seule remarque quand elle l'a cité parlant sur France 2 "Il y a énormément de très bons médecins en France, il y a énormément de gens qui sont tout à fait charmants mais ce qui n’est pas normal, c’est que ce ne soit pas la norme." en s'étonnant que l'on puisse utiliser l'adjectif charmant... ICI qui n'est manifestement pas utilisé dans la nouvelle vulgate marxiste wincklerienne.

dimanche 20 janvier 2013

Martin Winckler : quelques conseils et quelques erreurs.


Martin Winckler...

Il faudra un jour que l'on m'explique qui est qui. Si j'ai bien compris Martin Winckler est le nom littéraire de Marc Zaffran, médecin généraliste. Quand Marc Zaffran signe un roman il utilise son nom de plume qui est donc un pseudo. Mais quand il écrit un article médical il signe aussi Martin Winckler qui n'est pas son nom de médecin tout en signalant qu'il s'appelle vraiment Marc Zaffran. Je ne comprends pas bien quelle est sa stratégie. Quand on choisit un pseudo, c'est par hypothèse, pour ne pas être reconnu ; dans le cas de notre néo Canadien l'intention est inverse : le pseudo renforce le nom réel et vice versa, ce qui rend l'anonymat éclatant.

...que vous connaissez tous, le pape incontesté de la contraception, celui dont il faut approuver tous les propos sous peine de passer pour un affreux défenseur de la non contraception hormonale, un affreux catho facho ou plus simplement nataliste, voire un opposant agressif à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), voire un Jérôme Lejeune au petit pied, sans compter un misogyne ne comprenant rien à la cause des femmes,

celui que tout le monde médical bien pensant et anti autoritaire encense sans recul à la manière de ces adolescents qui appartiennent à un groupe de fans et qui écoutent en boucle les morceaux de l'artiste idéalisé, a écrit, à la suite des articles parus dans la presse sur les dangers des pilules de troisième et de quatrième génération (dont le lecteur de ce blog a été entretenu abondamment bien que de façon non exhaustive et partiale ICI et LA) et concomitamment aux prises de position des "grands" experts de la question dont le trop fameux professeur Israël Nisand,  

Un texte récent de ce professeur strasbourgeois (et cosigné par le docteur Brigitte Letombe) publié ICI par le JIM ne manque pas de laisser rêveur sur le ressentiment de ce grand patron français à l'égard des chercheurs danois (il faudra un jour que l'on analyse pourquoi la Santé Publique française --sic-- a des problèmes avec le Danemark qui, petit pays de 5,5 millions d'habitants, réalise non seulement des essais de qualité mais exporte des chercheurs terroristes en Angleterre -- i.e. Peter Götzche LA-- qui professent des idées contraires à ceux des Agences gouvernementales françaises sur le dépistage du cancer du sein), de sa frustration de n'être qu'un médecin médiatique et non un scientifique de renom, un théoricien des conflits d'intérêts qui, tels Bruno Lina prétend que l'excès de ces conflits les annule, ressentiment également à l'égard des instances réglementaires --ANSM-- qu'il critique et des entourages ministériels qu'il accuse d'incompétence... certainement parce qu'il n'en fait pas partie... 

... Israël Nisand mériterait que l'on s'occupât plus précisément de lui, notamment lorsqu'il propose de façon innocente la contraception involontaire pour toutes les femmes, femmes considérées probablement comme des écervelées ne pensant à rien et encore moins à leur non désir d'enfants, en citant l'indice de Pearl excellent des pilules (mises au point par l'excellentissime Big Pharma) mais déplorable en utilisation réelle (la déplorable jeune femme incapable de gérer)... Israël Nizand, si prompt à dénoncer l'incompétence de ses collègues appartenant aux instances, oublie de dire que la France, le pays des Droits de l'Homme, est très mal placée en termes de mortalité maternelle malgré la débauche d'examens prescrits durant les grossesses...

Martin Winckler publie donc deux posts censés donner l'avis contre officiel officiel sur le sujet. Cette formulation alambiquée traduit ma gêne à l'égard de qui, ancien de La Revue Prescrire (cela ne vous rappelle pas quelque chose ?, voir LA), est à la fois un médecin généraliste à la retraite et un expert de la féminitude (la philogynie étant une forme particulière de la misogynie) qui s'oppose aux spécialistes (voir ICI) avec des arguments scientifiques et moraux... peu opérationnels. Il est à noter que cet article est d'une meilleure tenue que celui que nous allons analyser. Pourquoi est-il revenu en arrière ? Je ne sais pas. Parce qu'il s'adresse directement à des patientes ?
Dans des conversations privées que j'avais entretenues récemment avec lui (et que je garderai secrètes par confidentialité évidente), nous avions abordé un certain nombre des thèmes qu'il développe aujourd'hui et, manifestement, mes arguments n'ont pas porté sauf sur un ou deux points de détail.
Je vous propose un tableau des pilules qui est clair sur les différents dosages : LA.

Examinons le dernier post "Je prends une pilule de 3e ou 4e génération. Dois-je l'arrêter ? Puis-je la poursuivre ?ICI, que je vous engage à lire avant de me lire.

Il s'agit finalement d'une Recommandation wincklerozaffranienne sous forme de dialogue supposé avec une patiente putative. 

Je ne vais pas m'arrêter sur tous les paragraphes, ce serait fastidieux et l'on pourrait m'accuser de criticisme systématique, mais tenter de revenir sur des points qui me paraissent faux de façon intrinsèque. Les phrases grasseyées, rougies et soulignées sont de MW / MZ.

... la pratique plus que désinvolte d’un trop grand nombre de médecins leur a fait oublier que certaines pilules ne devraient pas être prescrites comme première contraception.

Cette phrase est un jugement moral alors qu'elle devrait se référer à des recommandations officielles datant de 2007 (HAS) indiquant tout simplement que les P3G et P4G doivent être prescrites en deuxième intention.

Car le risque est alors élevé de voir survenir un accident thrombo-embolique (caillot dans une veine, ou une artère ; phlébite ou accident vasculaire cérébral). 

En effet, l'utilisation des P3G et des P4G n'entraîne pas plus de phénomènes thrombo-emboliques (T / E) artériels que les P2G à dosage d'éthynil estradiol égal mais plus de phénomènes T / E veineux en raison de la nature du progestatif (qui n'est pas du lévonorgestrel le plus sûr des progestatifs) (cf. infra le graphique montrant les risques T / E veineux avant 1 an).

Mais rien n'est simple : les dosages d'éthynil estradiol diffèrent dans le groupe des P2G (seules les pilules Leeloo G, Lovalulo et Optilova ne contiennent que 20 microgrammes d'éthynil estradiol,  dosage considéré comme le moins dangereux pour la survenue de phénomènes T / E artériels)  ; dans le groupe des P3G  seules Melodia / Minesse / Edenesse / Optinel Gé, d'une part, Meliane / Harmonet / Carlin 20 / Efezial 20 / Felixita 20, d'autre part et Mercilon / Cycléane 20 / Désobel Gé 20 contiennent 20 microgrammes ou moins d'éthynil estradiol ; dans le groupe des P4G où le progestatif présente un risque important certaines pilules contiennent 20 microgrammes et d'autres 30 microgrammes d'éthynil estradiol.

le risque d’accident vasculaire avec TOUTES les pilules est inférieur au risque vasculaire pendant une grossesse. 

En réalité, le risque T / E veineux des pilules combinées dépend du progestatif et certains progestatifs, pendant un an d'utilisation (on rappelle à qui l'aurait oublié que la grossesse chez la femme dure environ 9 mois), entraînent plus de risques T / E que la grossesse (mais il faut également tenir compte, sur le plan artériel, du dosage d'ethynil estradiol).


(Il est possible de cliquer sur le graphique pour mieux le lire)

La phrase suivante est à inscrire dans les Annales :"
Bien sûr ce n’est pas comparable (une grossesse est un risque assumé) mais rappelez-vous que le risque est faible...
"
Nous apprenons ici que la grossesse n'est pas un désir d'enfant mais un risque assumé de présenter des phénomènes T / E veineux...

 les femmes les plus exposées sont celles :


- dont c’est la première pilule contenant des estrogènes ET qui la prennent depuis moins de 2 ans

OU

- qui ont plus de 35 ans et/ou fument



Les femmes qui prennent des pilules P3G et P4G les plus exposées sont donc celles :
  1. Qui présentent une thrombophilie (2 à 5 % de la population) et dont l'interrogatoire n'a pas retrouvé d'antécédents T / E personnels ou familiaux (car en ce cas cela contre-indiquerait définitivement l'utilisation des pilules combinées) car le risque T / E artériel ou veineux est possible et grave, thrombophilie que l'on ne recherche pas systématiquement pour des raisons de coût quel que soit leur âge  OU
  2. Qui fument, quel que soit leur âge, mais a fortiori si elles ont plus de 35 ans : le tabac, chez une femme prenant la pilule et fumant, multiplie par 9 le risque T / E veineux et artériel, cet effet est cumulatif (nombre de paquets / années) et augmente avec l'âge. OU
  3. Qui prennent la pilule depuis moins d'1an : les données sources de l'étude danoise (ICI) indiquent que le risque est maximum avant un an et non avant deux ans. OU
  4. Qui prennent une pilule contenant un dosage d'éthynil estradiol supérieur à 20 microgrammes.

Je m'arrête là.
Pour le reste il est assez difficile de suivre les conseils de MW / MZ quand on se rend compte que l'expert non académique (encore qu'au Canada il exerce des activités académiques) ne connaît pas tout son sujet ou, pire, le connaît et cache des choses pour ne pas effrayer les femmes. Ce que nous retiendrons essentiellement : les méthodes de contraception moderne non hormonales combinées ne sont pas assez utilisées dans le monde développé.
Mais j'ai lu ses conseils et mon courage de non expert s'arrête au seuil de mes propres recommandations dont seule ma patientèle aura le privilège.
Je retiendrai pourtant que dans un post précédent il disait que les pilules de P3G et P4G devraient n'être prescrites en France qu'à quelques centaines de femmes... ICI
J'ai bien aimé l'autre jour sur Europe 1, le 15 janvier 2013, Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de Prescrire dire tout simplement qu'il fallait se préparer au retrait progressif des P3G et des P4G. N'est-ce pas la voie de la sagesse ? 
Il faudra aussi que nous ayons le courage de remettre à plat le problème de la contraception en général dans une ambiance scientifique et sociétale mais qui le fera ?
Pas moi en tous les cas (j'ai déjà assez écrit sur le sujet sur ce blog et s'il reste pourtant de nombreux sujets non abordés comme l'aspect sociétal de la contraception moderne, sur les liens des experts avec Big Pharma, sur l'arrogance de ces experts, sur leurs mensonges au nom de l'intérêt supérieur des femmes). 

(Je l'ai déjà dit mais je le répète : le nombre de pilules commercialisées est une insulte au bon sens. Les spécialistes ad hoc nous disent que l'offre de choix garantit un traitement adapté à chaque femme. Je dirais volontiers que l'offre de choix de Big Pharma garantit de bons revenus à Big Pharma avec un savant enfumage des risques et des bénéfices que même un grand expert ignore ou feint d'ignorer). 

(Illustration : Google Images ICI)

PS du 7 février 2013 : une mise au point intéressante sur les effets T / E des pilules par Jacqueline Conard qui me paraît un peu trop optimiste sur le rôle du tabac : ICI