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jeudi 12 novembre 2015

Je consulte le vendredi 13 novembre 2015 et je suis contre la Loi santé.

Voici ce que pourront lire demain les patients dans la salle d'attente, dans mon cabinet de consultation (derrière mon bureau).

NON A LA LOI SANTE

Je suis en grève ce vendredi 13 novembre 2015
Mais je vous reçois en consultation.


La Loi santé est une menace pour vous.



Elle ne met pas fin aux franchises médicales qui pénalisent les plus pauvres et les plus malades.


Elle ouvre des espaces aux mutuelles complémentaires (dont les tarifs ne sont pas proportionnels aux revenus).


Elle autorise désormais des contrats mutualistes fondés sur votre état de santé (les plus malades ou les plus à risque payant plus).


Elle encourage la création de réseaux de soins mutualisés (menace sur la liberté du choix des praticiens et des hôpitaux/cliniques).


Elle autorise le partage de vos données personnelles de santé (risque de rupture du secret médical).


Elle ne donne pas les moyens aux médecins généralistes de s’installer et de mieux vous accueillir.

Ce sont les médecins généralistes, les médecins de famille, qui sont votre meilleure défense contre les menaces de cette Loi.



Parlons-en.

jeudi 24 septembre 2015

La médecine praticienne : un métier de chien.


La médecine praticienne est la médecine où l'on reçoit des malades, où l'on parle avec eux et où l'on prescrit éventuellement des examens complémentaires ou des médicaments ou des gestes paramédicaux (que l'on fait aussi) mais on prescrit toujours à son corps défendant (paroles, mots, expressions, conseils, attitudes), la médecine praticienne permet de fournir du soin.

C'est un métier de chien.

Je parlerai surtout de la médecine générale praticienne que je connais le mieux. Mais la médecine générale commence chaque fois qu'un spécialiste d'organe (et ne croyez pas que j'écrive cela par mépris) s'intéresse à autre chose qu'à l'organe et prend le malade en compte comme un citoyen, je dis bien citoyen, pas seulement un patient ou un malade... 

Que l'on soit salarié, libéral, semi salarié, semi libéral, presque fonctionnaire, presque je ne sais quoi....

A partir du moment où quelqu'un s'installe en face de vous ou que vous vous installez en face de lui ou à côté de lui ou derrière lui, quelqu'un qui se sent malade, qui est malade ou bien plus, les emmerdements commencent.

Savoir accepter l'incertitude est la première difficulté. Jusqu'où aller. Jusqu'où ne pas aller. On ne vous reprochera jamais d'avoir demandé trop d'examens complémentaires alors que dans le cas inverse il y aura toujours quelqu'un pour vous ennuyer.

Savoir hiérarchiser le risque.

Se dire qu'un couac est toujours possible et surtout dans les situations "faciles". Surtout quand tout va bien.

Etre persuadé que l'enseignement reçu à la Faculté est une base et surtout un poids difficile à supporter ainsi qu'une source d'erreurs possibles.

Se rappeler que les symptômes correspondent rarement à une maladie, que les examens complémentaires créent des faits incidents et erronés, et donc que la médecine générale, selon le généraliste écossais Des Spence à qui j'emprunte les écrits (LA), n'est pas faite pour les obsessionnels, les craintifs, les introspectifs et encore que, je le cite, confiance, réassurance, erreurs, sont nos meilleures interventions thérapeutiques.

Savoir en recevant un patient dans son cabinet de consultation de médecine générale qu'il s'agit souvent du premier contact entre une personne qui se sent mal, qui a besoin d'aide, qui est programmée pour aller chercher des soins médicaux ou ce qu'elle pense être des soins médicaux et que le médecin généraliste est d'abord là pour écouter, écouter des personnes qui sont le témoin de l'érosion du bien-être, témoins de l'atomisation de la société, témoins de la dépersonnalisation, du déracinement social et géographique, de la destruction des solidarité familiales, et aussi des victimes de la médicalisation de la vie quotidienne qui conduit à l'hétéronomie des comportements, à la consultation excessive et inappropriée des médecins et à la sur médicalsation et au sur traitement.

Etre persuadé que ne rien faire, ne rien prescrire, simplement écouter et tenter de comprendre, et revoir les patients, et les réentendre, est une démarche qui devrait être fréquente et, comme le dit encore Des Spence, savoir résister aux sirènes des stupides recommandations expertales pour ne pas adresser inutilement est une des tâches fondamentales de notre métier.

Comment voulez-vous donc que le médecin généraliste, à contre-courant du flux moderne de la pseudo-science, à contre-courant des recommandations, à contre-courant des algorithmes, à contre-courant de la médicalisation de la société, au milieu de la schizophrénie moderne (et commerciale) qui favorise la junk food à coup de publicités envahissantes et vulgaires que la société ne saurait interdire pour respecter responsabilité individuelle et qui somme les médecins généralistes à dépister les maladies induites par cette même junk food, comment voulez-vous donc que le médecin généraliste n'ait pas du mal à résister et n'ait pas du mal à désespérer et à déprimer et à être anxieux, irritable ou auto destructeur ?

Nous avons un métier de chien car ce que nous entendons dans notre cabinet nous poursuit jusque dans nos vies personnelles, pendant les repas, pendant les réunions de famille, pendant que nous dormons.

Ne l'oublions pas, et malgré toutes les barrières que l'on ne nous a pas appris à dresser, nous ne connaissons spontanément et au gré de nos études que l'arrogance médicale, le paternalisme, et la science infuse, et le mépris pour ce qui n'entre pas dans les cases de la théorie, nous sommes confrontés à la maladie, à la souffrance, aux âmes torturées, aux corps sales, au sang, aux larmes et à la mort, dont la notre qui approche.

Spence Des (GP)



vendredi 4 septembre 2015

Fluorette, on aime ta médecine générale.


Fluorette, je l'ai vue en vrai (c'est mon lien d'intérêt déclaré), eh bien, elle m'a fendu le coeur quand j'ai lu son billet annonçant son départ (lire ICI avant de continuer) parce qu'elle a raconté notre exercice quotidien à tous (sauf qu'elle a oublié plein de trucs qui m'énervent encore plus que les trucs qu'elle a cités) et que je l'ai plainte qu'elle en souffre de cette façon. 

Parce qu'au delà de ses emmerdes, en dépit des raisons pour lesquelles elle ne peut plus continuer, et, sans trahir de secret, mais le secret est public, elle accumule pas mal de choses et que, vu de l'extérieur, ça commence à bien faire, et, je crois, mais je dis cela comme cela, les conseilleurs ne sont pas les payeurs, elle a bien raison d'ouvrir la porte pour la fermer...

Et au delà de tout ce qu'elle raconte et chacun d'entre nous, je veux dire les médecins généralistes qui sont en train de passer un sale quart d'heure avant de disparaître, peut témoigner du fait que c'est du vécu vrai, donc, la Fluorette, en sa tristesse et son malheur, elle a quand même l'air d'être une drôle de bonne médecin généraliste. Elle a l'air d'avoir vachement compris ce qu'est notre métier, bien qu'elle soit jeune, bien qu'elle n'ait pas encore de "bouteille", bien qu'elle sorte de la fac il n'y a pas si longtemps que cela, et les gens de mon âge peuvent témoigner qu'à son âge on n'avait non seulement pas compris le quart de la moitié de ce qu'elle comprend mais, bien pire encore, on ne se posait même pas de questions, on (je parle de moi) se laissait porter par la griserie de l'indépendance, l'enthousiasme d'être un docteur et de voir des gens attendre dans la salle d'attente pour venir nous voir...

Tout ce qu'elle dit, énumère, rapporte, fait partie du quotidien des médecins généralistes installés, mais c'est peu enseigné, peu décrit et les jeunes médecins, les pas encore installés comme les futurs thésards, ont spontanément peur de tout ce qui peut tomber sur les épaules d'un médecin frais émoulu de la Faculté de Médecine qui prend tellement les futurs médecins généralistes pour des demeurés que plus personne ne veut exercer cette merveilleuse profession de merdre. parce que, la médecine, quoi qu'on en dise, c'est une profession de merdre : c'est un gouffre insondable tant sur le plan de la science que sur celui des sentiments. Il faut être solide.

Les malades nous disent souvent "Mais comment faites-vous pour vous rappeler les noms et les posologies de tous les médicaments ?..." mais s'ils savaient que cette "performance" est sans commune mesure avec le reste, c'est à dire écouter, construire, analyser, synthétiser, prendre en compte, non seulement les symptômes et éventuellement les maladies mais surtout ces bon dieux de citoyens immergés dans une société où tout est fait, toutes choses égales par ailleurs quand on examine l'augmentation continuelle de l'espérance de vie, pour que l'hygiène de vie soit mauvaise.

Fluorette fend le coeur parce que son constat n'est pas seulement celui de quelqu'une qui regrette qu'on lui mette des bâtons dans les roues mais surtout celui d'une jeune femme qui sait quel type de mèdecine elle veut exercer, dans quelles conditions, dans quel environnement et avec quels collègues qui seraient non seulement gentils mais gentils. Fluorette a lu, entendu, pratiqué, discuté, remis en questions, douté, et pourtant elle sait ce qu'elle veut. Pas d'un machin hyperbolique ou rêvé mais d'un endroit proche où elle serait en mesure de faire de la médecine générale, de la simple médecine générale.

Parce que mon boulot c’est la médecine générale, c’est m’occuper de gens entiers, pas juste des bouts de gens et la fois d’après l’autre bout..

Et en lisant ce qu'elle a écrit ce premier septembre 2015, on a beau écarquiller les yeux, relire, chercher, on ne trouve ni le prix de la consultation, ni la lourdeur des charges et des impôts, ni, ni, on ne trouve que le terrible désespoir de ne pas pouvoir exercer un métier qui permet d'écouter les gens, de les conseiller et, éventuellement, en les soignant, de les guérir.

En fait, Fluorette, je l'ai vue IRL quelques instants dans une manifestation contre la Loi Santé, mais je la connais surtout par son blog, ses activités twiteriales, et cetera, je crois donc qu'elle ne peut pas ne pas rebondir pour faire ce qu'elle a envie de faire.

Mais il est vrai, comme elle le dit, qu'elle n'est pas aidée.

J’ai envie que le rêve devienne réalité. Oh je me rends bien compte que tout ne sera pas parfait. Mais je suis prête. Ça y est. Je commence à en parler. Je confirme la rumeur, j’essuie leurs pleurs, je dis au revoir, mon bide se serre.

Illustration : de Paul Signac (1863-1935) : Au temps d'harmonie (1893-1895)

mercredi 22 juillet 2015

Bon anniversaire au docteur C. Bonne retraite au docteur C.


Le samedi 27 juin 2015 le docteur C a fait sa dernière demi-journée de consultation en tant que remplaçant dans le cabinet de médecine générale qu'il a créé en 1965.
Et même ses dernières consultations en tant que médecin généraliste.
J'étais l'associé du docteur C depuis le 5 septembre 1979 et il était devenu mon ex associé fin décembre 2001 (à l'époque on ne pouvait prendre sa retraite et continuer de travailler). Il ne sera plus mon remplaçant pas plus que celui de ma nouvelle associée.
On pourrait dire en riant que la CARMF et l'URSSAF l'ont tuer.


Je l'ai connu en juillet 1979. Son associé d'alors partait sous d'autres cieux.
"C'est toi qui vas remplacer B ?
- Oui.
- T'as l'air sympa. Tu commences quand ?
- Ben...
- Début septembre."
On s'est vus cinq minutes. Pas d'interrogatoire sur mes antécédents, pas de repas au restaurant, pas de bla bla sur la conception de la médecine. Rien. Pas plus que mes idées politiques, ma religion ou mes idées sur la sexualité des coléoptères en Basse-Provence. Il avait pourtant eu des expériences difficiles avec des associés. Confiance. J'ai donc commencé le 5 septembre 1979. (Nous avons travaillé en association simple, avec partage des frais, nous avions une secrétaire -- nous en avons eu trois en 36 ans --, nous n'avons jamais eu une discussion sur les augmentations, les départs en vacances, nous étions toujours d'accord)

Le docteur C était tout ce que les jeunes générations de médecin devraient détester, la pratique à l'ancienne, beaucoup d'heures, pas d'EBM, pas d'Education Thérapeutique, pas de... Mais attendez la suite.
Il travaillait beaucoup, il faisait beaucoup de visites à domicile, il prescrivait beaucoup d'antibiotiques, il recevait la visite médicale, il aimait les stylos, les blocs, les post-it, les règles, les gommes, les buvards, les gadgets en tout genre, les speculums d'oreille de toutes les couleurs, les bonbons Haribo/labos, il mangeait parfois au restaurant avec les labos, il fréquentait des FMC sponsorisées, il travaillait énormément mais sans être investi d'une mission spéciale, il n'avait ni la vocation, ni le feu sacré, il aimait son métier, il aimait parler avec les patients, les patientes, les adolescents, les enfants, les nourrissons, on lui reprochait de passer trop de temps en consultation, il recevait donc visiteurs et visiteuses qui attendaient dans le couloir, la salle d'attente s'impatientait, mais c'était le docteur C, celui qui pouvait passer trois quart d'heure avec un patient quand la salle d'attente était bondée, lui qui avait un contact charnel avec les enfants qui l'aimaient spontanément, qui ne se posait pas de questions existentielles sur le rôle de la médecine, des médecins et du système de santé, qui avait une clientèle ouvrière et immigrée (au début c'était un peu différent mais ce n'est pas le lieu d'écrire l'histoire du Val Fourré), qui faisait du social sans en avoir l'air, du social en en ayant l'air, et cetera. Il était aussi abonné au Quotidien du Médecin, et cetera.
C'était le médecin alapapa qui exerçait une médecine alapapa selon les données de la science de l'époque. Ou presque (1).

Mais il m'a appris tellement de choses...

Il disait aussi ce qu'il avait envie de dire.

Il ne faisait confiance à personne. Il disait le chirurgien spécialiste des abcès de paroi post opératoires, l'ORL opérant toutes les cloisons nasales, le cardiologue qui passait à côté des diagnostics d'infarctus, le généraliste qui prescrivait de la merdre, le pneumologue qui aimait trop le kenacort retard, l'urologue qui opérait les mouches de leur prostate, le dermatologue qui ne savait pas écrire shampooing, le pédiatre qui passait à côté des retards psychomoteurs, la gynécologue médicale qui n'y connaissait rien en médecine générale, le chirurgien qui ne supportait pas les appendices saines en fosse iliaque droite, le spécialiste qui exerçait en réseau de soins informel fondé sur l'appartenance au Rotary et au fric, le généraliste qui acceptait les caisses de champagne du chirurgien parisien, le radiologue nul, et cetera.

Il ne respectait pas les médecins (et les spécialistes en tant que tels), il ne les respectait que lorsqu'ils faisaient le boulot.

Quand je suis arrivé en 1979, j'avais autant d'expérience en médecine générale qu'un bébé de trois mois.
A Cochin où j'ai fait mes études on ne m'avait jamais parlé de médecine générale sinon pour s'en moquer.

Il m'a appris le contact, les sourires, l'empathie, la sympathie, la détestation aussi, dire la vérité aux malades, ne pas la dire, dire la vérité aux non malades, ne pas la dire également, ne pas en faire une maladie si le malade ne payait pas, ne pas faire payer trois consultations (le tiers payant n'existait pas) pour la mère de famille isolée dont les trois enfants étaient malades, il m'a appris la clinique douce, le fait de ne pas déshabiller un enfant quand c'était nécessaire de ne pas le faire, il m'a appris à écouter des gens qui n'avaient rien à dire, des gens qui, au contraire, avaient trop à dire, il m'a donné envie de comprendre, il m'a aussi donné envie de ne pas me contenter du quotidien et de l'expertise, de garder son libre arbitre, de ne pas croire les spécialistes et les experts, et de ne pas croire automatiquement ceux qui les contestaient.

C'est cela : il détestait qu'on lui raconte des histoires.

J'ai rapidement compris, à partir de 1979, il ne faisait pas de déclarations péremptoires mais il distillait que la majorité des appendicectomies était inutile (2), que les paracentèses étaient un geste barbare dont le seul intérêt était de remplir les poches des ORL (sans compter les fameux yoyos), que la résection de prostate était une entreprise commerciale, que la gynécologie médicale était une imposture, que les mammographies n'étaient pas  généricables (il envoyait ses patientes de Mantes chez Villemin rue Barbet de Jouy) alors que le concept de générication n'existait pas encore (ce qui nous valut, à lui comme à moi, des menaces des radiologues de Mantes de dénonciation au Conseil de l'Ordre pour concurrence déloyale), que la chirurgie molle n'était pas non plus généricable, que la chirugie carcinologique était opérateur dépendante, que pendant une période il ne fallait plus adresser les cancers du sein à St-Cloud où l'on n'avait toujours pas compris que le Halsted ne servait à rien, que les pédiatres ne savaient pas parler aux enfants, qu'il fallait bannir le vaccin polio oral (un de nos collègues exerçant à 50 mètres de notre cabinet n'avait pas écouté nos conseils et son fils avait fait une paralysie sciatique post vaccinale), que le Vectarion était une merdre (première déclaration de pharmacovigilance par nos soins d'effet indésirable neurologique périphérique enterrée par tout le monde), et cetera.

Je ne parlerai pas de ses défauts.

Je dirai aussi qu'il m'avait dit que mon blog ne correspondait pas toujours à ce que je faisais en pratique. Et il avait raison.
Il était direct : quand j'avais fait une prescription qui ne lui plaisait pas, il me le disait, quand j'étais passé à côté d'un diagnostic il me le disait, il mettait même des mots, des annotations dans le dossier, des réflexions, des suggestions.

Je parlerai des conditions de sa retraite en décembre 2001.

Quelques mois auparavant il avait eu droit à une agression à main armée, le pistolet sur la tempe pendant qu'on allait vider ses cartes bleues, des jeunes du quartier... qui furent arrêtés, jugés, emprisonnés... relâchés et se repointant comme des fleurs au cabinet...
Sans compter les insultes antisémites quelques années auparavant (c'était la première guerre du Golfe) puis quelques années après (Edwy Plenel et Tariq Ramadan avaient piscine ce jour là), les "Sale juif" à la sortie du cabinet.
Mais j'ajoute que l'antisémitisme chrétien ne l'épargna pas non plus lors de son installation quand on ne le reçut pas chez les bourgeois de Mantes comme chez les réacs locaux du Conseil départemental de l'Ordre.

Puis, bien plus tard, il avait travaillé avec un "vigile" pour assurer notamment sa sortie du cabinet, le soir.

Nous avions vu passer les prescriptions de palfium pour les toxicomanes, nous avions vécu les décès par overdose, nos propres patients, puis l'arrivée de la substitution...
Il y avait eu un incendie au cabinet (l'odeur de suie nous poursuivit pendant des années) dont on se douta sans preuves de l'origine criminelle.
Puis un jour il y avait eu une embrouille entre des djeunes et le gardien et la voiture du docteur C avait été vandalisée (franchement vandalisée).
C'était la goutte... Il s'était donc arrêté.
C'était fin 2001.

Il était persuadé qu'il ne retravaillerait plus.

Puis, quand, en raison du début de raréfaction des médecins, il a été possible de reprendre une activité en tant que retraité, il a recommencé et fait des remplacements. Des remplacements chez des confrères et en son cabinet.
J'ai ainsi compris que l'on pouvait exercer dans le même périmètre, dans la même zone de chalandise, avec, en théorie, les mêmes pathologies et faire différemment, avoir des prescriptions différentes, des correspondants différents, et cetera.

J'ai appris à son contact des choses dont on ne parle jamais ou qui font suer les prescripteurs, c'était avant l'arrivée des premiers génériques, savoir si un comprimé est vraiment sécable, si les blisters sont ouvrables facilement, si les comprimés sont en vrac ou non, puis il y eut l'arrivée des premiers génériques, si je me rappelle bien, les amoxicilline, que la prescription était un geste raisonné et qu'il n'était pas possible de balancer un malade chez le pharmacien, qu'il valait mieux connaître l'aspect de la boîte des médicaments (surtout avec une clientèle majoritairemant analphabète à partir des années 90), l'aspect des comprimés, le goût des sirops (ce qui comptait, c'était la prise de l'antibiotique, pas la prescription), et nous savions que le goût d'amoxicilline le meilleur c'était celui de l'hiconcil et de l'amodex, que le clamoxyl, c'était moyen et que le générique de chez Fabre, c'était à vômir... qu'une cuillère mesure d'hiconcil 500 c'était plus amer que deux cuillères mesures d'hiconcil 250...

Je vous parle d'un temps où l'on vaccinait les nourrissons en visite, où l'on se dérangeait pour une angine, où l'on prolongeait, renouvelait, et cetera...


Mais j'ai appris en visite comment vivaient les gens, les conditions d'hygiène, la salle d'eau, la cuisine, le lit des enfants, l'équipement des ménages, tout ce que certains médecins et les robots veulent et peuvent ignorer : la vie non malade.

Le docteur C eut des merdres personnelles, de grosses merdres.

Et ainsi a-t-il cessé d'exercer et aura-t-il 79 ans en ce 22 juillet.

J'ajoute que nous nous sommes engueulés une fois en 36 ans. Pas mal, non ?

Bon anniversaire.

J'aurais dû écrire un texte en alexandrins
Il le faisait parfois dans les dossiers malades

Trop dur.

Je t'embrasse, Pierre.



Notes :

(1) Imaginez un peu la vie de ces anciens qui acceptaient tout, qui acceptaient les gardes de nuit, qui acceptaient des consultations sans rendez-vous, qui acceptaient des salles d'attente bondées, qui acceptaient sans barguigner de prescrire des antibiotiques dans les rhino-pharyngites, des antibiotiques dans les angines non streptococciques, des antibiotiques dans les bronchites aiguës, des antibiotiques dans les otites moyennes aiguës, qui faisaient des diagnostics de sinusite avec autant de fréquence que des diagnostics de pendulums, qui faisaient des diagnostics d'appendicite à la volée et qui, en plus, les envoyaient chez le chirurgien, qui prescrivaient des radios pour un oui ou pour un non sans se poser de questions, qui accordaient des arrêts de travail à la demande, qui adressaient des patients à des spécialistes en écrivant des mots sur un coin de table, qui vaccinaient à tours de bras, qui faisaient des visites à domicile de convenance, qui acceptaient les invitations des visiteuses médicales, qui se formaient dans des réunions sponsorisées par des laboratoires, qui lisaient le Quotidien du Médecin et pas seulement pour les locations de vacances, qui recevaient Impact Médecin en ne le jetant pas à la poubelle, qui travaillaient plus de sept heures par jour, qui faisaient de leur femme la secrétaire du cabinet, qui trônaient au Rotary en compagnie du pharmacien et du notaire, qui croyaient dur comme fer que le Halstedt n'était pas un geste dégradant, qui pensaient que la paracentèse était toujours justifiée, qui prescrivaient des phlébotoniques, des vasodilatateurs artériels, du déturgylone et / ou du lipanthyl, des vitamines B1 B6 B12, de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies, des hormones oestroprogestatives aux femmes ménopausées, des séances de kinésithérapie respiratoire en cas de bronchiolite, sans compter de la ventoline sirop, du stediril aux jeunes femmes pour prévenir les kystes de l'ovaire, du magnésium aux femmes spasmophiles, de la cystine B6 pour enrayer les chutes de cheveux, des céphalosporines dans les syndromes viraux, qui conseillaient aux mamans de coucher leurs nourrissons sur le ventre, de donner des biberons à heure fixe, de prescrire du talc en cas de varicelle, de l'aspegic 100 en cas de fièvre, qui prescrivaient des sirops aux enfants de moins de deux ans, qui croyaient que les vincamines amélioraient les performances cérébrales, qui adressaient des femmes pour qu'on leur enlève leur utérus ou qui laissaient des obstétriciens envever des utérus comme des lipomes...
(2) Je rappelle pour les incrédules que la France a toujours été la championne des appendicectomies  dans l'OCDE (300 000 par an en 1990 et 83000 en 2010) avec des taux de péritonite identiques, qu'encore actuellement on en pratique 140 pour 100 000 habitants contre 40/100 000 au Danemark, peuplade isolée du nord de l'Europe). Voir ICI.
(3)
  • On sait depuis un essai randomisé néerlandais (pays d'Europe où l'on prescrit le moins d'antibiotiques et notamment dans l'OMA) datant de 1981 (!!!) (2) et comparant en aveugle antibiothérapie seule, placebo seul, myringotomie + antibiotiques et myringotomie + placebo, qu'à trois mois il n'y avait aucune différence entre les groupes sur le critère audiogramme. Et pourtant la France était championne des paracentèses et de l'antibiothérapie systématique dans les OMA (ou prétendues OMA).
Illustration : le livre préféré du docteur C




jeudi 16 avril 2015

Les spécialistes d'organe sont indispensables, mais je me soigne.


Récemment, sur Twitter, un ophtalmologiste n'était pas content du tout car je relayais des informations Prescrire concernant des produits d'ophtalmologie. Un autre est venu à sa rescousse pour en rajouter. Le discours, en substance, était le suivant : "De quel droit Prescrire se permet-il de juger nos prescriptions ?..." Je rajoute sans forcer ce qu'ils voulaient dire : "De grands spécialistes n'ont pas besoin de journalistes non spécialistes pour dire leur spécialité."



Bon, faisons un détour par Prescrire avant de continuer.
Chaque année la revue détaille l'origine de ses abonnés. Et le nombre de spécialistes d'organes stagne lamentablement (5,3 % en septembre 2014). A quoi est-ce dû ? Je me permets une interprétation : Prescrire est une revue généraliste qui analyse la littérature scientifique et les spécialistes d'organes ont besoin de Closer et de bruits de chiottes pour briller. Ce n'est pas une provocation ! Restez avec nous. Closer, c'est le Quotidien du Médecin, Le Généraliste, Doctissimo, le JIM, Closer, c'est le ou la VM qui dit confidentiellement au spécialiste, avant les autres, pour qu'il passe pour un pionnier, un précurseur, un gars qui en est, que le professeur Dugland de l'hôpital des Trente et Quarante, eh ben, le vitreozumag, on peut en faire hors AMM dans telle indication et ça marche ! Un abstract publié par un des labos du big five et passez muscade (un des ophtalmologues condescendants avec Prescrire et avec ma pomme m'adresse  ce qu'il croit être un missile, un article (ou plutôt un abstract) tiré de PubMed qui justifie ses dires. Il suffit de cliquer sur le nom des auteurs pour se rendre compte que le papier a été financé par le laboratoire qui commercialise le produit. Beaucoup de naïveté.

Il y a aussi des médecins généralistes qui versent dans la servitude volontaire. "Puisque je n'y connais rien, faisons confiance" dit l'un, "La confiance est la base de la confraternité" dit l'autre. Ou alors :"Ils ont fait tant d'études qu'ils ne peuvent se tromper..."

Photographie de patients de John Sassall par Jean Mohr


Nous ne pouvons pas tout vérifier, cela va de soi. Nous avons donc des aides pour exercer notre esprit critique, Prescrire, bien entendu, mais aussi nos correspondants qui partagent avec nous une vision commune de la médecine, des relations avec les patients, des relations avec l'industrie, des relations avec les autorités. Mais tout comme nous ne pouvons être complètement d'accord avec Prescrire, nous ne pouvons être complètement d'accord avec nos correspondants, fussent-ils des amis chers et/ou de purs techniciens. Chaque spécialité a par ailleurs sa spécificité, ses qualités et ses dangers.

J'ai déjà écrit sur le sujet de l'importance des spécialistes d'organe : ICI. Mais il semble, d'après de multiples réactions négatives, que mon propos soit mal passé auprès de ces spécialistes qui pensent que la seule critique qu'ils puissent accepter ne puisse venir que de leurs pairs. J'ai également écrit par provocation que les spécialistes d'organes devraient faire un peu plus de médecine générale (LA). Pas de retours.

John Sassall


Les spécialistes d'organe sont indispensables.
Ils sont indispensables car ils ont suivi une formation spécifique (si je voulais être méchant, je dirais un formatage) et que les malades qui leur sont adressés sont des malades sélectionnés que les médecins généralistes n'ont pas l'habitude de voir (en termes de fréquence).
Ils sont indispensables car il est des situations cliniques qui exigent des examens complémentaires auxquels il est nécessaire d'être adapté et compétent, des situations cliniques qui exigent une adresse intellectuelle et manuelle liés à l'expérience interne, à l'expérience externe et, aussi, à l'automaticité des comportements.
Ils sont indispensables car certains malades nécessitent une hospitalisation, des soins particuliers, des tests diagnostiques effectués dans des laboratoires spécialisés.

Les spécialistes d'organe ne se ressemblent pas.
Nous entrons ici dans le vif du sujet. La prescription d'un spécialiste d'organe par un médecin traitant n'est pas un geste anodin et exige beaucoup de réflexion. Mais le médecin traitant dispose-t-il des éléments lui permettant de choisir ? Doit-on prescrire des radiographies en précisant le nom du radiologue ? A-t-on, en raison de la raréfaction de certaines spécialités, le choix éclairé possible ?
La connaissance du milieu est fondamentale. Ecoutez les conversations entre cardiologues et/ou entre chirurgiens orthopédistes, vous serez édifié sur qui est à la pointe, qui est un vendu, qui est un excellent clinicien, qui est un spécialiste de ceci ou de cela, qui est un sale khon.
Je dirai ceci par pure provocation : quand nous adressons un patient en aveugle chez un spécialiste, et en dehors de l'urgence, c'est que nous ne faisons pas notre boulot de médecin généraliste.

Les spécialistes d'organes ne sont donc pas généricables.
Il est donc du devoir du médecin généraliste de choisir. Mais est-ce possible et sur quels arguments peut-il se fonder ? Qu'est-ce qu'un bon spécialiste d'organe ? Chaque médecin généraliste prend des décisions inconscientes et conscientes dans ces situations.
Il paraît logique que l'on doive se décider en fonction de l'EBM en médecine générale (j'ai développé LA). Mais il arrive que nous ayons besoin, pour nos patients, d'un spécialiste qui ne partage pas notre vision de la médecine EBM en médecine générale...

Les spécialistes d'organe se doivent d'être à la pointe de leurs connaissances.
Un spécialiste d'organe a une obligation de connaissance, il se doit de lire, de discuter, de commenter les dernières publications concernant sa spécialité. Sinon, il ne sert à rien ! Quand un médecin généraliste se trompe, quand un médecin généraliste ne connaît pas la dernière mode, quand un médecin généraliste prescrit des examens complémentaires inutiles, il est tout aussi condamnable qu'un autre médecin mais il est nécessaire d'être indulgent, car la médecine générale, je l'ai assez répété, est un trou sans fond, un tonneau percé, une ouverture sur l'impensé, une inconnue sidérale, alors que le spécialiste d'organe est concentré sur un champ plus limité de la connaissance et de la pathologie.

Le rôle du spécialiste d'organe est aussi de donner l'exemple.
Donner l'exemple c'est former le médecin généraliste dans sa spécialité, c'est éviter les consultations inutiles, les interrogations pour rassurer, combler les manques conceptuels ou purement cognitifs, prescrire à bon escient, éliminer les produits inutiles, se concerter, ne pas céder aux sirènes de big pharma, des bruits de couloir, des bruits de chiottes entendus ici et là et, surtout, j'insiste lourdement, le rôle du spécialiste d'organes c'est d'affirmer, de confirmer les diagnostics et ne pas faire de la médecine d'organe probabiliste.

Dénoncer les pratiques anormales des spécialistes d'organe est aussi le rôle des médecins généralistes. Et vice versa.
Il ne s'agit pas de faire des listes et de donner des noms, il s'agit de rappeler l'excellence et de dénoncer les compromissions, quand elles existent, et de rappeler au règlement quand il s'agit de pratiques illicites, non déontologiques, commerciales, big pharmiennes, big matérielles...

Quelques idées de blogs spécialisés.
A défaut d'avoir ces spécialistes comme correspondants.

Pneumologie : https://2garcons1fille.wordpress.com/category/bureau-de-totomathon/. Je vous conseille notamment ses deux billets sur la spirométrie en médecine générale. Remarquable. https://2garcons1fille.wordpress.com/2014/01/30/la-spirometrie-pour-tous-1-la-spirometrie-en-cabinet-de-medecine-generale/

Cardiologie : http://grangeblanche.com, dans ce blog on trouve des analyses que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur les médicaments et sur leur usage. En toute indépendance et avec beaucoup d'alacrité masquée.

Néphrologie : http://perruchenautomne.eu/wordpress/ et voici un exemple d'article "fameux" sur AINS et Insuffisance rénale aiguë : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3308 mais celui sur la restriction hydrique était un top : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3083 . A explorer.

Ophtalmologie : http://le-rhinoceros-regarde-la-lune.over-blog.org/page-1221302.html, blog militant mais quand il parle d'ophtalmologie, les propos sont didactiques et très adaptés à l'ignorant médecin généraliste que je suis.

Neurologie : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr. J'ai par exemple trouvé ce billet sur les arnoldalgies tout simplement remarquables : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2015/03/cephalees-dites-darnold-et-autres.html

Je me suis fait des amis en ne citant pas d'autres blogs tout aussi talentueux mais disons que je dis... la vérité sur ma pratique blogueuse.

John Berger
Les photographies sont tirées de l'excellent blog littéraire de Rick Poynor (LA) et montrent notamment les visages de John Sassall, le médecin généraliste rural, et de John Berger, activiste d'extrême-gauche connu pour son soutien aux Black Panthers et aux Palestiniens.

Selon les formules consacrées, ce livre devrait être remboursé par la sécurité sociale (du moins l'AMO) et, comme le dirait Bernard Pivot, si vous le lisez et si vous ne l'appréciez pas...

Il devrait, selon la formule paternaliste bien connue, être lu par tout étudiant en médecine et par tout IMG avant toute installation bien que la fin tragique du médecin pût entraîner une certaine réserve.

PS : désolé pour l'erreur technique qui a fait disparaître le billet du blog et qui n'a laissé en mémoire pour l'administrateur qu'une version très ancienne.


vendredi 13 mars 2015

Je n'irai pas travailler le dimanche 15 mars. LOL. (Quelques raisons) d'aller à Denfert-Rochereau.

Pierre Laroque : 1907 - 1997. Fondateur de la Sécurité sociale.

Je vais aller dimanche 15 mars 2015 manifester contre la loi de santé.

Je manifesterai pour montrer que je ne suis pas content.

Je vous ai déjà expliqué en préambule contre qui et avec qui je vais défiler (LA).


Voici (LA) sur le site officiel du gouvernement le justificatif, je dirais, en termes marketing, l'accroche de cette loi.

Notre système de santé est performant mais inéquitable, c'est pourquoi il est indispensable de le refonder. La loi de santé s'articule autour de trois axes : prévenir avant d’avoir à guérir, faciliter la santé au quotidien et innover pour consolider l'excellence de notre système de santé.

Ce préambule est à la fois un tissu de mensonges et un programme atterrant de santé publique quand on connaît les tenants et les aboutissants de tout cela (corruption, fraude, concussion, sur diagnostics, sur traitements, dépistages sauvages, prévention inexistante, prises illégales d'intérêts, pots de vin, et j'en passe).

Pour ce qui est du projet lui-même, vous le trouverez ICI.

Je fermerai donc mon cabinet ce dimanche (j'ajoute qu'il est fermé tous les dimanches pour ceux qui n'auraient pas compris).

A l'origine il y avait trois raisons essentielles pour que je refuse cette loi de santé.

Je vous les expose : 
  1. Le Tiers-Payant Généralisé. Je suis contre pour des raisons purement administratives car je ne veux pas que ma secrétaire passe son temps à récupérer des impayés ou à ne pas récupérer des impayés (je ne parle donc pas des médecins qui n'ont pas de secrétariat ou un secrétariat à mi-temps... la double peine pour eux...), je refuse cette mesure "socialiste" qui est un chiffon idéologique sur lequel est inscrit le slogan "Accès aux soins pour tout le monde" pour faire passer le reste, à savoir et surtout le fait que la médecine générale est considérée comme de la merdre en barre par des décideurs qui, ne sachant pas ce que c'est que de prendre un rendez-vous chez leur médecin traitant, pensent que les pauvres en sont privés. Pour le reste, les arguments à la khon sur le patient doit payer de sa poche, il faut responsabiliser le patient, cela va augmenter le nombre d'actes, tout ce qui est gratuit ne vaut rien, c'est du flan intégral et des arguments d'hypocrites. Les médecins et les patients sont irresponsables et on le sait depuis longtemps, les médecins en prescrivant tout et n'importe quoi à des malades (ce serait un moinre mal, à des citoyens) qui sont heureux de profiter du système par tous les bouts avec la complicité des premiers. Les médecins et les patients, dans une grande danse effrénée, font du consumérisme à tout va et participent au gâchis généralisé des ressources sans que l'on ressente la moindre amélioration sur la satisfaction de tout le monde et sur l'amélioration des indices de santé publique. L'autre argument selon lequel les honoraires ne vont plus dépendre que d'un tiers qui ne serait pas le patient pourrait effectivement être recevable si cela n'était pas déjà le cas pour environ 70 % d'entre eux... Encore qu'au bout du compte, ce soient quand même les  cotaisations qui règlent tout cela (sans compter le déficit chronique des comptes publics). Non, le problème est administratif, la multiplicité des payeurs (et la multiplicité des régimes, vache sacrée de la République), l'absence de guichet unique, et les difficultés que vont entraîner le paiement d'actes déjà insuffisamment rémunérés. Je serai donc pour quand les problèmes de paiement seront résolus, ce qui n'arrivera jamais.
  2. Les réseaux de soin organisés par les mutuelles. Je suis contre. "La loi permet donc la mise en place de réseaux de soins et autorise les mutuelles à conclure des conventions avec certains professionnels de santé, les assurés pouvant bénéficier de tarifs moins élevés et de meilleurs remboursements." Voir ICI. Nous nageons en plein délire. Les assurés des mutuelles qui, en théorie, n'avancent pas d'argent pour des examens complémentaires, vont payer moins cher. Et c'est la mutuelle qui va choisir pour le médecin traitant quels seront les médecins et les endroits où ils pourront adresser les patients. C'est la générication de la santé et de l'adressage aux spécialistes d'organes. Comment les choix seront-ils faits ? Sur quels arguments ? Sur l'épaisseur de la moquette ? Sur le nombre (non déclaré) d'infections nosocomiales ? Sur le classement du journal Le Point ? Mais il est possible également que le parcours de soin passe à la trappe : les assurés (vous avez remarqué que je n'ai parlé ni de citoyens ni de patients) liront que le docteur X est agréé Mutuelle Machin et il ira le voir in petto.  J'ai toujours été contre les réseaux de soins ou plutôt contre les soins en réseaux (voir ICI) parce que j'ai toujours pensé qu'il s'agissait de l'exportation hors les murs des pratiques et des diktats hospitaliers. Et dans ce cas il n'y avait pas d'intervenants extérieurs au monde médical. On va passer du disease-management CPAM (les khonneries à la Sophia dont l'inanité et l'inutilité sont évidentes et ont été montrées ICI par exemple) au disease-management mutualiste étendu au delà des pathologies chroniques (voir LA pour des informations en français sur le modèle). La loi de santé va formaliser dans le mauvais sens, celui du choix des non médecins (Guillaume Sarkozy, impudent capitaine de mutuelle, par exemple) pour les médecins et pour les patients. Au lieu d'un système de soins centré sur les patients (patient-centered care) cela deviendra un système de soins centré sur les mutuelles qui ne représentent que l'AMC dans le remboursement, c'est à dire très peu, et qui gèreront les choix des médecins. Le monde à l'envers. C'est ce que les Anglo-Saxons appelleraient le stakeholder-centered care. Une abomination.
  3. Le pouvoir des ARS. Désormais les ARS auront les pleins pouvoirs, aidés en cela par la représentation nationale, pour décider de l'implantation des médecins généralistes, pas des spécialistes d'organes qui sont de grandes personnes, mais aussi pour décider de l'implantation des services, des IRM (voir LA) et le reste. La rationnalisation de l'offre de soins est évidemment un objectif louable car ne rien faire signifierait laisser le marché s'auto-réguler, ce qui est une imposture libérale bien connue. Mais les ARS sont les instruments du pouvoir politique, pas les acteurs des politiques de santé, il y a bien des comités de pilotage mais ce sont des comités croupions, le décisions étant prises auparavant. Les ARS, en outre, sont un repaire d'incapables qu'il a fallu recaser à la suite des regroupements multiples, salaires élevés, postes irresponsables, incompétence notoire, voitures de fonction et appartements dans le même genre, après le démantèlement de différentes structures antérieures (comme l'ASE par exemple). On ne peut faire confiance à ces profiteurs ignares du système qui ne connaissent rien à la santé mais qui, forts des modèles économiques extérieurs, et de leurs lectures hâtives sur des expériences étrangères, se posent en experts de la réorganisation des territoires, des coeurs et des reins.
En réalité, il y a bien d'autres raisons, vous vous en doutez. Les énumérer serait fastidieux mais ferait aussi oublier qu'il nous faut d'abord proposer et ensuite négocier. Il ne faut pas que cette manifestation soit un catalogue de récriminations mais un catalogue de propositions.

Comment réécrire la Loi Santé ? J'entends bien les slogans "No Négos" mais est-ce bien raisonnable alors que le corps médical et les professions de santé en général tirent à hue et à dia dans des directions parfois opposées ? Quel est le point commun entre le médecin généraliste salarié qui travaille à mi-temps ou à temps partiel en PMI et le radiologue interventionnel qui travaille dans plusieurs cliniques à la fois ? Quel est le point commun entre le médecin généraliste rural qui fait lui-même les points de suture et le médecin généraliste urbain dont le SAMU est distant de quelques minutes ? Quel est le point commun entre l'ophtalmologiste libéral en secteur 2 et le psychiatre libéral en secteur 1 ? Mais je pourrais multiplier les exemples à l'infini. Dire que la FHF (Fédération Hospitalière de France) ne cesse de casser du sucre sur les libéraux qui seraient à l'origine de l'engorgement des urgences, dire que le toujours médiatique Patrick Pelloux, dire que les cliniques privées sont déjà sous la coupe des fonds de pension, dire que les mutuelles, dire que... Si je voulais faire de la démagogie je dirais que le seul point commun c'est le patient. Mais où est le patient ? Est-il visible ? Ou n'est-il qu'un enjeu économique et de pouvoir de plus ? Ou n'est-il qu'un instrument au service de tous ?

Le slogan "No Négos" est un slogan creux car les grandes avancées sociales (il en est même qui souhaitent des accords de Grenelle...) ont été obtenues, certes par la revendication, mais, plus encore, par la négociation.

Quant aux états-généraux de la médecine proposés par d'autres ou les mêmes, ceux qui ne sont pas capables de lire la lettre d'un correspondant jusqu'au bout ou d'écouter leur patient jusqu'au bout de ses plaintes, ils voudraient une grande messe, j'imagine le bordel, et on pourrait réunir ce petit monde jusqu'à la fin de la présence de médecins généralistes authentiques dans le paysage médical français, que certains se battraient encore pour être sur la photo.

Car la plus grosse urgence, c'est la disparition programmée de la médecine générale et de certaines spécialités.

Où sont les propositions pour que la médecine générale ne disparaissent pas ? Où sont les propositions pour que plus de 17 % de médecins généralistes formés s'installent en libéral ? A part le C à 50 euro ?

Nous le verrons la prochaine fois.

Illustration : Pierre Laroque (voir ICI pour quelques éléments le concernant).

jeudi 12 mars 2015

Je n'irai pas au cabinet le dimanche 15 mars (LOL) et je serai à Denfert. Préambule.


Je vais aller dimanche manifester contre la loi de santé que vous pouvez consulter ICI mais j'ai hésité et j'hésite encore.

Préambule.

Cela fait au moins trois siècles et demi que je ne suis pas descendu dans la rue. J'ai été immunisé dans les années soixante et soixante-dix contre les mouvements de foule protestataires qui étaient surtout des selfies (pardon pour l'anachronisme) politico-moraux.

Parce que je ne suis pas content du tour général pris par la santé publique en France (désolé pour la grandiloquence).

Le problème vient de ce que je vais manifester (avec) beucoup de gens que je n'aime pas ou que je voudrais pas fréquenter professionnellement. Je pourrais les citer en détail et énumérer les erreurs qu'ils ont commises dans la gestion de nos métiers mais à quoi bon ressasser et à quoi bon me faire penser à mes propres insuffisances, à mon désengagement progressif lié à ma divergence presque totale vis à vis de la pensée ou des pensées dominantes dans mon milieu professionnel ? Car je suis autant coupable que les dirigeants syndicaux qui ont pactisé avec le diable depuis une quarantaine d'années : je les ai laissé faire.
Je vais (aussi) manifester avec des gens qui croient pouvoir réinventer le monde (à défaut de pouvoir le réenchanter) en faisant des propositions irréelles, irréalistes, corporatistes, et, pour tout dire, démagogiques (le C à 50 euro par exemple, comme il y a quelques années les communistes voulaient doubler le smic, bla bla bla) et qui croient, les braves gens, à l'autorégulation d'une profession qui n'a jamais su se penser. ces libéraux devraient se rappeler Adam-Smith et d'autres qui pensaient que le prix des choses reflétait ce qu'elles valaient réellement. Peut-être que le contenu de nos C "vaut" 23 euro. Peut-être.
Je vais aussi manifester avec des confrères et consoeurs qui se rendent compte que le monde les a dépassés, que la société n'a plus besoin d'eux en tant qu'experts ou que professionnels ou qu'artisans du corps humain mais qu'elle est en train de les utiliser pour assouvir ses rêves eschatologiques de vie éternelle, d'existence sans douleurs, de soumission des désirs à la technique, de division de la conscience sans réflexion éthique, d'asservissement du corps humain au bien être intégral...


Les mêmes confrères et consoeurs qui investissent dans les fonds de pension s'étonnent que des fonds de pension investissent dans la médecine (et notamment dans les médicaments, les matériels et... les cliniques privées). Les mêmes qui sont libéraux dans leurs pratiques bancaires, patrimoniales ou fiscales s'insurgent contre la financiarisation de leur métier.

Le problème vient de ce que je vais (aussi) manifester contre des gens qui sont les instruments serviles de la mondialisation de la médecine et qui, au lieu de réfléchir aux adaptations qui pourraient permettre de rendre le système plus acceptable, croient que la seule façon d'être moderne c'est de céder aux sirènes du libéralisme. Le changement de ministre de la santé (et il faut dire que notre ministre de la santé est particulièrement inadaptée à l'empathie, à la réflexion, au dialogue et à la compréhension) ne produirait rien de bien nouveau car la mondialisation est actée dans nos métiers et parce que les fonctionnaires de l'Etat, qu'ils soient de gauche ou de droite, sont paralysés par l'envie de bien faire, c'est à dire de faire entrer définitivement la médecine dans l'ère post moderne : financiarisation, paiement à la performance, normalisation des pratiques, consumérisme, médicalisation complète de la société, hyperspécialisation (alias taylorisation) des médecins, patients en batterie comme dans les fermes industrielles, protocolisation des soins, corruption généralisée depuis les décideurs jusqu'aux professionnels de santé de base, et cetera. Sans oublier le rêve des big data qui pourraient améliorer la santé en divulguant les données individuelles de chacun pour le bien être de l'humanité tout entière. Sans oublier le rêve génétique de la médecine individuelle, une vaste arnaque...

L'évolution mondiale de la médecine est celui de l'industrie dans les années soixante-dix et il va y avoir de la casse. 
Cela vaut-il donc le coup de manifester ?
Je suis parmi les défenseurs de la médecine générale, celle dont tout le monde se fout mais qui fait l'objet de déclarations enflammées et sans suite, et que faut-il pour que le système de santé résiste ? Des artisans, des petits entrepreneurs, des artistes de la relation médecin patient ou médecin malade, des indépendants... mais aussi des hommes et des femmes qui sont conscients qu'ils ne sont plus de ce monde.
C'est la médecine générale qui sauvera le système mais une médecine générale fière, inventive, libre, propositionnelle.


Je vais manifester dimanche (je ne sais d'ailleurs pas sous quelle bannière car j'ai compris que personne ne se mélangerait, que chaque syndicat comptera ses troupes, chaque groupe de pression aura son coin, chaque métier, même) mais je sais que le rouleau compresseur de la mondialisation est en train d'écraser l'artisanat de nos cabinets. Je me ferai écraser par les chenilles des chars mais j'aurais été là.

Inutile ? Sans doute pas si les négociateurs négocient.

Cela dit, et pour conclure ce préambule par une note plus optimiste : il est donc nécessaire de négocier, de négocier pied à pied, de négocier chaque détail, chaque point, chaque virgule, pour que les technocrates "modernes" et libéraux plient sur un certain nombre de points .

Pour finir, je vous proposerai dans les deux jours qui viennent deux chapitres importants : les "vraies" raisons de ma manifestation (LA) et "mes" modestes propositions pour améliorer le système.

A bientôt.

mardi 13 janvier 2015

Un début de matinée de merdre.


Y a des jours comme cela...
Le contenu de la médecine générale.
J'ai lu récemment un billet d'ASK qui donne du contenu à la consultation de médecine générale et qui informe de façon pertinente sur les problèmes que rencontre un médecin généraliste dans l'exercice de son métier. Et dans le cas d'ASK on voit clairement que la CPAM n'est pas en jeu, que les complémentaires sont aux abonnées absentes, qu'il s'agit d'un problème sociétal où la CPAM, outil aveugle, est présente accessoirement. Je vous laisse le lire : ICI.
Comme je suis un casse-pied, j'aurais pu faire quelques commentaires qui ne sont pas les mêmes que ceux d'ASK, ce qui montre que dans un cas aussi simple que celui-là, la vaccination d'un nourrisson de 4 mois en bonne santé, il y a de quoi écrire un traité de médecine et un traité de sociologie par la même occasion.

Voici un banal relevé des banales questions posées dans le brillant billet de ASK.
  1. Les vaccinations recommandées du quatrième mois : ASK ne nous dit pas desquelles il parle, ce qui nous entraînerait dans un débat sans fin et, pour moi, perdu d'avance, sur l'intérêt de vacciner contre l'hépatite B, puisque presque tout le monde pense le contraire de moi (ne pas vacciner).
  2. Les antibiotiques : où l'on se rend compte que leur prescription / non prescription se situe très au delà de leur intérêt scientifique (oh, le gros mot) qui est établi pour l'essentiel dans le cas de leur usage lors d'une rhino-pharyngite. On se rend compte que les croyances sont non seulement grand public mais qu'elles sont aussi professionnelles (et, pour remonter à l'historique des antibiotiques, il s'agit d'un effet collatéral de la toute puissance de la médecine et d'un complexe jeu d'allers-retours entre le prescripteur et le prescrit) et que le médecin qui prescrit des antibiotiques au cas où en laissant au patient le choix de les utiliser ou non ne se rend pas compte, alors qu'il pensait faire le malin et donner de l'autonomie aux parents du nourrisson, qu'il se résigne à ne plus avoir aucun rôle médical. 
  3. La vaccination contre la gastro-entérite : ASK aborde le sujet du pouvoir de la publicité grand public et du rôle des médias manipulés dans la progression du cash flow de big pharma avec l'agrément tacite et parfois volontaire de l'appareil d'Etat. Tout comme l'ombre tutélaire de Coca Cola et de McDo comme éléphants dans la pièce quand nous parlons nutrition et régimes avec nos patients.
  4. Les croyances des médecins (ici d'un médecin du travail) qui donnent leur avis sur tout et surtout dans un domaine qu'ils connaissent à peine. Ce qui pose la question, à mon avis crucial, et paradoxal en ce cas, de l'avis d'expert que l'on peut critiquer en sa spécialité et hors de sa spécialité et celui du médecin généraliste qui, en théorie, devrait tout savoir sur tout puisqu'il lui est possible de recevoir n'importe quel malade, et qui, contraint et forcé par la charge de travail et par sa tendance naturelle à croire ses "maîtres", par lassitude intellectuelle également et faiblesse physique, finit par "suivre" des recommandations, fussent-elles consensuelles, et biaisées.
  5. La vaccination chez le pharmacien, au delà des polémiques sur les rôles respectifs des professions pharmaceutiques et médicales, indique clairement la limite existant entre l'acte intellectuel prescriptif / non prescriptif et l'acte technique lui-même. Pour provoquer (mais à peine quand on voit les chiffres américains des sur traitements) : les acte intellectuel de décider de dilater, stenter et / ou ponter des coronaires et technique de le bien réaliser ne devraient pas être confiés à la même personne.
  6. La plagiocéphalie, l'ostéopathe et le couchage sur le côté. Pour faire vite, ce chapitre pose les questions de l'enfant parfait (une tête bien faite), de la division du travail (taylorisation de la médecine), de la contradiction principale (le risque de mort subite) et de la contradiction secondaire (la forme de la tête), de la mode sociétale pour des médecines alternatives (médecine étant un bien grand mot) et du self parental (je décide pour mon enfant ce qu'il y a de mieux en ayant regardé Le magazine de la santé ou après avoir lu Doctissimo).
  7. Le savoir faire et le savoir ne pas faire, cette dernière attitude étant inquantifiable et donc vouée à l'échec normatif. Le rôle, selon moi (mais je n'ai fait que copier ce que j'ai lu ici ou là), du médecin généraliste étant surtout de résister à faire et de contenir les actes et prescriptions inutiles en gérant l'incertitude et en s'y résignant.
Et voici quelques faits bruts sur ce début de matinée de merdre.

8 heures 30.
Monsieur A, 56 ans, me dit bonjour, me souhaite une bonne année et me tend un dossier de la MdPH, dossier qui a toujours tendance à déclencher chez moi une poussée d'urticaire (et bien que j'aie lu avec attention les bons propos du docteur Milie en son blog). Je le regarde ahuri car j'ai rempli le même dossier en octobre (c'est noté dans son dossier électronique). Il confirme mais, d'après lui (et on sait que les propos des patients...), ce serait "la fille de la MdPH" (il est incapable de remplir un dossier lui-même) qui aurait coché la mauvaise case et le dossier aurait été adresssé pour renouvellement de la carte de stationnement (dont, me précise-t-il, il se moque totalement). Je râle. Parce qu'en outre, Monsieur A est venu pour le "renouvellement" de son ordonnance, "Vite fait". Je prends mon ton docte pendant que le malade se met à pleurer car il ne touche plus depuis novembre ses indemnités adulte handicapé et qu'heureusement que sa femme, qui est elle aussi handicapée, touche également une pension, car sinon, "ils n'auraient plus de sous" et je lui dis qu'aujourd'hui je vais recopier ce putain de dossier (que j'avais fait photocopier et que je dois aller rechercher dans le dossier papier), c'est moi qui parle, et qu'il prendra un rendez-vous pour le prétendu renouvellement d'ordonnance...

8 heures 46
Madame B vient avec son petit-fils C.
Parce qu'il tousse.
Elle a rendez-vous pour elle.
"Vous pouvez nous prendre tous les deux ?
- Non. Il faut choisir.
- Examinez-le."
Le gamin (de 9 ans) que je vois épisodiquement car il est rarement malade n'a pas grand chose. Je l'examine calmement et je manifeste mon énervement à l'égard de la maman que j'avais déjà prévenue.
Mais la grand-mère me tend un papier où il est écrit, de la main de la mère, "SVP, dépakine pour l'enfant (et pour son frère plus âgé et également épileptique), un certificat pour l'école et bla bla bla."
La mère, je la connais depuis qu'elle est gamine. Je l'ai engueulée l'autre jour car elle voulait un rendez-vous tout de suite (il n'y avait pas de place ce jour là) et qu'il fallait la dépakine pour ses enfants qui n'en auraient plus le lendemain. "Le pharmacien peut te dépanner - Oui mais non il va donner un générique..." Je lui ai quand même fait une ordonnance entre deux.
Il est 8 heures 58.
La grand-mère me dit : "A moi."
Je dis non.
"J'irai voir ailleurs. - Ok."
Elle passe devant la salle d'attente où attendent les deux rendez-vous suivants. "Ah, ben, vous n'avez que deux personnes..."

9 heures 1
Monsieur et Madame D (qui ont pris deux rendez-vous).
Monsieur D, 72 ans, a été opéré "du cœur" et j'ai des difficultés d'équilibration avec previscan. Je fais une incise : Pourquoi les cardiologues français ne prescrivent-ils pas de la coumadine ? Pourquoi ? Cela ne peut être un intérêt financier avec une boîte de 30 comprimés qui coûte 3,85 euro ! Mystère de chez mystère.
Monsieur A a été opéré dans une clinique privée et tout s'est bien passé. 
Il y a juste un truc qui me titille chez cet homme de 69 ans : il me demande une ordonnance pour doser les PSA. On lui a dit, à la clinique, et après qu'il a eu des difficultés à pisser après la levée de sonde, qu'il fallait doser le PSA pour savoir.
Je m'emmerde donc à expliquer l'inexplicable. Est-ce la faute de la CPAM, des Mutuelles, des ARS ou de la khonnerie des cardiologues qui font de l'urologie ou des urologues ? 
Je ne prescris pas de PSA.

9 heures 15
Madame D, 71 ans, vient pour un "renouvellement". Quelques douleurs ici ou là (arthrose) et un peu de paracetamol et de tramadol.
Son problème, c'est quand même sa cheville droite.
Elle est allée voir un médecin généraliste mésothérapeute (après que je lui ai dit qu'il était urgent d'attendre et que la kinésithérapie comme on lui avait pratiqué était de la daube et après qu'elle n'eut pas suivi mes "conseils" d'auto kinésithérapie de renforcement de l'articulation) qui lui a fait 9 séances et qui, désormais, lui demande de faire une IRM.
Je garde mon calme. Finalement : je n'en ai rien à cirer. Qu'elle se débrouille. Elle a vu un mésothérapeute à 35 euro la séance, OK. j'en ai assez de lutter contre ces khonneries. Il est possible que le remboursement par les complémentaires favorise le passage chez le mésothérapeute...  On est quand même dans un cas de hors parcours de soins. Aurais-je dû dire à la patiente (que je connais depuis des lustres) : "Allez vous faire voir ailleurs ?" Je ne l'ai pas fait.
Au revoir Madame, au revoir Monsieur.

9 heures 32
Madame E, 68 ans, viens de se faire déboucher les carotides gauches dans une clinique privée, centre d'excellence du département, au décours d'un AVC. tout s'est bien passé. J'ai reçu en temps et en heures le compte rendu, le chirurgien m'a même appelé au décours de l'intervention. Elle vient pour que je "renouvelle" l'ordonnace d'un mois qu'elle a eue à la sortie ("montrer au médecin traitant" est  manuscrit sur l'ordonnance tapuscrite).
Voici le traitement : pradaxa, exforge, crestor.
Donc, voilà, je suis en face d'une ordonnance qui ne me convient pas. Elle vient d'être, brillamment, opérée par un chirurgien en qui j'ai confiance et la prescription de sortie est WTF.
Que dois-je faire ?
J'ai renoncé pour de multiples raisons et je sais que je ne suis pas à approuver.
Mais je vais appeler le chirurgien. Promis.

Ras le bol.

Heureusement que j'ai pu noyer mon découragement dans une abondance malsaine de travail (36 C et 1 V). J'ai quitté le cabinet à 19 heures 30 sans avoir sauvé (mon associée était encore là).

La partie est perdue, mes amis.

Aux dernières nouvelles la grand-mère qui devait aller voir ailleurs a pris rendez-vous pour la fin de la semaine. Je serai cool.

mardi 6 janvier 2015

Bonne année 2015


L'année 2015 sera un tournant pour les médecins généralistes. Si la courbe des nouvelles installations ne s'améliore pas il semble clair que la partie sera finie.

Je voudrais fournir quelques données (que vous connaissez déjà) et explorer quelques pistes (que nous avons déjà évoquées) qui expliquent le déclin actuel --mais qui pourrait devenir inéluctable-- de la médecine générale telle qu'elle est pratiquée et de la médecine plus généralement.

Je parle ici des sociétés hyper "développées".

La médicalisation de la vie est sur le point d'être achevée.
Il n'existe plus un espace de notre vie (et de notre mort, et de notre conception) qui ne soit abordé sous l'angle de la médecine. La société, après avoir exigé d'être "soignée", exige désormais d'être en "bonne santé" selon la sotte définition de l'OMS (La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité) datant de 1946 et elle ajoute : peu en importent les moyens et peu en importe le coût. Il est amusant de lire cette définition de l'OMS à la fois comme une déclaration de "gauche" dans le sens du droit à la santé pour tous (la santé n'a pas de prix) et comme une déclaration néo libérale qui conduit aujourd'hui à l'utilisation du corps humain, et notamment celui des femmes, et au développement du Quantified Self grâce aux applis de santé.



Le "triomphe" de la médecine ou l'aveuglement des médecins.
Les médecins pensent sincèrement avoir permis l'amélioration constante de l'espérance de vie, et maintenant de l'espérance de vie en bonne santé, mais un certain nombre d'éléments indiquent que ce sont plus les progrès de l'hygiène et des conduites individuelles qui ont permis la fantastique courbe que voici (source INED). Il est normal que la société les croit et leur demande encore plus.


La négation du rôle de l'hygiène et des conditions de vie comme le triomphe du marché des soins payants. 
Mais si le rôle de l'hygiène est évident dans le cas de la rougeole :

Il est moins évident dans le cas de la diphtérie.


Ces courbes sont tirées du livre de Thomas McKeown : The Role of Medicine: Dream, Mirage or Nemesis ? (1979) que j'ai reprises sur le blog de Doctor Skeptic (LA).

L'arrogance de la médecine comme moyen de ne plus parler des inégalités sociales.
Puisque la médecine peut "tout", pourquoi parler des conditions de vie, pourquoi parler de pénibilité du travail, pourquoi prévenir les risques évitables, pourquoi prévenir les addictions, et cetera ? L'accessibilité aux soins est un plafond de verre : seuls les riches éduqués sont placés au dessus.

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Une femme cadre a une espérnce de vie de 51,7 ans à 35 ans.


Les médecins désormais sommés de se mettre à la disposition de la société.
Après avoir été les vedettes de l'amélioration constante de l'espérance de vie et, désormais, de l'espérance de vie en bonne santé, les médecins sont devenus pour la plupart les victimes consentantes de cette obligation sociétale. La société impose moralement aux médecins de s'impliquer dans des domaines de la vie devenus médicalisés : rappelons ici que l'IVG par aspiration n'a pas été "inventée" par un médecin, que la procréation médicalement assistée peut ne pas être médicale, que les peines de coeur sont désormais psychiatrisées à l'instar des "maladies" psychiatriques décrites de façon exhaustive dans le DSM, et que la mort (fin de vie et euthanasie) devient un impératif où les médecins doivent s'impliquer. (on apprend aujourd'hui que la Belgique autorise l'euthanasie d'un détenu qui s'estime incurable : on va sommer un médecin de pousser la seringue. Voir LA)

Sainsbury's GP surgery programme in supermarket



L'ère de la consommation médicale.
Nous sommes définivement entrés dans l'ère consumériste, c'est à dire que les médecins (pas tous) qui refusaient l'EBM car ils n'acceptaient pas les valeurs et préférences des patients sont confrontés maintenant à des demandeurs de soins qui, informés par le café du commerce de l'internet (et ce n'est pas péjoratif), veulent tel médicament, exigent tel examen complémentaire, imposent tel spécialiste d'organe ou telle clinique ou tel hôpital. Ce consumérisme est fondé sur la traduction française du self néolibéral rawlsien états-unien, à savoir "Je fais ce que je veux et vous m'emmerdez". Et il faudra être un médecin compliant pour survivre, un médecin dépensier, un médecin béni-oui-oui, un médecin qui rapporte (car l'autre volet de la consommation, c'est celui qui est en face du consommateur, le pourvoyeur de soins, car le médecin qui travaille en clinique, pour survivre, pour payer ses redevances, il doit bosser et fermer sa gueule, sur diagnostiquer et sur traiter, pas tous, bien entendu) et dans ce système consumériste le médecin sera (est déjà) pieds et poing liés à l'adminitration fiscale, à big pharma et à big matériel.




L'Evidence Based Medicine mise au service de big pharma.
L'évidence de l'intérêt de l'Evidence Based Medicine n'a pas été comprise car ce qui gênait les médecins était que l'on pût d'une part leur imposer des données scientifiques qui ne correspondaient pas à leurs pratiques intuitives et d'autre part leur imposer l'irruption du patient pensant et réfléchissant dans leur cabinet de consultation. Cette incompréhension a permis à big pharma d'identifier l'Evidence Based Medicine aux seules études contrôlées, études réalisées par big pharma, études permettant par l'élévation constante de leurs coûts de mettre hors jeu les essais publics ou faits directement par les autorités académiques, de corrompre les investigateurs et de demander des prix de remboursement des médicaments de plus en plus élevés.



Le paradigme de l'oncologie.
L'oncologie est devenue le premier levier de croisssance (avec la vaccinologie) de big pharma. Au delà des succès réels de la spécialité dans certains domaines (hématologie, cancer du testicule, cancer de l'ovaire, et cetera) l'oncologie, se fondant sur la vulgate de l'Eglise de Dépistologie, sur les bons sentiments (tout faire pour sauver une vie) et sur la crédulité de la société et des médecins a réussi l'exploit incroyable de protocoliser le cancer (l'objectif étant, selon un tsar de la cancérologie, d'inclure tous les patients dans des essais), de privatiser la recherche, d'obtenir des prix délirants pour 71 produits ( parfois dangereux) permettant d'allonger l'espérance de vie de 2,1 mois (ICI) au prix de 10 000 dollars par traitement.

Le lobby santeo-industriel.
Nous en avons tant parlé de la corruption de l'Etat, de l'Université, des centres de recherche et du fait que les conférences de consensus sont totalement infiltrées par les intérêts de big pharma, de big matériel et de l'industrie agro-alimentaire.

Est-il possible de faire une autre médecine ?
Je m'arrête là.
Malgré tous nos défauts, il me paraît que ce sont les médecins généralistes aidés de leurs correspondants favoris qui sauveront le système et pourront lutter contre les pratiques délirantes que sont la dépistologie sauvage, la prescription indue d'examens complémentaires inutiles, de médicaments "nouveaux", chers, mal évalués et parfois dangereux et sont les seuls, de par leur "ignorance" et de son acceptation, de gérer l'incertitude, les symptômes qui ne font pas maladie, les maladies construites comme les patients qui consultent car ils font grève de la société, grève de leur milieu professionnel, grève de leur couple, grève de leurs enfants, grève de leurs voisins, grève de leurs amis. Et qui ne sont pas "malades" pour un sou.
Je vous ai jadis proposé la Sécession (LA). Possible ?



Je suis fier d'être médecin généraliste (mais pas celui là).