Dans cette famille tout le monde est casse-pieds.
Quand l'une des femmes de cette famille, la mère ou les soeurs, consulte au cabinet, seule, ou avec son mari, ou avec ses enfants, la consultation n'en finit pas. Il y a toujours quelque chose à ajouter. Ou alors une des femmes de cette famille prend un rendez-vous et vient avec son fils ou avec sa mère ou avec sa nièce en disant de l'air le plus innocent du monde : "J'en ai profité pour l'amener puisque j'avais rendez-vous et qu'il ou elle était malade." Vous avez beau protester, la femme de cette famille s'incruste et vous rend la vie difficile.
J'entends déjà les beaux esprits, les purs médecins, les types qui ne transigent jamais, qui sont droits dans leurs bottes, en train de faire des commentaires méprisants : "Chez moi, cela ne se passe pas comme ça. S'ils n'ont pas rendez-vous, ils reviennent. Non mais ! Moi je sais tenir une clientèle !" J'espère quand même que la majorité des crétins comme moi, ceux qui ne savent pas toujours dire non, ceux qui ne se prennent pas pour Dieu le Père dans leur cabinet, ceux qui se font avoir, savent de quoi je parle.
Quoi qu'il en soit toutes les femmes de cette famille sont construites dans le même métal : elles parlent, elles parlent, elles ne pensent qu'à elles, elles décrivent leurs symptômes avec un luxe raffiné de détail sans compter ce qui n'est pas médical, leurs commentaires sur la vie, la société, le prix de la médecine, l'intérêt de tel ou tel examen complémentaire, ouf, elles en veulent pour leur argent, ces foutus vingt-deux euro, mais elles le font avec un tel calme, avec une telle aisance, on dirait de grandes bourgeoises qu'elles ne sont pas s'adressant à leur voiturier ou à leur femme de ménage, qu'il est difficile de les planter là, face à leurs contradictions. Elles parlent de leur mari, de leur fils, de leur fille, toujours dans cette consultation, "Hein, docteur qu'il ou elle devrait faire un scanner, pourquoi le pédiatre de l'hôpital ne lui a pas prescrit un scanner ?, mais vous savez, docteur Grange, vous êtes notre médecin généraliste, on peut tout vous dire, vous êtes comme quelqu'un de notre famille, on ne peut rien vous cacher, cela fait tellement longtemps que l'on vous connaît... vous vous rappelez quand vous avez fait hospitaliser le fils de ma soeur, il avait une appendicite..." Et ainsi soit-il...
Car les contradictions sont celles-ci : plus elles passent de temps dans le cabinet, les femmes de la famille, et plus elles sortent leurs paperolles où sont inscrits tous les maux dont elles souffrent, dont elles pourraient souffrir ou dont elles ont entendu parler sur Internet, "Vous en pensez quoi, docteur ?", plus elles accumulent les demandes diverses et variées, plus, en fin de consultation, en ultime fin, quand le rendez-vous suivant commence à s'impatienter, quand je m'impatiente car je n'aime pas donner des rendez-vous et être en retard (mais je ne fais pas partie des médecins qui demandent un "supplément" parce qu'ils "offrent" généreusement des rendez-vous alors que c'est le malade qui fait un cadeau au médecin en lui donnant trois, quatre ou cinq euro de plus, voire plus, allez savoir, un double cadeau car cela lui permet de programmer sa journée, car cela lui permet de montrer que sa clientèle est importante, qu'il est un médecin important pour la même raison, puisque les rendez-vous de médecine générale sont à deux, voire trois jours, ça en jette, ça fait occupé, ça fait mec qui a un agenda de ministre...) , la voilà la sœur de la famille qui sort des phrases dans le genre : "J'espère que je n'ai pas pris trop de temps, je sais qu'il y a des gens qui attendent derrière, je suis désolée si j'avais pris un peu plus de temps que d'habitude... moi je suis une vraie malade, pas une de celle qui vient pour un rhume..." et elle est venue effectivement pour un gros rhume, pas un rhume banal, " - Mais vous êtes venue à deux sans rendez-vous. - Mais ce n'était rien, docteur, un petit certificat, un petit corps au pied, un bouton derrière l'oreille, c'est du vite-fait... ah, au fait, je vous dois quelque chose pour mon petit Bastien, si mignon, vous ne trouvez pas qu'il ressemble à son père ?"
Il y a pourtant des exceptions dans la famille : le père, patriarche jaloux de ses prérogatives, qui prend rendez-vous, qui arrive à l'heure, qui vient le plus souvent seul car dans le cas contraire, même s'il a pris deux rendez-vous, par correction, précise-t-il, cela recommence, animé par une des filles ou par la mère, matriarche autoritaire qui croit que le monde de la sémiologie est organisé autour d'elle... Et un des fils. Ce fils a quitté la famille car il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de supporter ses sœurs chez le médecin... Non, je plaisante, il doit y avoir d'autres raisons.
Toujours est-il que ce frère est intarissable sur la connerie (c'est lui qui le dit) et sur le sans-gêne de ses soeurs. Quand il consulte, il n'a jamais beaucoup de temps car il a de fortes activités extraconjugales qui le rendent peu disponibles pour des entorses à son emploi du temps, très serré (sa femme l'appelle souvent pendant qu'il est assis en face de moi et il ne répond pas), il se laisse examiner, prend son ordonnance et me serre la main avec vigueur dans le style : "Bien du courage avec mes sœurs." Il y a une autre raison pour laquelle le frère prodigue ne s'entend plus avec sa famille, c'est qu'elle n'a jamais accepté sa femme et ses enfants. Elle a même été rejetée. Nous en avons déjà parlé ensemble et il m'a fait comprendre que le désaccord était profond. On se demande même s'il n'a pas choisi cette femme parce qu'elle allait le couper définitivement du chœur des sœurs...
Mais on se trompe.
Car la femme du fils prodigue, quand elle vient seule ou en compagnie d'un de ses enfants, est la caricature exacte de ses belles-soeurs qu'elle ne fréquente plus : elle prend un temps fou pour raconter sa vie, pour décrire ses maladies diverses et variées, pour se plaindre, pour faire semblant d'être au parfum, pour passer pour une affranchie, pour amener son fils ou sa fille avec elle, pour un certificat, un vaccin, un bouton sur le nez ou une plaque d'eczéma à traiter "vite fait"... C'est hallucinant. La ressemblance est tellement parfaite... Il faudrait faire un point d'histoire pour savoir qui a commencé : les sœurs ou la belle-sœur. Mais ce sont les belles-sœurs, le point est acquis. Donc, j'en reviens au fils prodigue dont la femme ressemble aux sœurs qu'il ne supporte pas, comment fait-il pour ne pas se rendre compte de la folie mimétique de sa propre femme ? Comment fait-il pour la supporter alors qu'elle est la copie conforme de ses sœurs très chiantes (c'est lui qui parle) ? Ne la supporte-t-il déjà plus ?
Etre casse-pieds, et cela devrait faire plaisir à Roselyne Bachelot, est contagieux : ses experts ne vont-ils pas nous trouver un vaccin ?
Quand l'une des femmes de cette famille, la mère ou les soeurs, consulte au cabinet, seule, ou avec son mari, ou avec ses enfants, la consultation n'en finit pas. Il y a toujours quelque chose à ajouter. Ou alors une des femmes de cette famille prend un rendez-vous et vient avec son fils ou avec sa mère ou avec sa nièce en disant de l'air le plus innocent du monde : "J'en ai profité pour l'amener puisque j'avais rendez-vous et qu'il ou elle était malade." Vous avez beau protester, la femme de cette famille s'incruste et vous rend la vie difficile.
J'entends déjà les beaux esprits, les purs médecins, les types qui ne transigent jamais, qui sont droits dans leurs bottes, en train de faire des commentaires méprisants : "Chez moi, cela ne se passe pas comme ça. S'ils n'ont pas rendez-vous, ils reviennent. Non mais ! Moi je sais tenir une clientèle !" J'espère quand même que la majorité des crétins comme moi, ceux qui ne savent pas toujours dire non, ceux qui ne se prennent pas pour Dieu le Père dans leur cabinet, ceux qui se font avoir, savent de quoi je parle.
Quoi qu'il en soit toutes les femmes de cette famille sont construites dans le même métal : elles parlent, elles parlent, elles ne pensent qu'à elles, elles décrivent leurs symptômes avec un luxe raffiné de détail sans compter ce qui n'est pas médical, leurs commentaires sur la vie, la société, le prix de la médecine, l'intérêt de tel ou tel examen complémentaire, ouf, elles en veulent pour leur argent, ces foutus vingt-deux euro, mais elles le font avec un tel calme, avec une telle aisance, on dirait de grandes bourgeoises qu'elles ne sont pas s'adressant à leur voiturier ou à leur femme de ménage, qu'il est difficile de les planter là, face à leurs contradictions. Elles parlent de leur mari, de leur fils, de leur fille, toujours dans cette consultation, "Hein, docteur qu'il ou elle devrait faire un scanner, pourquoi le pédiatre de l'hôpital ne lui a pas prescrit un scanner ?, mais vous savez, docteur Grange, vous êtes notre médecin généraliste, on peut tout vous dire, vous êtes comme quelqu'un de notre famille, on ne peut rien vous cacher, cela fait tellement longtemps que l'on vous connaît... vous vous rappelez quand vous avez fait hospitaliser le fils de ma soeur, il avait une appendicite..." Et ainsi soit-il...
Car les contradictions sont celles-ci : plus elles passent de temps dans le cabinet, les femmes de la famille, et plus elles sortent leurs paperolles où sont inscrits tous les maux dont elles souffrent, dont elles pourraient souffrir ou dont elles ont entendu parler sur Internet, "Vous en pensez quoi, docteur ?", plus elles accumulent les demandes diverses et variées, plus, en fin de consultation, en ultime fin, quand le rendez-vous suivant commence à s'impatienter, quand je m'impatiente car je n'aime pas donner des rendez-vous et être en retard (mais je ne fais pas partie des médecins qui demandent un "supplément" parce qu'ils "offrent" généreusement des rendez-vous alors que c'est le malade qui fait un cadeau au médecin en lui donnant trois, quatre ou cinq euro de plus, voire plus, allez savoir, un double cadeau car cela lui permet de programmer sa journée, car cela lui permet de montrer que sa clientèle est importante, qu'il est un médecin important pour la même raison, puisque les rendez-vous de médecine générale sont à deux, voire trois jours, ça en jette, ça fait occupé, ça fait mec qui a un agenda de ministre...) , la voilà la sœur de la famille qui sort des phrases dans le genre : "J'espère que je n'ai pas pris trop de temps, je sais qu'il y a des gens qui attendent derrière, je suis désolée si j'avais pris un peu plus de temps que d'habitude... moi je suis une vraie malade, pas une de celle qui vient pour un rhume..." et elle est venue effectivement pour un gros rhume, pas un rhume banal, " - Mais vous êtes venue à deux sans rendez-vous. - Mais ce n'était rien, docteur, un petit certificat, un petit corps au pied, un bouton derrière l'oreille, c'est du vite-fait... ah, au fait, je vous dois quelque chose pour mon petit Bastien, si mignon, vous ne trouvez pas qu'il ressemble à son père ?"
Il y a pourtant des exceptions dans la famille : le père, patriarche jaloux de ses prérogatives, qui prend rendez-vous, qui arrive à l'heure, qui vient le plus souvent seul car dans le cas contraire, même s'il a pris deux rendez-vous, par correction, précise-t-il, cela recommence, animé par une des filles ou par la mère, matriarche autoritaire qui croit que le monde de la sémiologie est organisé autour d'elle... Et un des fils. Ce fils a quitté la famille car il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de supporter ses sœurs chez le médecin... Non, je plaisante, il doit y avoir d'autres raisons.
Toujours est-il que ce frère est intarissable sur la connerie (c'est lui qui le dit) et sur le sans-gêne de ses soeurs. Quand il consulte, il n'a jamais beaucoup de temps car il a de fortes activités extraconjugales qui le rendent peu disponibles pour des entorses à son emploi du temps, très serré (sa femme l'appelle souvent pendant qu'il est assis en face de moi et il ne répond pas), il se laisse examiner, prend son ordonnance et me serre la main avec vigueur dans le style : "Bien du courage avec mes sœurs." Il y a une autre raison pour laquelle le frère prodigue ne s'entend plus avec sa famille, c'est qu'elle n'a jamais accepté sa femme et ses enfants. Elle a même été rejetée. Nous en avons déjà parlé ensemble et il m'a fait comprendre que le désaccord était profond. On se demande même s'il n'a pas choisi cette femme parce qu'elle allait le couper définitivement du chœur des sœurs...
Mais on se trompe.
Car la femme du fils prodigue, quand elle vient seule ou en compagnie d'un de ses enfants, est la caricature exacte de ses belles-soeurs qu'elle ne fréquente plus : elle prend un temps fou pour raconter sa vie, pour décrire ses maladies diverses et variées, pour se plaindre, pour faire semblant d'être au parfum, pour passer pour une affranchie, pour amener son fils ou sa fille avec elle, pour un certificat, un vaccin, un bouton sur le nez ou une plaque d'eczéma à traiter "vite fait"... C'est hallucinant. La ressemblance est tellement parfaite... Il faudrait faire un point d'histoire pour savoir qui a commencé : les sœurs ou la belle-sœur. Mais ce sont les belles-sœurs, le point est acquis. Donc, j'en reviens au fils prodigue dont la femme ressemble aux sœurs qu'il ne supporte pas, comment fait-il pour ne pas se rendre compte de la folie mimétique de sa propre femme ? Comment fait-il pour la supporter alors qu'elle est la copie conforme de ses sœurs très chiantes (c'est lui qui parle) ? Ne la supporte-t-il déjà plus ?
Etre casse-pieds, et cela devrait faire plaisir à Roselyne Bachelot, est contagieux : ses experts ne vont-ils pas nous trouver un vaccin ?