samedi 6 mars 2010

UNE FAMILLE SYMPATHIQUE - HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-SEPTIEME EPISODE

Dans cette famille tout le monde est casse-pieds.
Quand l'une des femmes de cette famille, la mère ou les soeurs, consulte au cabinet, seule, ou avec son mari, ou avec ses enfants, la consultation n'en finit pas. Il y a toujours quelque chose à ajouter. Ou alors une des femmes de cette famille prend un rendez-vous et vient avec son fils ou avec sa mère ou avec sa nièce en disant de l'air le plus innocent du monde : "J'en ai profité pour l'amener puisque j'avais rendez-vous et qu'il ou elle était malade." Vous avez beau protester, la femme de cette famille s'incruste et vous rend la vie difficile.
J'entends déjà les beaux esprits, les purs médecins, les types qui ne transigent jamais, qui sont droits dans leurs bottes, en train de faire des commentaires méprisants : "Chez moi, cela ne se passe pas comme ça. S'ils n'ont pas rendez-vous, ils reviennent. Non mais ! Moi je sais tenir une clientèle !" J'espère quand même que la majorité des crétins comme moi, ceux qui ne savent pas toujours dire non, ceux qui ne se prennent pas pour Dieu le Père dans leur cabinet, ceux qui se font avoir, savent de quoi je parle.
Quoi qu'il en soit toutes les femmes de cette famille sont construites dans le même métal : elles parlent, elles parlent, elles ne pensent qu'à elles, elles décrivent leurs symptômes avec un luxe raffiné de détail sans compter ce qui n'est pas médical, leurs commentaires sur la vie, la société, le prix de la médecine, l'intérêt de tel ou tel examen complémentaire, ouf, elles en veulent pour leur argent, ces foutus vingt-deux euro, mais elles le font avec un tel calme, avec une telle aisance, on dirait de grandes bourgeoises qu'elles ne sont pas s'adressant à leur voiturier ou à leur femme de ménage, qu'il est difficile de les planter là, face à leurs contradictions. Elles parlent de leur mari, de leur fils, de leur fille, toujours dans cette consultation, "Hein, docteur qu'il ou elle devrait faire un scanner, pourquoi le pédiatre de l'hôpital ne lui a pas prescrit un scanner ?, mais vous savez, docteur Grange, vous êtes notre médecin généraliste, on peut tout vous dire, vous êtes comme quelqu'un de notre famille, on ne peut rien vous cacher, cela fait tellement longtemps que l'on vous connaît... vous vous rappelez quand vous avez fait hospitaliser le fils de ma soeur, il avait une appendicite..." Et ainsi soit-il...
Car les contradictions sont celles-ci : plus elles passent de temps dans le cabinet, les femmes de la famille, et plus elles sortent leurs paperolles où sont inscrits tous les maux dont elles souffrent, dont elles pourraient souffrir ou dont elles ont entendu parler sur Internet, "Vous en pensez quoi, docteur ?", plus elles accumulent les demandes diverses et variées, plus, en fin de consultation, en ultime fin, quand le rendez-vous suivant commence à s'impatienter, quand je m'impatiente car je n'aime pas donner des rendez-vous et être en retard (mais je ne fais pas partie des médecins qui demandent un "supplément" parce qu'ils "offrent" généreusement des rendez-vous alors que c'est le malade qui fait un cadeau au médecin en lui donnant trois, quatre ou cinq euro de plus, voire plus, allez savoir, un double cadeau car cela lui permet de programmer sa journée, car cela lui permet de montrer que sa clientèle est importante, qu'il est un médecin important pour la même raison, puisque les rendez-vous de médecine générale sont à deux, voire trois jours, ça en jette, ça fait occupé, ça fait mec qui a un agenda de ministre...) , la voilà la sœur de la famille qui sort des phrases dans le genre : "J'espère que je n'ai pas pris trop de temps, je sais qu'il y a des gens qui attendent derrière, je suis désolée si j'avais pris un peu plus de temps que d'habitude... moi je suis une vraie malade, pas une de celle qui vient pour un rhume..." et elle est venue effectivement pour un gros rhume, pas un rhume banal, " - Mais vous êtes venue à deux sans rendez-vous. - Mais ce n'était rien, docteur, un petit certificat, un petit corps au pied, un bouton derrière l'oreille, c'est du vite-fait... ah, au fait, je vous dois quelque chose pour mon petit Bastien, si mignon, vous ne trouvez pas qu'il ressemble à son père ?"
Il y a pourtant des exceptions dans la famille : le père, patriarche jaloux de ses prérogatives, qui prend rendez-vous, qui arrive à l'heure, qui vient le plus souvent seul car dans le cas contraire, même s'il a pris deux rendez-vous, par correction, précise-t-il, cela recommence, animé par une des filles ou par la mère, matriarche autoritaire qui croit que le monde de la sémiologie est organisé autour d'elle... Et un des fils. Ce fils a quitté la famille car il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus de supporter ses sœurs chez le médecin... Non, je plaisante, il doit y avoir d'autres raisons.
Toujours est-il que ce frère est intarissable sur la connerie (c'est lui qui le dit) et sur le sans-gêne de ses soeurs. Quand il consulte, il n'a jamais beaucoup de temps car il a de fortes activités extraconjugales qui le rendent peu disponibles pour des entorses à son emploi du temps, très serré (sa femme l'appelle souvent pendant qu'il est assis en face de moi et il ne répond pas), il se laisse examiner, prend son ordonnance et me serre la main avec vigueur dans le style : "Bien du courage avec mes sœurs." Il y a une autre raison pour laquelle le frère prodigue ne s'entend plus avec sa famille, c'est qu'elle n'a jamais accepté sa femme et ses enfants. Elle a même été rejetée. Nous en avons déjà parlé ensemble et il m'a fait comprendre que le désaccord était profond. On se demande même s'il n'a pas choisi cette femme parce qu'elle allait le couper définitivement du chœur des sœurs...
Mais on se trompe.
Car la femme du fils prodigue, quand elle vient seule ou en compagnie d'un de ses enfants, est la caricature exacte de ses belles-soeurs qu'elle ne fréquente plus : elle prend un temps fou pour raconter sa vie, pour décrire ses maladies diverses et variées, pour se plaindre, pour faire semblant d'être au parfum, pour passer pour une affranchie, pour amener son fils ou sa fille avec elle, pour un certificat, un vaccin, un bouton sur le nez ou une plaque d'eczéma à traiter "vite fait"... C'est hallucinant. La ressemblance est tellement parfaite... Il faudrait faire un point d'histoire pour savoir qui a commencé : les sœurs ou la belle-sœur. Mais ce sont les belles-sœurs, le point est acquis. Donc, j'en reviens au fils prodigue dont la femme ressemble aux sœurs qu'il ne supporte pas, comment fait-il pour ne pas se rendre compte de la folie mimétique de sa propre femme ? Comment fait-il pour la supporter alors qu'elle est la copie conforme de ses sœurs très chiantes (c'est lui qui parle) ? Ne la supporte-t-il déjà plus ?
Etre casse-pieds, et cela devrait faire plaisir à Roselyne Bachelot, est contagieux : ses experts ne vont-ils pas nous trouver un vaccin ?

vendredi 5 mars 2010

LE DIABETE DE TYPE 2 : UN CAS D'ECOLE POUR LA STRATEGIE DE KNOCK


La stratégie de Knock (ou disease mongering) consiste, dans le cas du diabète sucré de type 2 (ou diabète gras ou diabète de la maturité) à



  1. Dramatiser sa fréquence à partir de chiffres vérifiables mais peu vérifiés : deux millions de Français seraient porteurs d'un diabète de type 2 et il en existerait 600 000 qui s'ignoreraient (diabétiques "invisibles") selon Wikipedia. Trois millions selon la Mutuelle Nationale Territoriale.

  2. Dramatiser l'augmentation des nouveaux cas réelle et prévisible en parlant d'une maladie épidémique.

  3. Imposer une stratégie de lutte reposant sur un rationnel éprouvé (sinon prouvé) : combattre les complications cardiovasculaires et microcirculatoires sans preuves réelles (oeil et rein).

  4. Promouvoir une stratégie thérapeutique simple et univoque en visant trois critères de substitution : l'HbA1C ou hémoglobine glyquée inférieure à 7, le LDL cholesterol inférieur à 1 et la pression artérielle inférieure à 140 - 90.

  5. S'appuyer sur un leitmotiv univoque qui serait que "The Lower the better" ou, en français "Moins c'est mieux".

  6. Privilégier les essais sponsorisés par Big Pharma qui n'apportent rien sur le plan essentiel de la diminution significative de la mortalité totale mais qui autorisent la vente de nouveaux médicaments qui n'ont fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur innocuité (cf. les glitazones).

  7. Négliger l'article fondateur du traitement du diabète ou UKPDS (pour United Kingdom Prospective Diabetes Study) qui privilégie uniquement la metformine.

  8. Faire des campagnes nationales grand public pour "sensibiliser" les patients et, surtout, les futurs malades. En France comme à Abidjan.

  9. Mobiliser les associations de patients comme l'AFD (Association Française des Diabétiques) dont on connaît les liens, il suffit de regarder la page d'accueil, avec l'industrie pharmaceutique et les marchands de diététique. Mais une recherche rapide sur google est impressionnante : ici et .

  10. Mobiliser les experts de tous poils afin que, tels des Hare Krishna, les leaders d'opinion internationaux, nationaux, locorégionaux psalmodient partout "MOINS C'EST MIEUX !", à tous les coins de rue, dans les Congrès comme dans les restaurants où ils mangent au frais de Big Pharma, dans les hôpitaux comme dans les Formations Médicales Continues sponsorisées par Big Pharma, par la CPAM ou par les syndicats médicaux... dans les allées du pouvoir (la DGS) comme dans les locaux des Agences Gouvernementales (HAS) ou presque (InVS). Hare Krishna, Hare Krishna.

  11. Investir tous les lieux de pouvoir afin de promouvoir le traitement (voir le CAPI), le dépistage, le surdépistage et la propagation des fausses rumeurs, tout ceci, au nom des experts, et le faire assumer par la CPAM, bon toutou de la HAS et des industriels, qui agit sous le masque de l'amélioration des performances et de carottes budgétaires pour les médecins.




Il est également nécessaire de cacher, de taire, de réduire au silence tous les arguments contraires et de nier tous les faits qui s'opposent à cette fantastique stratégie d'intoxication.

Et les experts peuvent compter sur le silence de la presse médicale qui est, à quelques exceptions près, aux ordres, sur le silence de la presse grand public dans le même métal, le silence des politiques qui ne savent qu'emboîter le pas sur celui des leaders d'opinion qui leur permettent de faire du sentiment (sauver des vies !) et d'engranger facilement des voix.


Quels sont les principaux arguments contre le tout diabète (LE MOINS EST L'ENNEMI DU MIEUX)
  1. Il n'existe quasiment qu'une seule étude qui montre une diminution de la morbimortalité en traitant le diabète de type 2 : l'étude UKPDS et vous verrez ici les commentaires que j'en ai faits (l'étude, brandie comme un étendard par les experts dits indépendants, est d'une très faible qualité méthodologique, surtout vers la fin puisque le nombre des perdus de vue est aussi important que dans le cas d'une étude menée par l'InVS et qu'elle est non comparative). Elle est surtout favorable à la metformine (glucophage, stagid en France), ce dont les industriels et donc les experts ne sont pas SATISFAITS puisque la molécule est génériquée depuis de nombreuses années

  2. Le critère de substitution HbA1C est sujet à caution ou plutôt l'application de la formule "The Lower the Better" n'est pas appropriée le concernant : un essai récent (Lancet 2010;375:481-9) a montré qu'une HbA1C en dessous de 7 entraînait plus de morts qu'une HbA1C supérieure à 7 et qu'une augmentation de mortalité réapparaissait au dessus de 9 ! Etonnant, non, pour les experts du Toujours Moins ? Et cet essai dit observationnel confirme trois essais contrôlés dont je vous ai déjà parlé ici. Ce qui n'empêche pas les recommandations grand public de préconiser un chiffre inférieur à 7 sur le net comme dans la rue !

  3. La baisse jusqu'auboutiste et de la pression artérielle et du LDL cholesterol conduit également à des effets inverses (la fameuse courbe en U) ou n'entraîne pas les effets escomptés.
  4. Des études indiquent que la baisse de la mortalité cardiovasculaire chez les diabétiques s'est déjà produite avant que l'on ne s'occupe de faire baisser strictement l'HbA1C (Fox CS et al. JAMA 2004;292:2495-9 ; Dale AC et al. BMJ 2008;337:a236) et que le nombre des dialyses rénales pour diabète a diminué de 40 % aux Etats-Unis entre 1996 et 2006 alors que c'était la période où l'accès à la dialyse était devenue plus facile (Burrows NR et al. Diabetes Care 2010;33:73-7)
  5. Le slogan "Toujours moins !" induit une débauche de prescriptions tant pour la baisse de l'HbA1C (jusqu'à la trithérapie) que pour la baisse de la pression artérielle (tri voire quadrithérapie) et du cholestérol (bithérapie) avec, en outre, de l'aspirine pour délayer le tout. Les interactions médicamenteuses font florès et sont rarement prises en compte.
Nous sommes bien au coeur de la Stratégie de Knock : le diabète est une cause nationale, tout le monde doit s'en préoccuper, les médecins, les malades comme les futurs malades, les sociétés ssavantes, les associations de patients, les politiques, les Autorités de santé dans une gabegie formidable de fonds, d'allocations, de ressources.
Tout le monde y croit. Tout le monde se sent concerné.
Les industriels du médicament et des dosages vont ganger de l'argent.
Les médecins également par le biais du nombre de consultants et des honoraires accordés par la prime à la Performance (appelée CAPI).
Mais il s'agit, à n'en pas douter, de mauvaise médecine. comme l'écrit Des Spence, médecin généraliste à Glasgow (un des endroits du monde avec la Karélie finlandaise où le taux d'infarctus du myocarde est un des plus élevés de la planète), dans le British Medical Journal.
Je vous livre sa conclusion avec laquelle, comme d'habitude, vous me connaissez, je ne suis pas d'accord à cent pour cent, mais je vous laisserai conclure : Le diabète de type 2 est véritablement de la mauvaise médecine car il a autorisé les médecins à se vautrer dans le confort facile d'un modèle de maladie, évitant le chaos froid d'une politique sociale s'attaquant à l'obésité. Il est temps pour les médecins de promouvoir la santé plutôt que d'être payés pour promouvoir Big Pharma.


dimanche 28 février 2010

DIABETE, HEMOGLOBINE GLYQUEE ET CAPI

Une nouvelle publication parue dans la revue britannique The Lancet (et que je ne peux vous mettre en ligne pour des raisons de droits) indique, encore une fois, que le mieux serait l'ennemi du bien. Cette étude observationnelle regroupant 28000 patients diabétiques suivis en médecine générale montre qu'une HbA1C inférieure à 7 % est associée avec la plus forte mortalité (de même niveau que celle associée à une HbA1C de 9 %) et que le meilleur taux d'HbA1C associé serait de 7,5 !

La référence : Currie CJ, Peters JR, Tynan A, Evans M, Heine RJ, Bracco OL, et al. Survival as a function of HbA1c in people with type 2 diabetes: a retrospective cohort study. Lancet 2010;375:481-9

Les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris. Cette étude observationnelle corrobore un certain nombre de données que nous avions évoquées ici et qui étaient tirées d'essais contrôlés : ACCORD, ADVANCE, et VADT.

Ces données sont aussi à comparer à celles de l'UKPDS prolongée, essai non contrôlé d'un faible niveau de preuves, qui avait montré que le fait de contrôler très strictement l'HbA1C dans la première année de traitement produisait des effets cardiovasculaires bénéfiques plusieurs années après. Mais, et c'est Lehman R et Krumholz HM qui le souligne dans un numéro récent du British Medical Journal (ici mais vous ne pourrez lire que si vous êtes abonné), ces malades bénéficiaires n'avaient pas atteint un niveau moyen de HbA1C inférieur à 7 !

Il est intéressant de noter qu'une HbA1C inférieure à 7 est un des objectifs du NICE anglais et que les auteurs que je viens de citer demandent un moratoire. Par ailleurs le National Committee on Quality Assurance aux Etats-Unis vient de suspendre cet objectif !

Et ainsi, j'en reviens à mon dada, le très français CAPI (Contrat d'Amélioration des Pratiques Individuelles), dont je vous ai déjà dit ici tout le bien que j'en pensais (c'est de l'humour) était, heureusement, très en retard (il n'a donc pas besoin de revenir sur ce qu'il aurait pu suggérer) mais il propose une logique du trois à quatre dosages d'HbA1C par an (les bons médecins) sans préciser de seuil, tout en développant une logique dans ses documents officiels du "toujours moins".
Donc, toujours plus de dosages et toujours pas de cibles définies pour ce que l'on mesure La CPAM innove : mesurer, mesurer, il en restera toujours quelque chose, mais pour quoi faire ? Mystère et boule de gomme.

A suivre.

jeudi 18 février 2010

FRANCOIS BRICAIRE EST PAUVRE : ORGANISONS RAPIDEMENT UN BRICAIROTHON !


En écoutant les propos de François Bricaire sur France-Info (il répondait aux questions d'un journaliste dans une émission sur le bilan de la grippe A/H1N1v à laquelle participait Marc Girard) j'ai eu la larme à l'oeil. La recherche française dont, sans nul doute, le professeur Bricaire est l'un des plus éminents fleurons (les gens qui le connaissent riront, ceux qui ne le connaissent pas n'y verront aucun humour), ne peut voyager. François Bricaire, le fameux fils de son père, l'éminent Henri Bricaire, endocrinologue qui nous apprit deux ou trois choses à Cochin dans les années soisxante-dix (et je ne peux résister à la vieille plaisanterie sur la famille Debré : le père était un aigle -- le fameux Robert Debré "inventeur" de la pédiatrie française--, le fils un faucon -- l'éminent Michel Debré, un des pères de la Cinquième République-- et le petit-fils un vrai c..., chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin où fut opéré Mitterrand mais pas par lui), a besoin, pour rencontrer les éminents chercheurs internationaux en infectiologie de se faire payer ses voyages à l'étranger par Big Pharma. Il est vrai que ses faibles émoluements de chef de service ne lui permettent pas de prendre un billet de deuxième classe et un hôtel deux étoiles lors du prochain congrès de l'ICAAC (International Conference on Antimicrobial Agents and Chemotherapy) qui est la référence mondiale et qui se tiendra à Boston en septembre prochain. Il préfèrera la classe Affaires et le Grand Hyatt ainsi que tous les faux frais (repas et excursions) !
Il est donc temps d'organiser un Bricairothon afin que notre grand chercheur national, expert de toute l'infectiologie française, expert des vaccins et de tout le reste, puisse assister, sans l'aide de Big Pharma à ce Congrès où ses confrères du monde entier attendent ses communications avec un enthousiasme qui, espèrons-le, sera communicatif.
Il est temps de l'affranchir des influences néfastes de Big Pharma et qu'il puisse rencontrer ses amis internationaux qui ne manqueront pas de le fêter lorsqu'il arrivera dans sa suite...
A moins qu'il ne décide, comme le grand expert indépendant Bruno Lina qui a donné sa méthode, infaillible pour être indépendant et devenir insensible aux conflits d'intérêts, dans la même émission de France-Info, à savoir accepter toutes les sollicitations, prendre l'argent d'où qu'il vienne et, ainsi, en ayant mangé à tous les rateliers, et des rateliers concurrents, précise-t-il, ne plus se rappeler d'où venait l'argent et agir en toute sérénité. Nous croyons rêver.
Quand nous aurons les données chiffrées du coût prévisible du déplacement du professeur Bricaire à Boston, rien n'est encore précisé sur le site de l'ICAAC, nous ne manquerons pas d'organiser une levée de fonds afin que notre chercheur national et expert dans le même métal puisse désormais parler en toute franchise dans les nombreuses émissions où il est invité.
Sauvons le soldat Bricaire !

vendredi 12 février 2010

COMMENT PARLER AUX MALADES. HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-SEPTIEME EPISODE

Monsieur T a la tête des mauvais jours. Il revient me montrer un scanner abdomino-pelvien que j'ai demandé pour explorer des douleurs abdominales difficiles à cerner. Il me dépose la pochette sur le bureau comme s'il voulait s'en débarrasser.
Je connais Monsieur T depuis maintenant trente ans. Je connais son ex femme, je connais ses enfants, je connais ses petits-enfants. J'ai connu ses nombreuses maîtresses qu'il me présentait comme un trophée. Je sais beaucoup de choses le concernant, du moins ce qu'il a laissé paraître et ce que j'ai glané ici et là (des demi vérités comme des mensonges, voire des ragots).
J'essaie, en lisant le compte rendu, d'être neutre. Mais ce que j'y vois n'est pas fameux : il y a des pêches partout et notamment au niveau du foie. Mais mon non verbal ne devait pas être aussi neutre que cela : il me connaît aussi et jusqu'à présent je ne lui ai jamais annoncé de "vraie" mauvaise nouvelle. Une hypertension, une bronchiolite chez un de ses enfants, un début de diabète chez une de ses "amies". Là, il comprend tout de suite que je ne suis pas content qu'il ait dérogé à la bénignité habituelle de ses pathologies et il se demande pourquoi je ne garde pas mon habituelle dérision.
"Bon, il va falloir faire quelque chose... - J'ai lu qu'il y avait un kyste... - Oui, oui, un kyste. Il faut que l'on sache s'il est gentil ou méchant. - Et sur le foie, le rapport dit... - Sur le foie, oui, il y a des images bizarres. Faut vérifier. Je vais m'occuper de cela. Mais ce n'est pas fameux fameux."
Je rédige un courrier pour mon oncologue préféré et un autre pour mon chirurgien oncologue préféré (qui ne travaillent pas toujours ensemble). Ma secrétaire, dans l'entrefaite, a pris des rendez-vous accélérés avec les deux médecins (elle connaît parfaitement les secrétaires respectives et je profite de leurs relations de pairs...).
Monsieur T a lu le compte rendu de scanner où est écrite une expression savoureuse : "...néoformation néokystique...". Que dire de plus ?
Je lui explique donc qu'il va devoir faire un bilan complet, un autre scanner, des prises de sang et qu'il est probable qu'un chirurgien, à un moment ou à un autre, devra s'occuper de lui...
(Il est clair, comme dirait l'autre, que je suis mal à l'aise et, pour tout dire, passablement ennuyé : faut-il, ne sachant pas d'où viennent exactement les images hépatiques, le poumon est douteux, lui envoyer dans la figure qu'il a un cancer avec des métastases et que le pronostic est aussi agréable qu'un coucher de soleil sur une raffinerie ukrainienne ?)
Je dois donc avoir un visage lugubre, ce qui n'est pas dans mes habitudes et je tente bien un ou deux sourires mais ils passent mal... Pourtant, à la fin de la consultation, mon non verbal ne devait pas être si évident que cela, Monsieur T, 63 ans, me demande, presque en s'excusant : "Ce n'est quand même pas un cancer, docteur ?".

Commentaires personnels : En me relisant je vois combien je me suis senti gêné en parlant à ce patient. Gêné parce qu'il a probablement une saloperie dont il ne va pas se sortir, gêné parce qu'il va falloir que j'assume et qu'éventuellement il assume un pronostic réservé, gêné parce que je le connais depuis trente ans, gêné parce que je connais ses enfants, gêné parce que je connais ses petits-enfants, gêné parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il ait un cancer, gêné parce que ce n'est pas aisé de se rendre compte qu'un "vieux" malade va nous laisser "tomber"...

Commentaires plus généraux : Quand j'ai quitté la faculté de médecine, en 1979, personne ne nous avait appris ce que signifiait ne pas dire la vérité au malade, ce qui était la règle à l'époque ; je m'étais rendu compte, notamment en neurologie où j'étais interne, que l'habitude était de mentir au malade et de dire la vérité à la famille, sans raisons théoriques expliquées ; sinon pour se moquer des Anglo-Saxons qui faisaient le contraire : des crétins, disaient-on ; j'ai appris ensuite, au gré des consultations de couloir, que si les Anglo-Saxons faisaient cela, c'était pour des raisons juridiques ; et j'y ai cru. Ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé qu'il existait, grossièrement, deux conceptions de la relation médecin malade : la relation théoriquement symétrique du système libéral (au sens philosophique : le corps du malade appartient au malade) et la relation théoriquement hiérarchique du système paternaliste (le médecin sait et le malade ferme sa gueule) ; puis les choses ont commencé à changer et, brusquement, les médecins français se sont mis à la mode du 'Je dis tout.' sans s'interroger sur les nouvelles raisons de cette attitude (pas plus qu'ils ne s'étaient interrogés sur l'attitude contraire). On dira que la société a évolué, que les mentalités également, que nous sommes entrés dans la période des droits et que celle des devoirs est devenue plus restreinte, mais, quoi, où étais-je face à ce malade ? En regardant les autres (c'est toujours plus facile) j'ai compris que les médecins étaient passés du silence à l'extraversion mais que cela ne changeait en rien leur peur ou leur dégoût du malade (au sens du dégoût de la mort de l'autre comme métaphore de la sienne propre). Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade"Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...

Retour sur moi-même : Avec les années j'ai compris que le plus important n'était pas la vérité mais l'espoir. Il fallait bien entendu ne pas complètement mentir mais il fallait, par la même occasion, ne pas complètement dire la vérité. Le malade que l'on savait aller vers la mort avait toujours la possibilité de déjouer (pas seulement en se rendant à Lourdes mais dans un service hospitalier ou à son domicile) en ne mettant pas ses pas dans ceux de l'expérience des médecins et en s'en sortant ou en vivant dans de bonnes conditions beaucoup plus longtemps que cela n'était écrit dans Cancer ou dans The Journal of Oncology. Il n'est pas possible, c'est mon point de vue, qu'un malade sorte d'un cabinet en sachant à cent pour cent qu'il va mourir. Il doit être convaincu (même à la marge), soit par le non verbal (le regard empathique du médecin, pas trop empathique car cela pourrait avoir un effet inverse tellement les malades sont peu habitués aux médecins aimants), soit par une histoire d'Allan (un mensonge ou un pseudo mensonge en forme de parabole ou de conte ou d'histoire ou de métaphore) qu'il est déjà arrivé que des malades s'en sortent.

Le malade : Les médecins paternalistes savent et le répètent à l'envi que les malades sont des malins et qu'il ne faut pas les croire sur parole. Ils ont raison. Mais ils en profitent trop pour leur mentir encore plus. Il ne faut jamais croire un citoyen bien portant dont vous êtes pourtant le médecin traitant quand il vous dit : "Le jour où je serai malade, docteur, enfin, vous comprenez, vraiment malade, il faudra me dire la vérité." Le patient citoyen ne ment pas, il est persuadé que dans la situation où il sera vraiment malade il se comportera de cette façon. Mais personne n'en sait rien et pas plus lui que son médecin traitant. Quant au médecin en bonne santé, il n'a aucun rapport avec le médecin malade qui se comporte plus en malade qu'en médecin : question de statut. Les médecins "libéraux", au sens rawlesien du terme, à condition qu'ils soient jusqu'au boutistes, ne devraient pas plus faire confiance au citoyen en bonne santé que les autres.

Les soins palliatifs. Je ne suis pas là pour enfoncer une porte ouverte ni pour mettre le désordre. Mais les services de soins palliatifs me font horreur. Ils sont nés, convenons-en, de l'incapacité qu'a toujours eu l'hôpital à gérer la souffrance, la déchéance et, finalement, ce qui précédait la mort. Le travail que font les personnels soignants dans ces services est forcément admirable mais pense-t-on à ces malades qui entrent dans un service hospitalier pour mourir ou pour ne pas souffrir avant de mourir ? Pense-t-on à ces malades qui entrent dans un mouroir aseptisé et dans quel état d'esprit ils doivent se trouver dans ces antres de la modernité qui tentent de cacher qu'ils sont en train de naviguer sur le Styx entourés de seringues électriques, de perfuseurs indolores et de saints modernes et laïques qui leur administrent l'extrême-onction de la médecine moderne ?

jeudi 11 février 2010

PNEUMO 23 : OUI OU NON ?

Lisant d'un postérieur distrait le courrier d'un pneumologue que venait de me tendre un patient porteur de bronchite chronique obstructive, je me mis à rêvasser.


Ce courrier hygiéniste et, comme on l'a vu, hygiénique, me rappelait en des termes peu courtois qu'il fallait vacciner le patient avec le vaccin Pneumo 23, que j'avais oublié, que c'était mal, et qu'il fallait le faire tous les trois ans.


Ce pneumologue, et ne voulant pas être poursuivi par la HALDE pour discrimination, j'hésite à vous dire qu'il s'agissait d'une pneumologue, je ne l'avais pas choisie. C'était mon patient, dont le père de la soeur du réparateur de télé qui était passé chez sa voisine lui avait parlé, qui me l'avait conseillé. A vrai dire, et sur ce point particulier, je peux très bien prescrire, dans mon coin, un pneumologue en dci (dénomination commune internationale), car ils pensent tous la même chose dans leurs lettres (le ton n'est pas toujours le même) et c'est donc, comme ils sont des spécialistes en pneumologie, qu'ils doivent avoir raison. La seule différence entre ces spécialistes tient à la couleur de leur moquette, au délai pour obtenir un rendez-vous et à leur possible amabilité / mal amabilité. Ils pensent tous de la même façon, est-ce donc un consensus ? Qu'est-ce qu'un consensus ? J'ai tendance à penser, mais vous excuserez mes chemins de traverse, que la science n'est pas la démocratie : ce n'est pas parce que tous les experts pensent (cf. la grippe mais antérieurement, pour faire le malin, la rotondité de la terre et, pour obtenir en un centième de seconde un point Godwin, la supériorité des camps communistes sur les camps nazis) la même chose qu'ils ne se trompent pas.


Où en étais-je ?


"Mon" malade, vous savez, celui dont je suis le médecin traitant, venait donc, fier de son courrier, me donner la leçon par spécialiste interposé.


Que faire ?


J'avais lu, il y a peu, un article écossais ,dont vous ne pourrez lire que l'abstract car les droits sont payants, disant grosso modo ceci (il s'agit d'une étude de cohorte rétrospective sur des patients âgés de plus de 65 ans) : pas d'effets du vaccin sur la diminution de la mortalité ; diminution du nombre d'infections pneumococciques invasives d'environ 30 % et signification statistique chez les patients de tous sexes âgés de plus de 75 ans et seulement chez les femmes entre 65 et 74 ans (j'espère que la HALDE ne va pas me poursuivre encore une fois...). Mais surtout qu'il était nécessaire de vacciner plus de 5000 personnes, vous m'entendez, cinq mille personnes, pour éviter une infection invasive par le pneumocoque !


"Mon" patient a soixante-douze ans.

La pneumologue a-t-elle raison ?

Il est vrai que les recommandations internationales convergent toutes dans le même sens : vacciner les plus de 65 ans porteurs de facteurs de risque et le faire tous les cinq ans.


Tout le monde le dit (enfin, les Recommandations) : les Etatsuniens, les Français et les autres dont le Canada, ou l'Australie...


Mais il existe quand même des voix discordantes...

Prescrire, notamment (n° 186).

Et quand Prescrire doute de l'efficacité d'un vaccin, il faut vraiment qu'il y ait des doutes ! Je ne peux malheureusement rien mettre en ligne en raison de la confidentialité prescririenne et de la complexité du moteur de recherche Prescrire.
Mais même Infovac, la lettre d'information sponsorisée par Big Pharma, dit qu'il faut réserver le vaccin aux patients à plus hauts risques d'infections pneumococciques systémiques (et vous pouvez consulter le lien qui informe sur les sujets à risques : ici) et, je cite, "même en situation de pandémie il n'y a pas lieu d'élargir les indications de ce vaccin a) en créant une pénurie pour ceux qui en ont besoin, b) en suscitant chez des patients qui ne relèvent pas de ce vaccin des phénomènes d'hyporéactivité, c) alors que [et ici on est en plein marketing pharmaceutique : Coluche aurait dit Pneumo machin chose vaccine plus blanc que pneumo 23] le vaccin pneumococcique conjugué 13 valent vient d'obtenir un avis favorable de l'EMEA et devrait être disponible en 2010 !
Quoi qu'il en soit, une autre étude contrôlée et je demande l'indulgence, je n'ai pas réussi à la retrouver dans mon fatras bibliographique, montrait que dans les centres pour personnes âgées la mortalité n'était pas diminuée et le nombre d'infections par pneumocoque invasif était diminué non significativement de dix pour cent chez les patients à haut risque !
Que faire ?
Vacciner les patients à risque élevé ne résidant pas en institution en les prévenant que l'efficacité de la vaccination n'est pas assurée ? Ne vacciner que les patients à risque élevé vivant en foyers-logements non ou médicalisés ou en EHPAD plus généralement ?
J'avoue ne pas savoir que répondre.
J'ai bien envie (avis personnel) de vacciner les patients à hauts risques vivant en institution et les autres ne vivant pas en institution mais qui me le demandent mais à condition qu'ils soient à haut risque.
Et pas tous les trois ans.
A la question : Pneumo 23 oui ou non ? Je suis donc indécis.

mercredi 3 février 2010

GARDASIL PAR DESSOUS LA JAMBE - HISTOIRES DE CONSULTATION : SEIZIEME EPISODE

Gardasil par dessous la jambe.



La jeune fille timide vient avec son papa dont je suis le médecin traitant.
Elle, je ne la vois jamais : elle est suivie par un pédiatre.
Quand une jeune fille vient avec son papa, il est rare que ce soit elle l'accompagnante.

Le papa est un gars souriant, simplissime, on sent qu'il me fait confiance et qu'il ne se pose pas de questions complexes sur les rapports qu'un patient doit entretenir avec son médecin. Cela me repose.

" C'est pour un vaccin.

- Un rappel de quoi ?

- Non, c'est le truc pour les filles."

Et il sort de sa poche un sac plastique qui contient une boîte de gardasil.

Je ne peux m'empêcher de faire l'étonné. Ce qu'ils remarquent. Ils ne me demandent pas : "Vous n'êtes pas d'accord ?"

"Qui a prescrit ça ?

- La gényco de ma femme.

- Et elle a parlé avec elle ?

- Qui ?

- Ben... Clara.

- Non."

Il regarde sa fille qui n'en sait pas plus.

"C'est ma femme qui a demandé à sa gényco de le lui prescrire. Elle voulait qu'elle le fasse.

- Je comprends. Et tu sais à quoi ça sert ?"

Regard surpris de celle à qui l'on demande à brûle-pourpoint, et sans avoir révisé auparavant, la capitale du Vanuatu. "Non."

Je vois.

Je pose deux ou trois questions et je me rends compte que la jeune Clara, 13 ans, ne sait pas ce qu'est le gardasil, à quoi ça sert et ce que ça évite ou pas. C'est la médecine moderne. Je lui fais la totale.
Elle est aussi intéressée que si je lui avais refait son cours de maths de la veille. La jeune Clara ne sait pas ce qu'est le cancer du col, ne sait pas ce qu'est un papillomavirus, ne sait pas ce qu'est un frottis, n'a jamais entendu parler de contraception... Désespérant.
J'aime la médecine.
Ici se pose la question, une fois les informations fournies, de savoir ce qu'il faut faire : vacciner (comme on ferait un rappel anti diphtéro-polio-tétanique, c'est à dire de façon routinière) ; ne pas vacciner ; demander le consentement éclairé de la jeune fille ; demander le consentement éclairé de la maman (et ici : du papa) ; se conformer à ses propres valeurs et préférences (le docteurdu16 est-il pour ou contre le gardasil ?) ; se conformer aux valeurs et préférences de la jeune fille (?), de la maman (?), de la gynécologue (?), de Big Pharma (!) ?
Qu'auriez-vous fait ?
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Note : c'est la deuxième fois que je parle ici du gardasil et ce n'est pas fameux pour les "prescripteurs".