(Il s'agit d'une annexe pragmatique au Plan Cancer dont nous avons parlé ICI et dont nous reparlerons LA -- pas encore de lien)
Cas onco 001 - histoire de consultation 164. Monsieur A, 85 ans, va mieux. Je me suis battu pendant un mois (le patient est en HAD) pour que l'on arrête la (lourde) et ancienne chimiothérapie carboplatine - vepeside pour cancer du poumon chez cet homme triple ponté, hypertendu, bronchitique chronique et diabétique. Le pneumologue est têtu et l'oncologue le regarde par dessus son épaule pour s'assurer qu'il ne va pas lâcher. Il faut lâcher. Mais cela ne fait pas partie de la culture des médecins. Lâcher c'est avouer non son incompétence mais son incapacité à réaliser les rêves imposés par la société à savoir que la médecine a des pouvoirs infinis de promettre la vie éternelle. Je me suis battu car il fallait aussi convaincre la famille à qui les faiseurs de rêves avaient promis des mille et des cents, à la famille qui pensait que renoncer allait signifier pour leur mari, père, grand père, ami, que c'était fini, qu'il n'y avait plus qu'une seule issue : la mort. Et il y avait le pauvre khonnard de médecin traitant qui ne sait pas combien les chimiothérapies ont fait de progrès, combien l'onologie est une science dure qui sauve des vies, combien les essais cliniques ont montré que la survie était allongée de trois jours (p < 0,05) dans des essais contrôlés menés par des firmes philanthropiques qui pourront obtenir des prix pharamineux grâce à ces merveilleux trois jours avec, cerise sur le gâteau, un score de qualité de vie au top. Monsieur A va mieux mais il va mourir et il sait qu'il va mourir et il souhaite (ici, nous pourrions écrire une thèse de doctorat entière : "Le signifié et le signifiant chez le patient en fin de vie") mourir. Il va mieux mais il a des métastases partout. Il est conscient et il sait qu'il va mourir. Il ne souffre pas. Il passe sa vie dans un fauteuil. Et s'il voulait mourir chez lui au début de sa prise en charge, maintenant qu'il est conscient de sa mort prochaine il veut mourir à l'hôpital pour ne pas embêter sa femme. Et il change encore d'avis et décide qu'il serait mieux qu'il revoit son milieu familier avant de mourir. Mais il n'en aura pas le temps. Il meurt à l'hôpital. Sans avoir souffert.
Cas onco 002 - Histoire de consultation 165. Monsieur B, 64 ans, souffre d'une carcinose péritonéale secondaire. Comme personne ne lui avait dit qu'il avait un cancer initial mortel et qu'au contraire il allait guérir grâce à la médecine moderne qui garantit la vie éternelle, personne ne lui a pas plus dit que cela allait être la fin. Comme je suis le médecin traitant je suis au milieu des mensonges (et je suis le premier à mentir) et je suis celui qui va annoncer la mauvaise nouvelle. Facile. Difficile. Mais je connais la famille, la femme, les enfants, les petits-enfants. J'assume. Je fais une parenthèse majeure : dire la vérité au malade semble être un impératif "post moderne" (j'en ai déjà parlé LA) et il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Mais la façon de dire est plus importante que ce que l'on dit. Sans parler de l'arrière plan. J'ai le souvenir d'un médecin des hôpitaux annonçant à "ma" patiente et à son fils (son fils m'a dit ensuite qu'il avait été tellement sidéré, au sens paralysé par ce qu'il avait entendu, qu'il n'avait pas eu le courage de retourner dans le bureau et d'aller casser la gueule au médecin des hôpitaux pour lui apprendre la politesse et la vie, il le regrette encore) qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle allait mourir. N'aurait-il pas pu entrouvrir la porte ? Laisser filtrer un brin de lumière pour que la dame âgée puisse encore croire à quelque chose ? Ainsi, je me répète, dans le temps (ma jeunesse et en France) on ne disait rien au patient par paternalisme (ne pas désespérer la vie) puis on a tout dit par libéralisme (au sens philosophique anglo-saxon) et maintenant on dit tout et on ment sur l'issue quand elle est désespérée (on voit que cette critique est contradictoire avec celle que je faisais à propos de ce professeur qui ne laissait aucun espoir) pour prescrire ! Non seulement pour prescrire mais pour expérimenter ! Pour prescrire des traitements de deuxième, troisième, voire quatrième ligne, qui vont permettre 1) de faire des essais cliniques, 2) d'obtenir des AMM au rabais et des prix insensés et justifiés par l'innovation, 3) de vendre des boîtes très chères, 4) de rapporter de l'argent aux services expérimentateurs, 5) d'arroser des oncologues avec de l'argent et des congrès au bout du monde (l'ASCO, voir LA), 6) d'écrire des articles de merdre en anglais mais répondant aux normes de la rédaction scientifique en les faisant relire (?) par leurs auteurs désignés et 7) de leur faire signer (les professeurs devenant des pontes internationaux ou nationaux ou régionaux ou locorégionaux et, pour les premiers, KOL (Key Opinion Leaders) sans parler un mot d'anglais ou 8) par de jeunes internes et / ou chefs de clinique qui pourront étoffer leur dossier pour devenir PU-PH et, dans le même temps et par la suite, ambassadeurs de big pharma (voir LA pour l'expert mongering)... on est donc passé du paternalisme alapapa, si j'ose dire, au libéralisme anglo-saxon puis, maintenant, au business pur et dur (néolibéralisme ?).
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.
Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal, un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.
Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.
J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.
Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.
PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.
Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal, un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.
Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.
J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.
Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.
PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA