dimanche 24 novembre 2013

Le cancer du sein de la ministre.


La ministre déléguée à la famille, j'avoue mon ignorance, je ne le savais pas auparavant, a décidé de  révéler qu'elle se battait depuis huit mois contre un cancer du sein. Le journal Le Monde en fait un article (ICI).
Je ne sais quoi penser de cette révélation. Encore une fois les femmes politiques sont des femmes comme les autres mais l'article (et je ne sais si la ministre l'a relu et / ou corrigé) révèle exactement le contraire.
Conformément à la doxa ambiante (et à laquelle je participe en demandant des comptes big pharmiens à tout le monde), il faudrait que je révèle la totalité de mes conflits d'intérêts, ce qui est impossible  : je suis a priori contre le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie chez les femmes entre 50 et 74 ans (et je suis un repenti car j'y ai "cru" et ce sont les lectures de Junod et de Prescrire, puis par la suite, de Göetzsche et autres, qui m'ont fait changer d'avis) et je tente d'informer mes patientes ; je prescris aussi des mammographies quand il le faut ou quand mes patientes, dûment informées, ne sont pas d'accord avec moi ; et j'ai connu deux décès par cancer du sein dans ma famille très proche. Fin de la parenthèse.

Ma première réaction, épidermique, était qu'encore une fois une femme politique faisait de la politique.  D'ailleurs l'article parle deux fois du Mariage pour tous... Puis j'ai lu, voir plus bas, des réactions bloguesques, et je me suis dit, au delà des critiques, très acerbes de la part des femmes qui ont eu un cancer du sein (ou qui l'ont toujours) et qui parlent (les autres, nous ne savons pas), que la démarche de Madame Bertinotti était à la fois naïve et impudique mais qu'après tout elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait.
Puis, en réfléchissant, je me suis demandé pourquoi on lui tapait dessus comme cela.
Les médecins blogueurs ont commencé puis les femmes blogueuses à qui on a annoncé qu'elles avaient un cancer du sein et je me suis dit : est-ce que lorsque l'on a un cancer, fût-on ministre, on est capable d'être tout à fait sereine sur sa propre maladie et sur tous ses tenants et ses aboutissants ? La réponse est non. 

Quelles sont les réflexions des blogueuses chez qui on a diagnostiqué un cancer du sein ? 

ICI (Mon Intime Sein) on reproche surtout à la ministre la médecine à deux vitesses, celle pour les privilégiées et celle pour  les autres, le fait qu'elle privilégie le travail mais cette blogueuse qui s'étonne que la ministre n'ait pas conseillé les bonnes associations de patients, les bons blogs, les bons sites, elle ne peut s'empêcher, dans une volée de méchanceté de lui dire, certainement pour l'encourager, attention, ce n'est pas fini, vous ne vous en êtes pas sortie, en prédisant l'angoisse de la récidive... Pas gentil, pas très collégial comme discours. Imaginons qu'un cancérologue ou qu'un médecin traitant ait dit cela... On en entendrait des vertes et des pas mûres. En gros, notre blogueuse vient de comprendre que la société française est inégalitaire. Ouah ! J'ai quand même appris un mot la Cancérie.

J'ai un cancer et je ne suis ni digne, ni courageuse : LA. La blogueuse insiste sur le problème des travailleuses précaires, des non fonctionnaires, et sur l'injustice des corps qui ne réagissent pas tous de la même façon à la maladie et à la chimiothérapie. Je cite :"Son courage et sa dignité sont salués. Pour moi qui ne suis ni courageuse, ni digne mais tristement égoïste et paresseuse, c’est une claque de plus parce qu’en plus de tout cela, je suis probablement méchante : je ne suis pas admirative de notre ministre."

ICI, le site Fuck my cancer, souligne que la ministre n'a fait que parler d'elle et pas des autres et insiste sur la médecine à deux vitesses, sur le fait que les aides sociales ne sont pas assez importantes et qu'il s'agit d'un petit traité de camouflage à usage politique (très belle formule). J'ai surtout retenu qu'elle se demandait pourquoi elle n'avait prévenu ni le premier ministre ni le ministre de la santé. Intéressant.

LA, Martine ou ailleurs reproche deux choses, et avec beaucoup de tact, à la ministre : 1) pourquoi en parler et maintenant ? Comme si libérer la parole valait mieux que le silence de ces femmes qui se taisent pour ne pas perdre leur emploi... Et 2) : qu'est-ce que c'est que ce discours de battante ? Comme si, seules les battantes pouvaient s'en sortir, cette idée débile voudrait-elle dire que celles qui meurent ne se sont pas battu ? 

ICI, Catherine Cerisey est de mauvaise humeur, elle trouve l'article cependant bien écrit (pour les critiques voir Martine qui analyse les khonneries de la journaliste), mais elle aussi se plaint des privilèges "régaliens" que la ministre a obtenus à l'Institut Curie (avoir des rendez-vous plus rapides, et cetera...) et, plus justement, du fait que continuer à travailler est plus un privilège physique (résister au cancer et à la chimiothérapie) et professionnel (avoir des employeurs compréhensifs et ne pas être responsable du rayon fruits et légumes dans une grande surface) qu'une preuve de courage. Et elle place un entretien d'elle sur itélé où elle exprime le voeu que la ministre devienne, puisqu'elle en est, la porte parole des femmes porteuses d'un cancer du sein.

Commentaires : à une exception près (ICI) les blogueuses (que j'ai lues), font une critique people et sociale de la démarche de la ministre mais n'abordent pas le problème du dépistage, du sur diagnostic, du sur traitement, et de la condition particulière de la femme malade dans une société patriarcale.
Je vous propose donc de découvrir LA le billet de la crabahuteuse sur la prévention du cancer du sein.

Venons-en aux médecins blogueurs ou apparentés.

Le billet de l'année est celui, LA, d'Hippocrate et Pindare, intitulé avec pertinence : "Dominique Bertinotti, malade du cancer ou malade de la mammographie ? " Notre ami dit tout et bien. Je vous conseille de le lire car le paraphraser ne le rendrait pas plus clair.

Nous avons aussi les deux jumeaux de la presse médicale qui s'expriment. JYN et JDF.

JYNau, ICI, l'article est intitulé, "Pourquoi Dominique Bertinotti doit faire de son cancer du sein un 'instrument politique'", n'y va pas par quatre chemins. Il profite de l'affaire, après un début d'article assez balancé sur les conditions de la révélation du cancer de la ministre et sur la façon dont elle a raconté son histoire,  par écrire ceci : "Tout plaide donc pour la bascule au «tout DO.", DO signifiant Dépistage Organisé, et d'annoncer : L'urgence n'est plus à témoigner pour "faire évoluer le regard de la société sur cette maladie" mais à agir pour réformer un système de dépistage encore trop inefficace". JYNau balaie donc d'un revers de main le sur diagnostic et le sur traitement qui sont les deux problèmes cruciaux du dépistage du cancer du sein (voir Peter Göetzche ICI).

JDFlaisakier, LA, le journaliste vedette d'Antenne 2 (mon oreillette me dit qu'il s'agit désormais de France 2), écrit dans un style consensuel digne du service public et je lis ceci qui me rend perplexe : "Le dépistage organisé subit des attaques récurrentes car on lui reproche d’être à l’origine de surdiagnostic et de surtraitement. Les dernières évaluations présentées par l’association américaine d’oncologie clinique, l’ASCO, chiffrent à 10 % le taux de surdiagnostic, c’est-à-dire d’images suspectes qui s’avèrent, après examen et biopsie, ne pas être le signe d’un cancer." Ainsi, JDF, confond faux positifs et sur diagnostics. Faut-il lire le reste de l'article ? Amen.


Le dévoilement de la ministre adresse au moins six domaines : 
  1. Celui du secret médical. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour ne pas perdre leur travail ou pour qu'on ne les juge pas dans leur travail, en fonction de la maladie qu'ils ou elles ont. 
  2. Celui de la pudeur. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour qu'on ne porte pas sur eux un regard qui les dépouille de leur statut d'êtres humains pour en faire des cancéreux, par exemple, c'est à dire des humains en marge dont la société attend qu'ils se comportent de cette façon ou d'une autre.
  3. Celui de l'attitude de la société à l'égard des patients atteints de maladies graves : du déni à l'apitoiement en passant par la gêne.
  4. Celui de la femme malade dans une société patriarcale.
  5. Celui de l'intendance : l'Annonce, l'attente, les rendez-vous, le suivi médical et par quelles équipes, les relations entre les services hospitaliers et le médecin traitant (pas un mot ni par la ministre, ni par les blogueuses, ce qui montre soit son inutilité, soit son mépris soit son incompétence, petites croix souhaitées), l'accompagnement social...
  6. Celui des croyances sur le cancer du sein (le dépister tôt) et sur les patientes (les battantes s'en sortent)
  7. Ad libitum
Nous sommes en plein pathos.
Décidément une ministre n'a pas le cancer des autres. 
Portez-vous bien Madame Bertinotti.

Je conseille à tous de lire Susan Sontag qui a eu deux cancers dans sa vie, traités l'un aux Etats-Unis et l'autre en France, et qui a réfléchi sur les problèmes du cancer et du sida. 
La Maladie comme Métaphore - Illness as Metaphor (1979 : Christian Bourgois) et Le Sida et ses Métaphores - AIDS and its Metaphors (1989 : Christian Bourgois)
Et, bien entendu, No Mammo ? de Rachel Campergue qui reste, en français, la référence.
Sur ce blog vous trouverez de nombreux billets sur le sujet.

Photographie : Susan Sontag : 1933 - 2004


11 commentaires:

Mon intime sein a dit…

Merci Doc pour cette synthèse, un peu orientée tout de même (il n'y a aucune méchanceté dans mon post, juste des constats et des vœux pieux) mais finalement assez juste.... je ne vous en veux pas parce que j’apprécie votre position ;)
Bonne soirée. Iris

kyste a dit…

Un petit conseil d'écoute en passant qui montre que notre monde n'a pas beaucoup évolué depuis le XVIIIé siècle sur la perception de la douleur par les puissants.
Ecouter Arlette Farges discuter avec Roger Chartier est un bonheur, profitez en. Vous remarquerez que RC n'a pu s'empécher de parler de Don Quichotte.

martine bronner a dit…

Chouette article qui appelle une précision. Je vous lis, les uns et les autres et vous parlez de dépistage comme si notre ministre avait été diagnostiquée grâce à un dépistage. Or en relisant l'article du Monde ce n'est pas clairement spécifié. Même si elle dit que hier elle n'avait aucun signe et que maintenant elle est malade, même si on parle de mammo de routine...cela ne me semblait pas suffisant pour en déduire qu'elle a été dépistée du coup j'ai choisi de ne pas en parler. En revanche je suis d'accord avec Rachel et Hippocrate et Pindare et d'autres, c'est une pub merveilleuse pour le dépistage même si le mot n'est pas cité.
Cela dit, je reprécise si toutefois c'est nécessaire, je suis contre le dépistage organisé, même si mon humble avis ne compte guère. Cette maladie est trop mal connue, cette maladie est en fait plusieurs maladies....pour pouvoir s'autoriser de ranger tout le monde en rangs d'oignons. Et je crois que l'époque des vaccinodromes est finie. C'est se rassurer faussement et j'allais dire à moindre coût et c'est faux car cela coûte une fortune à la société, aux patientes en argent et en angoisse.
Quand au post de du dr Nau, j'ai tenté d'y répondre, mais pas moyen, rien ne passait...Je suis perplexe!
Comment font ils tous ces médecins pour ignorer superbement des résultats de recherches sérieuses?
Comment peuvent ils imaginer contraindre toute une fraction de la population dans un modèle et en exclure totalement les autres. Il va falloir développer des trésors de pédagogie pour dire à la femme de 49 ans moins un mois qu'elle ne risque rien quand un mois après elle risque tout...
Et j'aimerais tant que notre tutelle se penche sur le coût réel de la maladie en termes d'effets secondaires dus aux traitements et cela à long terme. Ce n'est pas fait. Ces chiffres avec lesquels on nous casse les oreilles ne parlent que de 5 ans! Et que sont 5 ans pour un cancer du sein?
Il est temps de soigner les vrais "malades" , toute cette énergie dépensée pour le Do est autant d'énergie non-dépensée pour le cancer qui métastase. C'est une sorte d'illusion de prévention!! alors que la vraie prévention n'existe pas.
Pour finir et je crois là être cruelle mais...je me demandais si dans une certaine mesure il est devenu impossible aux médecins promoteurs du dépistage de reconsidérer la situation car ils sont incapables d'assumer avoir persisté dans l'erreur. bref ce serait une forme de déni, une protection!

Rachel Campergue a dit…

« Lorsque l'on a un cancer, fût-on ministre, on est capable d'être tout à fait sereine sur sa propre maladie et sur tous ses tenants et ses aboutissants ? La réponse est non. »
Lorsque l’on est ministre, est-on forcément mieux informée que les autres femmes ? La réponse est non.
Lorsque l’on est ministre, l’annonce publique de son cancer découvert par mammographie a-t-elle davantage d’influence que celle des autres femmes ? La réponse est oui.
Cette combinaison manque d’information/pouvoir d’influence est redoutable.

Sa lutte quotidienne pendant plusieurs mois –assumer un travail très prenant tout en subissant les effets du traitement – est celle de millions d’anonymes. Cela n’enlève rien à son courage, à leur courage. Mais cette belle lutte si émouvante aurait pu, dans bien des cas, être évitée. Encore une fois, le grand absent de cet article est le surdiagnostic.
Un article hyper-riche comme d’habitude (pas encore eu le temps d’explorer tous les liens), une véritable mine pour les chercheurs en despistologie…

Rachel Campergue a dit…

En me relisant, je crains qu'il n'y ait confusion. le surdiagnostic est le grand absent de l'article du monde. Quant à l'article hyper-riche, c'est bien entendu celui du médecin du 16.
Précision inutile vaut mieux que confusion...

Dr Bill a dit…

L'annonce par la ministre déléguée à la famille du cancer du sein dont elle est atteinte ainsi que la poursuite de son travail pendant ses soins, est ambiguë quand à sa publicité. Quel but était recherché par cette annonce?
Une conséquence négative de cette annonce est la réaction de malades (dont certains dans mon entourage) qui se culpabilisent de ne pas avoir pu poursuivre leur activité professionnelle ou tout simplement personnelles pendant leur maladie. Cette publicité est vécue par certains patients comme un exemple qu'ils n'ont pas été en mesure d'accomplir. Cela génère un sentiment de malaise profond.
Pour ma part je pense que l'expérience de madame Bertinotti est la sienne et lui convient. En aucune façon elle ne peut être une référence.
Cette histoire me rappelle les gloses lors de la grossesse et l'accouchement de madame Dati alors qu'elle était aussi en charge d'un ministère. Fallait il en conclure qu'elle était un exemple pour toute les femmes? Je ne le croit pas.
Chaque personne vit la maladie ou la grosses de façon singulière.
Nous ne sommes pas égaux non plus dans les moyens et les aides. ceci explique peut être cela pour une part...

Anonyme a dit…

Borgen ?

martine bronner a dit…

Borgen est une série télévisée qui est passée sur Arte (en octobre!!). la série relate la vie d'une femme politique, ancienne première ministre du Danemark. 2 ou 3 épisodes ont été consacrés entre autres à son cancer du sein. Elle a tu sa maladie et ceci en pleine campagne électorale. Du coup la tête coincée dans son cancer, éreintée, elle a fait des con... et ça lui a joué des tours.la morale de l'histoire étant qu'il n'y pas de raison de taire ce qui va vous revenir à la figure comme un boomerang. Mais c'est un "film", rien à voir avec un hypothétique modèle scandinave...

Dhuoda41 a dit…

" ... les femmes politiques sont des femmes comme les autres mais l'article (et je ne sais si la ministre l'a relu et / ou corrigé) révèle exactement le contraire."

Les journalistes font rarement relire leurs articles par les personnes qu'ils interviewent. Soit dit en passant, ils sont, souvent, capables de leur attribuer des propos qu'ils n'ont jamais tenus - mésaventure arrivées à des personnes de ma connaissance.

Anonyme a dit…

Ma femme souffre d'une pathologie oncologique. Elle vit très mal les déclarations de madame Bertinotti, en particuliers concernant le recours aux arrêts de maladie de longue durée dans ce contexte. C'est une gifle à la figure des personnes qui ne sont pas en mesure de travailler en raison de pathologies majeures.
Nul doute que certains employeurs vont s'emparer de ces déclarations pour intimider leurs employés en arrêt de travail de longue durée.

Pernelle a dit…

Les médias ^^. Ils veulent parler de « courage petit b » ? http://lacrabahuteuse.fr/2013/11/une-dame-courage-petit-b/
De tabous absolus? D'omerta? De politique de santé publique? Des coulisses du pouvoir? De l'industrie liée à la santé?
Des sujets qui fâchent VRAIMENT ? Les sujets ne manquent pas. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne profitent pas de l’aubaine de ce coming-out cosy pour ne serait-ce que les effleurer ! Pour rappel (entre autres !!!)

- La kermesse d’Octobre Rose
- Les hics du dépistage systématique du cancer du sein
- La maltraitance dans le milieu médical http://lacrabahuteuse.fr/2013/11/maltraitance/
- Les liens d’intérêts en matière de politique de santé publique
- La véritable application des plans cancer successifs
- La discrimination de nos super potes banquiers et assureurs
- Le financement des assos de patients
- La vigilance sur les effets délétères des examens médicaux et des médicaments
- Le reste à charge pour les cancéreux, l’inégalité effarante des différentes protections du cancéreux...
- Une information claire sur les possibilités d'aménagement des postes de travail, tant auprès des patients que des employeurs
- La reconnaissance du rôle du médecin généraliste sur le parcours de soin et la réévaluation de sa rémunération sur un suivi d'ALD

Après Irène Frachon, qu’ils donnent donc la place qu’elle mérite à Rachel Campergue... Qu’ils lui tendent donc le micro avant de discuter le bout de gras pour savoir si Mme Bertinotti est courageuse ou pas .
Un chouïa de culot. Une pincée de journalisme d'investigation. Un temps d'antenne décent ou un espace d'expression où l'intervieweur prend moins de place que l'interviewé. We have a muchos muchos dreams!