Le jeune garçon de 16 ans qui est venu consulter pour une angine et qui fait la tronche parce que je ne lui ai pas prescrit d'antibiotiques et qui me dit qu'il va se faire engueuler par sa mère pour ne pas avoir exigé que je lui en prescrive mais surtout que lui, sans antibiotiques, il ne guérit pas,
(je suis désolé d'avoir pris la posture du "bon" médecin qui ne prescrit pas d'antibiotiques, le médecin tellement bien pensant, tellement bien agissant, tellement je suis un mec bien -- tellement je suis une nana bien --, cette posture avantageuse tellement tirée de la brochurette "éléments de posture" recommandée par les communiquants de la "bonne" médecine, celle des mecs et des filles qui lisent Prescrire, qui sont "aware", qui ne reçoivent plus la visite médicale -- n'oubliez pas de louer ces "résistants" qui ont collé des patchs anti VM sur leur corps --, car il ne suffit pas, selon les éléments de posture de ne pas recevoir la visite médicale il faut ne PLUS la recevoir, la "bonne" médecine qui se regarde dans la glace des bons sentiments... Mais le complément de cette posture est la suivante : il arrive à ces "bons" praticiens qui font encore des TDR dans leur cabinet, pauvres mortels, pauvres victimes d'un système qui les écrase, membres de la profession si exposée des professionnels de santé, toujours menacée par le burn-out et qui s'en sortent grâce à leur clairvoyance fantastique, à l'aménagement de leurs horaires, à leur pouvoir de dire non, à l'organisation parfaite de leurs cabinets, et cetera, et donc, ces "bons" praticiens, cerise sur le gâteau des éléments de posture, avouent que, parfois, parce qu'ils sont fatigués, parce que c'est la fin de la journée, ils prescrivent des antibiotiques malgré tout. Cette faiblesse les honore...)
eh bien, ce jeune homme de 16 ans, il est venu consulter avec un maillot de l'OM. Le jeune homme, il est né à Mantes, et il porte un maillot de l'OM. Et, en ce moment, ce n'est pas la mode de porter des maillots de l'OM, le PSG qatari emporte tous les suffrages, il faut oser, et il ose. Il me demande si je suis toujours pour le PSG (conversation récurrente entre nous, eh oui, on ne peut pas toujours parler avec ses patients d'Illich, de Proust ou de Kundera) et je lui réponds que ce serait difficile de changer, étant donné la façon brillante de jouer du PSG en ce moment et quand on était supporter alors que l'équipe jouait mal... Et j'ajoute, pour rire, que s'il avait eu un maillot du PSG, je lui aurais peut-être prescrit des antibiotiques... Et le jeune de 16 ans, appelons le M, il ne comprend pas. Je lui explique l'affaire et je réfléchis en moi-même.
Doit-on "soigner" tout le monde ? Selon le serment d'hypocrite, sans aucun doute. Et je suis hypocrite.
Je ne parle pas du malade vu en urgence, non, du malade que l'on suit en longitudinal, sur des années, dont on connaît la femme, les enfants, la maîtresse, et le reste.
J'ai dans ma patientèle des membres actifs du front national, des islamistes militants, des membres du PS, de l'UMP, des anciens parachutistes, des pervers, des easy listeners, un pédophile connu, un mec qui a défenestré sa femme, des staliniens bon teint qui regrettent encore l'ère pré Gorbatchev, des supporters de Saint-Etienne, des trafiquants de drogue, des lecteurs de Marc lévy, des homophobes, des guetteurs, des machistes, des polygames, des fans de Sanseverino, des femmes fatales, des hommes faciles, des parents qui collent des claques à leurs enfants, des hommes qui trompent leurs femmes et vice versa, un agresseur sexuel, des partisan(e)s de l'excision, des antisémites, des racistes en général, et cetera.
Comment les recevoir avec empathie ?
Est-ce possible ?
Faut-il choisir sa patientèle à son image ?
Faut-il être empathique uniquement avec les gens sympathiques ?
Et si le manque d'empathie, le patient hypertendu avec lequel on fait le minimum syndical, n'était pas mieux "soigné" ? Sans paroles excessives, sans propos divers et variés sur le temps qu'il fait, sur le mariage pour tous, sur la réforme Taubira ou sur le scooter de Hollande.
Et si l'empathie pour le patient qu'on aime bien pour des raisons d'éléments de posture entraînait un soin de moins bonne qualité ?
Faut-il préciser les choses avec les patients que nous ne fréquenterions pas dans la vraie vie ?
Dans le genre : Je suis PSG, Barça et ManU. Et vous ?
(Membre du Ku Klux Klan soigné par des noirs (pardon, des Afro-Américains) : source Allain Jules ICI)
11 commentaires:
Fidèle à vous même vous réfléchissez loin dans la réflexion médecin-malade.
Plusieurs questions :
- pourquoi cette incise sur la bonne posture ?
- pourquoi vouloir adopter une attitude unique ? tout le monde est différent, adaptons la relation médecin malade
Je crois que sortir de la technique pendant un court instant de la consultation en causant d'autre chose c'est bien reconnaître l'individu et pas juste un sac de symptômes.
@ nfkb0 C'était ironique, tout cela. Il y a une différence entre adopter la "bonne" posture et en parler... Et moi, malin, je fais tout : je dis que je pratique la bonne posture et je me critique en même temps parce que je l'ai et que j'en parle, tout est dans tout et réciproquement... C'est le plaisir de la médecine générale, parler, je suis un grand bavard, de tout et de rien, mais, comme je l'ai écrit aussi, cela peut être dangereux de se "livrer" devant ses patients, il faut, aussi, garder ses distances, la médecine général : proche et distant, et faire des blagues en s'emmerdant avec un TDR, cela peut éviter l'ennui...
Donc, faisons tout et parlons moins de ce que nous faisons : je donne des conseils que je ne suis pas...
Bonne journée.
Oui tout cela est tellement vrai: un médecin malade a t-il plus de risque d'être moins bien soigné que n'importe quelle autre personne?
Merci pour le lien au site de Allain Jules
Une question a t-on l'intention de rebaptiser les pieds-noirs?( un peu hors sujet mais votre clin d'œil à la bonne posture ...)
Quand on travaille depuis longtemps au même endroit les gens finissent par savoir des choses de vous. Dans la relation aux patients on laisse forcément passer des choses de soi. Pas de mur possible à mon sens. Pas de raison d'afficher ostensiblement quoi que ce soit non plus. Comment vous peindriez-vous pour vos patients et que leur chaut ce que vous leur diriez là ? Que voulez-vous introduire qu'ils ne viennent pas chercher sauf à vouloir trier parmi eux ?
Les patients nous choisissent et restent avec nous si nous leur convenons. La question se renverse peut-être avec le temps: "Doit-on "être soigné" par tout le monde ?"
A la question un médecin a-t-il des (mal)chances d’être moins bien soigné que le quidam moyen ? je réponds: Affirmatif !! (merci Serge Gainsbourg)…je viens d’en faire l’amère expérience.
A la question des pieds noirs doivent-ils être baptisés, j’ai pas compris l’astuce et pourtant je viens de me taper le « Onfray » sur Camus, merci de m’éclairer…
Bravo à Docteur du 16 pour la galerie variée de ses patients, mais statistiquement on sait que les patientèles diffèrent selon le médecin surtout au bout d’un certain temps (merci Fernand Raynaud). L e bouche à oreille fonctionne…ou le téléphone arabe (merci Le Pen). Les gens finissent par savoir plein de choses sur nous, et d’ailleurs un copain spécialiste (j’en ai !!) du quartier me disait qu’en voyant arriver un nouveau patient, il devinait souvent quel généraliste le lui avait envoyé, avant même d’ouvrir la lettre…. (Ca nous ramène à un post précédent !!).
Même avec la plus grande empathie, ou mauvais caractère, quand on prescrit ou pas chichement les antibios, ou qu’on refuse ou pas les certificats de virginité ou qu’on est impliqué ou pas dans la lutte contre la violence faite aux enfants et aux femmes, ou quand on prend en charge ou pas les « toxicos » (merci mon pote Barsony*), ou les fin de vies, qu’on consulte généralement en 5 ou en 30 minutes, qu’on joue le gourou ou le technicien désabusé, qu’on soit homophobe ou lesbien, PMA ou IVG (merci Jean-François Copé) , sionistes ou palestinophile ( merci Dieu pas Donné).. j’en passe et des meilleures…ca finit (toujours ?) par se savoir.
C’est l’avantage, (du moins en ville et en France) du choix du praticien par le patient, ce fameux colloque singulier entre deux ipséités (merci Lucien Jerphagnon) ou deux idiosyncrasies (merci Claude Bernard)…ou le plus « idio » n’est pas toujours celui qu’on pense…. C’est ce qui fait le charme de ce métier et des erreurs relationnelles ou médicales que l’on accumule à longueur de journée, avec plus ou moins d’empathie ou de colère… de notre part ou de la leur.
Ils nous choisissent, souvent mal !!..ou sur de mauvais critères, ou sur de mauvaises raisons, mais ils nous choisissent et après tout, c’est peut-être aussi bien comme ca !!
*Jacques barsony : lettre ouverte aux drogués & aux autres …S’il en reste . (un bijou !).
encore un texte sympa,2 lignes de réflexion perso: on tire un fil et le boulot se détricote:
- la posture du parfait mg du 21 siècle énoncée des dumg aux blogs et tweets oscille parfois entre le gentil ridicule et l'irritant normatif irréfléchi, la titiller est oeuvre de salubrité mentale
-la posture empathique est le modèle culturel français avec une pression de conformité forte,qui s'en écarte prend des risques vis à vis de ses patients et collègues ce modèle"humaniste" est tout sauf universel il suffit de voir un anglo-saxon ou un chinois pour s'en rendre compte,j'y vois 2 inconvénients:satisfaire l'égo du doc assez facilement ce qui n'est pas le meilleur moyen de garder ouvert en permanence le troisième oeil de la réflexion critique,surtout constituer un barrage fort contre l'autonomie du patient:alors que je ne veux que son bien comment accepter qu'il ne suive pas mes conseils éclairés?
aucun porteur de maillot footeux n'a osé franchir mon seuil j'ai donc échappé à un grave débat existentiel..
@popper 31
Il y a des mots qui deviennent diciblement incorrects comme race, noir ( comme si en supprimant ces mots on allait faire diparaitre la ségrégation, le rejet de l'autre) ceci sous-tendu par un travail de culpabilisation que l'on voudrait faire porter aux générations à venir alors non responsables des actions commises par le passé.
Il y a des mots nés du rejet de l'autre comme celui de pied-noir sobriquet donné aux français d'Algérie et qui a pris tout son sens stigmatisant à l'aune d'un rapatriement rejeté par les français de métropole; ces mots n'ont pas été sujet à réflexion.
je vais dire un poncif: non on n'est pas choisi par le patient. Les 2 parties se choisissent. Non on n' a pas la clientèle "éduquée" (comme on ose dire maintenant) qu'on "mérite". On peut soigner tout le monde sans affinité particulière. Seul critère valable: le respect mutuel. Si ce dernier vient à manquer, il faut d'urgence divorcer très vite.
TL
A BT
Merci, c’était donc (juste ?? !!..)une histoire de dénomination mais pas en DCI !! ( merci P. Bourdieu) . D’ailleurs j’ai toujours eu 36 explications différentes par mes chers patients de cette dénomination, connais-tu la « véritable » du moins la plus vraisemblable…si elle existe…
J’avais mal compris cette histoire de baptême avec sa connotation religieuse, surtout que l’étymologie (plonger dans un liquide) pouvait faire croire que tu voulais les noyer ;-))
De la part du fils d’une macaroni, rital….etc (ce qui me permet de dire un grand merci à Moooonsieur F. Cavanna.. et à certains blogs féministes qui le dézinguent une 2ème fois)
Doit on soigner tout le monde ? Bonne question du jour !
J’ai été appelé pour une visite d’une patiente de 97 ans qui présentait un érysipèle de jambe gauche. J’avais déjà vu cette personne une fois il y a 2 mois, elle était venue avec son fils au cabinet. Trouvant cette patiente très algique et dyspnéique, j’étais « emmerdé ». J’ai voulu l’adresser aux urgences.
Après explication à la famille, on me répond « aucun ambulance ne peut entrer sur notre terrain, l’accès est soumis à un droit de passage, pompier et ambulance sont interdits ». J’en suis resté bouche bée ! mais quand y a urgence, on n’a pas le choix…
J’ai donc appelé le 15 pour avoir une ambulance, et là, 2eme obstacle pour faire court du médecin régulateur : tu voudrais pas te démerder à domicile ??
Et bien non ! Je sais que cette mamie va attendre, mais elle a droit d’être pris en charge comme tout le monde. Je suis en colère contre le système hospitalier qui n’arrive pas à accueillir les patients dans des conditions correctes. Doit-on ne plus soigner les plus de 90 ans ? La mort est sûrement proche mais le patient à droit au soulagement de la douleur et là, à domicile, ce n’était pas possible.
Anonyme : J'ai du mal à comprendre votre histoire. Qui interdit le passage des ambulances et pompiers sur un terrain pour votre patiente? La famille elle même, des voisins, des propriétaires? Il y a une raison précise?
Interdire le passage de pompiers et d'ambulances, ça me semble complètement inimaginable.
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