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dimanche 26 octobre 2014

Avalanche d'examens complémentaires. Histoire de consultation 177.


Madame A, 71 ans, est hypertendue connue depuis des siècles, traitée par un bêtabloquant (c'était la mode à l'époque), le betaxolol, et par une statine (pravastatine 20), tous deux prescrits par mes soins depuis une bonne vingtaine d'années.
La dernière fois qu'elle a vu "son" cardiologue, le docteur B, c'était, selon le dossier, il y a 5 ans. Et  le compte rendu de consultation était, comme à son habitude, laconique (une dizaine de lignes) et... rassurant.

Cette patiente est "ma" malade, je ne peux pas dire que je l'ai récupérée d'un autre médecin ou qu'autre chose ait pu influencer ma prescription : je suis responsable de ses médicaments. Et je suis responsable du fait que je m'en "occupe" (presque) seul.
Il y a également des siècles qu'elle présente un souffle systolique 2/6 au foyer aortique qui a été échocardiographié au moins deux fois par le cardiologue qui est désormais parti à la retraite. Depuis lors le souffle que j'entends est identique à lui-même.

Avant les grandes vacances elle a fait un séjour aux urgences pour un malaise non identifié qui a fini par être considéré comme "vagal" par le compte rendu de ces mêmes urgences.
Jusque là : tout va bien.
Mais un des médecins des urgences, celui qui l'a examinée ou un autre, celui qui lui a fait faire un ECG et une prise de sang, s'est étonné qu'elle n'ait pas vu de cardiologue récemment. "Votre médecin aurait quand même dû..."
Bon, est-ce que quelqu'un a vraiment dit cela, est-ce une façon pour la patiente de me reprocher de ne pas lui avoir dit qu'il fallait surveiller ce souffle, voire cette hypertension, je n'en sais rien... 
Elle est venue consulter pour le "renouvellement" de ses médicaments et  pour que je lui écrive une lettre pour le cardiologue. Son mari était là et il n'avait pas l'air content non plus.
Elle ne savait pas que le docteur B était parti à la retraite depuis environ 2 ans et elle m'a demandé de lui trouver un autre cardiologue.

A M* la cardiologie s'est beaucoup transformée. D'abord à l'hôpital où le chef de service est parti, où nombre des assistants ont fait de même et où la cardiologie interventionnelle a été arrêtée sur décision de l'ARS au profit de deux centres d'excellence "privés" du département (78).  Je ne ferai pas de commentaires sur la fin de la cardiologie interventionnelle à l'hôpital de M* pour des raisons confraternelles et parce que je n'en connais pas tous les tenants et les aboutissants. Disons qu'ils ne "voyaient" ps assez de patients, qu'ils ne posaient pas assez de stents et qu'ils ne dilataient pas assez les coronaires pour que cela soit "efficace". Disons que l'ARS considère qu'en deçà d'un certain nombre de gestes techniques il est possible de penser que c'est mal fait. On a déjà vu cela à propos des maternités. Quant aux centres d'excellence "privés", j'en parlerai une autre fois.
A M*, donc, la cardiologie libérale de ville a elle-aussi beaucoup changé : il y avait jadis six cardiologues, puis cinq, puis quatre, puis deux. Il y avait bien entendu aussi les consultations de l'hôpital. Puis, par une sorte de deus ex machina six installations se sont faites, ce qui fait qu'il y a désormais 8 cardiologues en ville. Trois à M**, 2 à M* (les anciens qui sont restés) et 3 au Val Fourré (en ZFU, alias zone franche urbaine). Si j'avais le temps je vous raconterais le pourquoi du comment de l'affaire alors que dans le même temps des médecins généralistes disparaissaient sur la même zone. Mais, à la réflexion, je me tairais (voir un billet précédent ICI) et, pour l'instant, je m'en tiendrais à ce billet qui est assez explicite.

Donc, j'ai adressé ma patiente au docteur C.
Le docteur C l'a reçue dans des délais raisonnables, lui a fait un examen cardiologique complet puis a proposé une épreuve d'effort (sur des données ECG j'imagine car, cliniquement, l'interrogatoire était muet).
Puis j'ai revu la patiente, son mari avait besoin de médicaments pour la tension, qui m'a dit textuellement : "Au moins, le docteur C, il est pas comme le docteur B, y m'a fait faire des examens..."
Mouais.
Je n'avais pas encore reçu le compte rendu de l'épreuve d'effort que j'apprenais qu'elle allait subir une scintigraphie cardiaque avec test à la dobutamine dans un centre privé extérieur au 78. Dans le 92.

Et à la fin tout était normal.

Je revois "ma" patiente avec son souffle, sa pression artérielle contrôlée (le bêtabloquant a été conservé pour des raisons surprenantes), sa statine (le cardiologue a précisé que le mauvais cholestérol pourrait être "un peu plus bas") et son mauvais caractère (que je ne connaissais pas auparavant).
"Alors, tout ça pour ça ?
- Que voulez-vous dire ?
- Vous vous plaigniez que je ne vous ai pas réadressée au docteur B qui n'avait pas jugé bon non plus de demander des examens... Vous les avez faits, les examens.
- Oui. Je suis rassurée.
- Mais... vous n'aviez rien... vous n'étiez pas essoufflée, il est possible que ces examens n'aient servi à rien... On vous a baladée à droite et à gauche...
- Et si j'avais eu quelque chose...
- Le risque était infime..."
Le mari : "C'était à vous de lui dire de ne pas le faire...
- Mais le ver était dans le fruit...
- Que voulez-vous dire ?
- A partir du moment où les urgences vous ont dit d'aller consulter un cardiologue, j'étais mis hors jeu. Vous vouliez cette lettre et je n'ai pas eu le culot de vous dire que cela ne servait à rien.
- Vous n'étiez pas sûr de vous ?
- Non. Vous vouliez consulter un cardiologue parce que vous étiez inquiète mais je n'avais pas d'arguments solides pour vous prouver que cela n'allait servir à rien... Et, le plus grave, ce n'est pas d'aller voir un cardiologue, mais tous les examens qu'il a demandés après.
- Il ne valait pas mieux les faire ?
- Je ne crois pas. Je crois qu'ils étaient inutiles.
- C'est facile de dire cela après...
- Moui... c'est l'intuition clinique...
- Comment aurait-on dû faire ?
- Je ne sais pas. Laissez moi réfléchir..."
Est-il possible de tout dire ? Est-il possible de dire à des patients que la médecine est en train de se moquer d'eux ? Est-il possible de dire à des malades qu'ils sont devenus des marchandises échangeables, des sujets d'une histoire qui ne les concerne pas ? Est-il possible de leur dire qu'il existe des réseaux, des circuits de malades, des médecins obligés et des médecins obligeants, des redevances de cliniques, des passe-droits, des sur diagnostics, des faux diagnostics, des diagnostics à tort et que ce n'est pas l'inquiétude des médecins qui les entraînent à prescrire toujours plus d'examens complémentaires (et accessoirement de médicaments) mais la logique du marché, l'impérieuse nécessité de rentabiliser les équipements coûteux qui ont été installés ici et ailleurs, de les faire tourner à plein régime, des équipements qui sont parfois inutiles parce que trop nombreux, et que donc, les dirigeants de cliniques, les fabricants de matériel, les fournisseurs d'isotopes, ont besoin de chair à pâté pour rentabiliser les investissements et, surtout, les retours sur investissements, et que les médecins généralistes ne sont plus suffisants, il faut des super docteurs, des rabatteurs, des représentants de commerce, pour alimenter le ventre de la machine de la santé, cette santé qui n'a pas de prix, cette santé qui valorise les examens coûteux, les machineries complexes, qui culpabilise les patients, les malades, les médecins pour qu'ils aient peur, qu'ils pètent de trouille, et tous les moyens sont bons, dont le PSA, la mammographie, la pose de stents inutiles (aux US un article grand public résume la situation : ICI), les dilatations sans objet, j'en passe et des meilleures, les campagnes de "sensibilisation" orchestrées par des fabricants de produits de beauté (Estée Lauder Pour Octobre Rose), cette santé qui oblige les citoyens à penser que le dépistage c'est bien, on ne discute pas, que les vaccins c'est génial, on ne discute pas plus et que ceux qui s'y opposent sont des passéistes, et cetera.
"Je crois, mes chers amis, que j'aurais dû vous dire qu'un malaise vagal, cela peut arriver à tout le monde, que cela n'a aucun rapport avec un petit rétrécissement aortique, et j'aurais dû écrire une lettre pour un cardiologue plus cool, moins interventionniste, cela existe à M*, et vous dire, après l'épreuve d'effort, s'il y en avait eu une, de renoncer.
- Mais, excusez-moi de vous dire cela, cela fait tellement longtemps que l'on se connaît, après ce que l'on m'avait dit à l'hôpital, j'avais besoin de faire des examens... Mais, nous sommes d'accord, le docteur B, il avait raison de pas s'inquiéter."

Cet exemple de cardiologie ne rend pas compte du fait que toutes les spécialités sont intéressées.
Nous parlerons un autre jour de Jean de Kervasdoué.

Illustration : Jeff Wall After 'Invisible Man' by Ralph Ellison, the Prologue 1999-2000
mca.com.au

dimanche 7 septembre 2014

Ma gynécologue est partie à la retraite : un problème ? Histoire de consultation 176.


Madame A, 37 ans, accompagne son père, hypertendu diabétique qui a du mal à se déplacer. Ce n'est pas "ma" patiente. Ou plutôt elle vient de loin en loin car "elle n'est jamais malade". D'un point de vue formel, je ne suis pas son médecin traitant alors que je "vois" ses enfants quand le pédiatre est indisponible mais je suis administrativement le médecin traitant de son mari que je connais depuis des lustres (35 ans).
Une fois que la consultation de son père est, presque, terminée...
"Docteurdu16, comment je vais faire parce que ma gynécologue est partie à la retraite ?
- C'est effectivement un problème, les gynécologues partent à la retraite et ceux et celles qui restent sont également proches de la retraite.
- C'est vraiment un problème. 
- Eh bien, vous avez... 37 ans (j'ai affiché son dossier à l'écran qui ne contient pas grand chose sinon un petit rhume et un gros rhume)... quel est votre intérêt d'aller voir une gynécologue ? Faire des frottis. C'est tout. J'ai vaguement vu qu'elle prenait une pilule estro-progestative de deuxième génération...
- Et ma pilule...
- Oui. Donc, on se résume, un frottis tous les trois ans et une prescription de pilule tous les ans. Si vous n'êtes pas malade entre deux, je crois que c'est faisable pour un cabinet de médecine générale."
Je repère un grand sentiment de solitude dans le regard de la patiente de 37 ans.
"Mais, Madame B, me faisait faire un frottis tous les ans et me donnait la pilule pour trois mois."
Oups.
Je tente avec difficulté de ne pas prendre mon air vindicatif, arrogant, excédé, donneur de leçon, défenseur des médecins généralistes, enfin, je prends mon air "naturel".
"Eh bien, je comprends pourquoi les gynécologues se disent débordées... Vous avez besoin, selon ce qui se dit en France et à l'étranger, d'un frottis tous les trois ans, d'ailleurs, j'aimerais que vous me rapportiez le dernier compte rendu de frottis, pour que je voie ce qu'il en est. Le frottis, vous pouvez le faire ici, au cabinet ou dans un laboratoire d'analyses médicales, vous avez le choix, mais aussi celui de trouver une ou un gynécologue. Quant à la prescription de pilule, ici, dans ce cabinet, c'est une fois par an.
- Ah... Et pour les mammographies ?
- Pardon ?
- Ben oui, la gynécologue m'a dit que je devrais bientôt faire une mammographie...
- Heu, y a-t-il des antécédents de cancer du sein dans votre famille ?...
- ... Non, je ne crois pas...
- Donc, en théorie, et sauf exceptions, le dépistage du cancer du sein par mammographie ne commence qu'à la cinquantaine... Et nous en reparlerons... lors d'un autre rendez-vous"

Bon, l'histoire est trop belle pour être vraie mais elle est vraie.
La disparition des gynécologues médicaux est une catastrophe car les frottis ne pourront plus être faits tous les ans, les pilules prescrites tous les trois mois et les mammographies hors procédures organisées tous les je ne sais combien...
Ainsi, le pourcentage de patientes chez qui un frottis n'est pas pratiqué dans les délais normaux est insuffisant, et la faute en incombe autant aux médecins traitants qu'aux gynécologues débordés, mais n'oublions pas non plus les patientes qui subissent des frottis en excès... de zèle. J'en avais déjà parlé ICI et avais développé de nombreux points.

Mais les partisans de gardasil / cervarix ont de bonnes nouvelles à annoncer : le taux de frottis a significativement diminué chez les patientes vaccinées vs non vaccinées en Australie (LA), ce qui signifie que les gynécologues seront moins débordés. C'était donc une plaisanterie sinistre à moins de croire par avance que gardasil / cervarix sont efficaces à 100 % contre le cancer du col.

Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas parlé des déserts médicaux...

PS. Mes chiffres de frottis ne sont pas bons selon les relevés de la CPAM (souvent fantaisistes). Je ne fais plus de frottis depuis longtemps en raison du fait, je l'ai déjà expliqué, que je suis un homme installé dans un "quartier" où les examens gynécologiques faits par des hommes non spécialistes sont très souvent refusés. Et cela m'ennuie d'essuyer des refus au petit bonheur...

(Image : Dubaï : ville et désert depuis presque le haut de la Burj Khalifa, 828 mètres. Photographie docteurdu16)

PS. Par une sorte de coïncidence, de corrélation ou de causalité (je laisse le débat ouvert) un certain nombre de blogs, dont celui du docteur Gécé (LA), de Dix Lunes (LA), de Farfadoc (ICI) et Sous La Blouse (LA) ont diffusé des textes et une affiche (faite par Sous La Blouse) que je reproduis ici qui parlent de la même chose ou presque que cette histoire de consultation 176.



mardi 2 septembre 2014

Pratique de l'autonomie illichienne en médecine générale. Histoire de consultation 175.


Il y a toujours un moment où l'on se pose des questions sur la théorie dans sa pratique quotidienne mais il est aussi nécessaire de mettre sa théorie à l'épreuve de sa pratique pour savoir ce qu'il en reste et, surtout, pour se remettre en question.

A mon retour de vacances je revois Madame A, 37 ans, que, pour des raisons pratiques tenant à l'exposé des faits (vous avez sans doute remarqué qu'il est rare en ce blog que je fournisse des indications ethniques sur les cas cliniques rapportés pour des raisons de confidentialité, certes, mais aussi pour ne pas faire de ces cas cliniques des cas d'école ou des démonstrations qui seraient fondées sur des données seulement sociologiques, culturelles ou... idéologiques et, on me le demande souvent, il est fréquent dans ces cas cliniques qu'un homme soit une femme et vice versa, je fais fi des genres avec mon esprit à la mode que tout le monde m'envie, ce qui fait que j'atteins facilement le point bobo) je vais présenter à la fois comme femme de ménage et comme d'origine malienne (pour les coupeurs de cheveux - crépus- en quatre, elle est née au Mali). Elle consulte avec son mari, manutentionnaire et Malien, et ils arborent (comme on dit dans les romans à deux sous) un beau sourire.

Je rappelle quelques éléments de la théorie illichienne qui ont inspiré depuis de nombreuses années  ma réflexion (je réserve pour plus tard la critique d'Ivan Illich par Thomas McKeown dans 'The role of medicine', courte mais passionnante, et ce que cela m'inspire) : la société s'est à tort médicalisée (on peut discuter sur le degré de médicalisation / sur médicalisation comme l'a fait Marc Girard, par exemple à propos du corps des femmes) et on peut s'interroger sur qui a commencé, c'est à dire si la médecine a forcé la société à se médicaliser ou si la société a exigé de la médecine qu'elle règle des problèmes qui, de tout temps, n'étaient pas médicaux ; les adversaires d'Illich prétendent que c'est le progrès qui a rendu des pans de la vie "médicaux" (soigner des infections, surveiller les grossesses ou remplacer des coeurs), Illich a lui tendance à dire que c'est la technique qui a fait miroiter à la société des solutions médicales à des problèmes anthropologiquement non médicaux ; à l'échelle historique et de façon globale l'hygiène est plus déterminante que la médecine pour diminuer la morbi-mortalité (Illich et McKeown sont d'accord sur ce point) mais il faut cependant moduler en fonction des pathologies, des époques et des lieux (j'y reviendrai ailleurs) ; les grandes institutions de la société industrielle (santé, école, transports, énergie) sont contre-productives (rappelons cette statistique effrayante et que nous avons du mal à imaginer : 30 % des patients traités pour une infection à l'hôpital l'ont attrapée durant leur hospitalisation) ; mais venons-on au fait central : Illich préconise l'autonomie de l'individu et de son entourage contre l'hétéronomie de la technique (voir ICI) et il donne des exemples convaincants, d'autant plus convaincants que le corps médical et les industriels ont intérêt à élargir leur champs d'intervention (et de vente) : le deuil de son conjoint est, par exemple, devenu une maladie alors qu'auparavant c'était une situation existentielle qui se traitait en famille ou dans un cercle d'amis ; il faudrait développer à l'infini ce dernier point car le concept d'autonomie est d'une complexité inouïe et peut autant renvoyer à la common decency orwellienne qu'au libertarianisme  états-unien... Fin de la parenthèse. 

La première fois que Madame A est venue me voir, seule, elle va très mal. Elle est effrayée, elle n'arrive pas à dormir, mais pas du tout, elle a des crampes dans le ventre, le coeur qui bat vite, et cetera. En gros elle fait une énorme crise d'angoisse généralisée. Elle a peur de mourir. Elle a peur de dormir et de ne pas se réveiller. Elle pleure et elle se tient la poitrine. Et comme souvent en ces circonstances elle pense que c'est organique et cette accumulation de symptômes angoissants lui fait craindre le pire, une maladie grave, un cancer. Elle veut, bien entendu, une prise de sang et un scanner corps entier (regarder Dr House est mauvais pour la santé) pour savoir. Mon refus ne la rassure pas. Bien au contraire.
Je suis incapable de l'interroger sereinement et elle est incapable de me parler sereinement mais l'angoisse de mourir l'empêche de se comporter "normalement" avec son mari, ses enfants et elle arrivait jusqu'à présent à travailler.
Je lui prescris une benzodiazépine et un hypnotique (que la police du goût me pardonne...) : double hétéronomie : elle consulte un médecin et le médecin lui prescrit des médicaments pour une "pathologie" qui, en Afrique, aurait nécessité de l'autonomie communautaire (ce qui tend là-bas aussi à disparaître). Je lui prescris également un court arrêt de travail bien qu'elle semble aller mieux quand elle travaille. Mais elle est épuisée.
Dans notre entretien confus et incompréhensible et en raison du fait qu'obtenir un rendez-vous dans une structure psychaitrique demande entre une décennie et unsiècle, je réussis à lui glisser le conseil  de parler autour d'elle pour se faire aider, son mari, quelqu'un de sa famille, une amie. Début de la rupture d'hétéronomie ?

La deuxième fois qu'elle consulte, trois jours après, elle ne va pas mieux, mais elle est accompagnée d'une cousine. Symptomatologie identique, angoisse dans le même métal, mais elle a parlé à son mari et à sa cousine. La cousine intervient : "Nous avons perdu récemment notre grande soeur au Mali qui est morte brutalement et sans cause apparente et c'est la raison pour laquelle elle est mal, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a peur de mourir et d'aller la rejoindre. Et elle ajoute : "Une de nos cousines qui vit à Dakar, loin du village où est décédée notre grande soeur, est dans le même état, enfin elle a peur de mourir..." (Ma réaction en direct : ainsi, nous entrons en plein, non, je plaisante, en pleine théorie mimétique (voir René Girard) avec deux protagonistes qui ont les mêmes symptômes à des milliers de kilomètres de distance.)
La patiente sourit vaguement. J'ai également oublié de dire qu'elle n'a pas pris le traitement que je lui ais prescrit : elle ne voulait pas prendre de médicaments.
Nous avançons un peu.
La patiente commence à parler de sa grande soeur mais les manifestations d'angoisse sont encore au premier plan et elle s'inquiète encore plus : elle est certaine d'avoir un problème au ventre et veut une radio. Je tente de lui expliquer que... La cousine ajoute que son mari pense qu'elle a une maladie et qu'il la pousse à faire des examens.
Je conseille à nouveau les discussions familiales. J'apprends alors que la cousine qui présente  exactement les mêmes symptômes a commencé quelques heures avant que ma patiente n'exprime la même chose, ce qui beaucoup impressionné la famille des deux continents quand elle l'a appris.
Je demande : "Avez-vous parlé à votre soeur ? - Non. Elle ne veut pas."

La troisème fois qu'elle consulte, son mari est avec elle. Elle a fini par prendre les médicaments et elle se sent (un peu) mieux mais "ce n'est pas tout à fait cela". Le mari est inquiet et convient que c'est la mort de la soeur qui a tout déclenché. Il a beaucoup réfléchi et se demande comment il ferait s'il avait peur de mourir. "Au village", me dit-il, "il y a un marabout qui fait des prières mais il n'y croit pas beaucoup... Ma femme ne pourrait-elle pas aller voir un psychiatre ?" Je me tourne vers sa femme qui sourit et qui dit qu'elle veut bien tout essayer. Cela va être difficile en cette mi juillet de trouver un rendez-vous au CMPA (dispensaire de secteur où les effectifs ne cessent d'être réduits) mais je fais un courrier en expliquant qu'elle verra d'abord un infirmier ou une infirmière puis un psychiatre. C'est OK.

A mon retour de vacances je revois donc Madame A qui a repris son travail : elle se sent mieux. Elle continue de parler avec sa cousine de France et maintenant elle parle aussi avec sa cousine qui vit au Sénégal. Elle a vu une infirmière au CMPA et elle verra un psy mi septembre. Nous n'avons rien réglé. Nous n'avons pas encore pu parler au fond pour des raisons conceptuelles (même si cette femme parle parfaitement le français) mais elle va mieux. Elle prend actuellement comme traitement un zolpidem au coucher et un alprazolam 0,25 dans la matinée. C'est tout.
J'ajoute que Madame A a appris une expression au CMPA : faire son deuil. Je ne sais pas si faire son travail de deuil va l'aider mais une nouvelle notion est entrée dans son esprit : elle est de plus en plus imprégnée de la culture toubab.


L'histoire n'est pas terminée.
Madame A n'est pas guérie mais a commencé à aller mieux grâce à son entourage et dans sa culture familiale. On peut dire aussi qu'avec le temps, va, tout s'en va. Que les benzodiazépines l'ont aussi aidée (à dormir).
Je ne suis pas assez sot pour dire qu'Illich a raison, je dis simplement que j'ai pensé à Illich en recevant plusieurs fois la malade et deux membres de sa famille, que j'ai pensé à l'autonomie illichienne versus le tout médecine ou le tout psychiatrique.
Je suis un toubab qui, au cours de ces consultations, a pensé à Freud, à René Girard, à Georges Devereux, à Ivan Illich et aussi aux benzodiazépines.

Medical nemesis. 1975. Vous pouvez en lire le premier chapitre en anglais  ICI.

jeudi 17 juillet 2014

Un quart d'heure bien rempli. Histoire de consultation 174


Madame A, 56 ans, est diabétique non id, hypertendue, et elle est "en invalidité" deuxième catégorie au décours d'un accident domestique (fracture grave de la cheville droite opérée, compliquée, neuro algodystrophie, douleurs, oedème, impotence fonctionnelle avec périmètre de marche très réduit) qui a entraîné une boiterie...

Madame A est charmante.
"Aujourd'hui", me dit-elle, "je viens vous embêter".
Elle a pris rendez-vous, elle est arrivée à l'heure, je suis à l'heure, et je grimace.
Elle est en effet coutumière du fait (je le lis dans le dossier et mon caractère s'en ressent déjà), et je ne sais pas encore qu'elle a quatre motifs de consultation que je vais les découvrir au fur et à mesure car c'est une maligne.
  1. Remplir le dossier MDPH pour "son" invalidité.
  2. Prolonger son ALD pour diabète non id.
  3. Lui represcrire ses médicaments.
  4. Lui fournir le matériel et la paperasse pour le test hemoccult.
N'oublions pas non plus que Madame A est avant tout un patiente et non un dossier administratif, il est donc nécessaire de l'interroger, de mesurer sa PA...

Le remplissage du dossier MDPH a été brillamment abordé par une collègue en son blog (LA). Elle a raison, la collègue, de nous expliquer tout cela, cela m'a gravement culpabilisé mais cela n'a pas rassuré mon cerveau rationnel. 
Nous ne sommes pas des assistantes sociales ! Ce n'est pas une déclaration de haine ou de dédain pour les AS, non, c'est tout le contraire : la complexité de l'affaire mériterait que les AS, au lieu de dire, dans 97,32 % des cas (plus les chiffres sont "précis" plus ils sont faux), "Voyez avec votre médecin, c'est lui le manitou, y sait, y va vous remplir ça en moins de deux..." (et ne me dites pas, je vous vois venir, ce sont des propos de patients, il ne faut pas les croire, ils inventent, ils travestissent ce qu'ils ont entendu, parce que les patients racontent toujours la même chose et rapportent toujours les mêmes dires des AS quand ils déposent le dossier MDPH sur mon bureau -- quand ils ne le déposent pas sur le bureau de la secrétaire en lui demandant que je le remplisse, il me connaît, et fissa--, à moins bien entendu qu'il n'y ait un site Internet qui explique au patient, quand ils vont voir leur médecin traitant avec le dossier MDPH sous le bras, quels sont les éléments de langage pour  raconter ce que racontent les AS et rendre le médecin furibard...), les AS au lieu de nous "balancer" le patient et son dossier, elles devraient nous écrire un mot d'explication pour que l'on sache exactement pourquoi on est censé faire les choses. 
Donc, le dossier MDPH, c'est dans l'immense majorité des cas, d'un casse-pied absolu. Cela prend du temps, on ne sait pas par qui ce sera lu, dans quel contexte, quels sont les critères d'attribution, et cetera, malgré les explications du docteur Millie que je remercie encore pour ce billet éclairant. Dernier point : Madame A n'a pas rapporté les photocopies du dossier précédent effectué il y a 5 ans, document qui permet de se resituer par rapport à l'état antérieur de la patiente. Donc : médecin de mauvais poil.

Madame A est arrivée à un moment de l'après-midi où le remplissage en ligne des ALD n'est pas possible pour cause de je ne sais quoi. Il y a donc un imprimé CERFA à remplir... Ce qui va vite quand le dossier de la patiente est à jour. 

Represcrire les médicaments : nous entrons dans le sublime. 
Madame A refuse les génériques. 
Enfin, c'est plus compliqué que cela. 
Je dis en passant que les génériques sont une des plus grosses arnaques de la pharmacie et du néo libéralisme que je connaisse. Mais ce serait long à expliquer. Je m'y attellerai un jour. 
Pourquoi c'est complexe : Madame A refuse les génériques d'Hemi Daonil, ils lui donnent mal à la tête, les génériques du Renitec, ma tension monte, et... les génériques de la metformine... 
On s'explique ? C'est moi qui ai initié les traitements il y a longtemps. Pour l'Hemi Daonil, la dci (glibenclamide) a toujours été confusante pour moi avec celle du Diamicron (gliclazide), médicament Servier, qui a investi le champ de prescription des spécialistes de Mantes pour des raisons que la décence m'interdit d'expliquer ici, c'est pourquoi je continue de prescrire en nom de marque (et, promis, je ne me rappelle pas le ou la visiteuse médicale qui me l'avait présenté). Pour le Renitec, je ne sais même pas la dci par coeur (enalapril) et c'est un médicament que je prescris depuis plusieurs siècles... Le sublime pour la fin : le trio infernal glucophage / stagid / metformine est peut-être un problème médical mais c'est sans nul doute un problème sociétal complexe. Je résume le cas de Madame A : j'ai prescrit d'emblée de la metformine et elle la supporte bien tant est si bien qu'elle pense que le princeps, c'est la metformine et pas le Glucophage... qu'un médecin lui a prescrit ensuite un jour où je n'étais pas là et cela lui avait déclenché une diarrhée... Ainsi, contre toute logique, mais la logique des médecins est tout aussi mystérieuse, elle a un traitement composé de princeps et de génériques et elle ne veut pas changer. D'ailleurs, comme elle dit, "Je veux bien payer un supplément pour avoir 'mon' médicament." Le sous-entendu que j'ai entendu de nombreuses fois étant : les génériques c'est pour les pauvres, les "vrais" médicaments c'est pour les riches. Ne me demandez pas pourquoi cette patiente diabétique n'a pas de statine dans sa collection. Elle est intolérante complète aux statines quelles qu'elles soient. Bon, le LDL se ballade mais des petits malins m'ont dit que le LDL allait disparaître des esprits.

Fournir le matériel pour le dépistage du cancer du colon par test hemoccult. C'est un geste de prévention. Discuté : voir ICI et plus récemment LA dans le NEJM où l'on voit que le dépistage n'influe pas sur la mortalité globale. Cela prend un peu de temps pour les gens qui l'ont déjà fait et beaucoup, surtout les analphabètes de ma patientèle, quand c'est la première fois. Et c'est pas rémunéré ou très peu (je ne me rappelle même pas combien).

Que croyez-vous qu'il arriva ? 

J'ai rempli le dossier MDPH en râlant parce qu'elle ne m'avait pas rapporté le dossier précédent "resté sur la table du salon" ...
Pour l'ALD, j'ai mis quelques instants à remplir l'imprimé (mes dossiers sont à peu près tenus mais j'ai peur que la non mention de la statine et un taux de LDL supérieur à 1 ne collent des boutons au médecin conseil... on verra...).
Pour le reste : elle avait encore quinze jours de médicaments. Elle ira donc voir ma remplaçante, "Oui mais docteur je l'aime pas...", et moi : "D'abord elle est super sympa, ensuite, c'est toujours bien d'avoit un oeil neuf sur un dossier." On voit que je suis également un malin. "Mais, j'y pense, vous avez rapporté les résultats de votre prise de sang ? - Non, je les ai oubliés... - Sans doute sur la table du salon... - Mais je croyais que le laboratoire vous les adressait... - C'était avant..." Elle prendra donc rendez-vous avec ma remplaçante.
Pour l'hemoccult, je lui demande de repasser à la rentrée.
Elle a fait semblant de comprendre la situation.
Elle n'a pas payé car j'ai fait tiers-payant sur l'ALD.

Commentaire de mon voisin : De quoi vous plaignez-vous ? C'est quand même votre boulot de répondre aux besoins des patients pendant une consultation. Cette malade croyait bien faire et voulait vous éviter du travail. Les médecins ne sont pas pauvres. Arrêter de vous plaindre.

Enfin : On comprend ici que la médecine générale est compliquée et demande deux ou trois neurones, ce qui n'est pas donné à tout le monde et entraîne des complications relationnelles avec les patients qui n'ont qu'un rapport très lointain avec la médecine qui a été enseignée sur les bancs de la Faculté. 
(J'avais pensé dédier cette consultation et ce quart d'heure de célébrité à Arnaud Montebourg qui parle, qui parle, contre les professions réglementées, mais, en bon Français, je ne me suis pas senti concerné, quant aux notaires et aux greffeiers de justice, j'en suis moins certain et, quand même, ce Montebourg, c'est un type de gauche qui a quand même une tête de mec de droite.)


Notes
(1) J'ai déjà rapporté, ICI, que l'économie du cabinet de médecine générale (libéral) dans lequel j'exerce avec une associée et dont le personnel comporte une secrétaire et une femme de ménage est fondé sur une réalité incontournable : les consultations durent en moyenne 15 minutes et sont rémunérées 23 euro. 
On sait également que des rémunérations annexes s'ajoutent à ces 23 euro. Visites à domicile par exemple (dans 99 % des cas, j'exerce en ville, 33 euro) ; consultations pour les nourrissons (23 + 5 = 28 euro), pour les enfant entre 2 et 5 ans (23 + 3 = 26 euro) ; consultations et visites à domicile chez les patients de plus de 85 ans (et maintenant au premier juillet de plus de 80 ans) (soit respectivement 23 + 5 = 28 euro et 33 + 5 = 38 euro) (280 euro par trimestre ) ; forfait annuel médecin traitant (1640 euro) et j'en oublie.
Une rémunération pour les patients dont je suis le médecin traitant et qui disposent de l'ALD (les affections de longue durée) : 40 euro par patient et par an.
La sécurité sociale a ajouté le ROSP ou rémunération à la performance dont j'ai déjà parlé LA et qui rémunèrent un certain nombre d'items tenant à la fois à l'organisation du cabinet et à des critères de santé publique (sic) : j'ai touché 3400 euro en 2013 (je n'avais pas atteint mon seuil de télétransmission en raison de pannes itératives de mon logiciel Hellodoc et de l'incapacité d'Hellodoc à calibrer les cartes santé des remplaçants). Donc, en gros j'ai touché à peine un euro de plus par C. Et la Cour des Comptes pond un rapport ce jour pour critiquer cet euro (LA). 

Ilustration : Molière : Le Médecin Malgré Lui. 1666.


dimanche 1 juin 2014

Contre-transfert en médecine générale (approche partiale). Histoire de consultation 170.


Je rencontre dans le couloir Madame A, 31 ans, qui sort du cabinet de consultation de mon associée où elle vient d'être vue par son remplaçant (pour simplifier les choses : le remplaçant de mon associée est mon ex associé à la retraite).
Elle me fait un grand sourire que je lui rends.
Sauf que j'ai un peu de mal avec cette patiente dont je suis le médecin traitant et qui a mal partout, qui se plaint de plein de trucs, un jour du cou, un autre de la jambe, une autre fois des poignets, encore une autre fois de migraine, qui est anxieuse, qui souffre physiquement et moralement, qui a des traits dépressifs, qui ne sait plus où elle en est et que je considère comme une victime parce qu'elle a un compagnon, le père de son enfant, qui l'a frappée (elle ne m'a jamais montré de traces mais ce n'est pas la peine de voir pour la "croire" et j'ai voulu que l'on prévienne les services sociaux, qu'elle porte plainte, elle n'a jamais voulu, parce qu'elle ne veut pas le priver de son enfant, c'est son père, après tout), qui la menace, qui la trompe ouvertement, me dit-elle, et cetera, et qui continue de vivre chez elle et un employeur qui ne la comprend pas et qui, sans la harceler, la trouve nulle.
J'ai fini par l'adresser en service de médecine interne car, ne sachant plus quoi faire d'elle, je veux dire proposer une construction théorique pour toutes ses plaintes douloureuses, et craignant de "passer à côté de quelque chose", notamment une connectivite en raison de l'horaire des douleurs, du contexte familial, sa maman a une PR, et parce que l'abord psy ne lui convient pas, qu'elle n'est pas folle, dit-elle, qu'elle est anxieuse mais on le serait à moins, dit-elle, qu'elle est un peu dépressive mais sans désirs suicidaires, comprenez moi, docteur, je vis des choses difficiles, eh bien j'ai opté pour l'approche organique afin de soulager mon ignorance et / ou mon incompétence.
Elle a donc accepté le service de médecine interne mais pas l'aide sociale et pas le psychiatre.
Le service de médecine interne a joué le grand jeu, ne l'a pas prise pour une "fonctionnelle", et le courrier que j'ai reçu était rempli de résultats d'examens complémentaires très sioux, que je connaissais de nom mais dont je ne connaissais ni la spécificité ni la sensibilité dans le cas particulier de cette patiente. Ils n'ont rien trouvé mais ils ne lui ont pas encore collé une étiquette d'hypochondriaque manipulatrice. J'ai écrit dans son dossier la phrase magique : "jesaipasaiquoi".


Quoi qu'il en soit, chaque fois que je découvre son nom dans le carnet de rendez-vous, je fais la grimace. Car je ne sais pas quel visage lui montrer : empathique, compâtissant, sérieux, raisonneur, ouvert, psy (je vous expliquerai un jour à moins que vous ne le sachiez ce qu'est une attitude psy en médecine générale), patelin, raisonneur, père fouettard, assistante sociale, que sais-je encore ? Je suis gêné aux entournures. Et elle s'en rend compte. Sans doute. Elle sait peut-être que je n'ose pas lui dire ce qu'elle a envie d'entendre ou de ne pas entendre, Prends ta gosse et tais-toi tire-toi, un vieux reste de Le médecin n'est pas là pour décider pour ses patients, mais je ne dis rien sinon qu'il faudra porter plainte, cette fois, si son compagnon la frappait à nouveau.
Après qu'elle est partie, le remplaçant de mon associé me dit, dans le bureau de la secrétaire "Elle n'a vraiment pas de chance, Madame A." Je le regarde et montre un visage étonné. Je n'avais pas envisagé les choses de cette façon là. Pour moi, Madame A est avant tout une emmerdeuse, une emmerdeuse qui n'a même pas l'élégance de coller aux tableaux cliniques pré définis, aux tableaux psychiatriques ad hoc, une emmerdeuse qui a mal et qui ne supporte aucun opiacé, une emmerdeuse qui est certes anxieuse, sub dépressive (le DSM IV définit-il ce genre de patientes ?), victime de la vie, un mec qui l'a d'abord frappée puis quittée en la laissant avec son enfant de trois ans mais qui ne l'a pas quitté complètement, qui la harcèle, qui veut voir sa fille mais surtout emmerder la maman, qui exige de voir sa fille pour savoir comment la mère de sa fille survivent sans lui, et Madame A qui n'ose pas lui dire que cela suffit car elle a tellement peur qu'il ne demande plus à voir sa fille qui réclame son père.
Grâce à la remarque du remplaçant de mon associé je découvre combien j'ai été mauvais avec cette patiente, mauvais dans ses différentes acceptions : mauvais médecin, mauvais "humaniste", mauvais humain, nul, en quelque sorte. J'ai découvert aussi combien j'avais été injuste.

Pourquoi ?
Chacun pourra en tirer des conclusions, non sur mon cas précis, mais sur "son" cas précis, le cas de chaque "soignant" en situation de soin quand il ou elle sont en face d'un ou d'une patiente qui les dérange.
La vie est ainsi faite, je ne parle pas seulement de la médecine, il nous arrive d'être "mauvais", mais, dans le cas de la médecine, il s'agit de notre métier, nous avons donc une obligation de moyens.
Est-ce que j'ai été mauvais parce que je n'aime pas ce genre de femmes dans la vraie vie ? Est-ce que j'ai été mauvais parce qu'elle ne correspondait pas à l'idée que je me fais de la façon de réagir dans de telles circonstances ? Est-ce que j'ai été mauvais par pure umbécillité ?

Le remplaçant de mon associée m'a remis dans le droit chemin.

Quad j'ai revu Madame A, j'étais content de la voir. Sans doute pour me faire pardonner. Et, comme par hasard, et ne croyez pas une seconde qu'il y ait une quelconque corrélation ou que je m'attribue quelque mérite, elle allait "mieux".

(Cette anecdote mériterait à mon sens quelques commentaires circonstanciés : la réflexion sur soi-même ; la liberté de ton entre professionnels de santé ; l'arrogance médicale ; le paternalisme ; et cetera)

Note : Pour le contre transfert j'ai retenu cet article ICI.

Illustration : je l'ai trouvée sur le site LA mais sans auteur du dessin.

PS du 23 septembre 2015 : un billet de Jaddo illustre a posteriori le billet : LA.

jeudi 22 mai 2014

Actualités oncologiques en médecine générale. Annexe au plan cancer (2)


J'avais posté un billet en attendant de commenter le plan cancer (ICI), billet que je n'ai toujours pas écrit.
Mais la réalité ne cesse de me rattraper.
Ne croyez pas que je fasse une fixation sur les oncologues et les médecins s'occupant du cancer mais je crois quand même qu'ils méritent qu'on leur rappelle ce qu'est la vraie vie.

Cas onco 005. Histoire de consultation 168
Madame A, 94 ans, a fini par dire que son sein coulait. Elle a une tumeur du sein qui a été authentifiée par une mammographie puis par une biopsie. (En tant que médecin traitant je ne m'étais méfié de rien car il n'y avait aucun antécédent de cancer du sein dans cette famille ni chez les descendantes et, d'ailleurs, je ne palpe pas les seins des femmes âgées). Cette patiente habite à 30 kilomètres du cabinet mais j'étais resté son médecin traitant (elle est hypertendue et diabétique non insulino-dépendante plutôt bien équilibrée). Je lui ai conseillé de s'organiser sur place et lui ai donné le nom d'un chirurgien que je connaissais vaguement dans la ville où elle habite désormais. Mais la patiente avait pris sa décision : on ne me fera rien, pas de chirurgie, pas de rayons, pas de chimio. Le chirurgien s'est montré très déçu de ne pouvoir l'opérer, il proposait une mammectomie, très déçu de ne pouvoir programmer de radiothérapie, très déçu de ne pouvoir lui proposer une chimiothérapie, il ne m'a pas écrit de courrier, il a été si déçu qu'il l'a laissée repartir comme ça en lui demandant de me recontacter. Au petit hôpital de la ville où elle habite, un oncologue consulte deux fois par semaine. Sa fille a obtenu un rendez-vous rapide et, avant d'aller le voir, la patiente est venue consulter à mon cabinet. Le bilan d'extension avait déjà été programmé et semble rassurant (semble car je n'ai reçu aucune nouvelle). Elle est ferme sur ses positions : elle ne veut pas être traitée. Après examen de son sein, je lui propose ceci : une simple tumorectomie pour éviter les complications cutanées et basta. Elle est d'accord. J'écris une lettre pour l'oncologue en ce sens. La patiente de 94 ans a gardé sa vivacité d'esprit en plaisantant sur le fait qu'elle a rendez-vous avec un oncologue, pas un cancerologue, qu'elle n'avait donc pas un cancer mais un onco... Je suis préoccupé car je ne vais pas gérer la suite, l'éloignement, et aucun des médecins généralistes contactés sur son nouveau lieu de résidence ne prend de nouveaux patients. Et il est vrai qu'il n'y a rien d'excitant à avoir comme nouvelle malade une femme de cet âge présentant un cancer du sein chez qui il sera nécessaire, sans doute, de faire des visites à domicile, d'organiser des soins à domicile (elle veut mourir chez sa fille, a-t-elle exprimé clairement) et / ou de travailler en coopération avec l'hôpital.

Cas onco 006. Histoire de consultation 169
Monsieur B, 74 ans, a un cancer du poumon. Un anaplasique à petites cellules. Il arrive d'Algérie pour habiter chez sa fille le temps de quelques examens. L'hospitalisation programmée confirme le diagnostic et précise l'extension : métastases un peu partout. Le médecin traitant de la fille, soit le docteurdu16, est mis au courant de l'affaire et se rend au domicile non sans avoir été informé préalablement de ce qui a été dit au patient et à la famille (l'information vient de la fille, pas de l'hôpital, vous m'avez compris). Le malade ne sait pas que son cancer est mortel, le malade ne sait pas qu'il a des métastases et le malade ne sait pas qu'il va mourir. La femme du malade qui est restée en Algérie n'est au courant de rien. Point important : le patient ne souffre pas. Point ultime : il veut retourner chez lui. Eh bien les pneumo-oncologues de l'hôpital n'ont pas perdu de temps : ils lui ont collé la première cure de chimiothérapie. D'après la fille, ils ont dit : "Nous ne le guérirons pas mais nous allons augmenter on espérance de vie." Où est le respect du patient ? Où est l'information honnête ? Où est l'intérêt du patient ? J'ajoute que le patient a travaillé 35 ans en France, qu'il parle parfaitement le français. Elle est où cette putain de consultation d'annonce ?

Pour les étudiants en mal de thèse ces deux cas pourraient leur permettre d'écrire deux ou trois trucs qui touchent aux fondements de la médecine et du soin. Je vous laisse développer les thèmes.

Illustration : Philip Roth: Patrimony (1991).

mardi 13 mai 2014

Difficultés professionnelles. Histoire de consultation 167.


Le jeune A, 18 ans, est apprenti boucher.
Cela se passe très bien avec son patron et les employés, il est apprécié. 
Un peu lent mais professionnel. 
Mais il va devoir changer de boucherie. 
A la pause, à 14 heures, ils fument le shit, le patron et les bouchers.
Pas lui. 
Et il ne veut pas essayer.
Et on le lui reproche.
Cela casse l'ambiance.
On le rejette.
C'est pas un petit joint qui va te défoncer...
Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
L'alcool : un petit verre...
Mais tout le monde est gentil avec lui. 
On va lui trouver une autre boucherie.
Où on ne fume pas le shit à la pause.
C'est presque fait.
C'est quand même drôlement khon.

dimanche 13 avril 2014

L'accès aux soins assuré pour ne rien faire. Histoire de consultation 166.


A, 13 ans, vient avec sa maman parce qu'elle a mal à la gorge.
Elle a pris rendez-vous.
Ce jour, et bien que mon ancien associé retraité soit venu m'aider comme tous les samedis, nous avons refusé du monde.

(Désolé de mélanger les sujets mais je me suis fixé, en travaillant le samedi, et peu de médecins sur zone travaillent le samedi, de ne plus donner de rendez-vous au delà de 14 H 30 tout en commençant  à 8 H 30 (journée "continue"). Je tente de m'y tenir et cela fonctionne depuis de nombreuses années.  Grosso modo je pars du cabinet vers 15 H 30 les bons jours après avoir fait la compta, télétransmis et sauvegardé). Pour mémoire, quand je me suis installé en 1979, je faisais des visites le samedi matin, entre 3 et 5 environ, et ma consultation "libre" sans rendez-vous, commençait à 13 H 30 et se terminait à 19 H alors que mon associé travaillait sur rendez-vous entre 8 H 30 et 13 H.

A a mal à la gorge et il s'agit d'une banale pharyngite.
Je pourrais poser la question à 23 euro : Mais qu'est-ce qu'elle avait à faire dans mon cabinet, un samedi matin, sur rendez-vous, alors qu'elle n'avait qu'une pharyngite ?
Attendez la suite.

A est forte. Elle présente un net surpoids.
Elle est partagée entre l'idée de maigrir et celle de ne pas y arriver.
Mais c'est autre chose qui m'intéresse.
Elle est allée aux urgences il y a deux semaines pour l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Les faits sont clairs : harcèlement au collège pour des raisons non éclaircies. Les parents ont fait le nécessaire auprès de l'administration qui a tenté de se cacher derrière des On ne sait pas, On n'a rien remarqué, Pas de vagues, mais aussi ont porté plainte ce qui a fait bouger le principal du collège qui avait décidé d'enterrer l'affaire.
 Quant aux enseignants, Ils demandent une formation... Passons.
A continue de fréquenter le collège car les parents n'ont pas souhaité que ce soit elle qui parte et, surtout, parce que cette jeune fille est parfaitement intégrée, a des copines et des copains, fait du sport et que le harcèlement a cessé. Du moins d'après ce que l'on en sait.
A est donc allée aux urgences, on s'est occupé d'elle, je le répète, il s'agissait de l'esquisse de l'esquisse d'un geste automutilant, enfin, on lui a fait un pansement, et on l'a gardée pour la nuit afin qu'elle puisse voir la psychologue le lendemain.
Le lendemain, tard dans la matinée, est arrivée la diététicienne qui n'était au courant de rien et qui croyait que A avait été hospitalisée pour surpoids : elle venait établir la liste des menus pour la semaine... Ainsi la détermination de l'IMC doit-elle faire partie d'un programme spécial dans le cadre de la Politique Nationale de Santé (j'invente bien entendu) qui déclenche l'arrivée d'une diététicienne chez les ados qui ont dépassé le seuil fatidique. La maman a dit non et la diététicienne a replié ses menus et proposé un rendez-vous le mois suivant en regrettant la prime d'IMC qui venait de lui passer sous le nez ainsi qu'à tout le service... Quant à la psychologue : nada.

A est donc devant moi avec sa pharyngite, son futur paracetamol, son surpoids et l'esquisse de l'esquisse d'une tentative de suicide.
Nous parlons harcèlement et je la trouve un peu distante.
Nous parlons surpoids et nous convenons qu'elle va noter tout ce qu'elle mange pendant la semaine et qu'elle prend rendez-vous samedi prochain.
Nous essaierons également de trouver un rendez-vous chez un psy (dans cent ans) car A l'a demandé (mollement) et que cela paraît souhaitable dans le cadre des expérinces interne et externe.

Ah, encore un détail : la maman (je n'ai pas dit que je la connaissais déjà alors qu'elle était plus jeune que sa fille) me tend l'ordonnance qu'un pédiatre de l'hôpital lui a fourguée au moment de partir. Il ou elle lui  a prescrit le vaccin contre la méningite B.
La maman a dit qu'elle demanderait à son médecin traitant.

Résumé provisoire de cette affaire : le programme de lutte contre le surpoids (sic) est plus important qu'un hypothétique programme de lutte contre le mal être des adolescents ; l'accès aux soins est assuré pour les pharyngites virales un samedi matin en médecine générale ; il est plus facile d'être vu aux urgences par une diététicienne que par un psy (chiatre ou chologue) ; big vaccine offre des facilités aux pédiatres des urgences ; l'interne a pensé au vaccin mais pas à un rendez-vous avec un psy ; l'hôpital assure l'accès aux soins pour des soins que le patient ne demande pas.

Illustration : Le Carré de White (1961) : White KL, Williams TF, Greenberg BG. The ecology of medical care. N Engl J Med 1961 ; 265 : 885-92. (ICI pour des commentaires)

jeudi 3 avril 2014

Le parcours de soins en folie : que fait la police ? Histoires de consultation 164 et 165.


Histoire de consultation 164.
Madame A, 72 ans, pimpante mais douloureuse, est venue me voir un peu avant les vacances de février. Elle avait mal un peu partout, comme d'habitude, cela fait dix ans que nous nous connaissons. Elle voulait que je lui prescrive une ostéodensitométrie car le radiologue ostéodensitométrologue lui avait dit il y a cinq ans qu'il fallait recontrôler. J'avais dit non.
Madame A est douloureuse mais ne supporte rien. Elle est intolérante aux opiacés. Grave. Si un sirop anti tussif donné en aveugle en contient de faibles quantités, elle est au moins nauséeuse et céphalalgique.
Je la revois et elle me raconte ceci : elle a souffert de cervicalgies aiguës, est allée aux urgences en pleine nuit (elle avait rêvé sans doute que Patrick Pelloux allait l'accueillir les bras ouverts en lui disant "Ah oui votre généraliste n'était pas joignable à deux heures du matin, vous avez bien fait de venir nous voir, nous allons augmenter le nombre de passages et notre subvention et cela fera plaisir au directeur de l'hôpital, venez à moi malades pas graves que je pourrais faire attendre six heures dans un couloir et à propos desquels je pourrais médire sur les nullissimes médecins bobologues libéraux), on l'a examinée, on ne lui a pas fait de radios (heureusement !) et, bien qu'elle eût précisé qu'elle était intolérante grave aux opiacés, on lui a prescrit de l'ixprim et l'interne, selon les dires de la patiente (mais comment aurait-elle pu inventer une pareille khonnerie ?), lui a dit dans une envolée lyrique dont les djeunes, cornaqués par des seniors qui imposent le tramadol comme panacée, on ne peut quand même pas sortir des granananananands services d'urgences qui sauvent des vies avec des prescriptions de paracetamol, ont sans doute le secret : "Ne vous inquiétez pas, madame, le corps change".
On peut dire aussi que la patiente est bien naïve de croire des choses pareilles (son expérience interne) et qu'elle aurait pu attendre un peu et, éventuellement, demander l'avis de son médecin traitant le lendemain matin (mais il était en vacances, fait qu'aurait souligné Patrick Pelloux convoqué comme témoin à charge dans le grand procès intenté à ces flemmards de médecins généralistes dont les consultations se terminent à 17 heures - sic) ou à son remplaçant ou à son associée, avant de prendre son ixprim... Mais l'autorité médicale de l'hôpital est plus forte que les expériences internes des patients et des médecins traitants, un djeune interne des urgences de 26 ans en sachant mille fois plus qu'un khonnard de médecin généraliste traitant des rhumes et des rhino-pharyngites depuis plus de 34 ans.
Quoi qu'il en soit, notre patiente, et toujours sur les conseils avisés de l'interne des urgences (qui était une interne, cela n'a aucune importance, cette remarque est nulle, mais faut préciser), a consulté "son" rhumatologue, celui à qui son médecin traitant l'avait adressée jadis, non par incompétence mais par lassitude de ne pouvoir assumer les douleurs multiples et variées, incessantes, inexplicables, inexpliquées, intolérables par moments pour la patiente, explorées sous toutes les coutures, traitées insuffisamment (elle a toujours mal) ou trop (elle a plein d'effets indésirables), donc, on reprend, et le rhumatologue a cédé pour la prescription de l'ostéodensitométrie (les rhumatologues le clament partout : l'ostéoporose est un problème majeur de santé publique), a prescrit des antalgiques non opiacés (pa ra cé ta mol), du chondrosulf (oui oui, je ne plaisante pas), et, après que la patiente lui en eut demandé l'autorisation, a dit que les séances de mésothérapie, pourqoi pas ?
Dans mon coin il y a un cabinet de mésothérapie. Beaucoup de succès. Deux médecins généralistes reconvertis dans la pistorisation de la médecine en général (voir ICI et pardon pour YJ qui se reconnaîtra) piquent à tour de bras dans des indications curieuses, mais, bon, je suis certainement inkhonpétent, et qui, sans nul doute, mais ils commencent à vieillir, se lanceront dans  une nouvelle spécialité l'ostéomésothérapie (il faut que je dépose au bureau des brevets). Notre piqueur, qui n'est donc ni médecin traitant ni rien du tout, sinon un adepte de la secte de Michel Pistor, a piqué et a redemandé des radiographies, j'ai l'ordonnance devant les yeux, que la patiente n'a pas suivie car "elle devait demander à son médecin référent" ainsi qu'un bilan biologique.  J'ajoute que les radiographies comme le bilan biologique, on les a déjà faits, notamment au décours de plusieurs consultations spécialisées à l'hôpital où l'on a recherché un syndrome inflammatoire et autre pouvant expliquer les fameuses douleurs multiples et variées (qui, parfois, disparaissent complètement), toujours sans succès. J'ajoute aussi qu'il a prescrit mais qu'il a d'abord piqué avec son Pistor de compétition.
Madame A est toujours plaintive, mais moins,  et me dit ceci : "Vous aviez raison de ne pas me faire faire une ostéodensitométrie, elle est normale, cela n'a pas changé depuis 5 ans, ce n'était pas la cause de mes douleurs" (elle n'omet pas de me dire, cette retraitée peu fortunée, qu'elle a dû payer un dépassement pour cette ostéodensitométrie pratiquée en dehors du parcours de soins). "J'ai arrêté les séances de mésothérapie car je sortais de là, j'avais mal, mais il m'a dit, le docteur, que pour ma rhinite allergique, il pouvait... j'ai dit non..." Il semblerait pourtant que le chondrosulf non remboursé l'améliorât.



Histoire de consultation 165
Mademoiselle B, 13 ans, vient avec sa maman au décours d'un épisode de vomissements et de douleurs abdominales. Aujourd'hui elle est indolente. Nous sommes mercredi et les faits se sont passés samedi après-midi.
Alors qu'elle était chez sa tante avec ses parents dans une charmante bourgade de la vallée de la  Seine située à une quinzaine de kilomètres du cabinet, elle s'est mise à vomir et à avoir mal au ventre. L'intensité des douleurs a conduit la maman à la faire consulter chez le médecin de famille de la tante (en ce samedi après-midi le bon médecin généraliste de la famille de Mademoiselle B, ne reçoit plus à partir de 14 heures 30, c'est moi). Et aujourd'hui la jeune patiente revient au bercail avec une prise de sang et des radiographies.
Mon bon khonfrère (un gars aussi "vieux" que moi) qui ne connaissait cette jeune fille ni des lèvres ni des dents, a prescrit pour ce qui pouvait être considéré à la lueur (vacillante) de l'interrogatoire comme une (banale) intoxication alimentaire :
Une prise de sang comprenant (accrochez vous) : NFS, VS, CRP, calcium, urée, créatinine, glycémie à jeun, fer, ferritine, évaluation d'une anomalie lipidique, SGOT, SGPT, GGT, 25OH vitamine D, TSH. Ouf !
Et des radiographies de tout le rachis car la jeune fille a dit qu'elle avait, aussi, un peu mal au dos.
Je vous laisse juge.
La jeune fille voulait savoir si elle pouvait retourner à l'école car notre bon khonfrère avait "prescrit" une semaine d'éviction scolaire.
Le bilan sanguin est normalissime sauf, comme semble-t-il, 90 % de la population un taux sérique de 25 OH vitamine D (D2 + D3) à 7 ng/ml pour des concentrations souhaitables, comme dit le laboratoire, comprises entre 30 et 60 avec une insuffisance entre 10 et 30 et une carence si < 10.
Les radiographies du rachis sont normales de chez normales.

Je vous demande un conseil en forme de sondage. Que dois-je faire ?

  1. Téléphoner au khonfrère pour lui dire tout le bien que je pense de lui.
  2. Ecrire au khonfrère pour lui dire tout le bien que je pense de lui.
  3. Ne rien faire pas khonfraternité.
  4. Ecrire un billet pour raconter l'histoire et lui adresser.
  5. Ecrire un billet et laisser tomber.
  6. Me demander s'il n'est pas en burn-out ?
  7. Aller à son cabinet directement sans prévenir et lui parler du pays.
Bonne journée.

Illustration : Katia lisant (1974). Balthus (1908 - 2001)

jeudi 27 février 2014

Actualités oncologiques en médecine générale : seuls les morts ne seront pas traités. Annexe au plan cancer.


(Il s'agit d'une annexe pragmatique au Plan Cancer dont nous avons parlé ICI et dont nous reparlerons LA -- pas encore de lien)

Cas onco 001 - histoire de consultation 164. Monsieur A, 85 ans, va mieux. Je me suis battu pendant un mois (le patient est en HAD) pour que l'on arrête la (lourde) et ancienne chimiothérapie carboplatine - vepeside pour cancer du poumon chez cet homme  triple ponté, hypertendu, bronchitique chronique et diabétique. Le pneumologue est têtu et l'oncologue le regarde par dessus son épaule pour s'assurer qu'il ne va pas lâcher. Il faut lâcher. Mais cela ne fait pas partie de la culture des médecins. Lâcher c'est avouer non son incompétence mais son incapacité à réaliser les rêves imposés par la société à savoir que la médecine a des pouvoirs infinis de promettre la vie éternelle. Je me suis battu car il fallait aussi convaincre la famille à qui les faiseurs de rêves avaient promis des mille et des cents, à la famille qui pensait que renoncer allait signifier pour leur mari, père, grand père, ami, que c'était fini, qu'il n'y avait plus qu'une seule issue : la mort. Et il y avait le pauvre khonnard de médecin traitant qui ne sait pas combien les chimiothérapies ont fait de progrès, combien l'onologie est une science dure qui sauve des vies, combien les essais cliniques ont montré que la survie était allongée de trois jours (p < 0,05) dans des essais contrôlés menés par des firmes philanthropiques qui pourront obtenir des prix pharamineux grâce à ces merveilleux trois jours avec, cerise sur le gâteau, un score de qualité de vie au top. Monsieur A va mieux mais il va mourir et il sait qu'il va mourir et il souhaite (ici, nous pourrions écrire une thèse de doctorat entière : "Le signifié et le signifiant chez le patient en fin de vie") mourir. Il va mieux mais il a des métastases partout. Il est conscient et il sait qu'il va mourir. Il ne souffre pas. Il passe sa vie dans un fauteuil. Et s'il voulait mourir chez lui au début de sa prise en charge, maintenant qu'il est conscient de sa mort prochaine il veut mourir à l'hôpital pour ne pas embêter sa femme. Et il change encore d'avis et décide qu'il serait mieux qu'il revoit son milieu familier avant de mourir. Mais il n'en aura pas le temps. Il meurt à l'hôpital. Sans avoir souffert.

Cas onco 002 - Histoire de consultation 165. Monsieur B, 64 ans, souffre d'une carcinose péritonéale secondaire. Comme personne ne lui avait dit qu'il avait un cancer initial mortel et qu'au contraire il allait guérir grâce à la médecine moderne qui garantit la vie éternelle, personne ne lui a pas plus dit que cela allait être la fin. Comme je suis le médecin traitant je suis au milieu des mensonges (et je suis le premier à mentir) et je suis celui qui va annoncer la mauvaise nouvelle. Facile. Difficile. Mais je connais la famille, la femme, les enfants, les petits-enfants. J'assume. Je fais une parenthèse majeure : dire la vérité au malade semble être un impératif "post moderne" (j'en ai déjà parlé LA) et il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Mais la façon de dire est plus importante que ce que l'on dit. Sans parler de l'arrière plan. J'ai le souvenir d'un médecin des hôpitaux annonçant à "ma" patiente et à son fils (son fils m'a dit ensuite qu'il avait été tellement sidéré, au sens paralysé par ce qu'il avait entendu, qu'il n'avait pas eu le courage de retourner dans le bureau et d'aller casser la gueule au médecin des hôpitaux pour lui apprendre la politesse et la vie, il le regrette encore) qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle allait mourir. N'aurait-il pas pu entrouvrir la porte ? Laisser filtrer un brin de lumière pour que la dame âgée puisse encore croire à quelque chose ? Ainsi, je me répète, dans le temps (ma jeunesse et en France) on ne disait rien au patient par paternalisme (ne pas désespérer la vie) puis on a tout dit par libéralisme (au sens philosophique anglo-saxon) et maintenant on dit tout et on ment sur l'issue quand elle est désespérée (on voit que cette critique est contradictoire avec celle que je faisais à propos de ce professeur qui ne laissait aucun espoir) pour prescrire ! Non seulement pour prescrire mais pour expérimenter ! Pour prescrire des traitements de deuxième, troisième, voire quatrième ligne, qui vont permettre 1) de faire des essais cliniques, 2) d'obtenir des AMM au rabais et des prix insensés et justifiés par l'innovation, 3) de vendre des boîtes très chères, 4) de rapporter de l'argent aux services expérimentateurs, 5) d'arroser des oncologues avec de l'argent et des congrès au bout du monde (l'ASCO, voir LA), 6) d'écrire des articles de merdre en anglais mais répondant aux normes de la rédaction scientifique en les faisant relire (?) par leurs auteurs désignés et 7) de leur faire signer (les professeurs devenant des pontes  internationaux ou nationaux ou régionaux ou locorégionaux et, pour les premiers, KOL (Key Opinion Leaders) sans parler un mot d'anglais ou 8) par de jeunes internes et / ou chefs de clinique qui pourront étoffer leur dossier pour devenir PU-PH et, dans le même temps et par la suite, ambassadeurs de big pharma (voir LA pour l'expert mongering)... on est donc passé du paternalisme alapapa, si j'ose dire, au libéralisme anglo-saxon puis, maintenant, au business pur et dur (néolibéralisme ?).
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.

Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal,  un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.

Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.

J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.

Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.

PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA

samedi 22 février 2014

Le retour de Diane. Histoire de consultation 163.


Mademoiselle A, 18 ans, est venue avec sa copine qui est restée dans la salle d'attente.
Le dossier m'indique qu'elle n'a pas consulté au cabinet depuis environ trois ans.
Elle a une gastro, elle n'est pas allée en cours aujourd'hui, elle va mieux, c'est à dire qu'elle n'a pas besoin de médicaments, mais elle voudrait bien un certificat pour le lycée.
Je lui fais mon plus beau sourire.
"Ah, encore une chose, il faudrait que vous me prescriviez Diane 35..."
La jeune fille a trois boutons sur le visage cachés il est vrai par une épaisse couche de maquillage.
Nous commençons à parler du pays.
Je lui pose deux ou trois questions et je retiens ceci : elle a eu "tous" les traitements possibles pour l'acné (mais elle n'arrive à m'en citer aucun pas plus que ceux ou celles qui les ont prescrits), elle n'a jamais pris Diane 35, elle est complexée par ses boutons, elle n'arrive pas à survivre avec... 
Je lui dis : "Je ne vous prescrirai pas Diane 35"
Elle : Mais Pourquoi ? Maintenant vous avez de nouveau le droit.
Moi : Ce n'est pas une question de droit. Je n'en prescris pas comme ça, sans avoir examiné la situation, sans avoir fait d'examens complémentaires. Connaissez-vous bien les risques de ce médicament ?
Elle : Oui. J'ai regardé sur internet, j'ai vu tous les risques, je les assume. A vous de prescrire.
Moi : Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Je ne suis pas votre machine distributrice de Diane 35. 
Elle : Vous ne vous rendez pas compte de ma souffrance, je ne peux presque plus me montrer, j'en ai fait une phobie. Il faut m'aider. Vous ne pouvez pas comprendre...
(Je suis presque en train de pleurer et mon esprit fonctionne à cent à l'heure : l'empathie, l'empathie, l'empathie. Je sens que Dominique Dupagne me surveille (ICI) et qu'il me dit : Il est interdit d'interdire, il y a des patientes qui ont besoin de Diane 35, pourquoi s'en priver, du moment que les patientes sont informées, qu'elles sont au courant, la liberté individuelle, ne nie pas la capacité des patientes à prendre des décisions lucides concernant leur santé (sic)... Est-elle informée, d'ailleurs ?)
(Je fournis ici, en passant, un sujet de billet de blog : le médecin intégriste, ayatollah anti Diane, qui fait un retour sur lui-même, une auto analyse et qui, devant la "souffrance" de cette jeune femme, lui prescrit finalement Diane 35... c'est-y pas beau, tout ça ?)
(Autre notion dont nous pourrions parler un de ces jours : la Décision Médicale Partagée ou Share Decision Making)
Bon, je lui ré explique deux ou trois trucs, mais elle n'en démord pas : elle va aller en demander chez un autre médecin.
(Le lendemain : réunion de pairs : une de mes pairs me raconte l'histoire de Mademoiselle A qui est venue la voir le lendemain : pas de Diane prescrite. Cela me rappelle furieusement l'affaire Mediator avant qu'elle n'éclate ; et ensuite tout le monde prétendait n'en avoir jamais prescrit).

Morale de cette histoire : ai-je eu raison (ma paire a-t-elle eu raison) ? Aurais-je dû lui proposer un bilan de thrombophilie ? Car cette jeune femme trouvera un médecin pour lui prescrire Diane 35 (j'ai des adresses) et, les choses et les statistiques étant ce qu'elles sont, cela n'aura aucune conséquence sur elle : les médecins jouent souvent sur les faibles probabilités de ne pas nuire en raisonnant à leur (petite) échelle de patientèle mais oublient que l'empilement des cas individuels peut induire des risques populationnels importants.


(PS. La demande de retrait du domperidone par La Revue Prescrire (ICI) se situe dans ce contexte. Je rappelle que je demandais le retrait de Diane 35 bien avant que l'affaire Marion Lara ne survienne (LA). Ce qui m'a été reproché. L'interdiction des produits une fois commercialisés pose un certain nombre de problèmes que je vais tenter de résumer ainsi :

  1. Les partisans de la non interdiction pensent que l'information du public et notamment de la possibilité d'effets indésirables graves règle le problème : je prescris un produit potentiellement dangereux à un patient averti qui prend lui-même sa décision (voir ICI). Précisons cependant que ces partisans de la non interdiction ne sont pas des jusqu'au boutistes car la majorité d'entre eux ont approuvé le retrait du Mediator : ils prennent en compte le rapport bénéfices / risques, disent-ils.
  2. L'Evidence Based Medicine nous apporte un éclairage identique : son questionnement pourrait aboutir à la prescription d'une molécule "dangereuse" ou d'un examen complémentaire potentiellement dangereux (comme le dosage du PSA) en accord avec le patient (en tenant compte de ses valeurs et de ses préférences).
  3. Les partisans du non retrait parlent également de paternaliste à l'égard de ce retrait : faire le bien des patients malgré eux.
  4. Le retrait peut permettre aussi à des médecins consuméristes ou incompétents qui prescrivent le  produit en sachant sa dangerosité mais en se réfugiant derrière la rareté des effets indésirables graves (voir plus haut) de les aider à se mettre en accord avec leur conscience.
  5. Pour le domperidone, je pourrais proposer une solution swiftienne : que la non prescription de domperidone devienne un indicateur du ROSP. Ainsi les médecins prescrivant de la merdre seraient récompensés en arrêtant d'en prescrire.)
Illustration : Jonathan Swift : Modeste proposition : pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents et de leur pays et pour les rendre utiles au public. 1729

mardi 11 février 2014

Doit-on "soigner" tout le monde ? Histoire de consultation 162.


Le jeune garçon de 16 ans qui est venu consulter pour une angine et qui fait la tronche parce que je ne lui ai pas prescrit d'antibiotiques et qui me dit qu'il va se faire engueuler par sa mère pour ne pas avoir exigé que je lui en prescrive mais surtout que lui, sans antibiotiques, il ne guérit pas, 

(je suis désolé d'avoir pris la posture du "bon" médecin qui ne prescrit pas d'antibiotiques, le médecin tellement bien pensant, tellement bien agissant, tellement je suis un mec bien -- tellement je suis une nana bien --, cette posture avantageuse tellement tirée de la brochurette "éléments de posture" recommandée par les communiquants de la "bonne" médecine, celle des mecs et des filles qui lisent Prescrire, qui sont "aware", qui ne reçoivent plus la visite médicale -- n'oubliez pas de louer ces "résistants" qui ont collé des patchs anti VM sur leur corps --, car il ne suffit pas, selon les éléments de posture de ne pas recevoir la visite médicale il faut ne PLUS la recevoir, la "bonne" médecine qui se regarde dans la glace des bons sentiments... Mais le complément de cette posture est la suivante : il arrive à ces "bons" praticiens qui font encore des TDR dans leur cabinet, pauvres mortels, pauvres victimes d'un système qui les écrase, membres de la profession si exposée des professionnels de santé, toujours menacée par le burn-out et qui s'en sortent grâce à leur clairvoyance fantastique, à l'aménagement de leurs horaires, à leur pouvoir de dire non, à l'organisation parfaite de leurs cabinets, et cetera, et donc, ces "bons" praticiens, cerise sur le gâteau des éléments de posture, avouent que, parfois, parce qu'ils sont fatigués, parce que c'est la fin de la journée, ils prescrivent des antibiotiques malgré tout. Cette faiblesse les honore...)

eh bien, ce jeune homme de 16 ans, il est venu consulter avec un maillot de l'OM. Le jeune homme, il est né à Mantes, et il porte un maillot de l'OM. Et, en ce moment, ce n'est pas la mode de porter des maillots de l'OM, le PSG qatari emporte tous les suffrages, il faut oser, et il ose. Il me demande si je suis toujours pour le PSG (conversation récurrente entre nous, eh oui, on ne peut pas toujours parler avec ses patients d'Illich, de Proust ou de Kundera) et je lui réponds que ce serait difficile de changer, étant donné la façon brillante de jouer du PSG en ce moment et quand on était supporter alors que l'équipe jouait mal... Et j'ajoute, pour rire, que s'il avait eu un maillot du PSG, je lui aurais peut-être prescrit des antibiotiques... Et le jeune de 16 ans, appelons le M, il ne comprend pas.  Je lui explique l'affaire et je réfléchis en moi-même.

Doit-on "soigner" tout le monde ? Selon le serment d'hypocrite, sans aucun doute. Et je suis hypocrite.
Je ne parle pas du malade vu en urgence, non, du malade que l'on suit en longitudinal, sur des années, dont on connaît la femme, les enfants, la maîtresse, et le reste.
J'ai dans ma patientèle des membres actifs du front national, des islamistes militants, des membres du PS, de l'UMP, des anciens parachutistes, des pervers, des easy listeners, un pédophile connu, un mec qui a défenestré sa femme, des staliniens bon teint qui regrettent encore l'ère pré Gorbatchev, des supporters de Saint-Etienne, des trafiquants de drogue, des lecteurs de Marc lévy, des homophobes, des guetteurs, des machistes, des polygames, des fans de Sanseverino, des femmes fatales, des hommes faciles, des parents qui collent des claques à leurs enfants, des hommes qui trompent leurs femmes et vice versa, un agresseur sexuel, des partisan(e)s de l'excision, des antisémites, des racistes en général, et cetera.
Comment les recevoir avec empathie ? 
Est-ce possible ?
Faut-il choisir sa patientèle à son image ?
Faut-il être empathique uniquement avec les gens sympathiques ? 
Et si le manque d'empathie, le patient hypertendu avec lequel on fait le minimum syndical, n'était pas mieux "soigné" ? Sans paroles excessives, sans propos divers et variés sur le temps qu'il fait, sur le mariage pour tous, sur la réforme Taubira ou sur le scooter de Hollande.
Et si l'empathie pour le patient qu'on aime bien pour des raisons d'éléments de posture entraînait un soin de moins bonne qualité ?
Faut-il préciser les choses avec les patients que nous ne fréquenterions pas dans la vraie vie ?
Dans le genre : Je suis PSG, Barça et ManU. Et vous ?

(Membre du Ku Klux Klan soigné par des noirs (pardon, des Afro-Américains) : source Allain Jules ICI)

jeudi 16 janvier 2014

Les dangers de l'utilisation du tramadol (bis, ter, quater repetita). Histoire de consultation 160.


Le fils de Madame A, 92 ans, m'appelle des urgences pour me dire que sa mère est tombée et qu'elle est actuellement dans un box.
Ce n'est pas la première fois qu'elle fait une chute (la troisième, je crois) mais je n'ai jamais pu vraiment savoir ce qui se passait : une baisse de tension, un problème vasculaire ? Il n'y a jamais eu de signes neurologiques focaux au décours. La PA est généralement équilibrée avec de petites doses d'un "vieil" inhibiteur de l'enzyme de conversion.
Le surlendemain le fils m'appelle pour me demander de passer au domicile de sa mère pour savoir ce qu'il est possible de faire. A son avis elle aurait dû rester, ce qu'elle a refusé, et je sens qu'il aimerait que je la réadresse.
Pas de compte rendu des urgences. Je peux cependant consulter les résultats de la prise de sang qui montre une petite anémie microcytaire. Le médecin traitant se débrouille.
Madame A est pâle, je la connais depuis exactement 34 ans, je peux donc évaluer de façon comparative la couleur de son teint, le niveau de sa conscience, l'éclat de son regard.
Je suis triste de la voir ainsi. Je suis plutôt pessimiste.
L'examen est rassurant malgré le regard vague et le manque d'entrain de la patiente. Je n'ai droit à aucun sourire. La patiente a mal à son genou : il existe un volumineux hématome du cul-de-sac sous quadricipital. L'examen neurologique ne montre aucun déficit.
Nous envisageons d'emblée avec les enfants qui sont là les démarches administratives à entreprendre, l'Apa (LA), la télé alarme, et cetera. Je mâche, avec enthousiasme, le futur travail de l'assistante sociale.
Sur la fin, les consultations de médecine sont comme les séries policières, c'est le moment où l'on commence à entrevoir la vérité, la belle-fille me montre l'ordonnance de sortie des urgences.
Nous tenons le MacGuffin (ICI) ! Le deus ex machina ! La clé du mystère.
Le docteur senior des urgences a prescrit du tramadol LP 100 mg ! Voir ICI, LA ou ICI.
Je ne m'étonne plus que la patiente soit dans le gaz...

Je reviens une semaine après chez Madame A.
La famille est là. La patiente est souriante, elle plaisante, le teint est plus rosé, le regard est vif. L'hématome a commencé lentement à diminuer en s'écoulant le long des gaines. La douleur persiste. "Il faudrait me donner plus fort que le doliprane" me dit la patiente. Ouais. Je lui explique que la réaction qu'elle a faite au tramadol ne m'encourage pas à lui donner d'autres opiacés pour des douleurs du genou qui vont disparaître dans les jours suivants. "Serrer les dents", lui dis-je en plaisantant. Ma dernière heure est arrivée : si le syndicat de l'hédonisme généralisé apprend que j'ai prononcé cette phrase sacrilège à une jeune femme de 92 ans, si les producteurs de réglettes EVA (échelles visuelles analogiques) sont mis au courant, si l'association pour la disparition de la douleur (Non à la douleur !), si la Ligue de Protection des Personnes Agées Maltraitées, me lisent, je suis bon pour la justice, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, que sais-je encore ?
Bon. On ne sait toujours pas pourquoi elle s'est cassée la bouille trois fois, mais, rassurez-vous, le grand orchestre des examens complémentaires est en route...
Pour ce qui est de l'administratif : ça roule aussi. On répartit les présences au domicile de Madame A entre aide ménagère, auxiliaire de vie et famille...

Mais, vous l'avez compris, le message subliminal de ce billet est : les urgentistes, arrêtez de donner des opiacés à longue durée d'action à des personnes âgées qui viennent de tomber, dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants de la chute et qui, finalement, n'ont presque pas mal.
Un bandeau affiché sur le mur de la salle de repos des urgentistes ne serait-il pas le bienvenu dans tous les services d'urgence programmées ou non de France ?

Illustration : pavot.