jeudi 22 mai 2008

STATINES ET AFFECTIONS MUSCULAIRES CHRONIQUES

Alertez les Myocytes

Le retrait de la cérivastatine a rapidement fait long feu dans l'esprit des médecins qui se sont remis à prescrire beaucoup (trop) de statines en suivant des recommandations, certes fondées sur des études, mais des études réalisées le plus souvent dans des régions et sur des patients à très haut risque...
Une étude cas-témoins récente, réalisée dans la région toulousaine (volontiers épargnée selon l'étude MONICA par rapport au Nord de la France et de l'Europe sur le plan des complications cardiovasculaires à profil lipidique identique) montre que les affections musculaires chroniques chez les adultes de plus de 50 ans sont plus corrélées qu'attendu à la prise de statines que chez les témoins .
Les auteurs ajoutent que le rôle de la prise d’inhibiteurs de la pompe à protons est à éclaircir.
Increased exposure to statins in patients developing chronic muscle diseases: a 2-year retrospective study
L Sailler 1, C Pereira 1, A Bagheri 1, M Lapeyre-Mestre 1, J L Montastruc 1, P Arlet 2, E Arlet-Suau 2, E Uro-Coste 3, H Roussel 4, D Adoue 5, B Fournie 6, L Zabraniecki 6, M Laroche 7, P Cintas 8
1 University of Tolouse, Toulouse, France 2 Internal Medicine Department, Salles Le Tallec-Tapie, Pavillon Dieulafoy, CHU Purpan, Toulouse, France 3 Pathology Department, CHU Rangueil, Toulouse, France 4 Direction Régionale du Service Médical, CNAMTS, Toulouse, France 5 Internal Medicine Department, Pavillon des Médecines, CHU Purpan, Toulouse, France 6 Rheumatology Department, CHU Purpan, Toulouse, France 7 Rheumatology Department, CHU Rangueil, Toulouse, France 8 Neurology Department, CHU Rangueil, Toulouse, France
http://ard.bmj.com/cgi/content/full/67/5/614?ijkey=0tdJExCaCBRCg&keytype=ref&siteid=bmjjournals

Voici ce par quoi les auteurs concluent :
Les cliniciens doivent être avertis de la possibilité se myopathies inflammatoires induites par les statines et, peut-être, par les inhibiteurs de la pompe à protons même chez ceux traités depuis longtemps ; arrêter l traitement chez tous les patients porteurs d’une dermatomyosite / polymyosite et systématiquement reconsidérer la pertinence de la prescription de statines.

Que faire en pratique ?

Certains spécialistes (des experts) avaient jadis conseillé que la prescription de statines se fasse après dosage des CPK (et, éventuellement des SGOT / SGPT) pour 1) détecter les patients à CPK élevées de façon constitutionnelle (notament les habitants de l'Afrique subsaharienne) et de rares maladies musculaires préexistantes et 2) pour disposer de chiffres de base en cas d'apparition de myalgies après usage de statines.
Cette proposition n'avait pas été retenue pour, écoutez bien, ne pas alourdir le coût des statines.

Or cette étude, dont il faut reconnaître toutefois qu'elle n'est pas d'une robustesse statistique inattaquable et qui n'explique pas le rôle éventuel des inhibiteurs de la pompe à protons, montre que la pathologie musculaire chronique peut persister très longtemps après l'arrêt des statines et que dans un quart des cas de patients porteurs d'une pathologie dermatomyosite / polymyosite les statines auraient pu induire la pathologie !

lundi 5 mai 2008

Les prescriptions d'ezetimibe montent en flèche aux US, mais pas au Canada !


POURQUOI ?




On apprend d’abord que le poids du marketing mix est déterminant dans l’appréciation par les médecins de la qualité d’un produit.







Aux USA comme au Canada la promotion de l'ezetimibe a été intense chez les médecins et, bien qu’il n’y ait aucune preuve que l’ezetimibe prévienne les événements cardiovasculaires ou freine la progression de l’athérome, et donc aucune raison pour qu’il soit recommandé comme traitement de première ligne en prévention cardiovasculaire primaire ou secondaire, les ventes d’ezetimibe représentent aux USA et au Canada respectivement15 et 3,4 % des prescriptions d’hypolipidémiants.







Pourquoi une telle différence ? Parce qu’au Canada il n’est pas possible de faire de la publicité directe de médicaments auprès des patients !




A l’heure où se préparent à Bruxelles des manœuvres pour que l’industrie puisse contrôler l’observance des patients, il serait utile de se servir de ces données nord-américaines pour convaincre les décideurs qu’il vaudrait mieux s’abstenir d'ouvrir la porte aux industriels.

mardi 15 avril 2008

Hépatite B : interdiction professionnelle


Une jeune femme de dix-sept ans ne peut s’inscrire en Faculté de Médecine !

Actuellement, en France, et sans la moindre preuve scientifique, il est interdit de s’inscrire en Faculté de Médecine si l’on n’est pas vacciné contre l’hépatite B.

LES TEXTES
Arrêté du 6 mars 2007 fixant les conditions d’immunisation
des personnes visées à l’article L. 3111-4 du code de la santé publique
Art. 4. − Avant leur entrée en fonction, ou au moment de leur inscription dans un établissement
d’enseignement, les personnes visées à l’article 1er (cf. infra) sont tenues d’apporter la preuve qu’elles ont bénéficié des vaccinations exigées. A défaut, elles ne peuvent exercer une activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents biologiques tant que les conditions d’immunisation ne sont pas remplies.

Art. 1er. − Les obligations vaccinales des personnes visées à l’article L. 3111-4 du code de la santé publique concernent toute personne qui, dans un établissement ou un organisme public ou privé de soins ou de prévention, exerce une activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents biologiques tel que le contact avec des patients, avec le corps de personnes décédées ou avec des produits biologiques soit directement (contact, projections), soit indirectement (manipulation et transport de dispositifs médicaux, de prélèvements biologiques, de linge ou de déchets d’activité de soins à risque infectieux).
Le médecin du travail apprécie individuellement le risque en fonction des caractéristiques du poste et prescrit les vaccinations nécessaires.

Sans la moindre preuve scientifique : il n’existe aucune donnée française indiquant le nombre d’étudiants en médecine / médecins qui sont contaminés par an, durant leur exercice professionnel, par le virus de l’hépatite B. Pas plus qu’il n’existe de données concernant le nombre de patients / malades contaminés directement par un médecin porteur d’une hépatite B.
LES FAITS : Une jeune femme de dix-sept ans refuse de se faire vacciner contre l’hépatite B car son oncle a déclaré une SEP post vaccinale il y a quelques années (nous ne discuterons pas ici l’imputabilité du cas ; nous ne disposons pas du dossier de l’oncle).
Elle pourrait toujours s’inscrire en première année, passer le concours (le réussir ou le rater) mais elle serait rattrapée par la médecine du travail et les textes car il lui faudra bien, à un moment ou à un autre, justifier la vaccination complète et / ou un taux d’anticorps immunisant.


LES TEXTES : Le Conseil supérieur d’hygiène publique (CSHP) dans un avis du 8 mars 2002 a considéré que « lorsque la vaccination est envisagée chez une personne atteinte ou ayant une apparenté du premier degré (père, mère, frère ou sœur) porteur de sclérose en plaque (SEP), il faut évaluer au cas par cas le bénéfice individuel de la vaccination au regard du risque de contamination par le virus de l’hépatite B. » Bien plus : « Les antécédents de SEP ne constituent pas une contre-indication (circulaire DGS 97-267 du 8 avril 1997) formelle à la vaccination contre l’hépatite B et il appartient au médecin d’apprécier le risque, comme indiqué dans l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de certains vaccins contre l’hépatite B sous la rubrique « mise en garde – précautions d’emploi » du résumé des caractéristiques du produit.
Le CSHP, malin (et super éthique), précise également que ces mesures sont faites pour protéger les soignants et les soignés alors que nous ne disposons d’aucune donnée fiable.

Cette jeune femme est coincée.

Une seule solution : un faux certificat de vaccination complète effectuée avant treize ans.

Pourquoi faudrait-il en arriver là ?

Elle ne "fera" donc pas médecine.

dimanche 30 mars 2008

EZETIMIBE : SUITE ET FIN ?

Nous avons déjà communiqué en janvier 2008 sur l'ezetimibe dans l'essai Enhance : Ezetimibe : une enquête du Congrès étatsunien oblige à publier une étude négative


Désormais nous pouvons juger sur pièce car l'article est paru.
Kastelein JJP, Akdim F, Stroes ESG, et al. Simvastatin with or without ezetimibe in familial hypercholesterolemia. N Engl J Med 2008;358:1431-1443

Plutôt que de paraphraser l'essai, voici deux commentaires du New England Journal of Medicine dans le même numéro :

1) Does ENHANCE Diminish Confidence in Lowering LDL or in Ezetimibe?
Par B. Greg Brown, M.D., Ph.D., and Allen J. Taylor, M.D.

Pour l'instant le clinicien avisé peut adopter la stratégie prudente suivante (qui est la même que celle recommandée par L'American College of Cardiology en janvier dernier) : Premièrement, atteindre les cibles de LDL et HDL cjholesterol (ou le ration cholesterol total / HDL cholesterol) en utilisant les statines et, en plus, les molécules qui ont montré des effets bénéfiques cliniques en association (acide nicotinique, fibrates, et résine échangeuse d'ions) et leur tolérance ; Deuxièmement, utiliser l'ezetimibe chez les patients qui, en dépit de l'utillisation des thérapies précitées, n'atteignent pas les cibles individuelles fixées ; et troisièmement, attendre des études éclairantes.

2) Cholesterol Lowering and Ezetimibe
Par Jeffrey M. Drazen, M.D., John A. Jarcho, M.D., Stephen Morrissey, Ph.D., and Gregory D. Curfman, M.D.

Jusqu'à ce qu'une nouvelle étude soit disponible (ezetimibe : 2011) il semble prudent d'encourager les patients dont le niveau de LDL cholesterol reste élevé en dépit d'un traitement utilisant des doses optimales de statine, de redoubler leurs efforts de contrôle diététique et d'exercice physique régulier. Acide nicotinique, fibrates et résines devraient être prises en compte quand régime alimentaire, exercice physique, et statines n'ont pas atteint leurs objectifs et réserver ezetimibe aux patients qui ne tolèrent pas les traitements précédents.
Qui pourrait dire mieux ?
JCG : Il est probable que nous traitons TROP les malades dyslipidémiques en France (ce n'est pas ce que disent les experts) pour une raison essentielle : les études de morbi-mortalité ont été le plus souvent effectuées dans des populations à TRES HAUT risque cardiovasculaire (la Scandinavie pour l'étude simvastatine 4S, l'Ecosse pour la pravastatine et WOSCOP) et sans tenir compte des données de MONICA sur le gradient de risque entre le Nord (élevé) et le Sud (plus faible). Retenons notre main avant de nous être assurés que le risque en vaut la chandelle et que les patients suivent les conseils (certes pénibles) que nous leur avons donnés sur le régime alimentaire et l'activité physique.

Revenus des Médecins Généralistes anglais


Les MG anglais qui travaillent en solo gagnent en moyenne 168 240 euro par an, soit environ 33135 euro de plus que ceux travaillant en cabinets de groupe selon un rapport officiel récent.
Bien plus, les revenus moyens des GP ont doublé en valeur réelle depuis 20 ans !
Encore mieux : Les chiffres montrent que les revenus des médecins augmentent à mesure que le MG vieillit jusqu’à l’âge de 60 ans avec un revenu moyen de 150155 euro dans le groupe d'âge 50-59 ans.
Commentaires :
1) Les médecins français favorables à l'abandon du paiement à l'acte devraient exulter quand on sait que pour les MG français l'excédent moyen de CA est, selon des sources AGA concernant les revenus de 2006, de 76711 euro. Cependant, il serait illusoire de croire que, du jour au lendemain, on augmenterait d'autant les revenus des médecins français parce qu'on changerait de système de paiement.
2) Le rapport précise également de grandes différences selon le lieu d'exercice et la taille des list-sizes (bémol pour les égalitaristes qui souhaiteraient qu'il n'y eût plus de concurrence entre les médecins)
3) Les syndicats médicaux français devraient, eux, s'interroger sur leurs actions depuis 20 ans : les revenus des MG français sont très nettement en dessous de ceux de leurs confrères britanniques. D'après les chiffres de mon AGA (agaps) seuls les anesthésistes et les orthodontistes ont un excédent de CA supérieur à celui d'un MG exerçant seul (respectivement 180519 euro et 180670 euro).

Ce message a été rédigé à partir d'un article paru dans le BMJ

GPs working in singlehanded practices earn most
Adrian O’Dowd


http://www.bmj.com/cgi/content/full/336/7646/686-b



lundi 24 mars 2008

Dépistage du cancer du sein : le rendement de la mammographie dépend du radiologue !

Une étude menée aux Etats-Unis par le National Cancer Institute (fonds institutionnels) sur le diagnostic du cancer du sein par mammographie montre que la sensibilité de l’examen et le taux de faux positifs dépend du radiologue (my god !).[1]

On le savait depuis longtemps mais cela va mieux en le redisant.

(traduction libre d'un article de AM Kaunitz In Journal Watch Women’s Health January 10,2008.)

L’essai – Les investigateurs ont testé les performances de 123 radiologues pour leur interprétation de 35000 mammographies diagnostiques chez des femmes présentant des signes ou des symptômes de cancer du sein.
Les mammographies étaient considérées comme positives si elles soupçonnaient ou étaient hautement suggestives de cancer ou si elles entraînaient la recommandation d’une biopsie ou d’une consultation chirurgicale.
On considérait que les femmes avaient un cancer du sein si un carcinome invasif ou un cancer in situ était diagnostiqué dans l’année suivant la mammographie.
La sensibilité était définie par le % d’examens positifs chez les femmes ayant un cancer du sein.
Le taux de faux positifs était défini comme le % d’examens positifs chez des femmes n’ayant pas de cancer du sein.

Les radiologues – Trois quarts d’entre eux (âge moyen : 49 ans) interprétaient des mammographies depuis au moins dix ans. Six % exerçaient dans un contexte universitaire, 3 % avaient fait des formations complémentaires. La plupart d’entre eux (87 %) ne consacrait que 40 % de leur temps à faire de la radiologie du sein.

Les Résultats
La sensibilité médiane de la mammographie diagnostique était de 79 %
Le taux médian de faux positifs était de 4,3 %
La sensibilité variait même chez les radiologues qui avaient le même taux de faux positifs.
Les radiologues universitaires avaient une sensibilité interprétative plus grande (88 % vs 76 %) et un taux de faux positifs également plus élevés (7,8 % vs 4,2 %) que les autres radiologues.
Commentaires
La prévalence du cancer du sein est dix fois plus élevée chez les femmes soumises à une mammographie diagnostique que chez celles soumises à un dépistage.
La variabilité des interprétations des radiologues est inquiétante. Le taux de faux positifs augmente avec la sensibilité, ce qui tend à prouver que les « meilleurs » radiologues entraînent aussi plus de procédures invasives et d’anxiété.
JCG : on est bien avancés ! On savait que l’interprétation d’une radiographie dépendait largement de l’opérateur (et encore plus pour les échographies où les images restantes sont difficiles à interpréter après coup). Comment faire ? Qui connaît la « sensibilité » des radiologues exerçant autour de son cabinet ? Faut-il envoyer les femmes uniquement dans les centres de radiologie ne faisant que de la mammographie ? Faut-il n’envoyer les femmes que dans des centres chirurgicaux ne faisant que du sein ?

[1]Miglioretti DL et al. Radiologist characteristics associated with interpretive performance of diagnostic mammography. J Natl Cancer Inst 2007 Dec 19; 99:1854.

jeudi 20 mars 2008

HTA ET ANALYSE DE LA STRATEGIE PRESCRIRE

HTA ANALYSE DE LA STRATEGIE PRESCRIRE
LECTURE CRITIQUE D’UN ARTICLE DE LA REVUE PRESCRIRE CONSACRE AU TRAITEMENT DE DEUXIEME LIGNE DE L'HTA

Dans la rubrique Stratégies de son numéro de mars 2008 La Revue Prescrire (LRP) fait le point sur le traitement de deuxième ligne de l’hypertension artérielle (HTA)[i].

J’ai essayé de lire l’article avec l’œil d’un médecin généraliste exerçant en patientèle et selon deux perspectives : l’analyse stricte des données et la praticité interventionnelle.

(Les phrases issues de LRP sont reproduites en italique et en bleu).

Pour les patients hypertendus, les objectifs, les seuils d’intervention, et les médicaments de première ligne sont assez bien connus (lire en encadré page 199).

Eh bien, justement, ce n’est pas aussi clair que cela.


- Si les objectifs sont la réduction des accidents cardiovasculaires liés à l’HTA il est possible d’être d’accord, encore qu’il faille faire la part, comme cela est fait plus bas dans l’encadré, entre les complications mortelles ou non. Dans une perspective prescririenne les distinctions entre, d’une part, mortalité totale et mortalité liée à la pathologie, et d’autre part, entre mortalité et morbidité, mériteraient d’être mieux signalées et mieux documentées.


- L’encadré précise également que l’objectif est de réduire les chiffres tensionnels en dessous de 140 / 90 mm Hg, c'est-à-dire chez les patients les plus « faciles », sans diabète ni complication cardiovasculaire associés. Mais cette phrase est en contradiction avec des propositions prescririennes de 1999[ii], confortées en 2004[iii] et reprises en 2006[iv] où l’objectif de réduction était situé en dessous de 150 / 90 mm Hg ! Pas un mot non plus dans l’encadré des objectifs à atteindre pour les patients avec complication (s).


- Pour ce qui est des seuils d’intervention, LRP, a le mérite de ne pas changer : Chez les adultes sans diabète ni complication cardiovasculaire […] le seuil d’intervention est de 160 / 95 mm Hg [iii]. Mais il faut savoir que LRP « propose » un seuil d’intervention différent de toutes les recommandations « officielles » dont celles de WHO-ISH[v] dont LRP se sert pour définir les strates d’hypertendus mais en tirant des conclusions différentes, par manque de données, dit LRP [i, iv].

Rappel :
Selon WHO-ISH on peut classer les hypertendus en trois groupes (grades I, II et III) :
Grade I (PAS : 140 - 159 ; PAD : 90 – 99)
Grade II (PAS : 160 – 179 ; PAD : 100 - 109)
Grade III (PAS > 179 ; PAD > 109)


et
définir le risque qu’ils ont d’avoir dans les dix ans un infarctus du myocarde (mortel ou non) ou un AVC (mortel ou non) : risque faible <> 20 %
Quant aux facteurs de risque (FR), toujours selon WHO-ISH, ils sont de trois ordres :
- Cardiovasculaires : tabagisme, hypercholestérolémie, obésité.
- Signes de retentissement sur les organes cibles : HVG, rétinopathie hypertensive
- Affections cardiovasculaires patentes : AVC, IC

Ce qui donne, selon WHO :
Grade I : risque faible ou moyen selon qu’il n’existe respectivement pas de FR ou au moins un.
Grade II : risque faible, moyen ou fort s’il existe respectivement pas, un ou deux FR.
Grade III : risque fort quel que soir le nombre de FR.

On le voit : c’est peu clair et très flou de la part de WHO-ISH.

Quoi qu’il en soit, WHO-ISH recommande 1) pour les hypertendus à risque faible ou moyen, d’abaisser la PA en dessous de 140 / 90 mm Hg et 2) pour les hypertendus à risque élevé une PA en dessous de 130 / 80 mm Hg.



- Les médicaments de première ligne : rien n’est moins simple puisque nous retrouvons des données contradictoires à la lecture de LRP. Déjà, dans la version de 2006 reprise en 2004 on pouvait, certes lire, les diurétiques sont les traitements de première ligne… Certains bêtabloquants sont indiqués en deuxième ligne, certains IEC sont indiqués en troisième ligne et certains IC en quatrième ligne, et rien sur les AAII, sauf dans le texte Une petite place pour le losartan (associé à un diurétique) et dans un tableau rapportant Les antihypertenseurs d’efficacité démontrée sur des critères cliniques. En mars 2006, LRP écrivait L’essai ASCOT-BPLA ne change pas la stratégie thérapeutique [vi] tout en rapportant que le losartan / hydrochlorothiazide prévenait mieux les AVC que les BB (qui faisaient partie de la stratégie de deuxième ligne de LRP)… Je ne sais pas si vous me suivez.

Ce qui donne les choix suivants de traitement de première ligne si on lit le texte des propositions de LRP en 2004 comme en 2006 chez l’adulte présentant une HTA non compliquée sans diabète associé :

Propositions 2004 / 2006 de LRP
Adulte jusqu’à 65 ans : 1) Diurétiques thiazidiques 2) Bêtabloquants, 3) IEC, 4) AAII
Adulte de plus de 65 ans et jusqu’à 80 ans : 1) diurétiques thiazidiques 2) bêtabloquants à doses réduites
Adulte de plus de 80 ans 1) diurétiques thiazidique OU bêtabloquants (les deux à doses réduites).


Or, dans le dernier numéro de LRP, il est écrit dans l’encadré consacré au traitement de première ligne (p 199) : En première ligne, certains médicaments appartenant à 5 classes pharmacologiques différentes, ont une efficacité démontrée pour réduire la morbimortalité des patients hypertendus. J’ai dû rater quelque chose. Sans compter que ce rappel omet de citer, ce qui n’est pas rien Les autres associations à base de diurétiques dont il était fait mention en 2004 comme en 2006 ! Cet oubli est un peu ennuyeux quand on sait que LRP a fait un choix que nous reverrons plus loin entre monothérapie et bithérapie pour la deuxième ligne. Quoi qu’il en soit,

voici les propositions 2008 de LRP :

Adulte d’âge inférieur à 60 ans : 1) Diurétiques thiazidiques 2) Bêtabloquants OU IEC OU IC OU AAII

Avouons que ce n’est pas d’une clarté évangélique. On se rapproche des recommandations internationales, aux diurétiques près.
Pourtant, LRP modère son propos et rapporte des données dont il faut tenir compte :

Il y a eu des différences modestes mais statistiquement significatives en termes de morbidité.
* Risque d’infarctus du myocarde : valsartan : 1,2 fois plus que l’amlodipine.
* Risque d’insuffisance cardiaque : certains IC : 1,15 fois plus que certains IEC
* Risque d’AVC : certains IEC : 1,15 fois plus que IC
* Risque d’AVC : certains BB : 1,25 fois plus que certains IC ou AAII
Mais ces données, on le voit, pour démonstratives qu’elles soient, sont peu prospectives et sont par là-même difficiles à appliquer facilement en pratique courante (avis personnel).

Chez l’adulte de plus de 60 ans il semble judicieux de ne pas prescrire de BB, le risque d’AVC étant statistiquement significatif plus important qu’avec les autres classes pharmacologiques


Mais, venons-en au point fondamental de l’article : LRP a fait le choix, en deuxième ligne, d’une nouvelle monothérapie et non d’une bithérapie.

En préambule, revenons sur le choix du traitement de première ligne selon LRP :

Résumé. Des données de bon niveau de preuve conduisent à proposer des diurétiques thiazidiques (chlortalidone, hydrochlorothiazide) en première ligne pour le traitement de l’HTA non compliquée. Cette affirmation n’est pas tout à fait exacte : seule la chlortalidone a fait l’objet d’un essai randomisé comparatif[vii] d’un très bon niveau de preuve, l’hydrochlorothiazide et les associations thiazidique plus épargneurs de potassium ayant fait l’objet d’études moins robustes. Mais nous n’avons pas le choix car la chlortalidone n’est pas commercialisée en France…

Nous n’avons pas recensé d’essai clinique spécifiquement conçu pour évaluer l’effet d’un traitement antihypertenseur de deuxième ligne en prévention cardiovasculaire. Notamment pas d’essai clinique bithérapie versus monothérapie en cas d’échec des diurétiques thiazidiques. L’explication est fournie plus loin, dans l’encadré que nous avons déjà cité : Hypertension artérielle : le traitement de première ligne, en bref, page 199. Le bénéfice est toutefois modeste chez les patients hypertendus sans complication cardiovasculaire. Il est de l’ordre (c’est moi qui souligne) d’une réduction d’environ 2 à 10 AVC pour 1000 patients traités pendant 2 à 6 ans ou encore une réduction d’environ 2 à 5 infarctus (mortels ou pas) pour 1000 patients traités pendant 2 ans à 6 ans.
Ces données expliquent pourquoi il n’existe pas d’études randomisées comparant mono et bithérapie… le nombre de malades serait par trop impressionnant par groupe. Mieux vaudrait dans ce cas des essais cas-témoins. Mais qui financera des essais pareils quand on connaît le prix des diurétiques ?… Seules des agences gouvernementales sont capables de le faire comme dans les pays où existe, d’une part, une opinion consumériste forte, et d’autre part, des épidémiologistes capables de mener à bien des essais.

Voici le corps de l’argumentation de LRP.
LRP a décidé de privilégier les monothérapies successives après échec du traitement diurétique plutôt que les bithérapies d’emblée à partir de sources qui, selon LRP, sont d’un faible niveau de preuve[viii] : selon cette étude, quelle que soit la première monothérapie utilisée (diurétique, bêtabloquant, IEC ou IC) seuls 39 % des patients ont atteint l’objectif de réduction de la pression artérielle (en dessous de 140 / 90 mm Hg) sans différence entre les monothérapies tandis que 73 % des patients ont atteint l’objectif avec au moins une de ces monothérapies testées successivement pendant un mois.

LRP ne mentionne pas l’autre possibilité (ou ne la critique pas) qui eût été, sauf dans le cas d’effets indésirables des diurétiques thiazidiques ou de contre-indications apparues secondairement (insuffisance rénale par exemple), d’associer au diurétique thiazidique un IEC ou un AAII (voire un BB chez les sujets de moins de 60 ans) mais pas un IC. Et ce, d’autant que LRP a déjà affirmé : Associations d’antihypertenseurs : priorité aux diurétiques.[ix]

Enfin, si les effets indésirables des diurétiques thiazidiques sont rapportés en note par LRP, encore une fois sont omis par LRP : a) le risque significatif de déclencher un diabète sucré quand on traite une HTA par diurétiques versus autre traitement… parce que LRP a écrit ailleurs que le traitement diurétique n’a pas modifié l’avantage des diurétiques en termes de mortalité ! b) les dangers d’une intervention antihypertensive chez les personnes âgées s’il existe un risque de chute : certaines recommandations indiquent qu’il vaut mieux (en terme de mortalité) ne pas traiter une HTA plutôt que de risquer de provoquer une chute chez une personne âgée (mais les diurétiques ne sont pas il est vrai les seuls impliqués) … c) la surveillance attentive de la fonction rénale, les thiazidiques devenant contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale et les hypokaliémies étant un danger réel en termes de mortalité. d) les associations avec des diurétiques qui avaient été rapportées comme d’efficacité démontrée en 2004 et 2006.

On le voit les choses ne sont pas si simples que cela et mériteraient une présentation plus pratique et plus opérationnelle.

Le passage des recommandations de 2004 / 2006 à 2008 n’est pas non plus une mince affaire et je pense que LRP aurait dû plus insister sur les modifications, tant en première qu’en deuxième ligne…

Un autre point manque qui peut paraître évident mais ce sont les coûts. Nul doute que les diurétiques sont moins chers même s’ils exigent des contrôles de la fonction rénale plus fréquents.

En conclusion : le médecin généraliste, devant une telle complexité, avec un nombre si important de facteurs à mettre en œuvre, avec de telles imprécisions et un nombre de contradictions non négligeable entre les différentes versions de LRP, serait bien aidé s’il pouvait disposer d’un algorithme et ne soit pas laissé seul en rase campagne, je veux dire dans son cabinet.

Jean-Claude GRANGE
Médecin Généraliste.


[i] Hypertension artérielle : traitement de deuxième ligne. D’autres monothérapies. Rev Prescrire 2008;28(293):196-9
[ii] Prévention cardiovasculaire primaire et secondaire – médicaments antihypertenseurs – Diurétiques et bêtabloquants sont les mieux évalués. Rev Prescrire 1999 ;19(194) :281-2 et 288-96
[iii] Hypertension artérielle de l’adulte. Des repères pour réduire la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. Rev Prescrire 2004;24(253):601-11
[iv] Les Thématiques Prescrire. HTA chez les adultes. Session mai-août 2006 : partie I, page 13.
[v] 2003 World Health Organization / International Society of Hypertension statement on management of hypertension. J Hypertension 2003;21(11):1983-92
[vi] Rev prescrire 2006 ;26(270) :205-6
[vii] ALLHAT. Major outcomes in high risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor vs diuretic. JAMA 2002 ; 288(23):2981-97
[viii] Dickerson JEC et al. Optimisation of antihypertensive treatment by crossover rotation of four major classes. Lancet 1999;353:2008-13
[ix] Rev Prescrire 2005;25(261) :337-8