Mademoiselle A, 17 ans, est venue me voir pour une série de faits qui l'inquiètent. Je suis son médecin traitant mais il n'y avait pas de places pour consulter en rendez-vous avant samedi matin. Elle se plaint de douleurs abdominales et de diarrhée après qu'elle eut souffert de douleurs dentaires, de nausées et de fièvre depuis le début de la semaine.
Voici l'anamnèse (il est clair que les faits tels que je les retranscris ne sont pas tout à fait ceux que les différents intervenants ont découverts au fur et à mesure de l'histoire... puisque je connais la fin).
- Dimanche : Mademoiselle A souffre de (violentes) douleurs dentaires.
- Lundi : elle consulte son dentiste en urgence (ce qui est exceptionnel) qui lui prescris amoxicilline et doliprane.
- Mardi : cela ne va pas mieux, elle souffre toujours autant, elle commence à avoir mal au ventre, elle a des nausées, et elle a du mal à ouvrir la mâchoire (trismus ?), elle revoit son dentiste qui prescrit coamoxiclav et antiinflammatoires non stéroïdiens.
- Jeudi : la situation a empiré selon la patiente et, jour de congé du médecin traitant, elle consulte un médecin généraliste qui a) l'examine, b) lui fout la trouille, c) lui dit qu'elle psychote et qu'elle devrait voir un psy ; d) prescrit une prise de sang "complète" y compris des beta hcg plasmatiques.
- Samedi : Mademoiselle A consulte "son" médecin traitant (cf. supra pour les symptômes). Elle n'a plus mal aux dents.
L'interrogatoire est difficile pour démêler le vrai du faux et, surtout, la chronologie des faits. Le médecin traitant n'est pas un démiurge, le médecin traitant n'est pas un petit malin qui a raison tout le temps, le médecin traitant a eu le temps et le recul et a bénéficié des erreurs accumulées. Le médecin traitant est (aussi) débordé et n'a pu recevoir la patiente avant samedi sur rendez-vous (il y avait des consultations "libres" auparavant mais l'attente est comprise entre un et deux heures, parfois plus)... Donc, tous les problèmes ne viennent pas des autres. La nouvelle chronologie est bien entendu plus facile à établir puisque je connais la fin de l'histoire.
- Les douleurs dentaires étaient liées à la poussée d'une "dent de sagesse".
- Les nausées préexistaient avant les douleurs dentaires.
- Le bilan demandé par le médecin généraliste était strictement normal : nfs, crp, sgot, sgpt, glycémie, urée (?), sodium, potassium, créatininémie, betahcg plasmatiques.
- Le ventre est souple, avec un peu de météorisme et des "gargouillis" en FID (le médecin généraliste avait dit qu'elle psychotait parce qu'elle avait l'impression que des bulles "éclataient" dans son ventre !)
- Le test de grossesse a été demandé sans interroger la patiente sur une quelconque contraception... et elle prenait la pilule (mais il ne faut jamais croire une patiente que l'on n'a jamais vue)
- La patiente est sortie de mon cabinet sans médicaments et avec des simples conseils hygiénodiététiques
Quelques réflexions :
- Les nausées étaient présentes avant le dimanche dentaire et leur apparition a coïncidé avec l'introduction par la gynécologue (qui ne m'a évidemment pas prévenu) d'une nouvelle pilule (holgyeme, générique de Diane) en remplacement de minidril "parce que", selon elle, "Mademoiselle A avait des boutons sur le visage" et alors que la patiente ne demandait rien, pilule prescrite hors AMM, entre parenthèses, pilule non remboursée, évidemment, et cetera, et cetera. J'ai expliqué à Mademoiselle A comment repasser de holgyeme à minidril.
- Le remplacement de l'amoxicilline par de la coamoxiclav a entraîné l'apparition d'une diarrhée, ce qui est d'une désespérante banalité.
- Prendre Mademoiselle A pour une conne sans l'interroger sur son statut par rapport à la contraception, dire que c'est une psychotique parce qu'elle décrit un signe abdominal non décrit dans les livres, et l'envoyer faire une psychothérapie, me rend songeur...
- L'excès de malades dans les cabinets conduit à une succession de gags. Il faut que j'essaie de mieux recevoir mes patients...