dimanche 25 mars 2012

Cancer de la prostate : If you don’t mind what goes on your death certificate, prostate screening is a waste of time. Richard Lehman.


Les lecteurs de ce blog vont se demander si je ne fais pas une fixation pathologique sur certains sujets, le dépistage du cancer de la prostate au moyen du PSA étant l'un de ceux là. Après tout, je en suis qu'un homme... Mais il s'agit aussi d'une situation paradigmatique puisque nous avons des faits, des données, des preuves et nous avons aussi une polémique, des débats contradictoires et des préjugés. Le monde réel est celui des illusions, des parallaxes, des a priori, et des croyances. 
Mais, bon, cent fois sur le métier, remettons notre ouvrage.
(Rappel : nous avons montré sur ce blog, LA, combien les carottes étaient cuites et je ne peux que vous recommander de lire des auteurs indépendants de moi comme Alain Braillon -- ICI-- ou Dominique Dupagne --LA--, qui ont depuis longtemps enfoncé le clou).


Une nouvelle étude vient de paraître dans le New England Journal of Medicine. Elle a étudié la mortalité due au cancer de la prostate pendant et après onze ans de suivi. Vous trouverez ICI un abstract à lire, la version intégrale demandant un abonnement. Elle indique de façon claire que le risque relatif de mourir d'un cancer de la prostate est diminué de 21 %, voire de 29 % après ajustement pour non compliance, selon que l'on dépistait ou non le cancer de la prostate en dosant le PSA. Quant à la diminution du risque absolu de mourir d'un cancer de la prostate dans les conditions de l'essai, elle est de 0,1 décès pour 1000 personnes-années, soit 1,07 mort évitée pour 1000 hommes randomisés. Pour conclure sur cet essai, largement sponsorisé par nombre de firmes pharmaceutiques commercialisant des anti cancéreux, disons que pour prévenir un décès dû au cancer de la prostate pendant 11 ans de suivi il faut inviter 1055 hommes au dépistage et trouver 37 cancers de la prostate.
Enfin, last but not least, mais c'est le résultat le plus important, il n'y a pas de différence en termes de mortalité totale.
Cette divergence mortalité totale / mortalité liée à la prostate est un des éléments clés du débat. Mais les mêmes interrogations se posent pour le dépistage du cancer du sein par mammograpie, nous l'avons vu sur ce blog (ICI).
L'opinion la plus communément répandue, et que je partage, est que tout moyen d'intervention qui ne diminue pas la mortalité globale n'a pas d'intérêt. A quoi cela peut-il bien servir de dépister une maladie pour la traiter si, au bout du compte, on ne diminue pas la mortalité globale ?
Il existe bien entendu des arguments opposés. Pour les résumer, on peut dire d'abord qu'il faudrait, quand la maladie est fréquente, inclure des effectifs considérables ; ensuite, que la santé publique ne s'intéresse pas seulement à éviter la mortalité mais aussi à éviter la morbidité, c'est à dire à la vie sans maladie ; enfin, que les patients du groupe dépisté vivent a priori plus longtemps que les non dépistés et peuvent ainsi plus fréquemment mourir d'autre chose (effet lead-time) (et vous verrez LA, dans les commentaires, des arguments pro et des arguments contre, notamment de Ha-Vinh).
Mais les contre arguments les plus forts pour imposer de ne prendre en compte que la mortalité globale et non la mortalité spécifique sont ceux-ci : le dépistage n'est pas anodin et n'est pas sûr, il peut entraîner des dommages graves, dont des décès, chez des patients en bonne santé, c'est à dire induire mortalité et morbidité chez des personnes (pas des patients, pas des malades) qui ne demandaient rien, qui n'auraient jamais été malades, ou qui, sans traitement, ne seraient jamais morts de la maladie qu'on leur a dépistée, et, dans le cas du cancer de la prostate rendre impuissants et / ou incontinents et / ou gynoïdes (voir illustration) pendant une dizaine d'années des hommes qui n'auraient pas eu la maladie ou qui n'en auraient souffert, non dépistée qu'un an ou deux (les cancers très agressifs).

Nous sommes dans le domaine des croyances.
Il n'est que de voir comment les journaux sponsorisés par Big Pharma et par l'Association française des urologues en tirent des conclusions dithyrambiques sur l'intérêt du PSA... Sans compter des blogs se prétendant objectifs (ICI).

Prenons un exemple où la croyance est plus forte que la logique mathématique et où l'exposition des faits de façon malintentionnée conduit au dépistage et où une présentation plus objective rend le sens commun indécis et le dépistage moins évident.
Je reprends cet exemple de Leda Cosmides et John Tooby, psychologues cognitifs et théoriciens controversés (LA pour se faire une idée de leurs recherches, controversées), exemple cité par Jean-Pierre Dupuy (L'avenir de l'économie. Paris : Flammarion, 2012).
Première version :

Soit une maladie qui touche une personne sur 1000 en moyenne.
Il existe un test pour la détecter avec un taux de faux positifs de 5 %
Le résultat, dans votre cas, est positif.
Quelle probabilité donnez-vous au fait d'avoir la maladie ?
(la réponse n'est pas 95 %)

Deuxième version en forme d'explication :

Sur 1000 personnes testées une en moyenne aura la maladie et le test sera pour elle positif (en ignorant les faux négatifs) mais il sera positif également pour 50 autres personnes. Seul donc un individu sur 51 aura effectivement la maladie.
Donc la probabilité d'avoir la maladie avec un test positif est de 2 %

Etonnant, non ?

Enfin, voici un commentaire que j'ai trouvé sur le blog de Richard Lehman (LA) à propos de l'essai cité.
D'abord, notre médecin humoriste, écrit ceci : "Pourquoi appelle-t-on le PSA PSA ? Parce que cela signifie Perfectly Stupid Attributes pour un test de dépistage !" Je ne traduis même pas.
Mais surtout, voici le summum : "Now clearly, if you don’t mind what goes on your death certificate, prostate screening is a waste of time. But to inform our advice to patients, let’s look at it from the perspective of somebody who had decided they would rather die of anything but prostate cancer. “To prevent one death from prostate cancer at 11 years of follow-up, 1055 men would need to be invited for screening and 37 cancers would need to be detected.” So if you had a “cancer” detected by screening, there is a one-in-37 chance that treatment would prevent your death within 11 years. And your odds of dying from anything in that period would be the same."

Faut-il aussi que je ne traduise pas ?
Si vous vous en fichez de savoir ce qui sera marqué sur votre certificat de décès, le dépistage prostatique est une perte de temps. 

dimanche 18 mars 2012

Les infirmières meilleures que les médecins en médecine générale ?


En ces temps de disette et d'annonces de la disparition programmée des médecins généralistes et, à terme, de la médecine générale (à condition bien sûr qu'elle ait jamais existé en tant que spécialité, mais c'est une autre affaire dont nous avons déjà beaucoup parlé ICI ), Des Spence, un de mes éditorialistes favoris du British Medical Journal comme vous le savez (LA), vient d'écrire un petit article qui m'a rendu admiratif. On sent bien entendu que Des Spence a écrit avec prudence, pour ne pas heurter la sensibilité des infirmières et pour ne pas entamer le politically correct qui veut que les médecins sont des infirmières comme les autres mais que son second, voire son troisième degré, ne peuvent masquer sa presque certitude de l'intérêt des médecins versus les nurses... Vous pouvez le lire en anglais si vous êtes abonné au BMJ (ICI). 

Je vous raconte l'affaire.

Première partie (démagogique) : Quand nous étions jeunes (très jeunes) docteurs, écrit Spence, que nous étions souvent de garde et que nous ne connaissions rien à la médecine, c'étaient les infirmières qui permettaient que tout se passe bien à l'hôpital. Avec une phrase en plus : Ceux qui ne respectent pas les infirmières ne respectent pas la profession médicale. Fin des flagorneries anglo-saxonnes.

Deuxième partie (factuelle) : Sur Twitter, poursuit Spence, un débat fait rage et on peut le résumer ainsi : les infirmières senior peuvent remplacer les médecins car elles sont meilleures (une étude suggère qu'elles obtiennent un taux plus élevé de satisfaction de la part des patients et que les résultats post consultation sont identiques) et qu'elles coûtent moins cher (en moyenne 35 000  vs 57 300 £). Spence commente : on ne peut discuter le niveau des salaires, certes, pour proposer le remplacement des médecins par des infirmières, mais pour les résultats, il est quand même possible de contester : la plupart des maladies vues en médecine générale sont bénignes, se résolvent d'elles-mêmes, du moins à court terme (c'est moi qui complète) et il est normal que l'on ne voit pas de différences entre infirmières et médecins ; mais le cas des maladies graves et / ou rares, celles où il ne faut pas faire d'erreurs diagnostiques et / ou thérapeutiques d'urgence, n'a pas été spécifiquement pris en compte, ce qui fait la faiblesse de ces études comparatives. Or, c'est dans ces cas qu'il est nécessaire d'être efficace.

Troisième partie (géniale et pertinente et que nos technocrates arsiens -- venus des ARS, ces monstres bureaucratiques nés des lois néo libérales LOLFde 2001 et RGPP de 2007 -LA, ne peuvent ni lire, ni comprendre, ni apprécier, tant ils sont obsédés par la politique du chiffre et par la négation des personnes) : Spence commence par ceci : un aspect économique négligé est celui de la fonction primordiale de la médecine de premier recours qui est de faire barrière  (gatekeeper). Les coûts de la santé publique sont liés aux coûts hospitaliers, poursuit-il. L'efficience de la médecine générale doit être jugée ainsi : une analyse de sang coûte quelques dizaines d'euros, une consultation externe quelques centaines, une admission en urgence quelques milliers. La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas. Or, l'étude favorable aux infirmières, montre qu'elles prescrivent plus et qu'elles adressent plus. Un adressage ou deux de plus par semaine et même quelques investigations en plus peuvent entraîner des dizaines de milliers d'euros dans le flot des dépenses courantes du NHS. De plus, les infirmières passant en moyenne plus de temps avec les malades que les médecins généralistes (15 - 20 vs 10 minutes), elles seraient en droit de demander des salaires équivalents, mais sont-elles plus coût-efficientes que les médecins ? Nul ne le sait.

Spence continue ainsi : la fonction barrière de la médecine générale requiert une personnalité rassurante et, plus que tout, une aptitude à accepter l'incertitude. Quand on travaille en équipe les titres et les qualifications ne sont pas primordiaux pour endosser ces attitudes. Il existe trois priorités dans la pratique de la médecine générale : l'expérience, l'expérience et l'expérience.

Merci Des Spence.

Un petit commentaire : cette fonction barrière de la médecine générale est souvent décriée en France car on y associe une fonction mineure, non noble, de sous-médecin, d'officier de santé, d'infirmière en quelque sorte, alors que les propos de notre généraliste écossais rappellent que cette fonction est primordiale, demande de l'expérience, des connaissances, de l'empathie, de la persuasion, du dialogue et une part d'acceptation de l'incomplétude de l'art médical, sans compter, et nos bureaucrates politiques dirigeants pourraient éventuellement en tenir compte, qu'elle permet de diminuer les coûts de la santé.
Nul doute, pourtant que les arsiens ne retiendront de cela, leur haine bureaucratique de non médecins pour les médecins étant à la hauteur de leur incompétence, que la possibilité de remplacer à moindre coût les médecins par des infirmières qui, sans nul doute, en raison de la "promotion" dont elles se sentiront investies, ne renâcleront pas trop à la tâche avant de se rendre compte du piège qu'on leur aura tendu.

Mise au point : loin de moi l'idée de dénigrer les infirmières et de surévaluer les médecins généralistes (ce blog est le témoin de mon esprit critique) mais, puisqu'il faut dire les choses, disons les.

jeudi 15 mars 2012

Haro sur Servier : l'arbre qui cache la forêt.


En ces périodes de suspicion généralisée, de nécessité de transparence comme outil unique de réflexion, de plus pur que moi y a pas et d'éthique de la dénonciation, tirer sur Servier est un exercice facile, un défouloir hardi, une façon élégante de se mettre en avant, une manière d'être à la mode sans trop se mouiller. Ce que l'on appelait jadis se comporter comme un résistant de la dernière heure.

Ma pente naturelle est de me méfier des accusations toutes faites, des certitudes uniques, des condamnations unanimes, de l'effet de meute.
Il ne s'agit pourtant pas d'un plaidoyer pour défendre Servier, le laboratoire Servier, Monsieur Jacques Servier, je ne le connais pas personnellement, il s'agit de démêler ce qui revient à Servier, les pratiques frauduleuses, la concussion, la corruption, la malhonnêteté, que sais-je encore ?, et ce qui revient à un système qui existe depuis de fort nombreuses années, qui continue d'exister et qui, au delà de ses caractéristiques internationales qui seraient le capitalisme mondialisé, s'est développé en France avec l'assentiment de tous et sans que personne, jamais, n'ait eu le courage ou l'envie de collecter des faits et de les étaler au grand jour. Ce que je ne vais pas faire ce jour.

On dira qu'il y a eu des lanceurs d'alerte, des gens qui ont, depuis longtemps, averti, informé, et qu'il a fallu un scandale de trop, le livre d'Irène Frachon dont le titre avait été censuré par Servier, pour que tout éclate. Mais les lanceurs d'alerte précédents, La Revue Prescrire et certains de ses collaborateurs, ont certes dénoncé, mais sotto voce et ils n'ont rien fait pour perdre leurs postes.
Il est aussi amusant de constater que les accusateurs français, si prompts à dénoncer Servier, sont d'une extrême candeur quand il s'agit de dénoncer les scandales mondiaux de la pharmacie, alias Big Pharma, tout en affirmant qu'ailleurs tout est mieux... Et de citer le Sunshine Act comme outil indépassable pour la lutte contre la corruption alors que c'est aux Etats-Unis d'Amérique que les plus gros scandales sont apparus.
Balivernes.
Donc, partout, dans la presse, sur Facebook, sur Twitter, sur des blogs, sur des sites, les purs de la dernière heure, se déchaînent contre l'entreprise Servier (et j'aurai la délicatesse, contrairement à mon habitude, de ne pas citer tout ce que j'ai lu... tellement désastreux). Et, tels des inquisiteurs, ces purs se déchaînent sur tout ce qui bouge, les "faux" journalistes payés par Servier, les vrais salariés téléguidés ou pas qui expriment leur désarroi, les professeurs de médecine à la retraite qui n'ont pas l'heur de croire à la qualité des bases de données de la CNAMTS, et cetera, et cetera.

Je vais donc dire pourquoi Servier n'est qu'un symptôme et pas une maladie.
Qui pourra d'abord nous faire croire que tous les salariés de l'entreprise Servier, filiales comprises, sont des pourris, des malhonnêtes, des corrupteurs, des tricheurs, des modificateurs de chiffres, des broyeurs de documents ? A moins bien sûr qu'il ne faille considérer que Servier est une secte entrepreneuriale et qu'il est si difficile d'y entrer qu'il est impossible d'en sortir. Mais c'est faux.
Qui pourra nous faire croire que les salariés de Servier, aux différents échelons, sont différents de ceux de Sanofi ou de Pierre Fabre, qu'ils n'ont pas le même cerveau, pas les mêmes membres, pas les mêmes corps, pas les mêmes tripes ?
Qui pourra nous faire croire que seul Jacques Servier recevait chez lui les ministres de la Santé ou de l'industrie, recevait chez lui les présidents de commissions d'AMM, les directeurs de comités économiques, les responsables de la pharmacovigilance tout comme les directeurs généraux de la santé ou les députés des circonscriptions où étaient implantées leurs usines et leurs bureaux ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier donnait de l'argent aux partis politiques ?
Qui pourra nous faire croire que les autres directeurs de groupes pharmaceutiques, qu'ils soient français ou étrangers, n'entretenaient pas des relations d'affaire avec le lobby administrativo-politique qui décide et des politiques de santé et des prix des médicaments et de leurs niveaux de remboursement ? 
Qui pourra nous faire croire qu'il n'y a que Servier qui envoie des patrons dans les congrès, qui leur paie leurs frais d'inscription, leurs chambres d'hôtel, leurs repas et leurs sorties ? Qu'il n'y a que Servier qui permette à des patrons de signer des articles qu'ils n'ont pas écrits, de signer des articles dont ils n'ont vu aucune donnée de base, des articles dont ils ne connaissent pas les protocoles, les façons de randomiser ou les tests statistiques qui ont été appliqués ?
Qui pourra nous faire croire que les fameux leaders d'opinion, les Key Opinion Leaders, ne sont entretenus que par Servier, ne sont formés que par Servier, ne sont payés que par Servier ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier implante des études bidons, des études qui ne seront jamais publiées, des études qui ne seront jamais analysées, dans des services stratégiques en permettant l'acquisition de nouveaux matériels ou l'octroi de primes à des médecins méritants et si mal payés ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier corrompt des revues pour qu'elles publient des articles de merdre en faisant de la publicité et en achetant des tirés-à-part et des abonnements ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier finance les associations de patients ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier entretient une écurie de jeunes internes, chefs de clinique, PU-PH, afin d'en faire des experts des domaines dans lesquels les produits Servier auront besoin d'un coup de main et dans lesquels ins deviendront des experts, locaux, loco-régionaus, nationaux, voire internationaux ?
Qui pourra nous faire croire que seuls les visiteurs médicaux de Servier mentent sur les résultats des études, présentent des résultats enjolivés, cachent les effets indésirables des médicaments, invitent au restaurant ou à des week-ends et ont des moyens détournés de faire des cadeaux ?
Qui pourra nous faire croire que Servier oeuvre dans un monde pur où les fonctionnaires sont intègres, ne sont soumis à aucune pression, où les hommes politiques ne pensent qu'au bien public et non à leur réélection ?
Qui pourra nous faire croire que la politique des prix des médicaments à l'hôpital n'est pervertie que par Servier et que les autres laboratoires ne vendent pas à perte pour implanter leurs produits dans des hôpitaux prestigieux grâce à la pharmacie centrale qui ne voit que le prix du comprimé ?
Qui pourra nous faire croire que seul Servier utilise certains médecins qui font le va et vient entre l'industrie et l'administration, un jour directeur médical, un autre jour sous-directeur à l'AFSSAPS, un jour représentant de l'AFSSAPS à l'agence européenne ?

Personne ne peut croire à de pareilles sornettes.
Je comprends donc que les salariés de Servier expriment, parfois maladroitement, leur désarroi devant ce qui peut paraître être une chasse aux sorcières.

Car les résistants de la dernière heure n'y vont pas avec le dos de la cuillère.
Les mêmes qui ne se manifestaient pas, les mêmes qui protestaient mollement, les mêmes qui participaient sans broncher aux agapes officielles, les mêmes qui n'ont jamais payé un ticket de vestiaire dans un déplacement à l'étranger, les mêmes qui étaient des chefs de service adulés et payés, les mêmes qui dirigeaient des commissions, les mêmes qui siégeaient dans les instances, de la Direction Générale de la santé à la Commission Nationale de Pharmacovigilance, eh bien, ils ruent dans les brancards contre Servier mais ils se limitent à Servier. Servier est le bouc-émissaire à la mode.
Et si des fonctionnaires ont été virés de l'AFSSAPS, et ont d'ailleurs été reclassés immédiatement, ne croyez pas que c'était pour des raisons punitives, non, c'était pour les éloigner, c'était pour les faire taire, c'était pour que la mémoire de l'institution à laquelle ils appartenaient se dissolve, qu'on efface les preuves, qu'on broie les preuves au sens propre et au sens figuré. Et on a même payé des hauts fonctionnaires pour qu'ils se taisent, on a même nommé à des postes prestigieux des lanceurs d'alerte qui avaient lancé mais qui se sont tus juste après pour obtenir des honneurs.
Ne croyez pas qu'il n'y a que chez Servier que les broyeuses ont fonctionné, elles ont aussi fonctionné à l'AFSSAPS pour détruire des dossiers compromettants, à la DGS pour détruire des dossiers et des contrats louches, dans les Centres régionaux de Pharmaco Vigilance où l'imputation des dossiers est faite à la lumière de ce qu'il faut croire ou ne pas croire... notamment quand il s'agit de vaccins...
Et j'entends aussi qu'il faut protéger les lanceurs d'alerte.
Mais qu'est-ce que risque un lanceur d'alerte ? A part le docteur Alain Braillon qui a perdu son poste pour de nombreuses raisons qu'il a longuement expliquées sur son blog, les autres, que craignent-ils ?
La peur du lanceur d'alerte au moment du penalty est une vaste rigolade. Les grands lanceurs d'alerte devant l'Eternel (les milliers de morts de la grippe), ils sont toujours en poste et écrivent toujours des posts qui font autorité, président toujours des instances officielles, font toujours des tournées avec les laboratoires, mentent toujours sur leurs DPI..., recueillent toujours des déclarations d'effets indésirables... Des lanceurs d'alerte membres à vie de leurs commissions, qu'est-ce qu'ils risquent au juste ?
Et qu'est-ce qu'un vrai lanceur d'alerte qui, malgré le poids de ses dizaines de milliers d'abonnés, n'arrive pas à se faire entendre ?
Mais il est vrai que l'on a peu entendu de cadres dirigeants de Servier dénoncer et balancer. Mais dans les autres laboratoires, est-ce si différent ? A-t-on jamais vu des directeurs de recherche dire que les analyses statistiques sont parfois faites au cas par cas pour atteindre la fameuse, et ouvreuse de droits éternels, significativité ? A-t-on jamais entendu des moniteurs d'essai dire que le double-aveugle avait été levé avant la fin de l'essai ? Mais ces gens là, contrairement aux fonctionnaires des Agences, risquent effectivement leurs places et leurs salaires. Il faudrait les aider.
Enfin, qui pourra nous faire croire que les prescripteurs de base n'ont pas une part de responsabilité ? Qui pourra nous faire croire que les corrompus sont à plaindre et que les corrupteurs sont à condamner ? Qui pourra nous faire croire qu'aucun médecin au courant des risques du Mediator ne l'a pas prescrit, et a fortiori hors AMM ? Qui pourra nous faire croire qu'aucun abonné de Prescrire n'a jamais prescrit de Mediator ?  Les pauvres obèsologues, les pauvres diabètologues, les pauvres diététologues, les pauvres mésosologues ou aiguillogues ou homéoologues à orientation gros poids, les pauvres généralistes, soit reproducteurs d'ordonnances des précédents, soit initiateurs d'ordonnances pour faire comme des grands, comme ils sont à plaindre d'avoir été abusés par Servier... Abusés, mais pas plus que les grands chefs qui ont touché de l'argent. Pas plus mais pas moins...

Servier va être découpé en appartement dès la mort de son fondateur.
Qui va en profiter ?
Les dossiers d'AMM sont toujours aussi indigents et, surtout, sont peu lus avec un esprit critique.
Contrairement à ce qui est affirmé ici ou là, dans la majorité des cas, les effets indésirables graves constatés post commercialisation sont déjà, en filigrane, dans le dossier d'AMM. Et pas seulement pour Mediator. Pour les glitazones, pour les vaccins anti grippe, pour les coxibs... Ce n'est donc pas seulement Servier ou Pasteur ou Pfizer qui ont menti sur leurs données, ce sont aussi les évaluateurs qui n'ont pas vu ou à qui on a dit de ne pas voir...
Mais les industriels, je dirais même plus, les financiers, dans le cas bien improbable où des soupçons sont possibles, font de vagues promesses à des Agences qui savent que les décisions sont politiques et les produits sont commercialisés jusqu'à ce que le fameux point d'équilibre (balance zéro investissements / profits) soit atteint. Les études post-marketing, Prescription Event Monitoring ou autres, sont mises en place avec lenteur, sont suivies avec lenteur, les dead-lines sont constamment repoussées jusqu'à ce que les bénéfices deviennent palpables...
Et c'est là que les influences sont importantes pour ne pas imposer d'études complémentaires ou pour accepter qu'elles ne soient jamais rendues..
Voici les arguments : la balance des paiements, l'emploi, l'économie. Cela fait du chiffre.

Nous ne ferons pas l'économie, en ciblant seulement Servier, d'une réforme des procédures et des hommes qui ne devront pas seulement être transparents mais compétents. N'oublions pas que la transparence ne rend pas intelligent et que la compétence ne s'acquiert pas forcément à l'intérieur des agences gouvernementales comme on le croit trop souvent mais à force de travail, d'abnégation et de publications.

La maison Servier n'est certainement pas un exemple mais se contenter d'en faire la responsable de toutes nos insuffisances, de toutes nos lâchetés, de toutes nos incompétences et de mettre au pilori tous ses salariés, permet de faire l'économie d'une réforme qui commence dès la première année de médecine.

A suivre.

samedi 10 mars 2012

Un article de Claudina Michal-Teitelbaum : Secret médical et convention collective : conflits d'intérêt et conflits de loyauté.

Docteur du 16 : je vous propose donc un article écrit par CMT que je trouve particulièrement contributif sur le sujet des relations entre les médecins, l'administration et la CNAM.
Le secret médical comme garant de la démocratie

Redresser les comptes  de la Sécurité sociale et réduire son déficit est une priorité affichée par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années.
Les médecins libéraux, ont une place spécifique dans le système de santé. Bien que dépourvus de la protection que confère un statut de salarié et théoriquement libres de pratiquer comme ils l’entendent, leur activité est largement tributaire des remboursements de leurs actes par la Sécurité sociale.
C’est pour cette raison que  l’Etat s’arroge en contrepartie un droit de contrôle et d’évaluation sur l’activité des médecins libéraux. Ce contrôle se fait sur la base de ce qui a été négocié lors de la convention médicale collective. La convention médicale est, l’un des principaux outils de la maîtrise médicalisée, qui vise à responsabiliser les acteurs à savoir essentiellement les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients en vue de réduire les dépenses de santé.
Le contrôle est exercé, pour l’aspect économique, par les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), des organismes de droit privé au niveau local, remplissant une mission de service public. Les médecins conseil des CPAM sont chargés de s’assurer qu’il y a conformité entre les activités du médecin et ses objectifs propres, objectifs pour lesquels les CPAM sont missionnées, qui sont des objectifs économiques de contrôle des dépenses de santé.

Pour exercer ce contrôle, et d’autant plus qu’il prétend exercer un contrôle étroit et fin, le médecin conseil va demander des informations sur son activité au médecin libéral, comme la loi l’y autorise.
 Se pose alors la question du secret.

Habemus papam. Nanni Moretti 2011.
Le pape, le psychanalyste et la Curie.

Les fondements du secret médical
Le secret médical est une déclinaison du secret professionnel.
Le secret professionnel a des fondements pratiques et vise au maintien de l’ordre public. Dans tous les cas où un particulier doit être en relation avec un professionnel et que la protection de ses intérêts, dans le cadre de ses relations avec ce professionnel, nécessite la confidentialité, il doit pouvoir compter sur sa discrétion. Celle-ci lui est garantie par la loi sous peine de sanctions pour le professionnel qui violerait cette règle. La nécessité de respect du secret a donc une traduction juridique.
L’article 226-13 du Code pénal énonce cette règle de la manière suivante : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
Le Code pénal considère donc que la révélation d’un secret est un délit et que c’est la personne qui est dépositaire du secret qui en est responsable . Elle pourra donc être poursuivie en cas de faute. L’incitation à la révélation du secret est également punissable.
Dans le cas de la médecine, l’intérêt du secret est aussi de permettre la qualité des soins grâce à l’accès à un grand nombre d’informations  pertinentes par le médecin car  « Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret ».


Le secret professionnel a aussi des fondements éthiques et répond au principe du droit au respect de la vie privée, qu’on peut aussi appeler droit à l’intimité. Le concept de vie privée n’est pas clairement défini mais le principe de son respect est posé par l’article 8 la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950, encore appelée Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,  signée et ratifiée par la France. La Cour européenne des droits de l’Homme, qui veille au respect de la convention, considère que «la protection des données médicales revêt une importance fondamentale pour l’exercice de ce droit, et que le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique des Etats membres de la Convention (CEDH, 27 août 1997, Anne –Marie Ac/Suède) » (P. Chiché, 2005) . http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FRA_Conven.pdf .

Dans le Code de déontologie, qui est inscrit dans le CSP (Code de santé publique) , article 4127 et établi par décret du Conseil d’Etat, le secret médical apparaît à l’article 4 qui dispose que:
« Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
Contrairement à ce que beaucoup de médecins pensaient auparavant, le secret médical est pour eux un devoir et non un droit. Il n’est pas opposable au patient qui souhaite obtenir son dossier, sauf dans certains cas spécifiques. C’est ce qu’a établi la loi du 4 mars 2002, relative à la santé publique et aux droits des patients, appelée aussi loi Kouchner.
Le secret couvre aussi tout ce qui a eu lieu lors de la consultation, et notamment aussi tout ce que le médecin a pu voir ou entendre lors des visites à domicile .
Le médecin qui viole intentionnellement le secret (même sans intention de nuire) s’expose donc à des sanctions pénales (article 226-13) et disciplinaires, de la part du Conseil de l’ordre.
Seule la loi peut autoriser une dérogation au secret
L’article 226-14 du Code pénal limite le caractère absolu du secret professionnel et médical car il précise que «L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret « .Le secret médical a donc un caractère absolu en dehors des obligations légales et des autorisations car :
-       Le patient ne peut pas délier le médecin du secret (jurisprudence)
-       Le secret demeure même après la mort du patient (cas particulier de la famille du défunt)
-       Le secret est valable même pour des confrères sauf dans le cas des nécessités du suivi du patient et avec l’accord de celui-ci (loi du 4 mars 2002 )
-       Il est opposable même devant un juge
-       Le médecin n’a, à priori pas le droit de révéler le nom des patients qu’il suit
Le médecin peut seulement se délier du secret pour se défendre en cas d’accusation


En pratique les dérogations établies par la loi sont de deux types : obligation ou permission.
La liste des motifs qui obligent un médecin a révéler des informations à caractère secret est limitative et explicite. La première question qu’un médecin doit  se poser si on lui demande de fournir ce type d’informations est donc : « est-ce que cela rentre dans le cadre d’une obligation ? ».
Ces obligations, édictées par la loi, répondent à des impéraitfs (tenue de registres des décès et des naissances, protection de l’ordre public, justification de certaines indemnités).
Le médecin est obligé par la loi :
- de déclarer les naissances ;
- de déclarer les décès ;
- de déclarer au médecin de la DDASS les maladies contagieuses dont la liste est fixée réglementairement(3).
- d'indiquer le nom du malade et les symptômes présentés sur les certificats d'internement ;
- de signaler les alcooliques dangereux pour autrui (pour les médecins des dispensaires, des organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements psychiatriques) ;
- d'établir, pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, des certificats détaillés décrivant les lésions et leurs conséquences ;
- de fournir à leur demande aux administrations concernées des renseignements concernant les dossiers des pensions militaires et civiles.
- de communiquer à l’Institut de veille sanitaire les informations nécessaires pour prévenir et maîtriser les risques pour la santé humaine.

Il existe d’autres cas où le médecin est autorisé, mais non obligé, à révéler une information à caractère secret. Cela implique qu’il ne pourra être poursuivi pénalement lorsqu’il révèle une information dans ce cadre, et qu’il lui est permis de refuser de le faire.

Le médecin est autorisé :
1.     à signaler aux autorités compétentes et à témoigner en justice à propos de sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs  ou à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger ; (article 226-14 du Code pénal, loi du 5 mars 2007 relative à la Protection de l’enfance)
2.      à signaler au procureur de la République (avec l'accord de victimes adultes) des sévices constatés dans son exercice et qui permettent de présumer de violences sexuelles.
3.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicale
4.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicales nominatives nécessaires à l'évaluation de l'activité.
5.      à transmettre les données nominatives qu'il détient dans le cadre d'un traitement automatisé de données autorisé.
6.     à informer les autorités administratives du caractère dangereux des patients connus pour détenir une arme ou qui ont manifesté l’intention d’en acquérir une.
NB : il existe aussi des autorisations en rapport avec la jurisprudence que je ne mentionnerai pas ici
Le premier point est celui traité par l’article 226-14 du Code pénal, qui restreint explicitement la portée de l’article 226-13 lorsque le médecin a connaissance de sévices sur des personnes vulnérables :
« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
[…] 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; »
Il faut noter que, dans le cas de mauvais traitements à personnes vulnérables, dont les mineurs de 15 ans, si le médecin est seulement autorisé à informer dans le cadre du Code pénal, le code de déontologie dans son article 44 lui en fait une obligation morale, car le médecin « doit, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives »
C’est un point important car dans un livre intitulé « Les oubliés , Enfants maltraités en France et par la France », Anne Tursz, qui est pédiatre et directeur de recherche à l’INSERM, établit à travers une étude de cas , que les statistiques d’infanticide sont notoirement sous estimées en France , d’un facteur 3 à 15. Elle montre aussi que les médecins sont très mal informés sur les facteurs de risque de maltraitance, que les médecins généralistes sont particulièrement frileux lorsqu’il s’agit de signaler des violences sur mineurs, que les médecins hospitaliers sous-investiguent certains cas en raison de leurs préjugés concernant l’origine sociale et ethnique des parents, que la coordination entre services est mauvaise, les expertises souvent de qualité médiocre et que, de manière générale, il y a une dégradation de la prise en considération de la maltraitance sur enfants ces dernières années en France, qui est donc de plus en plus occultée.
D’autre part, il faut savoir que si les médecins ne sont pas obligés de signaler dans ce cas, ils ne sont pas pour autant dispensés de toute responsabilité, puisqu’ils peuvent être condamnés au titre de l’article 223-6, sur la non assistance à personne en péril, comme cela est déjà arrivé http://www.nordeclair.fr/Actualite/2009/12/14/maltraitance-sur-enfant-deux-medecins-re.shtml

On pourra aussi remarquer que les notions sur l’autorisation de la télétransmission de données nominatives est particulièrement vague, car on ne précise pas quelles données peuvent être transmises, et à qui.
Vers une violation systématique du secret médical au nom du contrôle des dépenses
Si l’on prend cet aspect au pied de la lettre  et qu’on télétransmet toutes les informations autorisées sans discernement, cela vide totalement de son sens la notion même de secret médical et constitue une atteinte grave à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Il se crée ainsi, de par les contradictions de la loi, qui traduisent des intérêts contradictoires, ceux des patients d’une part, défendus pas la Convention européenne des droits de l’Homme, ceux de l’administration, d’autre part, qui veut contrôler, il se crée une asymétrie entre l’administration et les médecins, l’administration étant autorisée à réclamer ce que le médecin ne devrait pas révéler.
Il semble alors important de retenir que, hors obligation légale, le médecin n’est jamais tenu de livrer des informations à qui que ce soit au sujet de ses patients. Le secret constitue toujours, en dehors d’une telle obligation,  un motif légitime aux yeux de la loi de refus de transmission, y compris à l’égard des autorités judiciaires et à fortiori vis-à-vis des organismes de contrôle.
Dès lors, lorsqu’un médecin refuse de transmettre des informations, il ne pourra être poursuivi. Et seuls certains magistrats, tel le juge d’instruction, ont un pouvoir coercitif pour l’y contraindre, à condition de respecter une procédure rigoureuse, qui pourra être opposée devant un tribunal si elle n’est pas respectée. A savoir que pour accéder à des informations confidentielles il faut procéder à la saisie des dossiers. Celle-ci ne peut être effectué que dans le cadre d’une commission rogatoire, par un officier de police judicaire, ou alors par le magistrat instructeur lui-même et toujours en présence d’un membre du Conseil de l’ordre des médecins, qui vérifie la régularité de la procédure et trie éventuellement les pièces qui doivent être transmises c'est-à-dire uniquement les pièces pertientes.
Il existe un contraste saisissant entre ce formalisme et la facilité avec laquelle des informations à caractère secret sont transmises à l’administration, de manière systématique, dans le cadre de procédures de contrôle.
De fait, depuis que l’Etat cherche à rétablir l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale, en axant son action essentiellement en aval sur le contrôle des dépenses, sans se préoccuper des origines du problème, les atteintes au secret médical ont pris un caractère de plus en plus systématique.
La convention collective entre syndicats médicaux et CPAM signée en juillet 2011 crée de nouveaux conflits d’intérêts
                  Dès 1999 les juristes et le Conseil de l’ordre des médecins se sont alarmés, de la contradiction entre la nécessité d’évaluation des pratiques médicales et l’impératif de la protection du secret professionnel.
                  Un rapport du Conseil national de l’ordre remarquait : » L’évaluation en médecine libérale pose le vrai problème de gestion du secret médical.
Dans ce cadre d’évaluation, le danger vient du risque de circulation à grande échelle de données dont il faudra vérifier la protection continue tout au long de la chaîne d’exploitation, et de l’intervention de non-médecins »

C’est la codification des actes à des fins d’évaluation économique qui posait notamment problème. D’autant que la loi a imposé, dans les années 1990 et 2000, une codification de plus en plus précise des actes, destinée à des personnels administratifs des Caisses d’assurance maladie, sous peine de non remboursement.
 Un patient qui voudrait conserver le secret vis-à-vis de l’administration sur les actes effectués, ce qui est en principe un droit, doit ainsi accepter, pour accéder à ce droit, de ne pas être remboursé.  http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/secretevaluation.pdf?download=1

Le recul du droit au secret s’est poursuivi avec l’introduction de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) en 2005, qui,  toujours à des fins de contrôle et d’évaluation, introduisait une codification plus précise, permettant, dans un grand nombre de cas, de connaître la raison exacte de la consultation, cette information étant directement transmise aux Caisses d’assurance maladie, c'est-à-dire à du personnel administratif, sous peine de non remboursement .
Les juristes ont commencé alors à penser que le secret médical avait vécu http://droit-medical.com/perspectives/9-variations/35-secret-medical-n-est-plus

La convention médicale collective signée le 26 juillet 2011 entre les syndicats et l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM) porte un coup supplémentaire au secret médical autant qu’à l’indépendance des médecins, ces deux aspects étant liés.

Les médecins libéraux, réputés indépendants, sont par ce fait même, peu protégés par le code de déontologie. Les articles 95 et 97 du Code de déontologie, qui traitent de l’exercice salarié de la médecine établissent clairement que la loyauté du médecin salarié doit aller au patient, et que son indépendance professionnelle doit rester intacte.
L’article 95 dispose que : » Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions.
En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. »


L’ article 97 ,dispose que : » Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins. »

C’est précisément ce que les médecins libéraux, moins protégés par le code de déontologie, ont accepté, puisqu’une partie de leurs gains sont liés au respect de normes de prescription.

D’autre part, il n’existe aucune limite « à priori » aux informations que les médecins conseil peuvent demander aux médecins libéraux à des fins de contrôle et d’évaluation. L’article R 315-1-1 du CSP énonce : « Lorsque le service du contrôle médical procède à l'analyse de l'activité d'un professionnel de santé en application du IV de l'article L. 315-1, il peut se faire communiquer, dans le cadre de cette mission, l'ensemble des documents, actes, prescriptions et éléments relatifs à cette activité. « 
Le problème c’est qu’il n’y a pas non plus de limite claire au contrôle ni entre le contrôle et l’évaluation et que l’informatisation, la télétransmission et les DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé), introduisent la possibilité d’une évaluation et donc d’un contrôle permanent et total de l’activité du médecin, effectué par les mêmes personnes, qui sont les médecins conseils.
Ceux-ci ne sont pas des soignants et leurs intérêts professionnels sont étrangers à l’intérêt du patient. Ils peuvent de plus être des agents de droit privé http://droit-finances.commentcamarche.net/legifrance/66-code-de-la-securite-sociale/222640/article-l226-1 et donc peuvent présenter des conflits d’intérêts, car, à la différence des fonctionnaires, ils peuvent travailler aussi pour d’autres employeurs dont les intérêts entreraient en contradiction avec ceux du patient, tels des assureurs privés.
Or la nouvelle convention collective laisse la porte ouverte à la transmission de données nominatives outrepassant largement les besoins d’évaluation statistique, puisqu’il est question, parmi les indicateurs qui conditionnent la prime du médecin, d’instaurer la mise à disposition d’une fiche de synthèse individuelle contenant toutes les informations importantes concernant le suivi du patient (Convention médicale collective tableau p22 http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf )
Il n’est pas explicitement indiqué à qui cette fiche de synthèse est destinée, mais le contexte permet de penser qu’elle pourrait aussi bien être destinée au médecin conseil à des fins d’évaluation, puisque cette fiche est mentionnée dans un tableau d’indicateurs, qui ne concerne pas le patient.
Le conseil national de l’ordre des médecins, lors de sa réunion plénière du 14 septembre  2011, s’émouvait de cette possibilité en ces termes : » Le médecin doit-il réaliser une synthèse médicale pour tous les patients qui l'ont choisi comme médecin traitant pour percevoir la rémunération conventionnelle ou seulement pour ceux pour qui cette synthèse présente un intérêt ?
Par ailleurs, quel justificatif en sera demandé ? L’Assurance maladie aurait-elle accès à ces documents. Ce n’est pas concevable.
A l’heure de la simplification administrative, il conviendrait que cet indicateur ne suscite pas d’obligations inutiles et déraisonnables
Quoi qu’il en soit ces nouvelles dispositions introduisent des conflits d’intérêts supplémentaires, puisque le médecin est rémunéré dans le but d’influencer ses prescriptions.
Le droit au secret a déjà été restreint pour le patient à travers la codification des actes, assortie d’une sanction de non remboursement en cas de refus.
Désormais, le droit au secret médical est menacé au niveau du médecin. Il ne s’agit pas de sanctions pour l’instant, mais d’incitations financières.
En pratique
Dès lors, lorsque, dans la grande majorité des cas, la liberté est laissée au médecin de décider s’ il doit transmettre des information il doit,  se poser des questions pertinentes :
-       Qui demande l’information ?
-       Dans quel but ?
-       Est-ce que cela entre dans le cadre d’une obligation légale ?
-       Quelle information est pertinente ?
-       Quelle information est nécessaire au but recherché ?
-       A qui sera transmise (pourra être transmise ) l’information ?
-       Et surtout : est-ce que la transmission de cette information est faite dans l’intérêt du patient ?
  .
Et si le médecin décide de transmettre l’information demandée, toujours avec l’’accord du patient hors cas particulier des enfants mineurs dans le cadre de la protection de l’enfance et des personnes vulnérable, il doit se limiter aux informations strictement nécessaires au but recherché en prenant en considération le bénéfice du patient.


Pour le médecin : quelles que soient les protestations de confidentialité des médecins conseils des services de contrôle, les médecins libéraux doivent se rappeler que ce sont eux qui sont les dépositaires du secret médical, et qu’il leur incombe de le protéger. A minima, en demandant l’avis du patient avant de transmettre toute information le concernant. Au maximum en refusant de transmettre des données nominatives à chaque fois que la loi ne les y oblige pas.
Pour le patient :  La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) précise que : » Le titulaire d’un DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé) se voit reconnaître le droit de « masquer » les informations qui y sont portées, c’est à dire de les rendre inaccessibles à tous les professionnels, hormis le praticien auteur du document. »
Le mieux est donc pour le patient de discuter en amont avec le médecin traitant des informations  que le patient ne souhaite pas voir figurer sur le DMP. Le patient doit profiter au maximum de cette liberté qui lui est encore laissée de protéger le secret auquel la Convention européenne des droits de l’Homme lui donne droit.
Il est possible aussi au patient de demander au médecin de ne consigner certaines informations que sur un dossier papier personnel au médecin et non transmissible. C’est la pratique des « notes personnelles ». Celles-ci, placées à part dans un dossier dûment identifié ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie judiciaire.

En conclusion,
Pour beaucoup de juristes le secret médical et le secret  professionnel sont des garants de la démocratie que nous devons protéger http://laure.dourgnon.free.fr/articles/tsa26_2011.pdf
La nouvelle convention médicale, qui occupe une place subordonnée dans la hiérarchie des normes et n’entraîne pas d’obligation légale, agit par des mesures incitatives. Appliquée sans discernement, elle peut éventuellement empêcher le médecin de délivrer les meilleurs soins au patient (normativité des prescriptions) et met potentiellement en danger le secret médical, dont le médecin est dépositaire et reste garant vis-à-vis de son patient.
Le consentement du patient et du médecin à la divulgation d’informations à caractère secret a été obtenue à plusieurs reprises sous la pression (non remboursement pour le patient et incitations financières pour le médecin).
Cette entrave de fait à l’application du droit à la vie privée reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme, pourrait faire un jour l’objet d’un recours, soit individuel, soit de la part d’une ONG en tant que personne morale, devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour mettre fin à ces dérives.
Sources :
-       Conseil Nationale de l’Ordre , article 4 : http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913
-       Convention médicale collective : http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf
-       Légifrance
-       Chiché P, docteur d’Etat en droit, « Le secret médical face à la justice », Bulletin juridique de la Santé publique, février 2005.
-       Site du CNIL, http://www.cnil.fr/
-       Verdier P, « Secret porfessionnel et partage des informations « , revue d’action juridique et sociale novembre 2005

vendredi 9 mars 2012

Brève sur le carcinome canalaire in situ.

Je suis tombé sur cette image dans un article du British Medical Journal (ICI).


Je ne vous ferai pas de commentaires sur l'article lui-même, sur les rapports entre le carcinome canalaire in situ et la fréquence des cancers du sein, entre le carcinome canalaire in situ et le dépistage mammographique, ni sur la façon de traiter ou de sur traiter ces pré cancers, ces cancers ou ces non cancers, selon que l'on pense qu'il s'agit d'un pré diagnostic, d'un diagnostic ou d'un sur diagnostic, non, j'ai été frappé par la fragilité de ces schémas et j'ai imaginé les aiguilles entrant par effraction et disséminant des cellules un peu partout dans des tissus potentiellement sains.
C'est tout.

mardi 6 mars 2012

Un impossible point de vue unique. Histoire de consultation 113.


Madame A, 38 ans, ne va pas bien. Son couple ne fonctionne plus. Je connais l'histoire mais c'est la première fois qu'elle m'en parle vraiment. Nous sommes assis, elle dans une des trois chaises qui font face à mon bureau et moi, dans mon fauteuil tournant et basculant. Je la laisse parler en tentant de me comporter comme un écoutant neutre (je fais attention à la position de mon corps, de mes mains, de mes pieds, de mes jambes, des traits de mon visage, je repense à toute allure à ce que j'ai lu sur la question, me félicitant de ne pas voir de barbe ou de moustache derrière lesquelles j'aurais pu me cacher...), un écoutant neutre que je ne suis pas car je connais une partie de l'histoire de cette femme, une partie de l'histoire de son ex mari, une partie de l'histoire de ses enfants, de son nouveau compagnon, de ses parents, de ses frères et soeurs, et cetera.
Neutralité, empathie, l'éternel problème non résolu, sans compter l'antipathie et le reste.
Et ainsi, me dis-je, tout en l'écoutant et en faisant attention à mon apparence, et ainsi me présenté-je, enfin, je le crois (je ne suis pas filmé et, le serais-je que, sans nul doute, je changerais d'attitude, je jouerais au médecin filmé se conformant à son surmoi personnel et au surmoi sociétal considéré comme il faut, ou comme il considère qu'il doit être), et ainsi me positionné-je (au sens littéral du terme), comme le médecin normal, normalisé ou normativé dont je n'aurais pas honte si je savais que j'étais filmé.
La patiente parle et je pense à l'article de Prescrire (Psychothérapies chez les adultes : les principales approches. Rev Prescrire 2012;32(341):224-6)) en me disant, à toute allure, que je suis loin du compte. Car, comme Monsieur Jourdain, je fais de la psychothérapie sans le savoir. A moins que la psychothérapie sauvage que je pratique ne soit plus dangereuse que bénéfique (Ah, maître Balint, combien de bonnes volontés empathiques as-tu, à juste titre, détruites...)... L'article de Prescrire est, comme souvent, d'une neutralité désespérante et, en tous les cas, me désespère par sa sécheresse et son manque d'emphase, tout autant que par son accumulation de lieux communs que je cite pas ici mais que vous retrouverez, égrenés, ici ou là.
Rappelons ici les psychothérapies recensées par Prescrire : psychanalytiques, psychodynamiques, à orientation familiale ou systémique, expérientielles et dynamiques, cognitives et comportementales... Gageons qu'il ne s'agit pas d'un catalogue exhaustif et que les mages déguisés en médecins ou en psychothérapeutes, à moins que cela ne soit l'inverse, les gourous s'avançant sous le masque de la médecine ou du bon sens transactionnel, du bon sens gelstatien, neurolinguistique ou hypnotique, primal, sophrologique et autre, soient légion et envahissent l'espace mondialisé du multiculturalisme, sans compter le New Age et autres tendances en ces temps terminaux... envahissent les cabinets où s'exerce la médecine ou la psychothérapie...
Où en étais-je ?
Eh bien, ici : la déconstruction du monde s'accompagne obligatoirement d'une déconstruction des certitudes. J'écoute cette femme et je me dis qu'il faut, nécessairement, avoir un point de vue pour être efficace. Cette phrase que j'ai prononcée en silence ne me plaît pas. Elle ne me plaît pas car, telle quelle, elle demande de nombreuses explications.
Les personnes les plus intéressantes que j'ai rencontrées, aussi critiquables qu'elles aient pu être par d'autres aspects de leur personnalité, avaient toujours un point de vue affirmé. Il ne faut pas confondre point de vue et idéologie : le point de vue peut changer comme lorsque l'on se promène en montagne et que l'on passe d'une cime à une autre, d'une crête à un reposoir, d'une paroi à une prairie, alors que l'idéologie a besoin d'un observatoire immobile, une sorte de forteresse des idées d'où peuvent partir des flèches voire des obus et peu accessibles à ces mêmes flèches et à ces mêmes obus.
Le point de vue est, comme son nom l'indique, un regard sur le monde. Ici : un regard sur une patiente. Et je constate avec tristesse que je n'ai pas de point de vue, que je patauge, je n'ai que mon simple point de vue et qu'il est difficile d'aider quelqu'un sans que l'esquisse d'une stratégie apparaisse dans mon esprit. Je suis en phase de déconstruction.
Quel point de vue adopter avec cette femme ? Faut-il que je passe en revue la description prescririenne ? Faut-il que j'adresse cette patiente à un des tenants de ces écoles de pensée ? Cela va être coton. Où se cachent-ils ? Où nichent-ils ? Dans combien de temps, le rendez-vous ? Combien cela va-t-il coûter ? Même les psychiatres d'obédience freudienne sont difficiles à trouver.
Et mon point de vue, dans tout cela...
J'écoute la patiente, j'interviens au minimum, du non verbal, des grognements, des oui, des non, il va bien falloir que je me décide à faire quelque chose. Qu'attend-elle de moi ? Simplement que je l'écoute ? Que je lui fasse penser à son père ? A son absence de zizi ? A ses relations intra utérines avec sa mère ? Je m'arrête là. Faut-il donc que je m'attelle spécifiquement à ce problème de couple ? Que je lui dise comment se comporter quand son mari est indifférent, moqueur ou dédaigneux ? Que je lui parle des propres rapports de son mari avec sa mère ?
Madame A parle.
Je l'écoute.
Il va bien falloir que je me manifeste.
Quel est mon point de vue ?
Je me dis, en contradiction avec moi-même : il n'y a jamais de point de vue unique.
Je pense aux controverses sur l'autisme.
Quelles sont les origines de l'autisme ? Y a-t-il des étiologies multifactorielles ? Y a-t-il des solutions multifactorielles ? Y a-t-il une politique des points de vue ? Peut-on aborder ces enfants selon un point de vue purement analytique (avec des versions pures, freudiennes, lacaniennes, jungiennes), purement génétique, purement neuroscientifique (des IRM et des biopsies cérébrales), purement viral (le vaccin contre l'autisme), purement social, purement politique, purement lutte des classes, purement religieux, purement anthropologique (Leroi-Gourhan qui a si bien écrit sur le passage des hominiens en position debout), purement ethnographique  (Claude Levi-Strauss qui a écrit tout et son contraire mais de façon tellement géniale ou Maurice Godelier) ?, purement médical (depuis la médecine holistique jusqu'à la chimiothérapie), purement patriarcal, purement anti psychiatrique (mon vieux Ronald Laing, où es-tu ?), purement psychologique, purement mimétique (René Girard est prêt à nous pondre une mise au point éclairante), purement sociologique (à moi, Bourdieu, deux mots), purement neurolinguistique ou linguistique tout court... purement romanesque (j'oubliais mon cher Kundera)... Mais j'oublie le point de vue démographique (le rôle de la transition dans l'apparition de l'autisme...) ou celui, beaucoup plus évident, de l'enfant désiré de Paul Yonnet... ou de la sémiotique barthienne (pas barthesienne)...
Que fais-je, en contemplant le tableau désespéré de l'immensité de mes méconnaissances ? Je pense au burn-out, à l'EBM, au blocage des honoraires médicaux pendant six ans et au dernier point de vue sur le Mont-Blanc vu à Avoriaz.
Je reviens à la patiente.
Je pense à ceci : le dosage du PSA à titre de dépistage est une immense loterie où il n'y a que des perdants et, pourtant, je ne peux vous parler à propos du cancer de la prostate d'une étiopathogénie multifactorielle et rameuter les "maîtres"... Sauf qu'en ce cas il faut parler ethnie, statistiques... études truquées ou contaminées...
Donc, la patiente qui me raconte que son couple va mal, est en plein tirage à la loterie des idées, quel numéro va-t-elle tirer ?, et j'ai une trouille féroce de faire ce qu'il ne faut pas faire ou prononcer la phrase que la malade, même quand elle fera un Alzheimer dans trente ans, n'aura pas oubliée, ou dire des mots qui influeront toute sa vie...
Servitudes et grandeurs de la médecine générale qui se pose des questions sans réponses.
Mon point de vue ? Essayer de ne pas être dupe de moi-même et de mes a priori, surtout à propos d'une femme qui a du mal avec son mari.
Cette femme n'a donc pas d'enfant autiste, n'a pas de prostate et va sortir du cabinet sans médicament.
Pas de point de vue, pas de solution, pas d'interprétation univoque, une femme qui cherchait mon aide et qui n'a cessé de parler sans espoir à un être neutre en train de l'écouter en tentant de ne pas influer sur son discours, non par empathie mais par incompétence...
Reviendra-t-elle me voir quand je serai reconstruit, avec un point de vue à facettes, avec des diagrammes et des algorithmes pleins la tête, des explications rationnelles, des néologismes pertinents (réactance, résilience et autres "trouvailles" modernes) à pouvoir fournir à adresser pour jouer au malin neutre et empathique.
On devrait, après avoir découvert une théorie qui explique tout (ou presque) s'arrêter là, cesser de lire, s'en tenir à une explication plausible, à un point de vue simple, pas complexe pour un sou, cela permettrait de mieux dormir le soir, et... d'aider les patients.
Inventer la médecine facile.

mardi 28 février 2012

Une médecine folle issue d'une société qui est folle.


Je viens de lire un post qui va calmer mes ardeurs pour un moment, je veux dire mes ardeurs d'éternel râleur parlant de son métier. Mais en tentant de ne pas faire de démagogie car ce que j'ai lu est tout à fait atypique et ces pratiques ne devraient pas exister. Puis, après réflexion, je n'ai pu m'empêcher de râler.
Il est donc nécessaire que vous lisiez, auparavant, le post de Genou des Alpages : ICI. Ce n'est pas un ami, juste un ami blogueur, et j'ai déjà pu constater combien ses analyses étaient pertinentes. J'ai dû relire le post pour sortir de ce mauvais rêve. Et la deuxième lecture m'a amené à me dire que j'avais déjà fait ce que Genou des Alpages avait fait et que c'était tout ce que j'exécrais dans la médecine. Mais mon activité actuelle, bien plus calme, est tout aussi exécrable : de la médecine générale pépère.

Cette journée de travail de mon collègue me suggère plusieurs réflexions.
  1. Cela me rappelle quand j'étais externe et, plus tard, quand j'étais interne de chirurgie (je vous rassure, cela m'a passé) et... quand j'étais jeune. Cela me rappelle l'excitation des urgences, la fièvre des malades qui arrivent de partout, le manque de lits, le manque d'aide extérieure, les journées à n'en plus finir, les sandwichs, les cigarettes (à l'époque on fumait), l'épuisement de la fin de journée (on ne parlait pas encore de burn-out), le lit de garde, les infirmières fatiguées, les familles attendant dans la salle d'attente en espérant que le jeune interne pourrait les rassurer, les interrogations existentielles d'un jeune ignorant, les tonus sans âme, les pompiers avec leurs grosses bottes crottées (on était aussi à la campagne), les urgentistes sérieux comme des prix Nobel, l'excitation et la peur de la salle d'opération, l'adrénaline mélangée à la sueur...
  2. Cela me rappelle, une journée comme cela, que c'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de ne pas faire carrière à l'hôpital (il y en avait d'autres) : cette excitation, cette absence de recul, ce sentiment de faire partie d'une élite, cette sensation de faire de la "vraie" médecine (ici de la chirurgie sur l'autoroute du sud), cet orgueil de faire beaucoup d'heures, parfois 48 heures de suite, et d'arriver claqué chez soi mais satisfait de soi-même parce que "l'on avait vécu".
  3. Cela me rappelle donc que c'est aussi de la médecine de merdre (ce n'est pas une critique contre mon confrère, pas du tout, c'était de la médecine de merdre car j'étais un jeune interne de chirurgie qui ne savait pas le centième de ce que je sais aujourd'hui, qui ne connaissait pas le millième de ce que je sais de la médecine, des malades, des essais cliniques et de mon rôle dans la société. J'étais un jeune khon enflammé par sa propre importance, un jeune khon qui ne réfléchissait pas, qui agissait sans se poser aucune question sur le rôle qu'on me faisait jouer) que cette médecine d'urgence dans un centre hospitalier de troisième zone avec des chirurgiens dans le même métal qui nous ont appris pourtant à nous faire des trous dans l'estomac à cause de la trouille de mal faire.
  4. Cela me rend inimportant moi qui, désormais, ne sais plus ce qu'est une vraie urgence, moi qui ne sais plus comment on réduit une fracture (on me dit que ça revient vite), comment on déluxe une épaule, comment on fait des points de suture sur un visage d'enfant, moi qui ne connais que les semi urgences, qui ne connais que la prévention à moyen et long terme, et cetera, et cetera. Je ne fais donc pas la même médecine et, le soir, je suis simplement crevé, je n'ai pas sauvé de vie...
  5. Cela me renvoie à mes propres journées exténuantes où j'ai l'impression, après avoir lu ce post de montagne, de ne faire que de la petite médecine, de la médecine de salon, de la médecine mondaine, même si mes patients n'ont jamais vu un salon de leur vie, ne connaissant que les usines ou les entrepôts et les cages d'escalier bruyantes. Et cela me renvoie à ma propre incompétence liée à mon excès d'heures au cabinet, mon excès de patients, de patients qui viennent me voir alors qu'ils ne sont pas malades, alors qu'ils sont peu malades, alors qu'ils pourraient se traiter tout seuls. Et, excuse-moi, Genou des Alpages, comme il est difficile de faire de la "bonne" médecine dans mon cabinet de médecine générale quand on voit trop de malades, même des malades qui ont des angines, de l'hypertension artérielle, "du" cholestérol ou un kyste synovial, c'est à dire des malades qui pourraient guérir tout seuls, est-il possible de faire de la "bonne" médecine à ton rythme effréné et urgent ?
  6. Je ne le crois pas.
  7. Et je voudrais dire ceci : je reviens des sports d'hiver, je reviens d'une station qui a été construite dans la montagne à partir de rien, il n'y avait que des troupeaux l'été et personne l'hiver, je reviens des sports d'hiver, de "ma" région, du moins celle de mon père, la Haute-Savoie, j'y ai vu une débauche de lumières, de tenues de ski extravagantes, un déluge d'assiette du skieur avec des milliards de calories, un déluge de dégâts environnementaux (et on continue de construire), un déluge de luxe, d'énergie, d'équivalents pétrole, une noria de ratracks et de motos des neiges, mais aussi, il faut le dire, un déluge de rires d'enfants et de sourires de gens heureux d'être à la montagne, de citadins venant dépenser leur argent dans les montagnes, eh bien, le fonctionnement de ton cabinet, Genou des Alpages, est la conséquence de cette incurie, la conséquence de la folie des hommes qui ont construit des villes à la montagne... la conséquence de l'envahissement de toute la nature par les activités humaines jusqu'à la destruction finale.
  8. Et je n'ai pas parlé, non plus, de l'exploitation des saisonniers, de leurs conditions de travail, de leurs conditions d'hébergement, de leur douce alcoolisation et tabagisation... les perchistes, les barmaids, les cuisiniers, les plongeurs, les pisteurs, les poubelliers.
Donc, Genou des Alpages, chapeau bas.
Mais tu es quand même le soutier d'une société folle qui a décidé, définitivement, de foncer dans le mur. Tu es le versant chevaleresque de la médecine générale qui meurt partout où elle est exercée alors que je suis le soutier de la médecine générale de banlieue.

(Un grand patron - Yves Ciampi - 1951)