J'ai assisté aujourd'hui à la remise des prix Prescrire (la Revue s'est impliquée, depuis 2006, dans la critique de la politique de dépistage organisé du cancer du sein en France comme dans le monde à partir des études de la littérature) et j'ai pu entendre, comme de nombreux participants, un exposé limpide de Peter Götzsche de la Cochrane Nordique, sur l'inutilité des programmes de dépistage pour faire baisser les mortalités spécifique et globale (ICI pour l'exposé et LA pour les diapositives).
Heureusement, les données que nous a fournies notre ami danois, et vous ne pouvez me voir rougir de confusion, je les ai déjà rapportées en différents posts de ce blog. Ce sont des données connues. Ce sont des données avérées. Mais le ton de l'orateur, sa connaissance du sujet et son français étonnant de simplicité ne pouvaient manquer de nous conforter dans ce que les partisans du dépistage appellent nos croyances dans l'inutilité de ce dépistage.
Je voudrais rappeler trois points sur lesquels je n'ai pas assez insisté dans mes posts : Le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de cancers métastasés ; le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de mastectomies (et bien au contraire) ; le dépistage organisé ne réduit pas la mortalité par cancer.
La dernière parution du BEH (Bulletin Epidémiologique hebdomadaire) consacré aux résultats du dépistage du cancer du sein par mammographie (ICI) est, il est possible de faire plusieurs choix, une aberration, un scandale, une entreprise désespérée pour défendre le programme français de dépistage, la dernière khonnerie de Françoise Weber (avant, on choisit, sa démission ou son limogeage).
Elle a publié un numéro costaud. Le genre de pavé incontournable que l'on ne peut recevoir qu'en pleine figure. Et sans l'avoir lu.
L'InVS, non content de publier des auteurs maisons et aux ordres,
et je vous ai déjà entretenu de l'expert mongering (LA), procédé qui consiste en France et pour ce qui concerne les agences gouvernementales (il existe aussi un expert mongering lié à Big Pharma dont les modalités sont un peu différentes et que je vous ai déjà décrit), à embaucher de jeunes universitaires, parfois bardés de diplômes mais parfois copains du gars qui vu le gars, qui n'ont rien publié auparavant ou de vagues articles universitaires sans intérêt -- il suffit de jeter un oeil sur PubMed, ICI, et, promis, j'ai extrait le nom Exbrayat C au hasard --, et à leur faire publier des articles dans des revues maisons, sans regards extérieurs critiques, comme le BEH, qui prennent de la valeur ajoutée, c'est à dire qu'ils sont indexés dans les bases de données, parce qu'ils émanent d'une Agence Gouvernementale...
publie un texte de Stephen Duffy, éminent chercheur qui défend le dépistage depuis des années et très récemment encore (voir ICI un commentaire du BMJ de son article publié dans un supplément de revue J Med Screening 2012;19:suppl 1.), avec des analyses statistiques hypercomplexes et comprises de lui seul, très critiqué un peu partout dans le monde mais aussi en raison de ses conflits d'intérêt. Avouons cependant, et au delà de l'opinion que j'ai moi-même sur la question, que Duffy et Götzsche ne s'aiment pas beaucoup : voir LA un commentaire du second sur le premier.
Pour que l'on ne dise pas que je suis partial et que ce que je dis est malintentionné je voudrais vous donner les exemples suivants sur ce numéro du BEH :
- Je passe sur l'éditorial de Corinne Allioux qui est un plaidoyer pro domo, ce qui peut se concevoir comme figure de style habituelle dans une présentation, mais qui, bien entendu, élimine tout commentaire critique éventuel. Il est clair que ses fonctions (Présidente de l’Association des coordinateurs de dépistage (Acorde) ; médecin coordinateur de la structure de gestion de Loire-Atlantique) la rendent d'emblée pertinente pour développer une argumentation balancée. Mais Big Pharma a parfois plus de clairvoyance.
- Premier article qui est, pour le coup, un plaidoyer sans nuances pour le dépistage organisé français et dont les 4 signataires sont des membres de droit du Comité Central représentant la DGS (déjà citée), une association de dépistage, l'INCa et l'InVS. On y apprend, au détour d'un paragraphe dans ce qui devrait être une discussion mais qui n'est qu'un plaidoyer pour l'extension du dépistage à d'autres tranches d'âge, que la DGS a plusieurs fois interrogé la HAS ou ses enfants sur les possibilités d'extension ! Comme l'a dit Peter Götzsche au hasard d'une réponse : la santé publique n'est pas faite pour les malades mais pour ce qui pourra en être dit au Parlement.
- Le troisième article est de l'épidémiologie descriptive basique et l'on apprend, je cite,
Les évolutions d’incidence observées reflètent probablement l’action com- binée de plusieurs facteurs (facteurs de risque, dépistage et techniques diagnostiques). Cependant, l’interprétation de ces données descriptives est complexe et doit rester prudente.. Sans rire, comme on dit dans le Canard Enchaîné. - Article inintéressant, puisque non contradictoire, sur l'évaluation du programme de dépistage français entre 2004 et 2009, et rédigé par trois membres éminents de l'InVS. On n'est jamais mieux servis que par soi-même.
- Article écrit par ceux qui organisent le dépistage sur la spécificité et la sensibilité du programme : et que croyez-vous qu'il arrivât ? C'est génial !
- Article "extérieur" de Stephen Duffy et collaborateur. L'article dit en gros que le sur diagnostic peut être évalué à 10 % et que les bénéfices l'emportent sur les inconvénients. Rappelons ici que Bernard Junod à partir de données françaises (ICI) et Jorgesen et Götzsche (LA) à partir de données danoises évaluent le sur diagnostic à 50 % !
Bon, je m'arrête là, cela devient fastidieux, car il y a encore 3 articles qui tentent d'enfoncer le clou et qui, nonobstant le travail qu'ils ont dû générer, ne sont pas très intéressants.
Cette réunion organisée par Prescrire s'est aussi interrogée, par l'intermédiaire de certains de ses participants, et sans y répondre à ces questions : Doit-on tout arrêter maintenant ? Doit-on jeter le bébé avec l'eau du bain ? Comment les dépisteurs pourraient-ils faire pour renoncer sans perdre la face ?
Il est possible que ce soit le paradigme lui-même qui soit en cause, la croyance en l'efficacité du dépistage et la croyance en la nécessité de "ne pas perdre de temps".
Je voudrais terminer sur une diapositive de Peter Götzsche qui résume les croyances des femmes (et je dirais des médecins hommes ou femmes) sur le dépistage du cancer du sein que l'on nous a serinées depuis des années, croyances que notre ami réfute et, parfois, malgré les faits, il arrive que certains d'entre nous résistent.
- Croyance 1 : Dépister tôt, c'est mieux. Les faits : En moyenne les femmes ont un cancer du sein qui évolue depuis 21 ans quand il atteint la taille de 10 mm.
- Croyance 2 : Il vaut mieux trouver une petite tumeur qu'une grosse. Les faits : Les tumeurs détectées par dépistage sont généralement peu agressives ; aucune réduction du nombre de tumeurs métastasées n'a été constatée dans les pays où le dépistage est organisé.
- Croyance 3 : En identifiant les tumeurs tôt un plus grand nombre de femmes éviteront la mastectomie. Les faits : Non, un plus grand nombre de femmes subiront une mastectomie.
- Croyance 4 : Le dépistage par mammographie sauve des vies. Les faits : Nous n'en savons rien et c'est peu probable, par exemple la mortalité par cancer est la même.
Et je vous résume ce que j'ai déjà publié ici et là (pardon pour ces redites) qui est tiré des travaux de la Collaboration Cochrane :
"Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."
(Illustration : Peter Götzsche)
PS du 14 octobre 2012. Peter Götzsche répond indirectement au BEH : ICI
PS du 22 novembre 2012 : un article du New England J of medicine fait le bilan de trente ans de dépistage du cancer du sein aux EU (LA) : With the assumption of a constant underlying disease burden, only 8 of the 122 additional early-stage cancers diagnosed were expected to progress to advanced disease.
PS du 29 novembre 2012. Une partie des réactions à l'article du Lancet sus-cité : LA
PS du 14 octobre 2012. Peter Götzsche répond indirectement au BEH : ICI
PS du 22 novembre 2012 : un article du New England J of medicine fait le bilan de trente ans de dépistage du cancer du sein aux EU (LA) : With the assumption of a constant underlying disease burden, only 8 of the 122 additional early-stage cancers diagnosed were expected to progress to advanced disease.
PS du 29 novembre 2012. Une partie des réactions à l'article du Lancet sus-cité : LA