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mardi 25 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La nuit de tous les dangers. 37

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

37

La nuit de tous les dangers.


Tout le monde commente la lecture de David Semiov avec gourmandise. « Il raconte toujours la même chose… C’est un complotiste… Comment peut-il dénoncer les conflits d’intérêts en étant lui-même payé par une fondation privée qui finance aussi des activités douteuses ?... » Mais la majorité des congressistes, les sachants comme les ignorants, ceux qui ont travaillé avant de venir, ceux qui travaillent sur place et ceux qui sont là pour le plaisir, ne pensent qu’à une chose : avec qui vont-ils passer sexuellement la fin de la soirée ?

Brébant comme Gers, sans compter les autres, trouvent que l’auteur y va un peu fort, tous les congrès et séminaires de travail ne sont pas des foires sexuelles en plus d’être des foires commerciales ! On connaît aussi des congressistes du bout du monde ou de Romorantin qui se morfondent dans leurs chambres en lisant le dernier livre de Pierre Lemaitre ou en regardant des conneries sur leur tablette. Pas tous, comme on dit. L’auteur y va un peu fort car imaginons un peu que les femmes respectives de nos deux héros lisent « Le congrès à Chicago » et identifient leurs maris à ces deux personnages de roman ! Ils auraient beau protester, dire qu’il n’est pas vrai, qu’après avoir mangé une pizza à Pizzeria Uno ou chez Giordano’s ou un hot dog chez Portillo’s, ils se sont retrouvés au lit, Gers avec Edmée Vachon (que son mari nous pardonne) après avoir fait des avances, pour rire, à Florence Maraval et Brébant avec Sophie Branus (idem pour le mari) qui ne regrette pas d’avoir abandonné un obscur PU-PH futur chef de service ayant autant de charme qu’un document de la HAS. Milstein retrouve sa jeunesse avec Ursula après avoir avalé son tadalafil quotidien. La professeure Marie Carmichael qui, après avoir trop mangé en compagnie d’autres cancérologues invités par un laboratoire danois et après avoir repoussé les avances d’un directeur du marketing entreprenant, est allée retrouver son étudiante favorite pour une courte nuit trop arrosée. John Williams a fini la soirée dans une boîte de go-go danseuses où il a distribué des dollars dans les soutiens-gorges et les petites culottes en voulant faire oublier qu’il est impuissant depuis de nombreuses années. 

Mais tout cela n’est pas vrai, tout cela ne s’est pas passé, que les partenaires restés en France de tout ce beau monde, à part Cora Milstein, se rassurent, ce n’est que le fruit de l’imagination de l’auteur, il s’agit de vantardise des uns et des autres pour faire les malins et les malignes, rien de ce qui a été écrit, et ne parlons pas de Durand, de Sophie Bouloux ou de B., de Claude Martin ou de Steiner ou de une telle ou untel, ne va se passer réellement dans toutes les chambres d’hôtel de Chicago, il y a des gens vertueux et responsables qui savent résister aux tentations de l’industrie et de la chair… Madame Brébant comme Madame Gers peuvent dormir sur leurs deux oreilles, toute ressemblance avec des personnages authentiques ou des expériences vécues ne seraient que le fruit du hasard ou de l’imagination délirante d’un auteur en mal de copie. 


(Pour ceux qui ont manqué les épisodes précédents, c'est LA)


lundi 24 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : David Semiov enfonce le clou. 36

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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David Semiov enfonce le clou.


David Semiov est persuadé qu’il ne lui arrivera pas, comme s’il enquêtait sur les trafics d’armes ou sur la corruption à Malte, d’être renversé par une voiture, de tomber d’un balcon ou de prendre une balle dans la tête, mais il se méfie quand même. Ce n’est jamais arrivé à sa connaissance dans le domaine de la santé mais il suffit d’une première fois et il préfèrerait que cela ne commence pas par lui.

« … il est probable qu’environ cinq mille articles pourraient être rétractés dès aujourd’hui des grandes revues qui donnent envie à tout chercheur d’être publié. Ce qui devrait vraiment nous inquiéter, mais j’enfonce des portes ouvertes, c’est la facilité avec laquelle de nombreux prescripteurs de la planète, influencés par les commerciaux des industriels et des éditeurs, adoptent de nouvelles thérapeutiques sur la foi, si j’ose dire encore, d’études trompeuses, truquées, manipulées, et dont les critiques sont rarement publiées dans ces mêmes revues. Insistons sur le rôle des réseaux sociaux qui sont à la fois un relai pour les firmes vantant leurs produits, des études, je l’espère non flouées, l’ont démontré, mais aussi, parfois, le seul moyen pour les commentaires d’être vus et mieux vus que dans des revues protégées par des murs payants… Ce qui est encore plus inquiétant c’est le temps qu’il faut, parfois infini, pour qu’après rétractation d’un article, les prescripteurs cessent de prescrire des produits prétendument innovants… Ce qui incite les chercheurs et les industriels à continuer de publier… Enfin, mon inquiétude vient aussi d’un double processus concernant les essais cliniques. D’abord, les protocoles d’essais sont de plus en plus compliqués à mettre en œuvre, en raison de directives tatillonnes, parfois absurdes et souvent contradictoires, ce que les firmes ne cessent de dénoncer au nom de la simplification de l’accès à l’innovation, mais elles ne disent pas que cela les protège des petites start-ups qui n’ont pas les moyens de les appliquer. Ensuite, les critères d’efficacité des produits tels qu’imposés par les mêmes agences d’enregistrement, ne cessent d’être moins pertinents et exigeants, ce qui conduit à des approbations plus rapides, moins contrôlées et plus douteuses… » (la salle prend sa respiration)

« Puisque je suis devant un public d’oncologues, je pourrais multiplier les exemples où la baisse d’exigence des critères aboutit à des aberrations thérapeutiques et peu de profit pour les malades. (murmures). Voulez-vous, encore une fois que nous parlions des rapports non causaux entre la survie sans progression et l’espérance de vie globale ? Il me paraît nécessaire d’allier deux principes : la prévention quaternaire, c’est-à-dire renoncer à prescrire quand on n’est pas certain que cela sera bénéfique pour le patient et le conservatisme médical qui procède de la même logique, c’est-à-dire continuer de prescrire des thérapeutiques éprouvées tant qu’un nouveau traitement ne s’est pas montré supérieur… »

Une question dans la salle : « Merci pour cet exposé brillant. Pourriez-vous nous dire pourquoi votre activité est sponsorisée par la Fondation J and A Cheers ? »



(Pour reprendre depuis le début : c'est ICI)


dimanche 23 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : David Semiov. 35

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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David Semiov.


De nombreux activistes de la cancérologie, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas comme éléments de langage, le progrès, l’innovation, le changement de paradigme, sont venus assister à la présentation de David Semiov à l’hôtel Marriott. Mais ils ne sont pas les seuls. Des représentants de l’industrie pharmaceutique (le premier qui dit Big Pharma et ici Big Onco est considéré comme un complotiste anticapitaliste et comme une personne indigne de parler de cancérologie) sont également là car Semiov a l’art d’appuyer là où cela fait mal, ce qui donne des idées aux membres des firmes. La conférence s’intitule « Big Data, Big Lies ».

« … le principal problème des publications scientifiques aujourd’hui vient de leur manque d’indépendance…il est désormais très compliqué, voire impossible, de travailler en certains domaines, et le fait que nous soyons réunis ici à l’occasion de l’ASCO… pour faire des recherches il faut de l’argent et l’argent provient des firmes qui souhaitent promouvoir leurs produits… le fait que je sois un journaliste, un journaliste scientifique, est un handicap car un journaliste ne peut être qu’un journaliste dans l’esprit des chercheurs… et ils n’ont pas tort… j’ai donc plusieurs raisons de ne pouvoir être entendu, dont celle d’être prétendument un ennemi de l’industrie pharmaceutique, un activiste anti système ou un dangereux dynamiteur de l’organisation de la santé.... je voudrais encore une fois clarifier mon point de vue avant de vous montrer les derniers chiffres de la fraude scientifique... (murmures dans la salle) … Ma position est claire, tout le monde devrait la connaître depuis longtemps, même si elle a évolué au cours des années : je me moque du capitalisme ou de tout autre système de fonctionnement des sociétés, je m’intéresse aux recherches scientifiques dans le domaine de la médecine et, plus généralement dans le domaine du soin, car ces recherches sont à la base des prises en charge qui sont proposées aux citoyens qu’ils soient bien portants ou malades… Il vaudrait mieux que ces recherches soient de bonne qualité, qu’elles permettent aux soignants de faire des choix judicieux, c’est-à-dire que leurs validités intrinsèque et extrinsèque soient scientifiquement non attaquables… C’est loin d’être le cas…

« …et donc, notre groupe s’attache à tenter de comprendre pourquoi ce n’est pas le cas, depuis la conception des protocoles, le déroulement des essais, leurs interprétations statistique et clinique, leur publication et leur influence sur les autorisations données par les agences gouvernementales… Cela devrait être le job de l’Etat que de contrôler l’activité des firmes dont l’objectif, ce qui n’est pas honteux, est de gagner de l’argent. Tout le monde ne pense qu’à gagner de l’argent… et l’Etat ne fait pas le boulot… La corruption du système est à la hauteur des enjeux financiers. Rappelons que le complexe santéo-industriel représente plus d’argent que le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis et fait l’objet de moins de scénarios violents, criminels et complotistes à Hollywood… 



(Pour lire Le Congrès depuis le début : ICI)


vendredi 21 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La présentation non mouvementée de Pierre Gers. 34

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La présentation non mouvementée de Pierre Gers.


Gers passe en quatrième position dans la session consacrée aux traitements du cancer du ***. La salle est aux trois-quarts pleine car la Firme 1 a battu le rappel des oncologues français et états-uniens afin de la remplir. L’État-major des équipes franco-états-uniennes de ladite Firme est là au grand complet car la présentation des résultats de l’étude fait partie de la politique de communication pour obtenir le plus tôt possible une autorisation de mise sur le marché délivrée aux Etats-Unis par la FDA puis en Europe par l’EMA, l’agence européenne. Tout est normalement cadenassé des deux côtés de l’Atlantique et les experts des différentes commissions sont au taquet pour approuver.

Pierre Gers devrait savoir tout cela mais il ne se doute pas de l’ampleur de la corruption qui règne dans les différentes agences gouvernementales. Il connaît des experts nuls, des experts marrons, le milieu est petit, mais il n’est pas au courant de la façon dont les choses se passent réellement. Il est possible que Gunther Frick, qui présentera demain la deuxième étude pivot sur le trouduculsimab, soit moins naïf et qu’il soit même au centre d’un réseau créé par les grandes firmes pour obtenir ce qu’elles veulent de la FDA : argent gloire et beauté.

Quoi qu’il en soit, il arrive à la présentation de Pierre Gers faite dans un anglais parfait sans la moindre trace d’accent (les anglophones natifs en arrivent à douter qui fait douter du pays d’origine de l’orateur, ce qui pouvait lui arriver de pire : elle passe sans anicroches. Il parle clair, les écrans sont magnifiques, le choix des résultats impressionnant et les deux plaisanteries qu’il a soigneusement choisies pour mettre l’auditoire dans sa poche, l’une au début, l’autre pour conclure, font réagir les participants avec un conformisme étonnant.

Quant aux questions posées par les congressistes, elles sont d’une désespérante monotonie et d’un manque d’alacrité phénoménal, on dirait que Gers n’intéresse personne et que les défauts du protocole qui sautent aux yeux pour un non-profane aient été laissés de côté dans le but de ne pas faire de vagues. 

Les représentants de la Firme sont aux anges car ils s’attendaient à une séance plus tendue, à des questions vicieuses des concurrents, à des allusions perverses à certains aspects des résultats, mais non, rien. Toute la préparation de Gers avec Brébant et les répétitions du dernier moment n’auront servi à rien : les mauvaises questions n’ont pas été posées et le modérateur, un oncologue de Dallas est tellement content qu’il passe à la présentation suivante en délivrant un merci discret à Gers, le Frenchie qui n’a même pas l’élégance de parler avec l’accent de Maurice Chevalier.

Brébant colle une grande tape dans le dos de Gers sans lui dire ce qui est en train de se préparer. Chaque chose en son temps.

- On se faisait des films…

- Oui. Tout ce boulot pour presque rien.

- C’est parce que nous étions prêts qu’il ne s’est rien passé.

Brébant est pourtant préoccupé. 




(Pour lire depuis le début, c'est LA)

                    

jeudi 20 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Avant la présentation de Pierre Gers. 33

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Avant la présentation de Pierre Gers.


C’est le vrai début du congrès pour Pierre Gers. Il fait sa présentation pour la Firme 1 de Brébant (la molécule s’appelle le trouduculsimab) lors d’une séance qui débute à 13 heures 15. Le déjeuner va être bref et léger, un sandwich dans un couloir, car il faut auparavant rencontrer les techniciens de la salle pour s’assurer que le PommeLivreAir est compatible (il y a toujours des surprises informatiques). 

La salle est une demi plénière, environ 2000 personnes si elle est bondée, elle le sera presque mais Gers n’éprouve aucun trac. Il est prêt. Personne d’autre que lui, sinon François Brébant, ne connaît mieux que lui les tenants et les aboutissants de l’essai clinique dont il rédige à la fois le rapport final (pour sa partie) et l’article. En réalité, il ne connaît pas tout sur l’étude, et notamment une ou deux manipulations statistiques pour rendre les chiffres encore plus beaux, malgré toute l’attention qu’il a portée aux différents documents que la Firme lui a donnés. 

Sa matinée est compliquée car il veut quand même assister à des sessions qu’il trouve importantes malgré l’insistance de Brébant qui désire faire une dernière répétition devant quelques membres de la Firme dans une des suites de leur hôtel. Il finit par s’incliner. Mais à huit heures du matin. Les répétitions, mais Gers n’est pas capable de tout remarquer, faites devant les membres des staffs sont une leçon de sociologie entrepreneuriale. Il y a ceux qui savent, ceux qui ont le pouvoir, ceux qui mettent leur grain de sel, ceux qui tentent de marquer leur territoire, ceux qui ne pensent à rien mais qui font semblant de penser, et cetera. C’est donc pénible. Quand il n’y a pas des remarques (déplacées) sur la couleur des diapositives ou sur la casse utilisée… Gers qui n’avait pas le trac commence lui-même à se mettre la pression de façon inconsciente et d’autant plus que Gunther Frick a été convié pour se mettre dans l’ambiance et ajuster sa future présentation. La répétition aurait dû l’aider, elle le paralyse. 

Quant à Edmée Vachon, dont on saura plus tard qu’elle est en relations directes avec le CEO de la Firme 1 pour des contrats de développement, elle a décidé de ne pas lâcher Gers d’une semelle et jusqu’au soir quand il ira se reposer après une journée aussi éprouvante.

A vingt heures, il y aura une présentation à l’Hôtel Marriott de David Semiov, celui qui a fondé le site « Data Lies », qui parlera sans cesse et pour la millième fois de toutes les manipulations des auteurs d’articles pour truquer les résultats des études qu’ils publient, avec ou sans firmes pharmaceutiques pour les aider. Gers s’y est inscrit. Il espère que la directrice de Gustave Roussy n’a pas eu la même idée que lui. Mais participer elle-même à une telle réunion serait reconnaître l’importance de Semoir, il n’y aura donc qu’un sous-fifre de l’IGR pour recueillir des informations sur l’état d’esprit des gauchistes états-uniens. Quant à Brébant, il se moque de Semiov comme de sa première randomisation.



(Pour lire depuis le début, c'est ICI)


mercredi 19 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Marketing mix journalistique. 32

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Marketing mix journalistique.


Tout le monde s’accorde à dire, même ceux qui ne comprennent pas bien l’anglais et qui n’ont fait aucun effort pour ne pas s’endormir pendant les présentations, ceux qui ont fait semblant de comprendre la polémique Williams Fallahi, ceux qui n’ont pas pris de notes, ceux qui ont pensé à autre chose, que cette demi-journée a été riche d’enseignements. 

Bouloux, la journaliste du Monde a bouclé et adressé son premier article titré « L’ASCO, la messe de l’oncologie » où elle répète son marronnier des années précédentes sur les formidables avancées des traitements contre le cancer, les fantastiques progrès en termes de survie, sur les cancers diagnostiqués tôt qui guérissent… Nous sommes passés de l’heure de la survie à celle de la guérison et les spécialistes de la question, ceux de l’Institut Curie comme celles de l’Institut Gustave Roussy qu’elle a interrogés, assènent que si les gouvernements veulent bien investir massivement, prévoient le cancer disparaîtra dès le milieu du vingt-et-unième siècle… 

Durand a enregistré une courte vidéo pour Santé Matin où il développe la même ritournelle sur les biomarqueurs qui permettront, dans un avenir proche, de détecter les cancers avant même qu’ils ne se déclarent, avec les conséquences que l’on en tirera pour la santé humaine… On imagine les patients actuellement en chimiothérapie, radiothérapie et autres gracieusetés, voire ceux qui regardent la télévision dans leurs chambres peintes en bleu pâle dans une unité de soins palliatifs, qui savent qu’ils vont mourir pour rien, comme les morts du 11 novembre 1918, parce qu’ils sont nés trop tard et qu’ils n’ont pas pu profiter des dernières données de la science qui bannira la mort par cancer.

Gers a travaillé tard pour envoyer son premier compte-rendu de congrès à Allo ASCO qui paraîtra en ligne au milieu de l’après-midi et qui sera repris par plusieurs organes de la presse médicale sponsorisée, celle qui ne dit que du bien des molécules, qui ne parle jamais des effets indésirables et a fortiori pas de leurs éventuels dommages collatéraux et dont les articles élogieux sont accompagnés de publicités achetées par les laboratoires concernés.

Milstein, épuisé par le décalage horaire, Ursula et le poids des responsabilités, est allé dîner dans un restaurant célèbre de Chicago avec le PDG de la Firme et deux collaborateurs qui n’ont cessé de lui cirer les pompes en lui promettant un avenir encore plus radieux mais il n’a cessé de penser à sa présentation en redoutant des questions tordues auxquelles il a ensuite rêvé toute la nuit.

Brébant a téléphoné à sa femme, il était sept heures du matin en France, pour lui dire que tout allait bien avant de faire frénétiquement le tour des chaînes en se demandant à quel moment il allait trouver le sommeil.

Quant à Madame Cora Milstein, la femme de Norbert, elle est arrivée incognito à Chicago avec son grand fils et elle loge dans un hôtel discret du loop.


(Pour lire le congrès depuis le début, c'est LA)

mardi 18 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux. 31

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux.


Au Sports Bar près de McCormick les conversations vont bon train. L’intervention d’Afshâr Fallahi est au centre de toutes les propos. Des oncologues français se sont réunis pour boire un coup alors qu’il est deux heures du matin à Paris et n’en reviennent pas. Qui aurait pu, en France, interpeler le tsar de la cancérologie dans un congrès ? Les écrans sont remplis d’images des play-off de la NBA. Guthi, un Indien qui a appris le français à Pondichéry avant d’émigrer : « Ici, le monde de l’oncologie est fragmenté et les places ne sont pas acquises. Il est possible de voir émerger des jeunes loups qui veulent bousculer les mecs en place. Il y a plus de 13 000 oncologues et partout dans le pays ! Se faire remarquer attire l’attention de tous, des universitaires comme des industriels qui aiment les rebelles, ce qu’ils appellent la fameuse disruption qui mène à Steve Jobs, il leur arrive donc de tenter le coup en pensant qu’ils pourraient émettre une idée ou deux qui pourraient aboutir à un blockbuster… » 

Pour des membres de l’industrie comme Brébant, cette intervention musclée d’Afshâr Fallahi est un signal fort et une alerte maximale : il est nécessaire de rendre les présentations encore plus blindées et parfaites même s’il n’est plus possible de modifier les protocoles, pour être prêts à affronter de telles attaques. Si le jeune oncologue a osé réagir contre un des pontes de la cancérologie états-unienne dont les pots-de-vin industriels se mesurent en centaines de milliers de dollars annuels, d’autres sont capables de le faire plus facilement lors de présentations faites par des Européens. 

Milstein est inquiet. Il a passé un coup de fil à Gers comme aux représentants de la Firme afin d’organiser une réunion de plus pour bien se caler. Il a la trouille de se planter et surtout d’avoir à affronter une salle hostile avec des questions compliquées pour lesquelles il aura du mal à répondre, certes pour des raisons scientifiques mais aussi à cause de la langue. Une des solutions, mais elle est difficilement envisageable, serait que Pierre Gers se charge de l’affaire… Milstein ne pourrait s’y résoudre. Les représentants de la Firme pensent qu’Afshâr Fallahi s’est plus tiré une balle dans le pied qu’il n’a fait du mal à la molécule présentée : le boulot des firmes est justement de passer outre et de communiquer du lourd à la valetaille qui n’est pas au courant des intrigues de couloir. Des conférences, des dîners, des voyages, des cadeaux et de la visite médicale rapprochée permettront aux prescripteurs d’oublier Afshâr Fallahi et de le faire passer pour un vulgaire empêcheur de tourner en rond. Ce sera donc Milstein qui présentera et la Firme se fait fort de le préparer jusqu’au dernier moment à être le brillant patron qu’il se pense être. Finalement Afshâr Fallahi permet à l’industrie de remettre à leurs places les patrons qui pensaient être intouchables et pouvoir se passer de la force de frappe marketing des industriels. 

Quant à François Brébant, il rêve qu’un cancérologue français puisse avoir en public les couilles d’Afshâr Fallahi. Ce serait un merveilleux sujet de papier, pense-t-il, pour Bouloux et Durand… Mais les journalistes grand public n’ont justement pas de couilles.


(Pour lire depuis le début : LA)


lundi 17 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Un Français parle aux Français. 30

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

30

Un Français parle aux Français.


Il est temps de se précipiter dans une salle annexe, les horaires sont serrés, où va avoir lieu la présentation d’un ponte français de la cancérologie sur les possibilités des biomarqueurs comme facteurs prédictifs de la survenue des cancers. Cette branche de la recherche a toujours suscité de nombreuses attentes et de nombreux financements. Qu’y a-t-il de plus excitant qu’à défaut de prévenir les cancers on puisse les détecter le plus tôt possible et les traiter avant même qu’ils ne se manifestent ? C’est du Philip K. Dick et tous les PDG de la planète Pharma rêvent d’être à l’origine d’un coup marketing, ce que les marketeurs à court d’idées appellent un changement de paradigme qu’ils auraient nommé Minority Report… Mais les plus intéressés par ces idées millénaristes, la suppression du cancer à l’horizon 2030 ou à l’horizon 2050, ce sont désormais les richissimes propriétaires des GAFAM, les Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos, ils ont tous dans la manche un projet Zéro Cancer comme pour eux-mêmes une ambition d’immortalité qu’ils réaliseraient dans une planète du système solaire… Les super riches se croient au-dessus des terriens du commun.

La salle est petite, l’assistance clairsemée et la langue la plus entendue est le français. Les grandes institutions gauloises ont battu le rappel mais le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions de notre orateur dont l’ambition planétaire et l’ego démesuré se heurtent à deux difficultés insurmontables et corrélées : un accent déplorable en anglais et une absence de fluidité dans la langue de Springsteen qui frise l’aphasie.

Encore une fois, et François Brébant en est le premier conscient, il existe en France d’excellents chercheurs, d’excellents cliniciens, d’excellents orateurs, en français comme en anglais, mais tout ce beau monde est barré par une élite autoproclamée qui se préoccupe peu des conditions de travail, des conditions salariales et des moyens qui pourraient être mis à la disposition de ces vaillantes petites mains qui pourraient redorer le prestige de services vieillissants.

Qui aurait eu le culot, l’audace, l’insolence, l’impertinence, le chutzpah en quelque sorte, de dire à Dupont-Gauthier qu’il aurait mieux valu que sa présentation fût faite par un de ses PUPH, Merlan, par exemple, qui parle un anglais parfait, il a passé un an à Dallas comme résident, sa mère est anglaise, qui connaît les dossiers des biomarqueurs dix fois mieux que son patron parce que c’est lui qui a mené les recherches, fait la bibliographie, initié une thèse d’Etat, écrit l’abstract et le texte de présentation que son patron a appris par cœur et qu’il est en train de rédiger l’article que l’on tentera de faire paraître dans une revue à fort facteur d’impact ? Qui ?

Dupont-Gauthier n’est pas dupe mais il ne peut faire autrement que se mettre en avant. Cette présentation sera mauvaise sur des données de qualité mais pas de première qualité et seuls les Français de la salle en profiteront pour s’en moquer en douce. Comment peut-on être mauvais à Paris et bon à Chicago ?



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dimanche 16 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams se défend. 29

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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John Williams se défend.


Le modérateur, Michael-Ren Kurosawa, est un oncologue d’une quarantaine d’années connu dans le milieu pour ses positions centristes, c’est-à-dire qu’il accepte de participer à des essais cliniques car il n’est pas possible de mener des recherches cliniques sans recevoir de l’argent de l’industrie, car les budgets publics fédéraux sont limités et car le faible nombre d’équipes élues élimine de nombreux oncologues de talent comme de nombreux oncologues plus médiocres... C’est un pragmatique car il se permet d’accepter de l’argent des industriels et de les critiquer. Le problème de cette attitude tient à la position du curseur à la fois pour les industriels et pour les puristes. Aaron Goldstein n’est pas loin de son collègue Brébant dans la salle. Ils se font un signe amical de la main, le pouce dressé. Goldstein défend l’idée à l’intérieur de la Firme 1 qu’il est nécessaire de ne pas se couper de conseils universitaires comme Michael-Ren Kurosawa ou Afshâr Fallahi en raison de leur intelligence, de leur agilité conceptuelle et de leur capacité à déceler au premier coup d’œil ce qui cloche dans un protocole tout en proposant des solutions, mais certains de leurs collègues et plus largement dans l’industrie pensent qu’il ne faut pas introduire de loups dans la bergerie et qu’il ne faut travailler qu’avec des moutons bien-pensants. Quant aux puristes, ceux qui ne viennent pas à l’ASCO ou qui s’y rendent à leurs propres frais, s’ils sont trop intransigeants, ils sont condamnés à ne plus faire de recherches et à n'écrire que des éditoriaux ou des articles critiques sur les travaux de leurs collègues, sans montrer leur propre savoir-faire…

« Afshâr Fallahi vous a posé des questions sur la méthodologie de l’essai. Merci pour la bonne tenue de cette séance de lui répondre. » Williams se crispe mais la salle est tellement grande, il y a environ trois mille personnes, que peu de congressistes le remarquent. « Afshâr Fallahi a eu raison d’avoir remarqué quelques imperfections méthodologiques mais vous conviendrez que les résultats obtenus sont une telle révolution, un tel changement de paradigme, un tel espoir, qu’il vaut mieux se tourner vers l’avenir que de se pencher sur des détails… J’ajouterais que l’éthique voulait que nous fassions un cross-over tant l’efficacité du wallstreetgenumab était patente… »

Afshâr Fallahi agite la main afin de pouvoir reprendre la parole mais son temps est passé et il a juste le temps d’ajouter avant que le micro ne soit coupé « … nous attendons des éclaircissements… » Un autre congressiste prend la parole en commençant par remercier l’orateur et en continuant par des éloges sur cette percée dans le monde du cancer. Amen. Le modérateur n’a même pas le temps de donner la parole à ses deux collègues assis à côté de lui qu’il annonce déjà la prochaine oratrice car le temps imparti est passé.

Une petite cour se forme autour d’Afshâr Fallahi qui est coutumier de ce genre d’interpellations. Brébant voit cela de loin et dit à sa voisine dans le brouhaha de la salle : « Penses-tu qu’Afshâr Fallahi deviendra un jour un John Williams ? … - Tu es pessimiste… - Réaliste. »


(Si vous voulez commencer la lecture depuis le début : LA)

jeudi 13 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams est challengé. 28

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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John Williams est challengé.


La présentation de John Williams, ce n’est pas le compositeur de musiques de films, mais il est aussi célèbre que lui dans la communauté oncologique mondiale, se fait dans une grande salle bondée : il faut y être pour voir et écouter le stand-up d’un des tsars des tumeurs solides. Les gens sont debout, adossés aux murs, assis par terre et on s’attend à ce que la sécurité vienne évacuer avant qu’un incendie émotionnel ne se déclare… La majorité des présents ont lu le titre de l’abstract ou sa conclusion voire seulement les communiqués de presse triomphalistes du laboratoire qui sait que le marketing des produits commence bien avant que les molécules n’aient fait la preuve de leur efficacité. Il s’agit d’un essai contrôlé d’une nouvelle molécule, le wallstreetogenumab, dont l’objectif est d’améliorer la survie dans un cancer non opérable, tueur à 95 % entre trois et six mois. Les visiteurs et les visiteuses médicales de la Firme 5, ce que l’on appelle les Key Opinion Leaders, ont commencé le boulot depuis longtemps, des articles dithyrambiques ont été publiés dans le Wall Street Journal, le Financial Times, le Nihon Keizai Shinbun et autres revues scientifiques mondiales comme Les Echos ou La Tribune en France…

Le nœud papillon parfaitement ajusté (Brébant dit à Florence Maraval : « Il les porte autour du cou »), John Williams, avec au premier rang une nuée d’assistants, commence son exposé. La salle retient son souffle. Le discours est rodé, le passage des diapos sur les deux écrans est parfait, on voit à peine qu’il s’agit de Power Point, il plaisante entre deux, il est sérieux le plus souvent et il termine cette hymne au wallstreetogenumab par un trait d’humour dont les Anglo-saxons ont le secret. De nombreux intervenants se sont rangés derrière le micro posé debout dans l’allée centrale.

Un questionneur non identifié : « Merci John pour cette étude magnifique qui donne enfin un espoir… » Un autre : « Ces résultats magnifiques nous donnent une claque… » Afshâr Fallahi (un jeune type de UCLA) connu pour ses éditoriaux percutants : « … il est assez étonnant que le signataire des guidelines de l’ASCO ait mené un essai qui contrevient à toutes les recommandations qu’il a préconisées… » (Mouvements houleux dans la salle…) « … le groupe contrôle est sur dosé pour augmenter les effets indésirables, la survie est exprimée en pourcentage relatif, il n’y a pas d’échelle de qualité de vie et nous manquons de données contrôlées au-delà de trois mois… Avec une survie augmentée de deux mois, ce qui serait considérable s’il s’agissait d’années, on est en droit de savoir si les patients sont morts en souffrant deux mois de plus… » Williams est furieux et s’agite derrière son pupitre. « Y aurait-il deux poids et deux mesures ou deux professeurs John Williams, celui qui fait des recommandations et celui qui mène des essais ? » Williams : « Je remercie notre jeune collègue pour ses commentaires. Cet essai est pourtant une innovation majeure, une révolution qui profitera à nos malades. » Le modérateur intervient…



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mercredi 12 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Brébant est débordé. 27

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Brébant est débordé.


François Brébant a le même objectif que son nouvel ami Pierre Gers : profiter au maximum du congrès pour découvrir des données nouvelles, écouter des présentations brillantes, découvrir des nouveaux intervenants, sentir les tendances, apprécier les questions et les réponses des concurrents, parler avec des pointures en tentant de découvrir quel est le vent dominant, mais il est aussi là pour préparer l’avenir de sa firme, prendre des contacts, organiser des réunions informelles, diriger des réunions stratégiques, s’occuper du board nord-américain, faire sa propre publicité pour se faciliter la vie. 

Lui-aussi aimerait bien courir de salle en salle, évitant les fâcheux et les casse-pieds et tenter de refaire le monde avec les ténors de la spécialité. Mais son objectif majeur est que les présentations de Gers et de Frick se passent le mieux du monde afin que les deux futurs articles signés par l’un et par l’autre soient publiés dans le même numéro du prestigieux New England Journal of Medicine au moment de l’autorisation de la molécule par la FDA. 

Il y a beaucoup d’argent dans la balance et c’est aux US que tout va se jouer. Son alter ego et pourtant chef états-unien, Aaron Goldstein, est un type charmant qui bosse comme un malade (et ne le fait même pas savoir) et qui aimerait bien que Frick écrase Gers au congrès, pas trop quand même pour le bien de la molécule, mais surtout qu’il soit prêt avant pour soumettre le texte.

Goldstein est une caricature de médecin états-unien qui a dû servir de modèle à la fois pour Taub et Sheperd et dont le prix de ses vêtements pourrait suffire à nourrir une région d’Éthiopie pendant un siècle. Goldstein aime bien Brébant et les deux hommes, au lieu de courir dans les couloirs, sont assis dans un coin de salle avec un retroplanning devant les yeux. Goldstein est un légitimiste et un bureaucrate efficace. Peu d’imagination, pas de folie, mais un respect des règles et une observance des directives à toute épreuve. C’est sa marque de fabrique. Et sa force. Alors que Brébant, le moins rigolo de l’équipe française, passe pour un fou furieux pour les Etats-uniens…

Goldstein comme Brébant sont préoccupés par PV qui a fait des commentaires cinglants sur les deux essais de Frick et Gers, en critiquant violemment la méthodologie et notamment la qualité du bras comparatif et le principe du cross-over. PV est connu de toute la communauté oncologique pour être un emmerdeur de première classe et nul doute qu’un de ses sbires viendra poser des questions embarrassantes après les deux présentations. Le fait que PV soit désormais perçu comme covido-sceptique aidera sans doute la molécule à s’en sortir.



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mardi 11 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La Firme Quatre lance une molécule. 26

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La Firme 4 lance une molécule.


La Firme Quatre, une firme nippo-états-unienne aux dents rayant le parquet et dont le sens éthique a depuis longtemps été oublié malgré son slogan répété à longueur de communiqués à l’intention des boursiers, des actionnaires, des décisionnaires de santé, des assureurs, des médecins et des malades, « La Science au service des patients », est en effervescence car, demain, l’étude-pivot de sa molécule phare, son futur blockbuster, doit être présentée en plénière par Kenzo Unisawa, un cancérologue de l’université de Kyoto dont la réputation est bien établie dans le monde fermé des essais cliniques de mauvaise qualité et dont la fluidité en anglais ne cache pas un accent à faire mourir de honte Maurice Chevalier… La partie US de la firme a bien essayé de convaincre le siège de la Firme Quatre à Okinawa qu’un autre intervenant servirait mieux les intérêts de tous, cela a été considéré comme un crime de lèse-nipponité. 

Il existe dans la Firme Quatre une multitude d’avis sur la molécule, le nipponumab, allant de l’enthousiasme le plus débridé à la crainte la plus irraisonnée. Les enthousiastes ont forcément raison car il est nécessaire que tout le monde regarde dans la même direction, c’est-à-dire celle des profits maximums, que la moindre réserve exprimée en public pourrait interférer avec le niveau des rémunérations et parce que les enthousiastes le font avec tellement de cœur qu’ils en oublient sans se forcer tout esprit critique. Les craintifs ont au contraire bien tort car la Firme Quatre a développé un tel réseau d’influences, a arrosé tellement de médecins, d’administratifs, de membres de commissions, a favorisé tant d’essais cliniques inutiles largement payés pour s’implanter ici et là dans de nombreux hôpitaux du monde entier qu’il serait étonnant que la reconnaissance du ventre ne joue pas à plein.

Les champions du marketing-mix ont appliqué leurs recettes, coché toutes les cases (en s’inspirant des fameux articles de Weiner et al parus dans le New England Journal of Marketing), respecté la hiérarchie des institutions, des hommes, des tâches, mobilisé toutes les ressources de l’entreprise, tous les contacts, tous les relais, tous les personnels amis de la Firme Quatre à l’intérieur du complexe mondial santéo-industriel, à coups de pré-rapports, de pré-abstracts, de communiqués de presse à l’intention des journaux économiques, des journaux médicaux, des journaux grand public, en insistant lourdement sur le fait que le cancer est féminin, que la santé des femmes bla-bla, que c’est une opportunité unique… Quant aux futurs prescripteurs, dont ceux de l’ASCO, ils n’ont pas été oubliés et nul ne doute qu’une invitation à un concert de Paul Simon pendant le congrès n’apparaîtra pas dans EurosForDocs … Enfin, les patients-experts sont de tournée… Mais il y a encore du marketing-mix à venir.


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lundi 10 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La course dans le centre des congrès. 25

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La course dans le centre des congrès.


A partir de maintenant Pierre Gers se met à courir. Il doit courir pour aller de salle en salle, d’étage en étage, de salle plénière en salles annexes, en foulant la moquette épaisse et criarde qui recouvre le sol, en tentant de ne rien oublier, de noter tous les détails qui tuent, de serrer les mains qu’il faut, de rencontrer les personnes ad hoc. En cancérologie, toutes les disciplines médicales et chirurgicales participent, toutes les sensibilités sont présentes, toutes les tares des sous et des sur spécialistes sont évidentes, les préjugés comme les sous-entendus, les rancunes comme les vengeances et, par-dessus tout, l’envie et la jalousie. 

La liste des sujets abordés est impressionnante en ce vendredi 2 juin (à partir de 13 heures) : les cancers héréditaires, construire un partenariat avec les patients, cancer du sein (plusieurs sessions), cancer du poumon, tumeurs hématologiques, leucémies, myélomes, cancers en neurologie, en gastro-entérologie, sarcomes, thyroïde, nouvelles thérapeutiques (et comment les intégrer dans la pratique), biomarqueurs, ORL, pancréas, chirurgie cancéro-gynécologique, parcours des patients atteints de métastases, comment faire une présentation, immunothérapie, lymphomes, sarcomes encore…

Il y a de quoi être étourdi et ce d’autant que tous les sessions ne se valent pas, que certaines sont désespérément inintéressantes, mal fichues ou bien fichues mais présentées par des vedettes dont tout le monde sait soit qu’ils modifient les résultats pour qu’ils soient « parlants », soit qu’ils sont meilleurs en congrès que dans leurs services, que tel chirurgien qui fait la malin avec une vidéo est considéré dans son hôpital comme un médiocre opérateur… A propos des médiocres B. a décidé, il l’attendait lors de la distribution des badges, de coller aux fesses de Gers, « Ça ne te dérange pas ? », que répondre ?, l’envoyer paître ? B. ne le fait pas par malice mais parce qu’il sait que Gers l’emmènera aux bons endroits et qu’il pourra pallier ses défaillances en anglais, le cas échéant. Ce qui est plus amusant : ils rencontrent Florence Maraval, une Marseillaise qui portera toute sa vie sur la conscience les raoulteries de la Cannebière, et qui est la plus charmante des oncologues, c’est-à-dire cortiquée, à jour de la littérature et fan du Choose Wisely qui fait défaut à nombre de ses collègues, à défaut d’être la plus sexy des cancérologues… 

- Tu sais où tu vas aller ?

Elle montre à Gers la liste des sessions qu’elle a cochées et surtout les heures de présentation.

- Je vois que l’on est sur la même page.

La course commence.

Et Gers sait que si B. sera un boulet pendant cet après-midi, Florence Maraval sera un plaisir pour écouter, partager, commenter et prendre des notes.



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samedi 8 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Le congrès commence. 24

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

24

Convention Center.


Récupérer son badge dans le grand hall du Convention Center signifie que les congressistes élus par la médecine entrent dans le vif du sujet : ils sont fiers de pouvoir mettre le badge autour de leur cou, récupérer la serviette sponsorisée contenant, outre de multiples publicités pour des molécules diverses et variées, l’épais volume du programme avec le résumé des abstracts. Les plus sérieux s’asseyent dans un coin pour organiser leur journée et pour ne rien manquer. Les autres discutent, font des rencontres, voient des copains dont ils ignoraient qu’ils étaient invités, des collègues perdus de vue avec lesquels ils avaient fait l’internat ou le clinicat, saluent des patrons qu’ils n’avaient jamais vus en chair et en os, se perdent dans les couloirs, crèvent de froid tant la climatisation est forte et regrettent les foulards et les pulls des vieux de la vieille. C’est l’excitation d’en être : ils ne veulent rien rater et il est possible de tout rater tant le programme est chargé. Il faut pour les plus courageux passer de sessions en sessions, soit pour entendre une pointure, soit pour écouter une présentation que l’on attendait, soit pour se planter devant un poster pour féliciter un collègue ou, au contraire, l’agresser, soit pour montrer qu’on était là lorsque le professeur P a fait sa présentation et pour le raconter aux copains.

Pierre Gers est prêt pour Allo ASCO, le résumé quotidien des meilleures présentations qui sera publié en ligne par la Revue d’Oncologie, car il a déjà tout écrit avant de venir. Il ne fera donc que des modifications mineures en tenant compte des questions réponses entendues dans les salles. Il a aussi prévu de rencontrer quelques-unes des légendes de la cancérologie mondiale avec qui il entretient déjà des liens sur twitter.

Quant à François Brébant il est parti vers les stands des exposants pour se rendre compte du poids de sa propre firme aux US et saluer ses collègues. Il jette un œil distrait sur le clinquant des décorations démontables, sur les hôtesses aguichantes maquillées comme des protocoles Pfizer et les directeurs du marketing habillés comme pour aller à un mariage, et s’amuse des endroits où l’on peut jouer au golf en honneur des CAR T ou conduire une Formule 1 pour un énième amazingpriceumab.

Edmée Vachon, flanquée du professeur Michaux-Garnier, et du directeur médical de la Firme 2 est en réunion dans une salle annexe avec trois représentants de la FDA afin de connaître le sort d’une molécule développée en Europe par un laboratoire US et qui passe en hearing le mois prochain. L’affaire n’est pas gagnée. Souhaitez-vous un cours sur le protectionnisme états-unien ou sur la politique des pots de vin dans le Maryland ?

Quant à Ursula, avec son badge d’exposante, elle va venir faire une entrée remarquée dans la salle plénière peu avant 1 PM.


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vendredi 7 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Une nuit compliquée. 23

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Une nuit compliquée.


Les première séances ne commencent qu’à 13 heures (20 heures à Paris).

Pierre Gers a eu du mal à bien dormir alors qu’il était épuisé. Le zopiclone qu’il a pris lui a permis de s’endormir immédiatement mais il a fait ses cauchemars récurrents quand il doit parler dans un congrès, celui où il se retrouve derrière un pupitre et que les mots n’arrivent pas à sortir de sa bouche tandis que les écrans défilent derrière lui et que la salle est secouée par des rires de plus en plus bruyants : il s’est trompé de présentation et la salle découvre les photos de ses dernières vacances où sa femme et ses enfants montrent des visages radieux. Il y en a un autre où il parle dans une langue inconnue de la salle et de lui-même et où les questions qu’il ne comprend pas ne cessent de fuser. 

Dans une autre chambre du Hilton François Brébant a dormi par phases d’une heure et il se retrouve le matin la bouche pâteuse, les idées peu claires, un sentiment de décalage horaire et de « qu’est-ce que je fais là » qui n’annonce pas une journée brillante malgré l’excitation de toutes les tâches qu’il va accomplir.

Quant à Norbert Milstein, logé au Peninsula avec Ursula, il a passé une nuit excitante mais il va avoir du mal à donner le change ce matin : il faut qu’il se repose absolument avant d’aller chercher son badge au congrès.

Bref, beaucoup de congressistes, même ceux qui n’ont rien à présenter, ont passé une nuit compliquée mais les salles de petit déjeuner des différents hôtels vont les réveiller. 

Sophie Branus, la chef de produit oncologie a peu dormi car elle a potassé son emploi du temps pour voir un maximum de médecins pendant le séjour.

Edmée Vachon a repéré dans quel hôtel était logé Pierre Gers et jusqu’à son numéro de chambre et elle a parfaitement dormi sous prazépam.

Sylvie Bouloux est la mieux organisée de tous. Elle a déjà écrit à Paris tous les articles qu’elle enverra au Monde depuis Chicago, sous réserves de modifications de détails, mais elle a quand même passé une nuit épouvantable où elle a regardé la télévision, consulté twitter, et débattu avec elle-même de sa solitude sexuelle.

Durand, de la télévision française s’est assoupi comme un bien heureux, il n’a eu besoin ni de Zopiclone, ni de prazépam, ni de mélatonine, l’alcool de l’avion, l’alcool du restaurant, l’alcool du minibar, une drogue dure mais légale qui le berce depuis de nombreuses années avec une légère céphalée matinale et une langue un peu pâteuse.

Enfin, Marie DeFrance, la fille bien sous tous rapports, celle qui intrigue pour être khalife à la place du khalife : rien à signaler.



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jeudi 6 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Arrivée à Chicago. 22

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

22

Arrivée à Chicago.


Les futurs congressistes sont fatigués et, pour la plupart, ont trop bu et trop mangé pendant le vol. Il est une heure du matin le jour d’après à Paris et 18 heures à Chicago. Il est déjà trop tard pour appeler la famille en France : juste un petit mail pour dire qu’on est bien arrivés suffira. Tout le monde a reçu le même conseil : s’endormir ce soir le plus tard possible pour souffrir le moins possible du décalage horaire demain matin. Certains ont prévu de prendre un starter (benzodiazépine ou mélatonine) au moment de dormir afin de ne pas se réveiller trop tôt.

Il fait une chaleur terrible à la sortie de O’Hare. Les futurs congressistes sont exténués, mêmes ceux qui n’ont pas voyagé en classe éco. Ils se sont regroupés sous la bannière des firmes qui les ont invités qui ont prévu des repas dans les différents hôtels où les congressistes sont descendus ou dans des restaurants aux alentours. Tout le monde a déjà une idée du programme de demain et des jours suivants. Il y a une certaine excitation dans l’air.

Ce n’est que demain que tout le monde saura où est qui (les collègues) et combien de temps il faudra pour atteindre le Conference Center sur la McCormick Place. Il y aura des jaloux et des engueulades.

Gers et Brébant sont déjà convenus de se retrouver au bar de l’hôtel dès qu’ils auront posé leurs affaires dans leurs chambres. Ce n’est pas tous les soirs que l’on débarque à Chicago par une belle fin d’après-midi de juin et qu’on peut se détendre en buvant de l’alcool aux frais de la princesse en attendant un dîner fin et bien arrosé…

- T’es bien logé ?

- Superbe. Avec une vie magnifique sur le lac. Et toi ?

- Ca va. Tout baigne. J’ai même réussi à avoir ma femme qui est contente que je sois bien arrivé et les enfants sont en pleine forme.

- Ma femme se couche tôt. Elle a eu droit à un WhatsApp

- Tu feras pareil quand Vachon sera dans ton lit ?

- Déconne pas.

- Tu joues ta carrière.

- Je ne crois pas mais jouer mon couple ne seraitpas génial.

Et pourtant c’est ce qui va se passer : Vachon sera dans son lit et il enverra un WhatsApp juste avant le passage à l’acte pour dire à sa femme que tout va bien.

Le bar de l’hôtel ressemble à l’idée que les deux hommes se font des bars des hôtels de luxe américains comme on les voit dans les films et dans les séries. Brébant a décidé de ne pas dîner avec tous les invités de la Firme et d’inviter Gers dans une steakhouse où le T-bone coûte soixante dollars sans le service… Gers pourra ainsi raconter à sa femme ses aventures à table qui la feront saliver ce qui lui permettra de taire ses aventures au lit avec Edmée Vachon qui l’auront fait saliver.


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mercredi 5 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La fabrique d'un expert. 21

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

21

La fabrique d'un expert.


Gers est prêt. Pour la énième fois, et certainement pas la dernière, il a revu ses écrans, il a relu ses notes, il sait tout, il connaît tout et, à moins d’un accident vasculaire cérébral pendant sa présentation, il ira au bout. Il sait aussi qu’il pourra compter sur Milstein pour son propre topo : Milstein est un pro et comprend les choses. Il est même trop soucieux des détails. Il est capable de voir chez les autres le moindre défaut, même sur des sujets qu’il connaît mal. Il est capable dans le service de déceler sans faire aucun effort ce qui cloche et ce qui pourrait être challengé. Certains en ont fait les frais car il ne ménage personne et ne prend pas de gants. Les erreurs de ses collaborateurs, il les prend comme une attaque personnelle. Et contrairement à toute attente, le mandarinat, ses dépendances et le pouvoir absolu, il accepte qu’on lui fasse des reproches. Il faut certes choisir le ton, il faut certes y mettre les formes, il faut certes être sûr de soi, avoir des biscuits ou, comme au tribunal, avoir des preuves, mais il faut se lancer car il préfère que son équipe lui dise ce qui ne va pas, même en public, plutôt que de l’entendre de collègues ironiques et méchants qui se moqueraient de lui.

Brébant décoche un sourire à Gers : « Tu avances ? - Oui. J’ai presque fini. Tu sais que je rédige en même temps les questions contre Milstein et il me semble qu’il y aurait une sorte de problème à te les montrer… - Tu n’as qu’à ne me parler que des questions que tu vas poser à Ursula. - T’es con. - Franchement, je pense qu’il vaut mieux que tu ne me les montres pas, ce serait plus fair, mais, en même temps, c’est un secret de polichinelle, l’abstract est paru, tout le monde connaît le truc. - J’attends tes propres questions avec impatience…- Sur Milstein ou sur Ursula ? – Déconne pas, je parle de Milstein. D’ailleurs tu ne connais rien sur Ursula. - Ce n’était pas prévu dans le contrat. - OK, on va s’amuser. Mais j’imagine que tes propres questions sur notre étude vont être gratinées. - J’espère que mes chefs ne les verront pas car c’est une putain de critique contre le protocole.

- C’est toi qui l’as mis au point… Pas complètement. J’ai eu des pressions. - Des pressions ? - Tu fais l’âne pour avoir du son. - Il y avait longtemps que je n’avais pas entendu cette expression. Tu sors ça d’où ? - Au lieu de te moquer tu ferais mieux de te concentrer sur les réponses que tu vas me fournir… As-tu commencé à rédiger l’article ?

- Heu oui, un peu. - T’as intérêt à t’y mettre dès notre retour. Il faut qu’on le soumette le plus rapidement possible. Ça urge… »

    S’il n’y avait pas les enjeux promotionnels sous-jacents on pourrait affirmer que ce dialogue entre les deux hommes, leur façon de travailler, sont dignes d’une disputatio scientifique de haut vol. Comme il y en a souvent entre de dignes médecins, même dans un avion qui file vers Chicago. Mais n’oublions pas le contexte : Gers est devenu l’objet de Brébant, il fabrique un expert pour dire du bien des molécules de la Firme 1.

    


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mardi 4 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : L'hameçonnage des oncologues. 20

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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L'hameçonnage des oncologues.


Sophie Branus est chef de produit oncologie dans la firme 3. Elle sait exactement où tous ses prospects sont placés dans l’avion, en classe affaire comme en classe éco, et elle s’est promis de les choyer pendant leur séjour. D’abord en leur faisant croire qu’il pourrait très bien y avoir des ouvertures avec elle (elle choisira le moment venu quel sera l’heureux ou les heureux élus…) et ensuite en leur ayant prévu à Chicago un programme de feu avec visites de bars à jazz, de bars à putes, de bars à sport, et aussi des repas fins dans les restaurants les plus sympas de la ville.

C’est un plan de séduction qui lui permettra, à elle, aux médecins et aux délégués à l’information médicale de la Firme 3 d’être bien reçus dans les services. Les jeunes internes et chefs qui ont été invités sont de jeunes pousses dont certains monteront dans la hiérarchie. Elle les chouchoute. Parmi eux il y aura des vedettes que la Firme 3 pourra recruter pour participer à des essais où le plus important est de participer, pas de publier, pour les faire tourner dans des staffs ou dans des réunions de promotion avec un programme audiovisuel aux petits oignons vantant les produits de la firme. Il y a aussi les oncologues des cliniques privées dont les capacités de prescription sont quasiment illimitées et qui ne sont pas très difficiles à séduire. Pour les grands chefs, ce sont les médecins de la Firme 3 qui font le job de relations publiques.

Branus connaît le boulot et ses patrons savent qu’elle le connaît. Elle s’occupe d’un produit dans le myélome qui n’est ni meilleur que ceux des concurrents, ni pire d’ailleurs, mais pour rester dans les leaders du marché il faut investir dans les relations publiques, il faut avoir la confiance des vieux requins et des jeunes loups et leur faire croire, parfois c’est vrai, que leur carrière universitaire pourrait dépendre de l’aide de la firme 3.

Donc, le programme est clair : de la science, de l’alcool, de la bouffe, des distractions, des filles et l’éblouissement de Chicago, une visite privée de la ville en minibus, un pot en haut de la grande tour, une pizza chicaguienne, et tout le tralala. Et la gouaille de Sophie Branus pour détendre l’atmosphère. 

Elle a un œil sur Filliâtre qui sait que s’il veut passer un bon séjour il faut qu’il plante d’emblée des banderilles et il a déjà repéré une ou deux jeunes femmes à qui, durant le vol, il ne manquera pas de se présenter. Un œil sur Bamberg, Rako, de la Taille ou Wissner qui ont décidé qu’ils se préoccuperont plus tard des nanas, au calme, mais les filles ont déjà leurs favoris : ils ne décideront de rien. Quant aux puceaux, comme les appelle Théron, il leur restera les chaînes pornos de l’hôtel. 

Car la concurrence veille aussi au grain, les oncologues sont des proies précieuses.


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lundi 3 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Panem, circences et sex. 19.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Panem, circences et sex.


La professeure Marie Carmichael n’en peut plus d’Ursula et des plaisanteries sur Ursula. Cette atmosphère de mecs impudents, de mecs qui trouvent que c’est normal, « on est quand même des carabins, on a une réputation à défendre… on nous emmerde sur tout… les fresques dans les salles de garde comme la drague au débotté… nous sommes des adultes consentants… » On la prend pour une pisse-froid, une coincée, une mal baisée, et tout le tralala bien connu. S’ils savaient combien elle s’en moque à titre personnel et combien elle en souffre pour les étudiantes et les femmes médecins. Elle est assise à côté d’une jeune chef de clinique qui va présenter un papier sur le dépistage du cancer du sein dans une section annexe du congrès. Elles ne participent pas à la curée générale et les mecs s’en foutent.

Nombre de futurs congressistes qui n’ont rien à présenter au congrès, la majorité, les invités comme futurs prescripteurs ne pensent qu’à profiter de la situation d’invités. Les trois sujets qui les préoccupent : vont-ils avoir, pour les hospitaliers comme pour les privés, des ouvertures professionnelles ? Vont-ils avoir des ouvertures sexuelles pendant cette petite semaine ? Vont-ils pouvoir profiter, loger dans un hôtel top classe, se taper de bons restaus, sortir dans des bars ou des boîtes et picoler ? C’est une sorte d’échappatoire à leurs vies normées et remplies. Car ces privilégiés, il suffit de regarder leurs comptes en banque respectifs, et notamment pour les libéraux, leurs revenus non commerciaux pour l’année dépassent les trois cent mille euros, bossent. Bossent tard et n’ont pas affaire à des malades faciles parce que leurs malades meurent plus que les autres.

Il faut donc décompenser. Déconner. Raconter des conneries. Faire des plaisanteries sur les filles, déjantées et allusives, franchement vulgaires, leurs femmes seraient horrifiées ou non. Le congrès s’amuse.

La professeure Carmichael est considérée comme une extra-terrestre qui ne saute jamais en l’air dans les pots de service, qui ne pousse pas des cris quand un malade va mieux, qui ne fait pas la maligne devant les malades, qui reçoit les familles avec autant de bienveillance que possible et qui ne prend pas le petit personnel pour de la merde en boîte. On sait qu’elle est réservée, elle ne parle jamais de sa vie privée, de ses copains comme de ses copines. Mais son secret est celui-ci : elle est la copine de la chef de clinique qui est assise à côté d’elle et elle va en profiter pendant le congrès comme un vulgaire Milstein avec sa secrétaire.

Elle ignore pourtant qu’Edmée Vachon, en saluant tout le monde d’un bout à l’autre de la cabine, a vu et compris le manège. Elle n’oubliera pas.


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dimanche 2 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Cloison nasale. 17.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Cloison nasale.


Le professeur Mathieu Barambert est un grand ORL. Il a bâti sa réputation sur son habileté d’opérateur et sur son empathie extraordinaire à l’égard des patients. C’est sa plus grande fierté : ses malades l’aiment. Tout le monde connaît sa façon de les recevoir, de les mettre à l’aise, de les flatter, il flatte d’ailleurs tout le monde et tout le monde le flatte, il a droit à des pages en couleur dans Paris-Match, l’émission Télématin le reçoit régulièrement pour qu’il puisse y délivrer la bonne parole, le directeur de l’AP-HP (les hôpitaux de Paris) est un de ses bons amis, ils se reçoivent et la légende dit que leurs femmes sont copines. Il ne se prive pas de faire savoir partout qu’on le reçoit à l’Élysée avec les honneurs dus à son rang. Il est aussi décomplexé, il dit qu’il ne déteste pas l’argent, ses consultations privées à l’Hôpital public ont un prix qui oscille entre cinq cents et six cents euros la séance et si l’on consulte l’argent qu’il a reçu de l’industrie pharmaceutique sur le site Eurosfordocs on est un peu ébahis. « C’est le prix de la notoriété et de la compétence » dit-il avec un grand sourire. Mais, demandent les profanes, pourquoi se rend-il à l’ASCO ? Parce qu’il est spécialisé, entre autres, dans la chirurgie cancérologique en ORL. Ses collègues, dont la jalousie n’a d’égale que son ego démesuré, le trouvent pourtant « bon ». 

Barambert a aussi un surnom : on l’appelle Cloison nasale

Outre ses grandes qualités de chirurgien, sa remarquable habileté, tout le monde le dit et lui aussi, il est connu pour avoir opéré le Tout Paris de sa cloison nasale. Ce n’est pas un chirurgien esthétique, il laisse à regret cela à ses collègues des cliniques privées du seizième arrondissement et de Neuilly, il fait quand même quelques oreilles décollées pour de riches fortunés débarquant dans le service en jet privé du Moyen-Orient, mais sa spécialité ce sont les cloisons nasales. Alors qu’il était jeune chef de clinique il avait commencé à persuader ses patients, ceux qui venaient pour un rhume, une allergie, une sinusite banale unilatérale ou pour une pan sinusite impressionnante, un mouchage postérieur, que cela venait de l’irritation produite par leur cloison nasale mal positionnée. Qui pouvait résister à cet enthousiaste jeune homme, beau garçon, le sourire aux lèvres, le teint hâlé, les plaisanteries légères au bout de la langue, les allusions sexuelles à peine esquissées, personne ?

Et ce qui surprenait tout le monde c’est que cette activité inlassable, obsessionnelle, hors de proportion, personne ne s’en inquiétait. Ni ses chefs, ni ses collègues, ni l’administration : il séduisait et le service florissait. Quoi qu’il en soit notre ami ORL voyage en classe Affaire, est invité partout et produit des séries chirurgicales dans tous les congrès, pas ici à Chicago, il devait être fatigué, ou alors ses collaborateurs avaient demandé une pause, ces séries ouvertes où les bons résultats avoisinent les quatre-vingt-quinze pour cent…


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