|
L'hôpital au chevet méprisant de la médecine générale. |
Première partie : le mépris systémique des médecin.e.s généralistes est construit par l'hospitalocentrisme.
Force est de constater qu'il existe un mépris systémique à l'égard des médecins et des médecines généralistes (les MG) construit dans et par l'institution académico-universitaire.
Faut-il le démontrer ?
L'organisation de l'enseignement, du métier, de la pratique se fait depuis l'hôpital, et plus précisément des hôpitaux universitaires.
Ce mépris hospitalo-centré a des origines historiques, médicales, sociales, sociologiques et politiques.
Et une origine évidente : comment des hospitaliers qui n'ont jamais mis un pied en ville pourraient-ils enseigner une pratique extra hospitalière ?
Il existe désormais des départements de médecine générale dans les facultés de médecine qui peinent à obtenir des postes, des titres, des moyens, des locaux.
Le mépris hospitalo-centré a des conséquences sociales, sociologiques et politiques. Mais surtout perturbe la santé publique.
C’est un mépris de dominateurs : des décisions d'en-haut sont prises à l'égard de pratiques d'en-bas.
Où sont les MG dans les processus décisionnaires des politiques de santé publique ?
Où sont les MG dans les institutions académiques ?
Où sont les MG dans les conférences de consensus ?
Où sont les MG dans les institutions croupions où les universitaires de l'establishment viennent toucher des royalties ?
Où sont les MG dans les boards de l'industrie pharmaceutique ?
(Non, ce n'est pas une plaisanterie : il serait nécessaire qu'ils soient parfois consultés)
Mais le phénomène n'est pas qu'hospitalo-universitaire : les non-MG libéraux "de ville", les spécialistes d’organes, derrière l'effusion de leurs sentiments ("un métier bien difficile"), expriment la sécheresse de leur coeur et parlent de « bobologie »
Attendez, j'ai oublié un truc : en français #NotAll ou en anglais #PasTous
Une réflexion souvent entendue : "Oui mais, il existe une haine des MG à l'égard des spécialistes d'organes hospitaliers et libéraux qui est insupportable."
En fait, il n'y a pas de mépris anti spécialistes d'organes : c'est comme le racisme anti blanc dans un mode blanc de domination : c'est un fantasme de dominateurs.
Pour continuer de filer la métaphore.
Oui aux réunions non mixtes entre MG (entre médecin.e.s et médecins spécialistes en médecine générale).
Cela s'appelle des groupes de paroles, cela s'appelle des groupes de pairs.
Mais cela peut être n'importe quoi d'autre.
Cela s'appelle des groupes de survie.
Quand les victimes de discriminations constantes, quand les dominés, quand les sans futurs de la médecine, quand les sans reconnaissance de la médecine, en ont assez d'assister à des formations médicales continues où on ne leur laisse pas la parole, où seuls quelques oncles Tom ont le droit d'intervenir après qu'on a relus leurs écrans, quand le discours dominant est le discours hospitalier et académique dont la pandémie covidienne a montré la grande hétérogénéité intellectuelle, scientifique, morale, politique, il est nécessaire, indispensable que les médecins généralistes s'expriment entre eux sans le regard insistant de ceux qui savent, s'expriment entre eux sans les commentaires méprisants des spécialistes d'organes, en racontant leurs expériences, en racontant leurs relations avec les personnes qui les consultent, en exprimant le point de vue d'une médecine qui ne serait pas hors sol, d'une médecine qui s'exercerait dans le cadre de la société, avec des personnes qui travaillent ou qui ne travaillent pas, des personnes qui viennent "comme ça" avec leurs défauts et leurs qualités, des personnes qui souffrent et que l'on aurait bien du mal à retrouver dans les grands essais cliniques d'où ils sont exclus pour de nombreuses raisons (comorbidités, âge, contre-indications, allergies, et autres), d'une médecine impure, où la majorité des interventions médico-sociales ne sont pas validées (comme d'ailleurs dans de nombreuses spécialités d'organes), d'une médecine où les patients "reviennent" non pas six mois après ou trois mois après mais le lendemain parce qu'il y a un problème, parce que le/la patient/patiente est accompagné/accompagnée de sa femme, de son mari, de son compagnon, de son amant, de ses enfants, légitimes ou non, de sa voisine ou de son voisin, et cetera.
La médecine générale n'a pas toujours raison. Elle se trompe. Elle expérimente.
Les MG doivent se parler entre eux sans le regard appuyé de juges qui les méprisent a priori.
Les MG doivent parler entre eux des problèmes médicaux spécifiques de la médecine générale en toute indépendance, en toute sécurité sans craindre d'être jugés, sans craindre d'exprimer la complexité de leurs tâches et l'immensité, parfois, de leur désarroi. Et en toute insécurité sous le regard de leurs pairs.
Dans les cabinets de médecine générale on rencontre la beauté et la misère du monde, brutes de décoffrage et pas seulement en urgence, pas seulement en cas de semi-urgence, de chronicité mais aussi sans raisons. Et dans la durée.
Et ce sont les MG qui ont le plus critiqué le dosage du PSA comme moyen de dépistage du cancer de la prostate (pas les urologues), ce sont les MG qui ont dénoncé l'inanité du fluor ingéré chez les nourrissons (pas les stomatologues, pas les chirurgiens-dentistes), et ce sont les MG (un MG en particulier) qui ont dénoncé l'inefficacité et les dangers des anti Alzheimer (pas les neurologues, pas les gériatres), ce sont les MG qui ont dénoncé les conflits d'intérêts des comités HAS pour les recommandations sur le diabète (pas les éthiciens, pas les diabétologues), ce sont les MG... Sans parler des non-MG qui ont défendu becs et ongles les glitazones et/ou les coxibs contre les MG qui avaient le courage de dé prescrire.
Ce sont aussi les MG qui expérimentent en leurs cabinets, notamment dans l'exercice des relations avec des patients (décision partagée, consultation d'annonce, éducation thérapeutique, entretien motivationnel, et cetera...)... qu'ils revoient.
Les MG ne sont pas la dernière roue du carrosse : ils ne sont même pas dans le carrosse.
Le mépris des MG va jusqu'à les empêcher de parler "MG", de leur nier une parole différente, un ressenti différent, un langage particulier.
Et les MG, ce ne sont pas que des MG exerçant de la "pure" médecine générale, il y a les MG transfuges qui en ont eu assez d'être les "méprisés" de la médecine, ils ont bifurqué, des MG ras-le-bol qui sont partis vers l'Assurance Maladie, les centres de PMI ou les urgences...
La diminution vertigineuse du nombre de médecins généralistes qui s’installent en libéral est une des conséquences de ce mépris. Et est liée également à la prise de conscience de ce mépris.
Les méprisés en ont assez mais le combat est perdu d'avance.
Deuxième partie : c'est ICI.