mardi 22 mars 2011

LOURDEUR DU CARTABLE ET EDUCATION : HISTOIRE DE CONSULTATION 74


Préambule : Que les enseignants ou enseignantes, femmes ou maris d'enseignants, maîtresses ou amants d'enseignants ou d'enseignantes, fils ou filles d'enseignants, petits-fils ou petites-filles d'enseignants se dispensent de lire ce post. Que les pourfendeurs de la démagogie ambiante se dispensent de lire ce post. Que les tenants d'une école centrée sur l'élève se dispensent... Que les défenseurs des vaches sacrées et autres religieux de tous poils se dispensent...
Le jeune B, 11 ans, est venu hier me voir avec sa maman pour que je lui refasse un certificat indiquant qu'il était nécessaire qu'il pût disposer d'un casier dans son collège pour pouvoir ranger ses livres et ne pas avoir à les transporter tous les jours sur son dos.
Depuis 20 ans, mais probablement plus, je n'ai pas fait de recherches précises, il existe un marronnier annuel qui est de se plaindre du poids des cartables. Et tous les ans depuis 20 ans, que le ministre de l'Education Nationale soit de gauche ou de droite, que les syndicats de l'Education Nationale soient de gauche ou d'extrême-gauche, que les professeurs appartiennent à n'importe quelle tendance de la "pédagogie" moderne dont celle du trop fameux Philippe Meirieu (son site) désormais membre d'Europe Ecologie, mon professeur de français latin grec, un certain José Lupin, disait dans son langage châtié de normalien : "les pédagogues aux gogues", eh bien, tous ces braves gens font des déclarations enflammées sur le fait que c'est intolérable et que cela va changer. Et rien ne change.
Il existe un pouvoir d'inertie qui, loin de se prélasser dans les cours de physique chimie, prend un malin plaisir à se répandre sur le rachis de nos charmantes têtes blondes (erreur : la HALDE va me tomber sur le dos, dans le collège de Mantes-La-Jolie il n'y a pas que des charmantes têtes blondes mais de charmantes têtes non blondes issues de la diversité)... Cela dit, B, issu de la diversité de ses parents, est un blondinet berbère charmant et timide.
Quoi qu'il en soit, notre ami B est un enfant plutôt chétif et l'examen de son rachis retrouve une simple attitude scoliotique avec une petite cyphose dorsale, des omoplates décollées et un attrait pour les activités physiques tenant vers le zéro pointé (zut, on ne donne plus de notes, cela stigmatise les mauvais élèves et cela pourrait entraîner les meilleurs à continuer de l'être). Un peu de natation, quelques conseils sur des exercices à pratiquer tout seul chez lui (je m'y emploie), lui éviter d'aller chez un kinésithérapeute qui finirait par lui faire croire que l'hétéronomie est meilleure que son inverse (l'autonomie) et qu'il faudrait porter des semelles et le tour sera joué : il est possible que notre ami B ne soit jamais un "sportif" ou qu'il le devienne, allez savoir, mais cela ne me regarde absolument pas (autre vache sacrée : le sport comme nécessité de l'homme et de la femme moderne).
Bon, venons-on au fait : B pèse 31 kilogrammes et son cartable dix et demi. Sachant, chers amis, que je pèse, les bons jours, 75 kilogrammes, je m'imagine arrivant au cabinet, faisant mes visites, avec une sacoche de docteur pesant 25 kilogrammes !
Il y a bien entendu de bonnes raisons pour que le cartable de B pèse 10,5 kilogrammes. Je n'en doute pas. D'ailleurs, ses parents n'ont qu'à lui acheter un cartable à roulettes...
Je rédige donc un certificat à la con qui ne servira pas à grand chose car, dans ce collège, il n'y a pas autant de casiers que d'élèves... Embouchons les trompettes de la renommée : vous voyez que les problèmes de l'Education Nationale sont liés essentiellement au manque de moyens...

Le poids des cartables est révélateur, à mon sens, de la crise de l'enseignement et de la démocratie.
Le matériel pédagogique, comme on dit, est plus important que la pédagogie elle-même.
Le rachis de cet enfant est moins important que les couleurs des classeurs et celles des intercalaires.
Les livres scolaires sont une industrie juteuse dont le poids ne rend pas compte de la valeur.
Chaque enfant de ce collège a eu droit, en CM1, à un ordinateur portable qui ne sert pas à se "cultiver" (quel mot horrible) mais à jouer sur internet ou à visionner You Tube, et donc, pas de fracture numérique (mon oeil !), mais un rachis souffrant.
Le médecin généraliste n'a aucun pouvoir sur le rachis est là pour rédiger des certificats.
L'enfant est au centre de la pédagogie sauf quand cela va à l'encontre de l'intérêt de l'administration.
Je me rappelle, enfant insouciant sur le chemin du lycée (les collèges étaient réservés aux élèves qui ne faisaient pas d'études "longues"), lançant mon cartable en l'air ou m'en servant pour donner des coups à mes camarades, un cartable léger comme mon insouciance, comme mon esprit léger...
Je me rappelle mon grand-père haut-savoyard me racontant ses longues chevauchées pour arriver à l'école, le cartable lourd comme une plume et tenu à bout de main.
Je me rappelle ma grand-mère, institutrice à Taninges, Haute-Savoie, m'apprenant à lire avec un tableau noir et une craie, sans matériel pédagogo mais avec pédagogie et se moquant de moi en CM2 parce que j'étais obligé de "poser" une règle de trois.
Nos cartables étaient légers comme l'air mais ce n'était pas l'époque moderne, celle où l'enfant est plus important que le savoir lire et le savoir compter, c'était l'époque utilitariste où le certificat d'études primaires avait une fonction sociale...
Que l'on me pardonne cette envolée sur les temps anciens où tout était mieux qu'avant, où les cartables étaient légers, les enfants dyslexiques rares et les enfants hyperactifs turbulents.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Docteur du 16,
Vous avez exclu tellement de monde en introduction de votre note, que j'ai failli ne pas la lire. Finalement je me suis dit que je fais peut-être un peu partie de toutes les catégories citées, ou alors d'aucune, et je l'ai lue.
L'enfant ployant sous le poids du cartable, c'est une jolie allégorie de l'humanité ployant sous le poids de la technologie et des biens matériels, qui étaient censés libérer l'homme et qui l'écrasent.
Les manuels sont le savoir présenté, par leurs rédacteurs, des professeurs d'université, des experts eux aussi blindés de conflits d'intérêts et ayant une rente de situation grâce à ces manuels, le savoir présenté comme une forêt inextricable, où tout est fait pour que les petits poucets des classes populaires se perdent.
Eux qui ne peuvent pas être aidés par leurs parents ou avoir accès aux cours particuliers. Les manuels sont faits pour les enseignants. Ils sont censés suivre la ligne de l'éducation nationale et gagner aux enseignants les bonnes grâces des inspecteurs qui leur font tellement peur. Mais impossible de récupérer un cours sur un manuel. Les connaissances n'occupent que 20% de la surface du manuel, et c'est en moyenne la part que les enseignants utilisent pendant l'annnée. On pourrait réduire de 10 à 3kg le poids des cartables si on ne mettait que le nécessaire."Les programmes persistent dans l'enflure, comme s'il fallait que les élèves apprennent tout ce qu'il est possible de savoir...[alors que le système] est incapable d'assurer que les élèves apprennent ce qu'il n'est pas possible d'ignorer". (Emmanuel Davidenkoff in Réveille toi Jules Ferry...). Le résultat est que les inégalités augmentent en France depuis plusieurs années. Il est heureux qu'il existe une sorte d'audit comparatif des systèmes d'enseignement au plain international conçu par l'OCDE et renouvelé tous les 3 ans, les études PISA, pour que nous nous en apercevions. Sinon les gouvernements nieraient ce fait, comme il leur est coutumier de nier la réalité en général.
Depuis la première enquête PISA en 2000, les inégalités entre élèves n'ont jamais cessé de se creuser en France, en même temps que les cartables s'alourdissaient. La France est un des pays développés les plus inégalitaires en matière d'éducation.
Et l'édition de manuels scolaires offre aussi une rente de situation de l'Etat (donc de nous) à des groupes privés comme Lagardère, dont on peut se demander comment ils seraient en mesure de rédiger des manuels d'histoire avec un minimum d'objectivité, puisque Lagardère vend aussi des armes. Mais les affaires tournent et grâce à cette manne d'Etat le groupe Lagardère est en train de prendre une participation de 25% dans le quatrième éditeur russe Atticus Publishing.
Il n'est pas vrai que des enfants réussissent mieux parce qu'il seraient héréditairement plus intelligents. Ils sont juste plus aidés et informés que d'autres. Pas plus tard que lundi j'ai vu un enfant de deux ans et demi qui savait écrire toutes les lettres, qui connaissait toutes les couleurs, qui désignait et nommait les nombres à deux chiffres, et dont la mère ne parlait pas français. C'était son frère de 4 ans qui jouait les professeurs. Pourtant je sais qu'il a bien moins de chances de réussir à l'école qu'un fils de prof ou de cadre sup d'intelligence moyenne.Les dés sont pipés.
Finalement c'est le poids de notre passivité complice et imbécile, nous parents qui jouons le jeu de la réussite scolaire des uns contre les autres, qui retombe sur le dos de nos enfants.
CMT

JC GRANGE a dit…

@ CMT
Très beau texte.Je n'avais pas pensé à cette métaphore sur le savoir. Je crois que c'est cela : l'excès d'informations ne profite qu'à ceux qui sont préparés à le recevoir, les trier, les hiérarchiser. J'ai souvent lu les livres de sciences de la nature de mes enfants et je me suis dit que, médecin, je ne comprenais rien à la reproduction telle qu'elle était expliquée, à la biologie telle qu'elle était enseignée... Les livres n'apprenaient pas les sciences de la nature aux enfants mais les procédés compliqués qui ne permaettaient pas de les comprendre.

Anonyme a dit…

Vous effleurez le sujet des dyslexies que j'élargirai aux dyspraxies diverses et variées qui engagent ces enfants dans d'invraisemblables rallyes entre rééducateurs tout aussi variés et, à mon sens, improbables. Je suis curieux d'avoir votre avis, s'il y a, comme celui de CMT, qui me paraît avertie.
NP