Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
51
Ursula disparaît.
La fine fleur de l’oncologie française est prête pour la présentation de Milstein de 3:00 pm. Les sentiments sont partagés entre ceux qui aimeraient que la France de la cancérologie soit reconnue à sa juste valeur pour que tout le monde en profite, le fameux ruissellement, et il n’est pas inutile de préciser, tant les mauvaises langues sont nombreuses, qu’il existe des gens sincères, des collègues oncologues qui pensent que Milstein n’est pas le plus mauvais d’entre eux et qu’il vaudrait mieux que sa gloire rejaillisse sur tous. Il y a aussi les envieux qui se croient aussi capables que lui, il y en a peu qui sont de ce niveau, et des méchants qui aimeraient bien qu’il se casse la gueule, les plus nombreux, il y a des curieux, des traîne-patins de l’oncologie, des revanchards ou des ennemis déclarés… L’humanité en quelque sorte. Mais l’enjeu de cette présentation est aussi industriel, boursier et, scientifique (la survie des malades atteints d’une affection très tueuse) et, accessoirement, c’est pourquoi il n’y a pas que des Français qui attendent cette présentation dont l’abstract a déjà résumé les points forts et les centres d’intérêt, il y a la division US de la firme, les experts de la FDA et d’ailleurs, les commentateurs et leurs blogs ou podcasts assassins, mais surtout les journalistes qui vont pouvoir faire de la copie sur une molécule, on cite, « innovante », « pleine d’espoir », « changeuse de jeu » ou, comme le proposent les Canadiens, « bouleversante », « introduisant un nouveau paradigme », « révolutionnaire »… Les journalistes français embarqués ont tous prévu, il sera une heure du matin en France le jour d’après, des commentaires dithyrambiques pour les éditions en ligne de leurs journaux respectifs et pour l’édition papier, pour Télé Matin ou pour Le journal de la santé, sans oublier Doctissimoentre deux pubs pour les ceintures chauffantes.
Le professeur Norbert Milstein est, malgré le trac, dans son élément. Il est bien entouré : Gers le rassure, mais ce n’est pas pour cela qu’il sera son poulain pour les prochaines nominations, Berson est aux petits soins, Marie DeFrance fait la mouche du coche, le marketing prend des photos, et tout le menu fretin s’agite autour du professeur de cancérologie qui est assis tranquillement au premier rang tout à droite de la salle où se déroule la session. Il n’arrive pas à écouter les intervenants, il se concentre, il tente de se concentrer et tout le monde remarque quand même que l’égérie du patron n’est pas là. Ursula est ailleurs. Le modérateur de séance est un Philippin qui parle un anglais de compétition avec un vague accent mélange d’espagnol et de tagalog. Il a l’air gentil comme tout et la consultation en ligne, mais qui ferait cela à cet instant sinon de méchants gauchistes, de ses competing interests indique qu’il n’est pas possible qu’il se rappelle qui le nourrit tant le nombre de firmes qui lui ont versé de l’argent depuis cinq ans est important.
Qui donc pourrait penser qu’Ursula est déjà dans un avion qui vole vers Paris ?
(Pour lire Un Congrès à Chicago depuis le début, c'est ICI)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire