samedi 24 juin 2023

L'émergence d'une nouvelle classe de médicaments : les examens complémentaires.

Sous-marin parti pour exploser


Parler avec ses voisins, entendre des conversations à la boucherie à des heures honnêtes, écouter les doléances des citoyens à l'égard du système de soins, subir le narratif des personnes malades qui s'épanchent au square, dans une queue de supermarché ou en promenant leur chien (ils en profitent pour nous raconter leur dernière visite chez le vétérinaire), c'est tout autre chose que d'être en situation de consultation dans son bureau de médecin généraliste où il existe une certaine retenue de part et d'autre (enfin, pas toujours).

Quoi qu'il en soit je suis atterré par la façon dont le système de soins évolue, a évolué et continue de la faire. 

Il ne s'agit bien entendu ici ni d'une étude clinique (avec niveau de preuves tendant vers le zéro absolu, entre avis d'expert et bruit de chiottes dans un grand CHU parisien), ni d'une étude sociologique (avec entretiens d'indigènes du voisinage), ni d'une étude économique (avec en bruit de fond la défense du libéralisme et/ou le combat anti capitaliste), pas plus qu'un article d'une revue de défense des consommateurs ou d'un entrefilet dans le bulletin paroissial des malades du Lyme, de la flbromyalgie ou du Covid long réunis (on me dit dans l'oreillette qu'avec toutes les nouvelles maladie chroniques non guérissables il ne va pas rester grand monde en "bonne santé" dans ce monde hédoniste).

Voici quelques réflexions sur une semaine chargée en conversations de bistrot dans le monde réel de la vraie vie... 

Sans omettre que les propos des autres sont toujours entendus au Balto PMU (le summum de la ringardise et du mépris pour le peuple et pour les habitants des quartiers populaires) alors que les CSP +, eux, parlent derrière un Smokehead ou un cru classé, chez eux ou dans un restaurant à la mode (très cher et souvent sans goût) en racontant les mêmes idioties mais avec le vernis des intellectuels Bac + 6, 7, 8 qui sont branchés en permanence sur CNews.

Voici donc.

La voisine de cinquante ans qui obtient une IRM pour des lombalgies banales sans drapeaux rouges et qui est déjà "guérie" en s'y rendant (mais comme elle a pris rendez-vous, elle y va quand même, elle avait aussi la possibilité de poser un lapin sans prévenir, mais elle est polie, elle vient de recevoir un bon point et bientôt une image du syndicat des radiologues exigeant que les examens radiologiques manqués soient quand même facturés, et donc, elle honore son rendez-vous, donne en moins d'une minute sa carte vitale adossée à une mutuelle super sympa qui rembourse tout, la chambre individuelle, l'ostéopathie, le reiki et la stimulation du nerf vague en cas de covid long comme jadis le caisson hyperbare pour les acouphènes récalcitrants, elle joue à la bonne malade, on ne sait jamais, un cancer caché, de l'arthrose, une hernie discale, un canal lombaire étroit : comme son médecin traitant, décrit comme un super type qui a du caractère, ne l'a pas examinée, ne l'a même pas fait se déshabiller, elle n'était pas accompagnée de son chaperon, toutes les possibilités sont ouvertes, même les plus farfelues, même les maladies que le médecin qui n'examine pas quelqu'une qui présente des lombalgies connaît ou ne connaît pas, quelle importance...

Le mari (60 ans) d'une copine qui n'a pas fait d'examens sanguins depuis dix ans et dont la prescription est longue comme un discours de Fidel Castro (son record : 7 heures 15) et dont les conséquences sont identiques que ledit discours (on s'ennuie, on n'y comprend rien, on ne sait pas quoi en faire, on n'ose pas le critiquer et on sera reconvoqué pour la même chose dans quelque temps), le mari, donc, se retrouve avec deux constantes anormales et l'ordinateur du biologiste indique sur l'examen la nécessité de doser un autre "truc" qui, en jetant un oeil sur le net, renvoie à une maladie grave. Stresser les citoyens pas encore malades pour des maladies qu'ils n'ont pas encore est une nouvelle spécialité de la médecine moderne (et encore heureux que le potentiel diagnostic à la gomme ne soit pas déjà inscrit dans Mon espace santé, ex Dossier Médical Partagé, mais les voies du seigneur sont impénétrables et surtout celles de l'informatique gouvernementale).

La voisine qui change de monture de lunettes tous les ans parce que Dior c'est mieux que Balenciaga (il est évident qu'elle utilise d'autres arguments moins provocateurs) contribue à la vitalité des opticiens et des mutuelles dans le meilleur des mondes possible (une théodicée difficile à entendre dans l'univers de la santé en crise où dont tout le monde se plaint à coups de "C'est pas moi, c'est l'autre").

Une autre voisine bien versaillaise qui, sans antécédents particuliers, passe une mammographie plus échographie tous les ans depuis l'âge de quarante ans (elle en a 52) sans oublier un frottis annuel ("On ne sait jamais")... et qui trouve anormal qu'un médecin comme moi (c'est moi) ne sache pas que c'est elle qui est dans le droit, le droit à la santé sans doute, et le médecin, c'est moi, ferme sa goule : ah quoi bon raconter toujours la même chose sur les dépistages inutiles et dangereux qui ne diminuent pas la mortalité globale à une voisine qui, dans la vraie vie, est secrétaire administrative à La Poste, alors que la majorité des médecins et des médecines pensent encore, prenez votre respiration, ouvrez grandes vos oreilles, que 1) il vaut mieux prévenir que guérir (prévenir signifiant dépister dans leur cerveau de scientifique qui a fait dix ans d'études et plus), 2) le surdiagnostic n'existe pas (n'oublions pas que dans cette majorité de médecins, la majorité ne fait pas la différence entre diagnostic, surdiagnostic et faux positif), 3) les dépistages sauvent des vies... Donc, pourquoi s'épuiser à argumenter avec une profane alors que les sachants ne sachent pas ?

Invoquer le serment d'Hippocrate (dont je vous raconterai un jour les évolutions, les transformations, les différentes versions dans le courant de l'histoire de la médecine) parce que le médecin traitant de son mari n'a pas voulu le recevoir "en plus" et en urgence pour des douleurs du genou (droit) ne fait pas peur à cette personne et pas plus au spécialiste mondial de l'IRM du genou droit qui poussera des cris d'arthrose dans son dictaphone dernier cri et conseillera (en passant au-dessus du médecin traitant qui était de toute façon d'accord) de consulter un rhumatologue dont la sur spécialité, outre le genou droit, est l'injection intra articulaire de PRP avec un art consommé et sans faire mal (sauf au porte-monnaie) alors qu'aucune étude contrôlée n'a montré une quelconque efficacité de ce "traitement" sur la douleur et sur l'évolutivité des lésions. Mais la voisine du troisième prétend que le copain de la copine de l'amie du type qui a une mutuelle du feu de dieu (120 euros par mois) a été amélioré par les infiltrations du docteur X, chirurgien à Issy-Les-Moulineaux (la ville où il y plus de dentistes poseurs d'implants au centimètre carré que de crottes de chiens sur les trottoirs) court désormais comme un lapin.

Prescrire des PSA à un homme de 81 ans dont l'espérance de vie, compte tenu de ses problèmes cardiaques (propos recueillis sur un coin de gazon dans le jardin de mon immeuble - on dit résidence), est inférieure à 10 ans et lui coller des anti-androgènes et d'autres gracieusetés qui le mettent à plat et l'empêchent désormais de porter des sacs de terreau dans son jardin privatif, son plus grand plaisir étant jusqu'à présent de faire du jardinage...

Opérer un homme de 81 ans (je ne radote pas, ce n'est pas le même, les prostates des hommes de 81 ans -- l'espérance de vie des hommes de 81 ans est en constante augmentation selon les prostatologues et grâce à leurs bons soins-- sont une proie répandue dans l'agenda des urologues) pour un PSA à 7, des biopsies normales, une IRM normale (mais il y avait quand même un doute sur une image proche de la capsule), et entendre un homme amaigri (il a beaucoup saigné en post op et il a aussi eu pas mal de douleurs) satisfait parce qu'il est désormais "tranquille" et parce que le professeur qui l'a pris en charge "en privé" était super gentil, compétent, aimable et que sa femme est super contente car il ne l'emmerde plus puisque le viagra a désormais autant d'effets sur lui qu'un traitement de l'IHU sur un non-covid diagnostiqué à tort à l'IHU chez une patiente enceinte qui ne désire pas porter plainte contre le grand professeur Raoult dont un de mes amis, un ancien ami désormais, devenu complotiste, prétendait qu'il était un bienfaiteur de l'humanité.

J'apprends qu'à Strasbourg (les Français de l'extérieur), une coloscopie en libéral c'est 400 € de dépassement pour le coloscopeur et 400 € pour l'endormisseur. Et je lis et j'entends des commentaires indignés non par le fait que les dépassements sont hors de tout contrôle ou dépassent la mesure mais parce que c'est "le vrai prix de la santé" et qu'il va falloir s'y habituer. Mon copain gastro-entérologue en secteur 1 sans dépassement qui fait (beaucoup) de coloscopies et de gastroscopies en clinique et qui, malgré son chic appartement dans le seizième, sa résidence secondaire à La Baule et sa Tesla (je ne charge pas le trait, c'est vrai, c'est un excellent gastro-entérologue qui pratique beaucoup d'endoscopies, certes), pointe aux Restos du coeur, dort chez Emmaüs et fait la manche au coin de la rue Nationale et de la rue des Missionnaires, se demande s'il ne pourrait pas faire de la télé coloscopie à Strasbourg...

Mon voisin présente une névralgie d'Arnold, je l'ai examiné, j'ai tenté de le rassurer, il est quand même allé, -- sur les conseils avisés de voisins non médecins qui connaissent par coeur les commentaires sur le silence des organes (René Leriche, 1952), le droit universel à la santé sans douleurs, sans souffrances, la définition de la santé par l'OMS en 1945, la mort douce et tout le toutim -- aux urgences privées d'une clinique versaillaise très réputée (pour ses chirurgiens et pour ses dépassements) en raison de douleurs persistantes où le diagnostic n'a pas été porté mais où l'urgentiste de service a hésité entre, je cite, "une migraine et un torticolis". Je peux vous assurer qu'il n'y a pas plus de torticolis ou de migraine que de beurre en broche. Mais attendons l'IRM dans les prochains jours...

Je n'oublie pas cette hernie discale chez une jeune femme de 35 ans (la symptomatologie douloureuse est aussi épaisse qu'une tranche de jambon coupée au microtome dans un sandwich SNCF) pour laquelle le radiologue, un brave homme au demeurant, très gentil, présent en son cabinet de radiologie, ce qui n'est plus très courant de nos jours où la télé radiologie se pratique de Paris jusqu'à New Delhi, a poussé des cris d'orfraie, conseillé une IRM, l'avis d'un rhumatologue, le recours à un ostéopathe et la possibilité d'une infiltration intra foraminale.

Désormais, je l'ai appris d'une source sûre, un copain hospitalier, voyez comme je suis ouvert, apte à la compréhension des minorités opprimées, il paraît que dans certains (je ne voudrais pas généraliser) hôpitaux privés, et les gériatres sont des spécialistes de cet examen, des scanners corps entier (24 barrettes) sont pratiqués à tout patient âgé qui approche dudit hôpital privé. Pour voir. Pour ne pas passer à côté d'un incidentalome, d'un surdiagnostic, sans oublier les faux positifs et les oublis devant des images plus suspectes à juste titre.

Ad libitum.

Mais j'ai des centaines d'exemple, entre le Super U, le Carrefour Market et le Simply, de prescriptions d'examens complémentaires, de traitements inutiles, coûteux par leur nombre mais surtout privant ceux qui en ont besoin (mais on s'en tape puisque nous sommes à Versailles, à Paris, et pas dans une campagne française) et assez vite d'une IRM pour une "vraie" raison.

Désormais les patients ne sont plus examinés cliniquement, on commence par demander des examens complémentaires. L'effet thérapeutique de l'examen clinique est remplacé par l'effet thérapeutique de ces examens complémentaires.

Jadis, les médecins et les médecines, pensaient que le meilleur médicament, c'étaient eux-mêmes (et rappelons qu'aucune étude convaincante n'est jusqu'à ce jour venue corroborer cette croyance ni d'ailleurs indiquer quelle était la "bonne" posologie, quels étaient les effets indésirables et quelle était la dose toxique de cette prescription de soi-même), ils sont désormais persuadés (et elles ont persuadé les patients) que la prescription d'examens complémentaires permettait d'éliminer le fastidieux examen clinique dévoreur de temps  et était la meilleure thérapeutique possible.

Amen.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout à fait ! Je n ai plus d examen clinique depuis le départ de mon vieux Generaliste , j ai même du prendre ma tension toute seule avec l appareil face à un médecin assis.

DocGégé a dit…

L'examen clinique a certainement son intérêt, ne serait-ce en effet que pour éviter la prescription d'examens complémentaires inutiles. Mais il y a des situations où l'examen clinique a des effets potentiellement "néfastes", à commencer par la simple prise de tension artérielle qui peut aboutir à des prescriptions dont la balance bénéfices-risques n'est pas vraiment établie. Toutefois, une absence d'examen clinique devrait pouvoir être exposer/expliquer au patient, au même titre que la non nécessité de certains examens complémentaires.

Ceci dit le défaut d'examen clinique n'est probablement pas une chose si nouvelle, j'ai remplacé il y a environ 30 ans un médecin de campagne qui n'avait pas de divan d'examen dans son bureau de consultation...

Jean Doubovetzky a dit…

OUI c'est catastrophique. On en est au stade où, lorsqu'un examen d'imagerie est véritablement utile, on a du mal à l'obtenir en moins de quelques semaines, parce que les rendez-vous sont encombrés d'examens inutiles... Désolant... Et encore on ne parle pas des campagnes d'examens dont l'objectif est de toute évidence la prescription inutile, voire dangereuse, comme des dosages de vitamine D...