Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
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Pierre Gers
Ce n’est pas la première fois qu’il se rend dans un grand congrès aux États-Unis mais il est excité comme une puce car c’est la première fois qu’il s’y rend en VIP, qu’il va prendre l’avion en classe affaire, loger dans un hôtel de luxe et il a hâte d'en être comme un enfant découvrant ses cadeaux aux pieds du sapin de Noël.
Les représentants de la Firme l’attendent à Roissy. Ils lui ont payé le voyage, ils vont lui offrir un séjour sur place all inclusive et vont le chaperonner, le chouchouter afin qu’il soit dans les meilleures conditions pour faire une présentation parfaite dans son anglais ferme et fluide en utilisant les mots et les phrases qui souligneront encore plus l’intérêt de la molécule qui permet de financer l’affaire.
Il s’est habillé en touriste sans beaucoup de recherche mais avec son élégance naturelle : une veste sport en cuir marron qui souligne sa carrure, une chemise blanche en coton, une ceinture de cow-boy pas trop voyante, un jean étonnamment neuf, certainement un 501, et des mocassins sans pompons d’un brun perçant.
Les employés du laboratoire sont au top. Le directeur des études cliniques, un Italien à l’accent amusant, porte un costume bleu pétrole de la meilleure coupe, une chemise à rayures bleu et blanc et une pochette crème au pli parfait. La représentante du marketing est habillée comme une directrice d’agence immobilière haut de gamme qui aurait oublié qu’elle a vingt ans de trop pour porter une robe si courte et une veste si voyante.
Sa femme l’a prévenu avant de partir qu’elle saurait, à la seconde où il rentrerait à la maison, dans six jours exactement, s’il l’avait trompée. Il n’en doute pas. Mais il ne se fait aucun souci, il n’est pas fait de ce métal, non pas celui de ne pas tromper sa femme, il est un homme facile, mais celui de ne pas se faire pincer.
Il y a aussi la cheffe de la division oncologie, Marie DeFrance qui ressemble à une pharmacienne coincée mais plutôt jolie dont les traces de sa scolarité dans un institut religieux huppé de Versailles et son mariage avec un polytechnicien sévère la rendent rigide et excitante comme un éditorial d’Ivan Rioufol dans Le Figaro…
Quelques comparses sont aussi là qu’on lui présente et à qui il tient des propos entendus, préoccupé qu’il est de faire bonne impression. La Firme a aussi invité Steiner, un PU-PH de petite taille, qu’il a déjà rencontré dans d’autres conférences, un type puant qui se prend pour la future star de l’oncologie et qui, pour l’instant, joue au petit chienchien avec toutes les firmes qui lui proposent de l’argent pour vanter leurs produits. Sans compter de Viran, un agrégé aussi antipathique que nul dont la mauvaise réputation le précède partout, un exécrable orateur qui se la pète et qui sait à peine signer son nom.
C’est quand il aperçoit la professeure Edmée Vachon qu’il comprend que son séjour à Chicago ne sera pas de tout repos.
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